17  USA : Donald Trump peut-il casser la croissance ?

Perspectives 2025-2026, analyses pays

conjoncture
Etats-Unis
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Christophe Blot
Publié le

9 avril 2025

Modifié le

15 avril 2025

Graphique 17.1. USA, principaux indicateurs économiques

1 Et 6,9 % si l’on tient compte du déficit des États et autres collectivités locales.

L’économie américaine a maintenu son dynamisme tout au long de l’année 2024 ce qui s’est traduit par une augmentation du PIB de 2,8 % après 2,9 % en 2023. Selon les données du CBO (Congressional Budget Office) le PIB serait 1,8 point au-dessus de son potentiel au quatrième trimestre 2024, niveau le plus élevé depuis le début des années 2000. Pour autant, le résultat des élections présidentielles s’explique probablement en partie par l’insatisfaction des citoyens à l’égard de leur situation économique. La hausse des prix a rogné le pouvoir d’achat du salaire, notamment en 2022. La situation s’est améliorée en 2023 et 2024 grâce au repli de l’inflation et au maintien d’une dynamique du salaire horaire favorable. L’inflation – mesurée par l’indice des prix à la consommation – se maintient toutefois autour de 3 %, tirée notamment par les augmentations des indices du coût du logement et des services de transport. Sur le marché du travail, l’année 2024 a été marquée par de moindres créations d’emploi : 2,1 millions – soit une croissance de 4,3 % selon les données de l’Establishment survey – contre 3,3 millions en 2023 (+2,2 %), dans un contexte de croissance pourtant similaire reflétant ainsi des gains de productivité. En corollaire, le taux d’emploi reste proche de 60 % depuis le début de l’année 2022, un niveau toutefois inférieur de 0,7 point à celui de l’année 2019. Enfin, même si les conditions économiques contribuent à améliorer le solde budgétaire, la politique budgétaire est restée procyclique avec un déficit qui se maintient à un niveau élevé : 6,5 % pour l’État fédéral1.

17.1 L’activité ralentit…

Depuis son investiture en janvier 2025, le nouveau Président et son associé Elon Musk ont multiplié les déclarations, alternant entre menaces à l’encontre des employés fédéraux ou des partenaires économiques, sanctions commerciales et revirements. A court terme, il en résulte d’abord une incertitude accrue sur l’orientation de la politique économique américaine (graphique 17.2) ce qui devrait peser sur les décisions de dépenses de consommation des ménages et d’investissement des entreprises. Nous prévoyons un ralentissement de l’investissement productif privé en 2025 avec une croissance annuelle de 2,4 % contre 5,4 % l’année précédente. Du côté des ménages, le taux d’épagne augmenterait au cours des deux prochaines années, passant de 4,5 % en moyenne annuelle en 2024 à 5,2 % en 2026. Par ailleurs, même si le montant exact d’économie budgétaires est incertain, nous anticipons que la politique budgétaire deviendrait restrictive (encadré 17.1), malgré les réductions d’impôts annoncées pendant la campagne et qui devraient être votées dans le budget 2026. Au-delà des effets de court terme, la nouvelle guerre commerciale lancée par les États-Unis affaiblira le commerce mondial mais aussi la croissance américaine. Le principal soutien à l’activité viendrait donc de la politique monétaire, même si la baisse des taux a été modérée en 2024 et que la Réserve fédérale pourrait y mettre un terme dans la perspective d’une inflation plus élevée. Ainsi, nous anticipons une croissance plus faible en 2025 et 2026 : 1,4 % puis 1,5 % respectivement en 2025 et 2026. La consommation des ménages, qui avait été le principal moteur de la croissance jusqu’ici, ralentirait nettement en lien avec la hausse du taux d’épargne et l’inflation importée. En moyenne annuelle, elle progresserait de 1,9 % en 2025 et 1,4 % en 2026 contre 2,8 % en 2024. La contribution du commerce extérieure resterait négative en 2025, notamment en raison d’un boom des importations au premier trimestre2. En 2026, les importations ralentiraient nettement en raison d’une demande intérieure un peu moins forte et du coût plus élevé des produits importés.

2 Les données de commerce de bien pour le mois de janvier 2025 indiquent en effet une forte augmentation des importations probablement par anticipations des futurs droits de douane.

17.2 … et l’inflation se maintient

Pendant la campagne présidentielle, Donald Trump avait fortement critiqué le camp Démocrate pour avoir laissé filer l’inflation. Pour autant, sa politique économique se traduira par un maintien des pressions inflationnistes qui atteindraient un pic – mesuré par le déflateur de la consommation – à 3,2 % en fin d’année 2025 avant de ralentir légèrement en 2026 pour finir l’année autour de 2,7 %. Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages augmenterait néanmoins de 2 % en moyenne au cours des deux prochaines années contre 2,7 % en 2024 et plus de 5 % en 2023, poussée par l’augmentation des salaires nominaux. Sur le marché du travail, la situation se détériorerait en raison du ralentissement de l’activité. Le taux de chômage augmenterait à 4,8 % d’ici la fin de l’année 2025, et 5,3 % fin 2026. Des tensions sur le marché du travail pourraient cependant réapparaître si la vague d’expulsions d’immigrants illégaux promise est mise en œuvre. Malgré la réduction envisagée des dépenses publiques, le solde budgétaire se détériorerait de nouveau en 2026 (7,2 % en 2025 et 7,7 % pour l’ensemble de l’économie en 2026) du fait d’une impulsion faiblement expansionniste en 2026 mais aussi parce que la croissance serait inférieure au potentiel3.

3 Selon le CBO, la croissance potentielle serait de 2,3 %. Notons que l’écart de croissance resterait positif en 2025 mais retomberait à 0 en 2026.

Graphique 17.2. Indicateurs d’incertitude de politique économique

Bien que Donald Trump avait annoncé, pendant la campagne présidentielle, sa volonté d’améliorer l’efficacité du gouvernement fédéral, les évaluations des programmes des candidats avaient surtout privilégié les promesses de réduction d’impôt. Or même si l’ampleur des coupes demeure incertaine(a), elles risquent de modifier assez fortement l’impulsion budgétaire pour les deux années à venir. Pour les dépenses, notre scénario intègre l’hypothèse ad-hoc d’une réduction permanente à hauteur de 100 milliards de dollars dès 2025 puis de 200 milliards supplémentaires en 2026 ce qui se traduirait par une impulsion négative de 0,3 puis 0,6 point de PIB. Ainsi, au total, l’impulsion serait négative en 2025 et positive en 2026. Côté recettes, nous anticipons que les principales mesures (extension du Tax Cuts & Jobs Act, baisse du taux d’imposition sur les sociétés, exonérations fiscales des heures supplémentaires et des pourboires) seront intégrées dans le budget 2026 et se traduiraient par une impulsion de 1 point de PIB.

Pour autant, l’impact économique global de ces mesures serait neutre. En effet, les multiplicateurs associés aux mesures sur les dépenses sont généralement plus élevés que ceux liés aux recettes. Cette différence serait toutefois partiellement atténuée par le fait que l’économie américaine se situe plutôt en haut de cycle ce qui devrait réduire la valeur des multiplicateurs.

Au-delà de la croissance, ces choix seront également déterminants pour la trajectoire de la dette publique. Selon les estimations du CBO de janvier 2025, à législation inchangée et donc sans tenur compte des annonces qui avaient été faites pendant la campagne, la dette publique de l’Etat fédéral atteindrait 118,5 % du PIB en 2035 soit une hausse de 20,7 points par rapport au niveau de 2024(b). En tenant compte uniquement des mesures de réductions d’impôts annoncées pendant la campagne, les estimations du Committee for a Responsible Budget indiquaient un accroissement de la dette de 18 points de PIB(c). Inversement, une baisse des dépenses permanentes de 100 milliards de dollars des dépenses primaires à partir de 2025 réduit la dette publique de 3,8 points à l’horizon 2035. Dans notre scénario, nous supposons des coupes supplémentaires à hauteur de 200 milliards en 2026. L’effet global des mesures portant sur les recettes et les dépenses se traduirait par une hausse de la dette de près de 8 points de PIB en 2035 par rapport au scénario du CBO. Même si une telle dynamique ne devrait pas remettre en cause la soutenabilité de la dette publique américaine, il reste que le gouvernement pourra difficilement infléchir la tendance uniquement sur la base de coupes dans les dépenses publiques posant la question de la pertinence des baisses d’impôt promises pendant la campagne présidentielle.

  1. Voir https://www.ofce.sciences-po.fr/blog2024/fr/2025/20250319_CB/.

  2. Les calculs du CBO sont effectués sur la base d’un indicateur de dette détenue par le public : particuliers, sociétés, gouvernements locaux, banques de la Réserve fédérale, gouvernements étrangers et autres entités extérieures au gouvernement des États-Unis. Est exclue la dette détenue par la Federal Financing Bank.

  3. Estimation qui ne tient pas compte de l’impact économique des baisses d’impôts.

Tableau 17.1. Prévisions 2025-2026 pour les Etats-Unis
en %
2024
2025
de 2024t3
à 2026t4
2024
2025
2026
T3 T4 T1 T2 T3 T4
PIBa  0,8  0,6  0,2  0,1  0,1 0,4
0 0.76 0 0,8% 0,6% 0,2% 0,1% 0,1% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4%
  2,8   1,4   1,5
PIB par habitanta  0,6  0,4 −0,0 −0,1 −0,1 0,2
0 0.58 −0.11 0,6% 0,4% 0% -0,1% -0,1% 0,2% 0,3% 0,3% 0,3% 0,3%
  1,9   0,7   1,0
Consommation ménagesa  0,9  1,0  0,2  0,1  0,2 0,3
0 1.03 0 0,9% 1% 0,2% 0,1% 0,2% 0,3% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4%
  2,8   1,9   1,4
Consommation publiquea  1,1  0,7  0,2  0,1  0,1 0,3
0 1.12 0 1,1% 0,7% 0,2% 0,1% 0,1% 0,3% 0,3% 0,3% 0,3% 0,3%
  2,5   1,6   1,1
FBCF totalea,b  0,5 −1,1  0,3  0,2  0,3 0,3
0 0.46 −1.10 0,5% -1,1% 0,3% 0,2% 0,3% 0,3% 0,5% 0,5% 0,5% 0,5%
  4,5   0,6   1,6
 dont : productive privéea  4,4 −0,8  0,3  0,1  0,2 0,3
0 4.43 −0.82 4,4% -0,8% 0,3% 0,1% 0,2% 0,3% 0,5% 0,5% 0,5% 0,5%
  5,4   2,4   1,6
            logementa −1,1  1,3  0,7  0,6  0,6 0,6
0 1.32 −1.09 -1,1% 1,3% 0,7% 0,6% 0,6% 0,6% 0,6% 0,6% 0,6% 0,6%
  4,2   1,9   2,4
            APUa,b  1,8  0,7  0,1  0,1  0,1 0,1
0 1.77 0 1,8% 0,7% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1%
  6,9   2,2   0,6
Exportationsa,c  2,3 −0,1  0,2  0,5  0,5 0,5
0 2.32 −0.13 2,3% -0,1% 0,2% 0,5% 0,5% 0,5% 0,6% 0,6% 0,6% 0,6%
  3,2   2,1   2,1
Importationsa,c  2,6 −0,3  5,0 −2,9  0,4 0,2
0 5.00 −2.90 2,6% -0,3% 5% -2,9% 0,4% 0,2% 0,2% 0,2% 0,2% 0,2%
  5,4   4,5   0,1
Demande intérieurea,d,e  0,9  0,6  0,2  0,2  0,2 0,4
0 0.88 0 0,9% 0,6% 0,2% 0,2% 0,2% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4%
  3,2   1,7   1,4
Variations de stocksa,e −0,1 −0,2  0,7 −0,6 −0,1 0,0
0 0.70 −0.60 -0,1% -0,2% 0,7% -0,6% -0,1% 0% 0% 0% 0% 0%
  0,0   0,2  −0,2
Commerce extérieura,c,e −0,1  0,0 −0,8  0,5 −0,0 0,0
0 0.53 −0.76 -0,1% 0% -0,8% 0,5% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
 −0,5  −0,5   0,2
Inflationf  2,3  2,5  2,6  2,6  2,9 3,2
0 3.24 0 2,3% 2,5% 2,6% 2,6% 2,9% 3,2% 3% 2,9% 2,8% 2,7%
  2,5   2,8   2,9
Taux de chômageg  4,2  4,2  4,1  4,2  4,4 4,5
0 4.97 0 4,2% 4,2% 4,1% 4,2% 4,4% 4,5% 4,6% 4,7% 4,8% 5%
  4,0   4,3   4,8
Solde couranth  −3,9  −4,1  −3,5
Déficit publich   7,0   7,2   7,7
Dette publiqueh 123   126   128  
Impulsion budgétairei  −1,7  −0,2   0,3
Sources : BLS, BEA-NIPA.
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle, pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.