7.1 Fin de la crise énergétique
Malgré l’accalmie sur les prix de l’énergie, l’activité économique mondiale a légèrement ralenti en 2024 progressant de 3,2 % après 3,5 % l’année précédente. La conjoncture internationale fut de nouveau caractérisée par le dynamisme de la croissance des États-Unis (2,8 % en 2024) et la faiblesse de l’activité dans la zone euro (tableau 7.1). Le PIB de l’Allemagne s’est contracté pour la deuxième année consécutive et ne dépasse toujours pas le niveau moyen observé en 2019 (graphique 7.1). En France, la croissance s’est maintenue à 1,1 % en 2024 dans un contexte marqué par une instabilité politique inhabituelle. En Italie, l’activité marque le pas depuis l’été ramenant la croissance annuelle à 0,5 % contre 0,8 % en 2023. Inversement, la croissance espagnole n’a pas fléchi en 2024 (3,2 %) par rapport à 2023. Ainsi, parmi les quatre principaux pays de la zone, c’est en Espagne que le niveau de PIB a le plus progressé par rapport à 2019. Néanmoins, si on compare le niveau d’activité à celui résultant d’une trajectoire où le PIB aurait progressé au même rythme que la tendance pré-Covid, c’est en Italie que la situation a été la plus favorable avec un PIB supérieur de 5,3 points à ce niveau contrefactuel (graphique 7.1). Inversement, l’Allemagne accuserait un retard de près de 6 points de PIB. Hors zone euro, l’activité a plutôt eu tendance à accélérer en Europe en 2024, notamment au Royaume-Uni, avec une croissance de 1,1 % contre 0,4 % en 2023, et dans les pays d’Europe centrale et orientale, tirés par la Pologne et le retour d’une croissance positive en Hongrie. Au Japon, l’activité a stagné en 2024, principalement en raison d’un mauvais premier trimestre. Enfin, après la forte accélération de l’activité dans les pays émergents en 2023 – soutenue notamment par les pays d’Asie – un ralentissement s’est opéré en 2024. La croissance est passée en moyenne de 4,6 à 4,2 % entre les deux années. Elle a continué de baisser en Amérique latine à 2 % et s’est infléchie en Asie à 5 %, Chine comprise. En Russie et en dépit de la guerre, la croissance a augmenté à 4,1 % après 3,6 % en 2023.
Après la forte hausse de 2021-2022, l’inflation a continué de baisser en 2024. Dans la zone euro, elle a reculé de 3,1 points passant de 5,5 % à 2,4 % en moyenne annuelle. La baisse est encore plus importante pour le Royaume-Uni (-4,8 points) même si l’évolution cumulée depuis 2019 indique une augmentation plus forte des prix (+26,1 %) outre-Manche contre 21,4 % sur l’ensemble de la zone euro (voir partie inflation). La désinflation a été moins marquée en 2024 aux États-Unis, avec une inflation – mesurée par l’indice des prix à la consommation – qui se maintient autour de 3 % depuis plusieurs mois et un niveau de prix 25 % plus élevé qu’en 2019. Pour autant, la crainte d’une spirale inflationniste ne s’est matérialisée ni en Europe, ni aux États-Unis. Les salaires nominaux ont certes progressé plus rapidement que les prix en 2023 et 2024 mais, à l’exception de l’Espagne, les salaire réels n’ont pas effacé les pertes enregistrées en 2021 et 2022. Dans ces conditions, la perspective d’un retour progressif vers leur cible d’inflation a conduit les banques centrales à baisser leur taux directeur. Dans le cas du Japon, après de longues années de pressions déflationnistes, la progression des salaires nominaux a permis de ramener plus durablement l’inflation vers la cible de la Banque du Japon qui a donc amorcé une normalisation de sa politique monétaire avec un retrait progressif des mesures d’assouplissement quantitatif et une hausse du taux directeur.
L’évolution du pouvoir d’achat du revenu disponible brut a été plus favorable en 2024 dans les pays européens, sauf en Espagne, où le ralentissement de l’inflation a été un peu moins marqué. Aux États-Unis, la hausse du revenu disponible nominal a été freinée par une moindre croissance des revenus financiers et par une contribution des impôts aux revenus de nouveau négative1. Néanmoins, la consommation des ménages est restée un moteur de la croissance aux États-Unis alors qu’elle a été beaucoup moins dynamique en Europe et au Japon en raison de l’augmentation des taux d’épargne.
1 En 2022, les impôts payés par les ménages avaient fortement baissé et contribué positivement (à hauteur de 2,1 points au revenu disponible).
Paradoxalement, la faible croissance en Europe n’a pas eu pour conséquence une dégradation du marché du travail même s’il y a eu moins de créations d’emploi (voir partie Emploi). Le taux de chômage a même baissé dans la zone euro en 2024, notamment en Espagne et en Italie. Inversement, la situation s’est légèrement dégradée aux États-Unis avec une légère hausse du taux de chômage et une baisse du taux d’emploi (graphique 7.2). Ces trajectoires ont pour corollaire celles de la productivité du travail qui est bien plus dynamique aux États-Unis que dans les pays de la zone euro ce qui alimente le diagnostic sur le décrochage de l’Europe2.
7.2 Donald Trump met l’économie mondiale sous tension
Comme il l’avait fait lors de son premier mandat, Donald Trump entend de nouveau user des droits de douane pour faire prévaloir les intérêts américains. Depuis son investiture, il a multiplié les annonces et déclenché une nouvelle guerre commerciale (voir Politiques commerciales). Néanmoins, alors que certaines sanctions sont rapidement appliquées, d’autres sont annoncées mais avec une application immédiatement reportée. Notre scénario central prévoit une hausse moyenne de 10 points des droits de douane sur les produits importés par les États-Unis et suppose que les représailles seront limitées3. Au-delà des tarifs douaniers, les décisions du président américain ou de son partenaire Elon Musk sont source d’incertitude sur l’orientation de la politique commerciale ou les conditions d’exercice de leur activité pour les entreprises étrangères. A court terme, il en résulte un climat hostile aux affaires ce qui freinerait l’investissement ou la consommation outre-Atlantique. Les exportations vers les États-Unis devraient augmenter au premier trimestre 2025 en anticipation de tarifs plus élevés.
3 Cette hypothèse ne tient donc pas compte des annonces du 2 avril 2025.
Les effets de la hausse des tarifs douaniers sur l’activité s’amplifieraient en 2026. Le commerce mondial ralentirait pour atteindre une croissance de 2,2 % en 2026 contre 2,9 % en 2024. Certains pays seraient plus exposés aux mesures, soit parce qu’ils sont directement ciblés par des droits plus élevés, soit parce qu’ils exportent des biens ciblés par des droits vers les États-Unis. Enfin, l’impact économique dépendra du poids dans leur PIB, des exportations vers les États-Unis. Le Mexique et le Canada sont particulièrement exposés puisque plus de 75 % de leurs exportations sont à destination des États-Unis ce qui représente respectivement 30 % et 21 % de leur PIB (graphique 7.3). En Europe, l’Irlande, la Suisse puis la Belgique sont les pays pour lesquels les exportations vers les États-Unis pèsent le plus dans le PIB. En Asie, le Vietnam, la Thaïlande, la Corée et la Malaysie sont les plus vulnérables en cas d’augmentation des droits de douane américains.
La croissance mondiale baisserait à 2,9 % dès 2025 puis se stabiliserait à ce même niveau en 2026. Les économies développées pourront encore bénéficier de l’assouplissement monétaire passé (Voir partie Politique monétaire). En Europe, la BCE et la Banque d’Angleterre continueront de baisser tandis que la Réserve fédérale devra faire face à une inflation plus élevée aux États-Unis et stabiliserait son taux directeur (tableau 7.2). En effet, alors que la stabilisation des prix de l’énergie ne devrait plus être un moteur de l’inflation ou de la désinflation, les banques centrales se montreront prudentes en raison des risques inflationnistes qui résulteraient des droits de douane. Aux États-Unis, l’inflation dépasserait de nouveau 3 % en fin d’année 2025. Sous l’hypothèse de représailles limitées de la part des pays européens, l’inflation en zone euro et au Royaume-Uni ne serait pas affectée directement par la guerre commerciale et reviendrait alors vers 2 %.
Les perspectives restent moroses dans les pays émergents et en développement pour 2025 et 2026, notamment en Asie ou là croissance passerait sous le seuil des 5 %. Au-delà du fléchissement attendu en Chine (à 4,5 % en 2026), ce sont les dragons d’Asie qui semblent les plus affectés dans la région par le changement en cours (Hong-Kong, Corée du Sud, Singapour, Taiwan). L’Amérique latine garderait un rythme de croissance autour de 2 % en moyenne, le fléchissement attendu au Mexique – en raison de sa forte dépendance aux États-Unis – et au Brésil étant compensé par la reprise en cours en Argentine. Davantage fragilisée que l’Asie sur le marché des changes, l’Amérique latine en subit l’impact sur les prix. L’inflation est repartie dans plusieurs pays, entraînant un nouveau durcissement des politiques monétaires, au Brésil notamment. En Asie, par contre, l’inflation reste contenue autour de 2 % mais la vigilance des banques centrales demeure.
Le second mandat de Donald Trump laisse également entrevoir un changement géopolitique profond notamment pour l’Europe, et plus encore pour l’Ukraine, ce qui devrait avoir pour conséquence une hausse des budgets consacrés aux dépenses militaires. Le plan reArm Europe en dessine les premiers contours en donnant des marges de manœuvre aux Etats membres. La consolidation des finances publiques ne serait plus la seule priorité, ce qu’illustrent les annonces récentes faites par le gouvernement allemand (voir partie Finances publiques). Les impulsions budgétaires seront généralement moins restrictives en 2026 qu’en 2025. La politique budgétaire deviendrait même expansionniste en Allemagne. Le PIB accélèrerait dans la zone euro progressant de 1,1 % en 2025 puis de 1,5 % en 2026. Cette hausse de la croissance ne se reflèterait pas dans les chiffres du chômage. A l’exception de l’Espagne, le taux de chômage augmenterait légèrement en Allemagne et en Italie et plus significativement en France du fait de l’augmentation de la productivité. Aux États-Unis, le chômage augmenterait également en lien avec la baisse de la croissance qui passerait de 2,8 % en 2024 à 1,4 % en 2025.
7.3 La roulette russe
La multiplication des annonces depuis l’investiture de Donald Trump en janvier 2025 crée une forte incertitude sur la politique commerciale américaine, sur les objectifs de cette stratégie et sur les mesures de représailles que prendront les partenaires commerciaux des États-Unis. La guerre commerciale est bien déclarée et ne devrait faire que des perdants. Pour autant, il est difficile de lire le scénario qui sera finalement adopté et le niveau de droits de douane qui s’appliquera in fine en moyenne en 2025 et 2026. La déclaration du 2 avril ouvre la possibilité de droits plus élevés : à peu près le double pour les pays de l’Union européenne et plus encore pour les biens importés de Chine. La situation récente a cependant montré que les sanctions sont susceptibles d’être reportées ou atténuées. S’il ne fait pas de doutes que Donald Trump assume une politique commerciale agressive, l’annonce du Liberation Day pourrait être un moyen de forcer les partenaires commerciaux des États-Unis à négocier un accord conduisant à ouvrir plus largement leur marché aux produits américains. Dans le cas d’une application stricte des droits annoncés le 2 avril, l’impact négatif resterait modéré pour les pays européens en 2025 et 2026 : de l’ordre de -0,2 point de PIB (Voir Politiques commerciales). L’impact serait plus conséquent pour la Chine en 2025. Les pays émergents et en développement pourraient être fortement fragilisés à la fois parce qu’ils pourraient subir une hausse très élevée des droits, et parce qu’ils auront plus de difficultés à absorber le choc en raison d’une part plus importante de leurs exportations à destination des États-Unis. Enfin, il ne semble pas qu’un scénario de représailles généralisées soit à l’ordre du jour. Certains pays privilégient déjà la négociation tandis que d’autres, Chine et Union Européenne principalement, pourraient opter pour des représailles ciblées. Néanmoins, les États-Unis pâtiraient des mesures de rétorsions avec une croissance annuelle qui pourrait passer sous les 1 %.
Enfin, cette multiplication des annonces a aussi suscité l’inquiétude des marchés financiers mondiaux qui ont fortement chuté. La baisse de l’indice américain S&P500 corrige en partie le boom qui avait été observé à la fin de l’été 2024 et qui reflètait des perspectives de croissance favorable sans doute dopée par les annonces de baisses d’impôts et d’allègement des contraintes règlementaires (graphique 7.4). La baisse en cours traduit une révision à la baisse des anticipations de croissance mais elle pourrait aussi être le signe d’un désordre économique mondial durable résultant d’une remise en cause profonde des relations économiques internationales établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le pire scénario serait celui d’une panique financière qui, couplée à une escalade sur les droits de douane, ferait basculer de nombreuses économies en récession.
2024 | 2025 | 2026 | |
---|---|---|---|
Allemagne | −0,2 | 0,1 | 1,5 |
France | 1,1 | 0,5 | 1,1 |
Italie | 0,5 | 0,8 | 0,9 |
Espagne | 3,2 | 2,3 | 1,8 |
Zone euro | 0,8 | 1,1 | 1,5 |
Royaume-Uni | 1,1 | 0,8 | 1,4 |
États-Unis | 2,8 | 1,4 | 1,5 |
Japon | 0,1 | 1,1 | 0,6 |
Pays industrialisés | 1,7 | 1,3 | 1,5 |
Chine | 5,0 | 4,8 | 4,5 |
Autres pays d'Asie | 5,0 | 4,9 | 4,9 |
Amérique latine | 2,0 | 2,1 | 2,1 |
Pays émergents et en développement | 4,2 | 4,0 | 3,9 |
Monde | 3,2 | 2,9 | 2,9 |
Note : Pondération selon le PIB et les PPA de 2014 estimés par le FMI. | |||
Sources : Comptes nationaux, prévision OFCE avril 2025. |
T3 | T4 |
2025
|
de 2024t3 à 2026t4 |
2024
|
2025
|
2026
|
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---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
T1 | T2 | T3 | T4 | |||||||
Taux de change | ||||||||||
1 €=...$ | 1,10 | 1,07 | 1,05 | 1,10 | 1,10 | 1,10 | 1,08 | 1,09 | 1,10 | |
1 $=…¥ | 149 | 152 | 152 | 150 | 150 | 148 | 151 | 150 | 145 | |
1 £=…€ | 1,18 | 1,20 | 1,20 | 1,20 | 1,20 | 1,20 | 1,18 | 1,20 | 1,20 | |
Taux directeur | ||||||||||
Etats-Unis | 5,00 | 4,50 | 4,50 | 4,50 | 4,50 | 4,50 | 5,12 | 4,50 | 4,50 | |
Japon | 0,25 | 0,25 | 0,50 | 0,50 | 0,75 | 0,75 | 0,17 | 0,62 | 1,00 | |
Zone € | 3,75 | 3,25 | 2,50 | 2,25 | 2,00 | 2,00 | 3,69 | 2,19 | 2,00 | |
Royaume-Uni | 5,00 | 4,75 | 4,50 | 4,50 | 4,25 | 4,25 | 5,06 | 4,38 | 4,00 | |
Matières premières | ||||||||||
Pétrole, en $a | 79,8 | 74,6 | 75,2 | 75,0 | 74,0 | 72,0 | 80,5 | 74,0 | 70,0 | |
Pétrole, en €a | 72,7 | 69,9 | 71,4 | 68,2 | 67,3 | 65,5 | 74,4 | 68,1 | 63,6 | |
Source : Prévision OFCE avril 2025. | ||||||||||
Pour les valeurs annuelles, moyennes sur l’année. a Prix du baril de pétrole, Brent.
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