1.1 2023-2024 : une croissance soutenue par le commerce extérieur et le secteur public
Fin 2024, le PIB de l’économie française se situait 4 % au-dessus de son niveau pré-Covid (4ème trimestre 2019), soit une performance relativement proche de celle de la zone euro (4,9 %), et cet écart s’est réduit au cours des deux dernières années (encadré 1.1).
En 2023 et 2024, la croissance française a fait preuve d’une certaine résistance, en comparaison à celle de la zone euro (+1,1 % en moyenne annuelle sur 2023-2024 contre 0,3 % pour la zone euro), tirée par le net redressement du commerce extérieur (contribution de 0,7 point de PIB par an en moyenne) et le dynamisme des dépenses publiques (consommation et investissement publics qui ont contribué pour 0,6 point de PIB annuel sur 2023-2024) (graphique 1.3). A l’inverse, les dépenses des entreprises (investissement et variations de stocks) ont réduit le PIB de -0,5 point sur 2023-2024 et les dépenses des ménages (consommation et investissement) ont contribué à seulement de 0,1 point par an à la croissance du PIB au cours des deux dernières années.
1.2 Une croissance pour 2025 rongée par l’incertitude
Alors que la croissance spontanée du PIB (qui correspond à la croissance hors chocs) serait de 1,4 % pour cette année et l’année prochaine, la croissance prévue ne devrait être que de 0,5 % et 2025 et 1,1 % en 2026, les chocs négatifs l’emportant sur ceux positifs, avec en premier lieu les effets liés à l’incertitude (tableau 1.3).
La hausse de l’incertitude nationale faisant suite à l’instabilité politique depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale et la censure du budget conduirait à amputer la croissance de -0,3 point de PIB en 2025 (après -0,1 point en 2024)1. Malgré le vote de la loi de finances initiale 2025, les incertitudes sur le plan national restent très élevées, et même en supposant qu’elles se dissipent progressivement dans les mois à venir, la croissance du PIB gardera des stigmates au cours de l’année en cours. S’ajoutent une montée des incertitudes internationales et des tensions géopolitiques depuis l’élection de D. Trump, dont les effets négatifs attendus sur la croissance française représentent également -0,3 point de PIB en 2025 (graphique 1.4).
1 Ce calcul est réalisé à partir de la méthodologie développée dans Sampognaro (2024), Effet d’un choc d’incertitude politique sur le PIB français, Revue de l’OFCE, n.187, octobre 2024.
En % du PIB | 2023 | 2024 | 2025 | 2026 |
---|---|---|---|---|
Croissance hors choc | 1,5 | 1,4 | 1,4 | 1,4 |
Politique monétaire et taux longs | −0,7 | −0,6 | 0,3 | 0,6 |
Politique budgétaire | 0,3 | 0,5 | −0,4 | −0,5 |
dont politique budgétaire des partenaires | 0,0 | −0,3 | 0,0 | 0,1 |
Energie | −0,5 | −0,1 | 0,1 | 0,0 |
Incertitude globale | 0,0 | −0,2 | −0,6 | 0,0 |
dont politique nationale | 0,0 | −0,1 | −0,3 | 0,0 |
Effets indirects par la demande mondialea | −0,1 | 0,1 | −0,2 | −0,2 |
Autres effetsb | 0,6 | 0,2 | −0,1 | −0,2 |
Croissance observée et prévue | 1,1 | 1,1 | 0,5 | 1,1 |
Note de lecture: L’incertitude globale conduit à réduire la croissance du PIB de 0,2 point en 2024, 0,6 point en 2025. En 2025, la politique monétaire et les taux, ainsi que l’énergie contribuent positivement à la croissance du PIB (+0,4 pt), tandis que la politique budgétaire, l’incertitude et les autres chocs contribuent négativement (-1,2 pt). Finalement, la croissance prévue du PIB en 2025 est 1,4 + 0,4 - 1,3 = + 0,5 %. | ||||
Note: La croissance hors choc correspond à la croissance potentielle (1,2 %), plus la fermeture de l’output-gap (estimé à -1,3 point de PIB en 2024) et l’acquis potentiel sur la croissance. | ||||
Sources: Insee, prévision OFCE avril 2025. | ||||
a hors transmission des politiques budgétaires des partenaires par la demande mondiale b dont les effets sur les chaines d'approvisionnements, l'impact des Jeux Olympiques de Paris, les conséquences de la politique commerciale.
|
Autre effet négatif, la consolidation budgétaire attendue en 2025 et 2026 dont nous chiffrons l’impact sur la croissance à -0,4 point de PIB en 2025 et -0,5 point en 2026. Bien que négatif, l’impact sur le PIB en 2025 est cependant deux fois plus faible que celui que nous avions estimé sur la base du Projet de Loi de Finances 2025 du gouvernement Barnier. Pour 2026, nous nous sommes appuyés sur le Plan Structurel et Budgétaire à Moyen terme (PSMT) actualisé des informations transmises à la Commission européenne en 2025. Sur cette base, nous prévoyons un ajustement budgétaire structurel primaire de 0,7 point de PIB malgré une montée en charge plus rapide des dépenses militaires que celle prévue dans la loi de programmation militaire (un supplément de 0,2 point de PIB par an). Nous supposons que ce supplément de dépenses de défense se ferait par une économie équivalente sur d’autres postes de la dépense publique (encadré 1.2).
Voir Observatoire économique de la défense (2024) pour plus d’informations sur les catégories de dépense
Pour fixer les idées, on peut prendre l’exemple de la R&D dans les semi-conducteurs financée par le Département de la Défense américain pendant la Guerre Froide. Ayant bénéficié de financements, des entreprises comme Fairchild Semiconductor et Texas Instruments avaient développé des transistors et des circuits intégrés pour les systèmes de guidage de missiles, les radars et les programmes spatiaux, et avaient par la suite adapté ces technologies à un usage civil. Texas Instrument avait, entre autres, développé la première calculatrice de poche (TI-2500).
Avec la baisse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui représente désormais une réduction de 1,5 point du taux de dépôt (et de 1,85 point pour le taux de prêt marginal au jour le jour) en moins d’un an (graphique 1.6), (qui devrait se poursuivre au cours des trimestres suivants pour s’établir à 2 % ; voir partie internationale sur la politique monétaire), l’économie française bénéficie d’un soutien majeur pour son activité. En revanche, cette baisse des taux courts ne s’est pas traduite par une baisse équivalente des taux longs. Le taux sur les OAT à 10 ans a même connu une hausse de 0,5 point en moyenne par rapport à la période où les taux directeurs étaient au plus haut (septembre 2023-juin 2024). A l’inverse, ils avaient connu une moindre augmentation entre la phase pré-hausse de taux directeurs et la période à laquelle le plafond des taux directeurs a été atteint (la hausse des taux directeurs de la BCE a représenté 4,5 points de taux sur cette période alors que celle des taux longs n’a été que de 2,5 points (graphique 1.6)). Au final, entre la période pré-hausse de taux et fin mars, les taux directeurs et les taux longs ont augmenté dans des proportions comparables (de l’ordre de 3 points) mais avec des temporalités différentes. Or, le coût du capital des entreprises, les taux d’emprunt pratiqués aux ménages, le taux de refinancement de l’Etat sont sensibles aux taux courts mais aussi aux taux longs. Afin d’identifier le choc de politique monétaire et de variation de taux, nous avons calibré le choc (sur la base d’estimations) à partir d’une pondération de la sensibilité de ¾ - ¼ taux longs/taux courts pour les ménages et 40 % / 60 % pour les entreprises.
Ainsi, la variation observée des taux courts et longs sur la période passée et celle prévue dans les trimestres à venir nous conduit à un impact sur la croissance positif mais limité à +0,3 point de PIB cette année. Il serait plus elévé en 2026, à +0,6 point de PIB en raison des effets de diffusion relativement longs de la politique monétaire sur l’activité (après avoir amputé la croissance de -0,7 point en 2023 et -0,6 point en 2024). Ce soutien à la croissance pour 2025 et 2026 permet de contrebalancer les effets négatifs de la politique budgétaire, conduisant à un effet économique du policy-mix nul sur la période.
Concernant les autres effets, il y a notamment l’impact des Jeux Olympiques sur l’activité en 2024 (+0,1 point de PIB) et son contrecoup en 2025 (-0,1 point de PIB).
Mais il y a surtout les conséquences économiques de la mise en place de nouveaux tarifs douaniers aux Etats-Unis sur le reste du monde, et en particulier sur l’Europe et la France avec la possibilité de la mise en place de mesures douanières de rétorsion par l’UE. Selon les données des douanes françaises, les exportations françaises de biens à destination des Etats-Unis représentaient 49 milliards d’euros en 2024, soit 7,5 % de nos exportations industrielles et agricoles (et 5 % des exportations totales et 1,7 % du PIB de la France). Selon la Direction Générale du Trésor, les principaux secteurs exportateurs par ordre d’importance sont l’aéronautique, les produits pharmaceutiques et les boissons, ces 3 secteurs représentant environ 35 % des exportations totales vers les Etats-Unis. A l’inverse, les importations américaines en France représentaient 53 milliards d’euros, soit 5,3 % des importations totales et 1,8 point de PIB. Les principaux produits importés des Etats-Unis sont dans l’ordre les hydrocarbures, les biens de l’aéronautique et de l’industrie pharmaceutique, ces 3 secteurs représentant 57 % des importations en provenance des Etats-Unis. La France enregistrait donc un déficit commercial industriel de 4 milliards d’euros vis-à-vis de Etats-Unis2. Sur la base d’une hausse de 10 % des tarifs douaniers américains sur les produits européens, sans tenir compte des effets induits sur le commerce international des autres pays, les exportations françaises totales reculeraient de 0,4 % (dont 8 % pour les seules exportations françaises aux Etats-Unis) au bout de deux ans, ce qui pourrait conduire à une perte directe de 0,13 point de PIB d’ici à fin 20263, hors mesures de rétorsions commerciales, de bouclage macroéconomique international ou d’effets financiers.
2 A noter que les douanes américaines ne fournissent pas les mêmes chiffres sur le commerce bilatéral entre les Etats-Unis et la France. Elles enregistrent en 2024 un déficit commercial de 16 milliards de dollars des Etats-Unis vis-à-vis de la France et non pas un excédent de 4 milliards d’euros comme l’indique les douanes françaises.
3 Une hausse durable des droits de douane de 20 % sur les produits français exportés aux Etats-Unis conduirait à amputer le PIB de la France de -0,25 point. Cet effet direct ne tient pas compte de possibles mesures de rétorsions commerciales, des effets indirects sur la demande adressée à la France en raison des pertes d’activité des partenaires commerciaux, de la réorganisation des flux commerciaux mondiaux et leur impact sur les chaines de production, ou des pertes de capitalisation boursière des entreprises cotées.
1.3 Une croissance atone à court terme qui augmente en 2026
Sur la base des informations et données conjoncturelles les plus récentes, nous estimons que la croissance du PIB serait de 0,1 % au 1er trimestre 2025 (voir encadré 1.3) et de 0,1 % au 2ème trimestre (tableau 1.6). Ainsi, la France échapperait à la récession technique bien qu’une partie du mauvais chiffre du dernier trimestre de 2024 soit imputable au contrecoup des JO (qui a généré un supplément d’activité de 0,2 point de PIB trimestriel au 3ème trimestre 2024).
Voir par exemple, Bessec et Julien (2024) « Un modèle à facteurs à fréquence mixte pour le nowcasting du PIB français », Document de Travail de la Banque de France, n. 975 ou Phunt (2023), “Guide pratique des enquêtes de conjonctures & protocole de prévision en temps réel“, Documents de Travail DG Trésor, n. 2023/2.
Choix méthodologique largement mobilisé dans la littérature. Pour le cas français nous pouvons mettre en avant Bessec, M et Doz, C. (2012). Prévision à court terme de la croissance du PIB français à l’aide de modèles à facteurs dynamiques. Économie & prévision, 199(1), 1-30. .
Voir Bańbura, M., and Modugno, M. (2014). « Maximum likelihood estimation of factor models on datasets with arbitrary pattern of missing data », Journal of Applied Econometrics, 29(11), 133–160.
Voir Bai, J., and Ng, S. (2008). « Forecasting economic time series using targeted predictors », Journal of Econometrics, 146(2), 304–317
La croissance serait tirée par la consommation des ménages (voir la partie Ménages) alors que la consommation publique marque le pas avec le tournant de la consolidation budgétaire, après plusieurs années de croissance dynamique, et un effet particulièrement marqué au 1er trimestre 2025 en raison des conséquences du blocage des dépenses lié à la loi spéciale. En revanche, l’investissement public soutiendrait la croissance en 2026 avec la hausse marquée des dépenses militaires, et le commerce extérieur ne contribuerait pas négativement à la croissance, malgré la politique commerciale de D.Trump, dont les effets négatifs pour la France seraient compensés par la relance européenne, notamment allemande.
L’investissement privé continue de contribuer négativement à la croissance en 2025, même si cet effet est moins marqué qu’en 2024. Il renouerait avec une croissance positive en 2026, soutenu par les effets des baisses de taux.
en % |
2024
|
2025
|
de 2024t3 à 2026t4 |
2024
|
2025
|
2026
|
||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
T3 | T4 | T1 | T2 | T3 | T4 | |||||
PIBa | 0,4 | −0,1 | 0,1 | 0,1 | 0,2 | 0,2 | 1,1 | 0,5 | 1,1 | |
PIB par habitanta | 0,3 | −0,2 | −0,0 | 0,0 | 0,1 | 0,1 | 0,7 | 0,1 | 0,7 | |
Consommation ménagesa | 0,6 | 0,3 | 0,1 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 0,9 | 1,0 | 1,1 | |
Consommation publiquea | 0,6 | 0,4 | −0,1 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 2,1 | 0,9 | 0,5 | |
FBCF totalea,b | −0,7 | −0,1 | −0,1 | −0,0 | −0,0 | 0,2 | −1,5 | −0,6 | 1,0 | |
dont : SNF-EIa | −1,1 | −0,2 | −0,2 | −0,1 | −0,1 | 0,1 | −1,6 | −1,0 | 0,7 | |
ménagesa | −0,6 | −0,3 | −0,3 | −0,1 | −0,1 | 0,1 | −6,0 | −1,2 | 0,7 | |
APUa,b | −0,1 | −0,1 | −0,2 | 0,2 | 0,1 | 0,5 | 3,2 | 0,3 | 2,5 | |
Exportationsa,c | −0,8 | 0,4 | 0,2 | 0,1 | 0,3 | 0,3 | 1,1 | 0,6 | 1,6 | |
Importationsa,c | −0,3 | 0,4 | 0,2 | 0,3 | 0,3 | 0,3 | −1,4 | 0,8 | 1,5 | |
Demande intérieurea,d,e | 0,3 | 0,2 | 0,0 | 0,1 | 0,1 | 0,2 | 0,6 | 0,6 | 0,9 | |
Variations de stocksa,e | 0,3 | −0,3 | 0,0 | 0,1 | 0,0 | 0,0 | −0,4 | −0,0 | 0,2 | |
Commerce extérieura,c,e | −0,1 | 0,0 | 0,0 | −0,1 | 0,0 | 0,0 | 0,8 | −0,1 | 0,0 | |
Inflationf | 1,7 | 1,3 | 1,1 | 0,9 | 1,2 | 2,0 | 2,0 | 1,3 | 1,8 | |
Taux de chômageg | 7,4 | 7,3 | 7,5 | 7,6 | 7,7 | 7,9 | 7,4 | 7,7 | 8,3 | |
Déficit publich | — | — | — | — | — | — | 5,8 | 5,5 | 5,3 | |
Dette publiqueh | — | — | — | — | — | — | 113 | 115 | 117 | |
Impulsion budgétairei | — | — | — | — | — | — | 0,2 | −0,8 | −0,7 | |
Sources : INSEE, prévision OFCE avril 2025. | ||||||||||
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle,
pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.
|