1  L’incertaine croissance

Perspectives 2025-2026 pour l’économie française

conjoncture
déficit public
politique budgétaire
politique monétaire
taux souverain
inflation
France
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliations
Mathieu Plane
Elliot Aurissergues
Clémence Briodeau
Bruno Coquet
Sandra Daudignon
Magali Dauvin
Eric Heyer
Pierre Madec
Raul Sampognaro
Publié le

9 avril 2025

Modifié le

15 avril 2025

1.1 2023-2024 : une croissance soutenue par le commerce extérieur et le secteur public

Fin 2024, le PIB de l’économie française se situait 4 % au-dessus de son niveau pré-Covid (4ème trimestre 2019), soit une performance relativement proche de celle de la zone euro (4,9 %), et cet écart s’est réduit au cours des deux dernières années (encadré 1.1).

Cinq ans après le début de la crise Covid, le PIB de la France se situe, fin 2024, 3,7 % au-dessus de son niveau de 2019, en-deçà de la dynamique de PIB de la moyenne de la zone euro (5,1 %) et très éloigné de la croissance des Etats-Unis (13,6 %). En revanche, elle a enregistré une dynamique beaucoup plus favorable que l’Allemagne (0 %), tandis qu’elle est au quasiment au même niveau que le Royaume-Uni (+ 3,8 %) (graphique 1.1).

Graphique 1.1. PIB en écart à fin 2019

En moyenne annuelle, la hausse du PIB entre 2019 et 2024 est de 3,5 %. Si l’on tient compte de la démographie, le PIB par habitant a connu une hausse de 1,6 % et de de « seulement » 0,6 % si l’on mesure le PIB par unité de consommation (tableau 1.1). En revanche, le pouvoir d’achat (par unité de consommation) a plutôt bien traversé les crises, connaissant une dynamique plus favorable que le PIB, avec une augmentation moyenne de 4,3 % entre 2019 et 2024 mais aussi une hausse marquée du taux d’épargne qui se situe très largement au-dessus de son niveau d’avant Covid (tableau 1.1). Pour la seule année 2024, la « sur-épargne(a) » représente 66 milliards d’euros, soit près de 200 euros par mois par ménage(b).

(a): La « sur-épargne » représénte la différence entre l’épargne constituée par les ménages et l’épargne théorique calculée comme le taux d’épargne moyen d’avant crise (celui de la décennie 2010) appliqué au revenu courant des ménages.

(b): Ce chiffre macroéconomique ne reflète pas l’hétérogénéité des situations individuelles, l’épargne étant relativement concentrée sur les hauts revenus. Selon une note du CAE (2022), les ménages modestes auraient complètement utilisé leur surcroît d’épargne post Covid et les ménages de la classe moyenne auraient retrouvé un taux d’épargne proche de celui d’avant Covid.

Tableau 1.1. Variation du PIB et du pouvoir d’achat entre 2019 et 2024
En % PIB en fin d'année PIB en moyenne annuelle PIB par habitant PIB par UC*a Pouvoir d'achat par UC*a
2019-2024 4,0 3,5 1,6 0,6 4,3
Sources : Insee.
a UC: Unité de consommation

Avec la création nette de près de 2 millions d’emplois, dont environ 1,6 million dans le secteur marchand (comprenant près de 400 000 non-salariés), le taux de chômage s’est réduit de 1 point, atteignant 7,4 % en 2024.

Après avoir atteint en moyenne un déficit commercial (en biens et services) de -2,4 % du PIB sur la période 2022-2023, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine et la crise énergétique, la balance commerciale en biens et services de la France est revenue en 2024 au même niveau qu’en 2019 (-0,7 % du PIB).

Principale ombre au tableau (tableau 1.2), le déficit public s’est très largement creusé sur la période, passant de -2,4 % du PIB à 5,8 %, et la dette publique a augmenté de 15 points de PIB.

Tableau 1.2. Variation des grandes variables macroéconomiques entre 2019 et 2024
Taux d'épargnea Taux de chômageb Balance commercialec Déficit publicc Dette publiquec
2019 14,6 8,4 −0,7 −2,4  97,9
2024 18,2 7,4 −0,7 −5,8 113,0
Sources : Insee.
a en % du RDB b en % de la population active c en % du PIB

Cette analyse macroéconomique se retrouve clairement dans l’évolution des comptes d’agents. En effet, les entreprises présentent en 2024 une capacité de financement légèrement positive et proche de celle de 2019 (graphique comptes_agents). De même, notre situation financière vis-à-vis du reste du monde est proche de l’équilibre et relativement similaire à celle de 2019. En revanche, les ménages ont clairement accumulé des capacités financières depuis le Covid, avec une hausse de plus de 3 points de PIB entre 2019 et 2024. A l’inverse, le besoin de financement des administrations publiques s’est creusé de 3,7 points de PIB. Bien que les situations financières des ménages sont hétérogènes, cela suggère que la bonne dynamique du pouvoir d’achat au niveau macroéconomique et le haut niveau d’épargne, a été soutenu par des transferts publics non financés.

Graphique 1.2. Situation des secteurs institutionnels en 2019 et 2024

En 2023 et 2024, la croissance française a fait preuve d’une certaine résistance, en comparaison à celle de la zone euro (+1,1 % en moyenne annuelle sur 2023-2024 contre 0,3 % pour la zone euro), tirée par le net redressement du commerce extérieur (contribution de 0,7 point de PIB par an en moyenne) et le dynamisme des dépenses publiques (consommation et investissement publics qui ont contribué pour 0,6 point de PIB annuel sur 2023-2024) (graphique 1.3). A l’inverse, les dépenses des entreprises (investissement et variations de stocks) ont réduit le PIB de -0,5 point sur 2023-2024 et les dépenses des ménages (consommation et investissement) ont contribué à seulement de 0,1 point par an à la croissance du PIB au cours des deux dernières années.

Graphique 1.3. Contribution des composantes du PIB à la croissance

1.2 Une croissance pour 2025 rongée par l’incertitude

Alors que la croissance spontanée du PIB (qui correspond à la croissance hors chocs) serait de 1,4 % pour cette année et l’année prochaine, la croissance prévue ne devrait être que de 0,5 % et 2025 et 1,1 % en 2026, les chocs négatifs l’emportant sur ceux positifs, avec en premier lieu les effets liés à l’incertitude (tableau 1.3).

La hausse de l’incertitude nationale faisant suite à l’instabilité politique depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale et la censure du budget conduirait à amputer la croissance de -0,3 point de PIB en 2025 (après -0,1 point en 2024)1. Malgré le vote de la loi de finances initiale 2025, les incertitudes sur le plan national restent très élevées, et même en supposant qu’elles se dissipent progressivement dans les mois à venir, la croissance du PIB gardera des stigmates au cours de l’année en cours. S’ajoutent une montée des incertitudes internationales et des tensions géopolitiques depuis l’élection de D. Trump, dont les effets négatifs attendus sur la croissance française représentent également -0,3 point de PIB en 2025 (graphique 1.4).

1 Ce calcul est réalisé à partir de la méthodologie développée dans Sampognaro (2024), Effet d’un choc d’incertitude politique sur le PIB français, Revue de l’OFCE, n.187, octobre 2024.

Graphique 1.4. Indicateurs d’incertitude pour la France
Tableau 1.3. Cadrage macroéconomique pour l’économie française
En % du PIB 2023 2024 2025 2026
Croissance hors choc  1,5  1,4  1,4  1,4
Politique monétaire et taux longs −0,7 −0,6  0,3  0,6
Politique budgétaire  0,3  0,5 −0,4 −0,5
dont politique budgétaire des partenaires  0,0 −0,3  0,0  0,1
Energie −0,5 −0,1  0,1  0,0
Incertitude globale  0,0 −0,2 −0,6  0,0
dont politique nationale  0,0 −0,1 −0,3  0,0
Effets indirects par la demande mondialea −0,1  0,1 −0,2 −0,2
Autres effetsb  0,6  0,2 −0,1 −0,2
Croissance observée et prévue  1,1  1,1  0,5  1,1
Note de lecture: L’incertitude globale conduit à réduire la croissance du PIB de 0,2 point en 2024, 0,6 point en 2025. En 2025, la politique monétaire et les taux, ainsi que l’énergie contribuent positivement à la croissance du PIB (+0,4 pt), tandis que la politique budgétaire, l’incertitude et les autres chocs contribuent négativement (-1,2 pt). Finalement, la croissance prévue du PIB en 2025 est 1,4 + 0,4 - 1,3 = + 0,5 %.
Note: La croissance hors choc correspond à la croissance potentielle (1,2 %), plus la fermeture de l’output-gap (estimé à -1,3 point de PIB en 2024) et l’acquis potentiel sur la croissance.
Sources: Insee, prévision OFCE avril 2025.
a hors transmission des politiques budgétaires des partenaires par la demande mondiale b dont les effets sur les chaines d'approvisionnements, l'impact des Jeux Olympiques de Paris, les conséquences de la politique commerciale.

Autre effet négatif, la consolidation budgétaire attendue en 2025 et 2026 dont nous chiffrons l’impact sur la croissance à -0,4 point de PIB en 2025 et -0,5 point en 2026. Bien que négatif, l’impact sur le PIB en 2025 est cependant deux fois plus faible que celui que nous avions estimé sur la base du Projet de Loi de Finances 2025 du gouvernement Barnier. Pour 2026, nous nous sommes appuyés sur le Plan Structurel et Budgétaire à Moyen terme (PSMT) actualisé des informations transmises à la Commission européenne en 2025. Sur cette base, nous prévoyons un ajustement budgétaire structurel primaire de 0,7 point de PIB malgré une montée en charge plus rapide des dépenses militaires que celle prévue dans la loi de programmation militaire (un supplément de 0,2 point de PIB par an). Nous supposons que ce supplément de dépenses de défense se ferait par une économie équivalente sur d’autres postes de la dépense publique (encadré 1.2).

Les récentes déclarations du Président Macron et du Ministre des Armées suggèrent que le budget de la défense sera revu à la hausse par rapport à ce qui était prévu par la loi de programmation militaire de 2024-2030 (LPM 2024-2030). L’objectif serait d’atteindre 90 à 100 milliards d’euros par an mais, à ce stade, l’horizon et le financement de cette dépense additionnelle sont encore floues. Une augmentation de l’impôt serait exclue, ce qui suggère un financement par la dette ou bien une réduction des dépenses. L’impact sur l’activité dépendra notamment de la dynamique de l’impulsion budgétaire (i.e., la variation du budget de la défense), ainsi que de l’effet multiplicateur (i.e., la variation de PIB induite par la variation du budget de la défense).

Pour cette prévision, nous avons retenu l’hypothèse d’une augmentation additionnelle du budget de la défense de 7 milliards d’euros en 2026 (soit 10 milliards d’euros au total avec la LPM 2024-2030). Cette valeur suppose: i) que la loi de finance 2025 ne soit pas modifiée, ii) une augmentation linéaire du budget de la défense jusqu’à atteindre 100 milliards d’euros en 2030 soit 3,4 points de PIB (graphique 1.5), et iii) que les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) soient en mesure de répondre à l’augmentation des carnets de commande. Cette dernière condition est assez optimiste étant donné les tensions sur les capacités de production de ce secteur (Insee, 2024) et les difficultés de financement signalées par les entreprises, ce qui suppose que de nouvelles dispositions soient prises pour les aider.

Graphique 1.5. Trajectoire des dépenses militaires pour atteindre 100 milliards d’euros en 2030

La question de l’effet multiplicateur des dépenses de défense est complexe. A court terme, la logique keynésienne prédit un effet multiplicateur sur l’activité d’autant plus grand que la propension marginale des ménages à consommer leur revenu est élevée, que l’effet de l’ augmentation anticipée des ventes sur l’investissement domine l’effet de l’augmentation du coût de financement, et que la balance commerciale réagisse peu. Les estimations du multiplicateur budgétaire en général varient entre 0,3 et 2 en fonction de la méthode utilisée pour l’estimer et de la définition du multiplicateur retenue (Ramey, 2019). Au-delà des déterminants traditionnels, le multiplicateur pourrait également dépendre de la composition de la dépense. Malizard (2015) documente qu’une augmentation des dépenses militaires d’équipement (e.g., dissuasion, opérations d’armement, infrastructures, prospective et préparation de l’avenir, etc) aurait un effet positif sur l’investissement privé tandis que les dépenses hors équipement (personnel et fonctionnement, hors pensions) le réduirait(b). A noter cependant que, contrairement à des investissements classiques, une grande partie des équipements militaires ont pour vocation à dissuader l’ennemi et à ne pas être utilisés ce qui limite leur effet d’entraînement sur le reste de l’économie.

A plus long terme, les dépenses militaires de R&D qui prennent la forme de financements publics accordés à des entreprises privées pourraient également stimuler la croissance, via leur effet sur la R&D des entreprises privées et sur la croissance de la productivité (Moretti, Steinwender et Van Reenen, 2025). Cet effet n’est cependant pas garanti puisqu’il devrait dépendre de l’élasticité prix de l’offre de travail des chercheurs/développeurs (Bloom, Van Reenen et Williams, 2019), ainsi que de la possibilité d’adapter les innovations à des usages civils(b).

A ce stade, nous avons retenu dans notre prévision un multiplicateur lié au surplus de dépenses liées à la défense de 0,8 pour 2026, financé par une réallocation des dépenses publiques.

Tableau 1.4. Déterminants de l’effet multiplicateur d’une hausse du budget de la défense
Déterminants Définition Effet sur le multiplicateur
Composition de l'augmentation de la dépense de défense
Part de l'équipement Ambigu
Part de la R&D Ambigu
Déterminants traditionnels
Propension marginale à consommer Δ C / Δ Y Positif
Accélérateur d'investissement Δ I / Δ Y Positif
Effet de taux d'intérêt sur l'investissement Δ I / Δ i Négatif
Propension marginale à importer Δ M / Δ Y Négatif
Effet Marshall-Lerner Δ NX / Δ E Négatif
Note: Y, C, I, i, M, NX, E signifient respectivement production, consommation, investissement, taux d'intérêt, importations, balance commerciale, et taux de change (prix d'une unité de monnaie étrangère en monnaie domestique)
  1. Voir Observatoire économique de la défense (2024) pour plus d’informations sur les catégories de dépense

  2. Pour fixer les idées, on peut prendre l’exemple de la R&D dans les semi-conducteurs financée par le Département de la Défense américain pendant la Guerre Froide. Ayant bénéficié de financements, des entreprises comme Fairchild Semiconductor et Texas Instruments avaient développé des transistors et des circuits intégrés pour les systèmes de guidage de missiles, les radars et les programmes spatiaux, et avaient par la suite adapté ces technologies à un usage civil. Texas Instrument avait, entre autres, développé la première calculatrice de poche (TI-2500).

Avec la baisse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui représente désormais une réduction de 1,5 point du taux de dépôt (et de 1,85 point pour le taux de prêt marginal au jour le jour) en moins d’un an (graphique 1.6), (qui devrait se poursuivre au cours des trimestres suivants pour s’établir à 2 % ; voir partie internationale sur la politique monétaire), l’économie française bénéficie d’un soutien majeur pour son activité. En revanche, cette baisse des taux courts ne s’est pas traduite par une baisse équivalente des taux longs. Le taux sur les OAT à 10 ans a même connu une hausse de 0,5 point en moyenne par rapport à la période où les taux directeurs étaient au plus haut (septembre 2023-juin 2024). A l’inverse, ils avaient connu une moindre augmentation entre la phase pré-hausse de taux directeurs et la période à laquelle le plafond des taux directeurs a été atteint (la hausse des taux directeurs de la BCE a représenté 4,5 points de taux sur cette période alors que celle des taux longs n’a été que de 2,5 points (graphique 1.6)). Au final, entre la période pré-hausse de taux et fin mars, les taux directeurs et les taux longs ont augmenté dans des proportions comparables (de l’ordre de 3 points) mais avec des temporalités différentes. Or, le coût du capital des entreprises, les taux d’emprunt pratiqués aux ménages, le taux de refinancement de l’Etat sont sensibles aux taux courts mais aussi aux taux longs. Afin d’identifier le choc de politique monétaire et de variation de taux, nous avons calibré le choc (sur la base d’estimations) à partir d’une pondération de la sensibilité de ¾ - ¼ taux longs/taux courts pour les ménages et 40 % / 60 % pour les entreprises.

Ainsi, la variation observée des taux courts et longs sur la période passée et celle prévue dans les trimestres à venir nous conduit à un impact sur la croissance positif mais limité à +0,3 point de PIB cette année. Il serait plus elévé en 2026, à +0,6 point de PIB en raison des effets de diffusion relativement longs de la politique monétaire sur l’activité (après avoir amputé la croissance de -0,7 point en 2023 et -0,6 point en 2024). Ce soutien à la croissance pour 2025 et 2026 permet de contrebalancer les effets négatifs de la politique budgétaire, conduisant à un effet économique du policy-mix nul sur la période.

Graphique 1.6. Taux directeurs (dépôts) de la BCE et taux des OAT à 10 ans

Concernant les autres effets, il y a notamment l’impact des Jeux Olympiques sur l’activité en 2024 (+0,1 point de PIB) et son contrecoup en 2025 (-0,1 point de PIB).

Mais il y a surtout les conséquences économiques de la mise en place de nouveaux tarifs douaniers aux Etats-Unis sur le reste du monde, et en particulier sur l’Europe et la France avec la possibilité de la mise en place de mesures douanières de rétorsion par l’UE. Selon les données des douanes françaises, les exportations françaises de biens à destination des Etats-Unis représentaient 49 milliards d’euros en 2024, soit 7,5 % de nos exportations industrielles et agricoles (et 5 % des exportations totales et 1,7 % du PIB de la France). Selon la Direction Générale du Trésor, les principaux secteurs exportateurs par ordre d’importance sont l’aéronautique, les produits pharmaceutiques et les boissons, ces 3 secteurs représentant environ 35 % des exportations totales vers les Etats-Unis. A l’inverse, les importations américaines en France représentaient 53 milliards d’euros, soit 5,3 % des importations totales et 1,8 point de PIB. Les principaux produits importés des Etats-Unis sont dans l’ordre les hydrocarbures, les biens de l’aéronautique et de l’industrie pharmaceutique, ces 3 secteurs représentant 57 % des importations en provenance des Etats-Unis. La France enregistrait donc un déficit commercial industriel de 4 milliards d’euros vis-à-vis de Etats-Unis2. Sur la base d’une hausse de 10 % des tarifs douaniers américains sur les produits européens, sans tenir compte des effets induits sur le commerce international des autres pays, les exportations françaises totales reculeraient de 0,4 % (dont 8 % pour les seules exportations françaises aux Etats-Unis) au bout de deux ans, ce qui pourrait conduire à une perte directe de 0,13 point de PIB d’ici à fin 20263, hors mesures de rétorsions commerciales, de bouclage macroéconomique international ou d’effets financiers.

2 A noter que les douanes américaines ne fournissent pas les mêmes chiffres sur le commerce bilatéral entre les Etats-Unis et la France. Elles enregistrent en 2024 un déficit commercial de 16 milliards de dollars des Etats-Unis vis-à-vis de la France et non pas un excédent de 4 milliards d’euros comme l’indique les douanes françaises.

3 Une hausse durable des droits de douane de 20 % sur les produits français exportés aux Etats-Unis conduirait à amputer le PIB de la France de -0,25 point. Cet effet direct ne tient pas compte de possibles mesures de rétorsions commerciales, des effets indirects sur la demande adressée à la France en raison des pertes d’activité des partenaires commerciaux, de la réorganisation des flux commerciaux mondiaux et leur impact sur les chaines de production, ou des pertes de capitalisation boursière des entreprises cotées.

1.3 Une croissance atone à court terme qui augmente en 2026

Sur la base des informations et données conjoncturelles les plus récentes, nous estimons que la croissance du PIB serait de 0,1 % au 1er trimestre 2025 (voir encadré 1.3) et de 0,1 % au 2ème trimestre (tableau 1.6). Ainsi, la France échapperait à la récession technique bien qu’une partie du mauvais chiffre du dernier trimestre de 2024 soit imputable au contrecoup des JO (qui a généré un supplément d’activité de 0,2 point de PIB trimestriel au 3ème trimestre 2024).

La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 a mis à mal les outils traditionnels pour réaliser une prévision de la croissance du PIB à court terme. Dans ce contexte, les prévisionnistes(a) ont commencé à adapter leurs outils pour tenir compte des avancées méthodologiques et la disponibilité de données à haute fréquence.

L’OFCE a aussi engagé une telle réflexion (toujours en cours) pour construire des nouveaux modèles fondés sur le maximum de données conjoncturelles librement disponibles pour le prévisionniste. Notre base de données rassemble 142 variables ( de quotidiennes à trimestrielles) provenant de données financières, d’enquêtes de conjoncture ou de données réelles. Celles-ci portent sur la France et sur l’environnement international.

Nous avons estimé un modèle à facteurs dynamiques pour la croissance du PIB français(b), dont la méthode permet de prendre en compte un grand nombre de variables tout en gérant la différence de fréquence des sources ainsi que le décalage dans la publication des dernières données(c). En suivant la littérature(d) nous avons présélectionné les variables les plus corrélés avec la croissance du PIB.

Si le modèle reste au stade de construction, ses performances prédictives sont satisfaisantes au regard de la littérature sur ce sujet (française et internationale) et nous a permis d’alimenter notre exercice de prévision pour le 1er trimestre de l’année 2025. Le modèle sélectionné dispose de 16 variables explicatives : 6 variables tirées des enquêtes de conjoncture, 5 variables réelles – notamment de production industrielle et la consommation des ménages–, 4 variables financières et monétaires et 1 variable liée à l’évaluation de l’incertitude de politique économique.

Sur la base de ce modèle, estimé depuis janvier 1995 et après avoir effectué la préselection des variables sur la période pré-Covid, notre estimation de la croissance du PIB au 1ertrimestre 2025 est de +0,1% (après -0,1 % au T4 2024). La faiblesse de l’activité s’expliquerait essentiellement par celle des indicateurs liés à la production (tableau 1.5). Compte tenu des délais de publication des indicateurs utilisés, cette prévision a été réalisée avec 67 % des variables pré-selectionnées effectivement observées.

Tableau 1.5. Nowcast du PIB au premier trimestre 2025
En pt Contribution
Nowcast du PIB au T1 2025 (en %)  0,1
Activité −0,2
Monnaie et finance  0,0
Commandes et inventaires  0,1
Marché du travail  0,0
Incertitude −0,0
Moyenne  0,2
Notes de lecture : Si toutes les variables entrant dans le modèle de nowcasting étaient à leur moyenne de long terme, la croissance du PIB du trimestre en cours serait estimée à +0,23 %. Les variables d’activité et d’incertitude contribuent négativement (respectivement -0,17 pt et -0,01 pt) tandis que les autres groupes de variables contribuent positivement (+ 0,08 pt) au chiffre estimé du T1.)
Note : Le nowcast tient compte des données disponibles jusqu’au 26 mars 2025.
Sources : calculs OFCE, prévision OFCE avril 2025.

Une version plus détaillée du modèle ici utilisé sera publiée (avec des mises à jour régulières) avant le début de l’été 2025.

  1. Voir par exemple, Bessec et Julien (2024) « Un modèle à facteurs à fréquence mixte pour le nowcasting du PIB français », Document de Travail de la Banque de France, n. 975 ou Phunt (2023), “Guide pratique des enquêtes de conjonctures & protocole de prévision en temps réel“, Documents de Travail DG Trésor, n. 2023/2.

  2. Choix méthodologique largement mobilisé dans la littérature. Pour le cas français nous pouvons mettre en avant Bessec, M et Doz, C. (2012). Prévision à court terme de la croissance du PIB français à l’aide de modèles à facteurs dynamiques. Économie & prévision, 199(1), 1-30. .

  3. Voir Bańbura, M., and Modugno, M. (2014). « Maximum likelihood estimation of factor models on datasets with arbitrary pattern of missing data », Journal of Applied Econometrics, 29(11), 133–160.

  4. Voir Bai, J., and Ng, S. (2008). « Forecasting economic time series using targeted predictors », Journal of Econometrics, 146(2), 304–317

La croissance serait tirée par la consommation des ménages (voir la partie Ménages) alors que la consommation publique marque le pas avec le tournant de la consolidation budgétaire, après plusieurs années de croissance dynamique, et un effet particulièrement marqué au 1er trimestre 2025 en raison des conséquences du blocage des dépenses lié à la loi spéciale. En revanche, l’investissement public soutiendrait la croissance en 2026 avec la hausse marquée des dépenses militaires, et le commerce extérieur ne contribuerait pas négativement à la croissance, malgré la politique commerciale de D.Trump, dont les effets négatifs pour la France seraient compensés par la relance européenne, notamment allemande.

L’investissement privé continue de contribuer négativement à la croissance en 2025, même si cet effet est moins marqué qu’en 2024. Il renouerait avec une croissance positive en 2026, soutenu par les effets des baisses de taux.

Tableau 1.6. Compte Emploi-Ressources pour l’économie française
en %
2024
2025
de 2024t3
à 2026t4
2024
2025
2026
T3 T4 T1 T2 T3 T4
PIBa  0,4 −0,1  0,1  0,1  0,2 0,2
0 0.41 −0.10 0,4% -0,1% 0,1% 0,1% 0,2% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3% 0,3%
  1,1   0,5   1,1
PIB par habitanta  0,3 −0,2 −0,0  0,0  0,1 0,1
0 0.32 −0.19 0,3% -0,2% 0% 0% 0,1% 0,1% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3%
  0,7   0,1   0,7
Consommation ménagesa  0,6  0,3  0,1  0,2  0,2 0,2
0 0.62 0 0,6% 0,3% 0,1% 0,2% 0,2% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3% 0,3%
  0,9   1,0   1,1
Consommation publiquea  0,6  0,4 −0,1  0,2  0,2 0,2
0 0.55 −0.080 0,6% 0,4% -0,1% 0,2% 0,2% 0,2% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1%
  2,1   0,9   0,5
FBCF totalea,b −0,7 −0,1 −0,1 −0,0 −0,0 0,2
0 0.42 −0.74 -0,7% -0,1% -0,1% 0% 0% 0,2% 0,3% 0,4% 0,4% 0,4%
 −1,5  −0,6   1,0
 dont : SNF-EIa −1,1 −0,2 −0,2 −0,1 −0,1 0,1
0 0.30 −1.08 -1,1% -0,2% -0,2% -0,1% -0,1% 0,1% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3%
 −1,6  −1,0   0,7
           ménagesa −0,6 −0,3 −0,3 −0,1 −0,1 0,1
0 0.40 −0.58 -0,6% -0,3% -0,3% -0,1% -0,1% 0,1% 0,2% 0,3% 0,3% 0,4%
 −6,0  −1,2   0,7
           APUa,b −0,1 −0,1 −0,2  0,2  0,1 0,5
0 0.82 −0.20 -0,1% -0,1% -0,2% 0,2% 0,1% 0,5% 0,8% 0,8% 0,8% 0,8%
  3,2   0,3   2,5
Exportationsa,c −0,8  0,4  0,2  0,1  0,3 0,3
0 0.50 −0.77 -0,8% 0,4% 0,2% 0,1% 0,3% 0,3% 0,4% 0,5% 0,5% 0,5%
  1,1   0,6   1,6
Importationsa,c −0,3  0,4  0,2  0,3  0,3 0,3
0 0.40 −0.31 -0,3% 0,4% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4%
 −1,4   0,8   1,5
Demande intérieurea,d,e  0,3  0,2  0,0  0,1  0,1 0,2
0 0.29 0 0,3% 0,2% 0% 0,1% 0,1% 0,2% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3%
  0,6   0,6   0,9
Variations de stocksa,e  0,3 −0,3  0,0  0,1  0,0 0,0
0 0.26 −0.32 0,3% -0,3% 0% 0,1% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
 −0,4  −0,0   0,2
Commerce extérieura,c,e −0,1  0,0  0,0 −0,1  0,0 0,0
0 0.033 −0.15 -0,1% 0% 0% -0,1% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
  0,8  −0,1   0,0
Inflationf  1,7  1,3  1,1  0,9  1,2 2,0
0 2.14 0 1,7% 1,3% 1,1% 0,9% 1,2% 2% 2,1% 1,8% 1,8% 1,7%
  2,0   1,3   1,8
Taux de chômageg  7,4  7,3  7,5  7,6  7,7 7,9
0 8.54 0 7,4% 7,3% 7,5% 7,6% 7,7% 7,9% 8,1% 8,2% 8,4% 8,5%
  7,4   7,7   8,3
Déficit publich   5,8   5,5   5,3
Dette publiqueh 113   115   117  
Impulsion budgétairei   0,2  −0,8  −0,7
Sources : INSEE, prévision OFCE avril 2025.
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle, pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.