9  Une baisse de l’inflation en demi teinte ?

Perspectives 2025-2026 pour l’économie mondiale

conjoncture
déficit public
politique budgétaire
politique monétaire
taux souverain
inflation
France
Europe
USA
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Ombeline Jullien de Pommerol
Publié le

9 avril 2025

Modifié le

15 avril 2025

9.1 Après la crise énergétique

Quatre ans après le début de la crise énergétique, l’inflation dans l’ensemble des pays industrialisés retrouve des niveaux plus modérés, même si la désinflation marque le pas depuis la fin de l’année 2023. En effet, en moyenne sur l’année 2024, elle s’est élevée à 2,4 % dans la zone euro et 2,5 % contre 5,4 % en 2023. La dynamique est similaire au Royaume-Uni avec une inflation toujours un peu plus élevée e moyenne : 7,3 % en 2023 et 2,5 % en 2024. Aux États-Unis, la baisse de l’inflation est restée modérée puisqu’elle passée de 2,8 % fin 2023 à 2,5 % fin 2024. Enfin, après de longues années marquées par des pressions déflationnistes, l’inflation japonaise semble s’inscrire plus durablement au-dessus de 2 %, atteignant 3,3 % en 2023 et 2,7 % en 2024.

Cependant, cette accalmie reste fragile. En zone euro, après son creux de septembre, l’inflation est repartie à la hausse, atteignant 2,2% en mars, contre 2,5 % en janvier. Cette remontée s’expliquait en partie par un effet de base lié aux prix de l’énergie (+0,2 point pour une inflation annuelle de 1,9 %). Mais en février, cette contribution est devenue nulle après plusieurs mois en territoire négatif. Désormais, ce sont principalement les services qui tirent l’inflation vers le haut, avec une hausse annuelle de 3,7 %, contribuant à hauteur de 1,7 point à l’indice global en zone euro. Dans tous les pays, la contribution de l’énergie à l’inflation ou à la désinflation est désormais bien moins élevée qu’entre 2021 et mi-2024 (graphique 9.1). Depuis le début de la crise énergétique, en fin d’année 2021 jusqu’au début de l’année 2023, la contribution cumulée des prix de l’énergie à l’inflation a été de 4 points de pourcentage, au sein de la zone euro.

Graphique 9.1. Evolution de l’IPCH et ses composantes

L’évolution récente de l’inflation illustre une asymétrie marquée : sa baisse est bien moins rapide que sa montée. Plus de deux ans après le pic, l’inflation reste au-dessus de la cible des banques centrales, expliquant ainsi leur prudence. Ainsi, pour rappel, le taux directeur de la Réserve fédérale a été maintenu à 4,5 % depuis novembre. De son côté, la BCE a certes continué à baisser les taux mais à un rythme relativement modéré : 1,5 point en 9 mois (pour plus de détails voir Politiques monétaires). La dynamique salariale, en particulier la hausse des salaires nominaux puis réels, a sans doute contribué à freiner le retour à une inflation plus faible. Depuis le troisième trimestre 2021, l’évolution des salaires réels a suivi deux dynamiques distinctes. Durant la période de forte inflation entre 2021 et 2022, la hausse des prix a nettement dépassé celle des salaires nominaux, entraînant une baisse marquée des salaires réels. Cependant, à partir de 2023, on observe un début de rattrapage avec une progression plus rapide des salaires nominaux, permettant une atténuation de la perte de pouvoir d’achat. Malgré cette reprise, les salaires réels restent toujours en deçà de leur niveau de 2021, accusant un retard d’environ 2 % (graphique 9.2). Cette dynamique contribue à une désinflation plus lente, notamment dans les services où les tensions salariales restent présentes.

Graphique 9.2. Salaires réels par rapport au début de la crise inflationniste

Derrière cette moyenne européenne, de fortes disparités subsistent entre les grandes économies de la zone euro. La France se distingue par un taux d’inflation particulièrement bas en ce début d’année aux mois de février et mars: 0,9 % en variation annuelle, soit son premier passage sous la barre des 1 % depuis début 2021. La baisse des prix de gros de l’électricité a plus que compensé la hausse de la fiscalité, entraînant une chute de 13 % des prix de l’électricité en février. À l’inverse, l’Espagne et l’Allemagne affichent une inflation en ligne à la moyenne européenne, avec respectivement 2,2 % et 2,3 %. L’Italie, quant à elle, présente un taux d’inflation plus modéré (2,1 %), mais sa tendance reste haussière et marquée par une certaine volatilité. En revanche, au Royaume-Uni, l’inflation est toujours à des niveaux relativement élevés, même si elle a ralenti en février à 3,7% après 3,9% en janvier.

Estimant que la « tempête inflationniste » est désormais passée, les gouvernements européens amorcent une sortie progressive des mesures de soutien (voir le graphique 11.2 dans Politiques budgétaires). En Espagne, la réduction exceptionnelle de la TVA sur l’électricité a pris fin en janvier 2025, tout comme en France en février. L’Italie avait déjà supprimé ses dispositifs dès 2023. En Allemagne, les mesures de « bouclier tarifaire » ont cessé en 2024, mais le taux de TVA sur l’électricité reste inférieur à son niveau d’avant-crise et ne retrouvera son niveau initial qu’en 2025.

Si l’inflation tend à converger vers 2 % en moyenne dans la zone euro, cette stabilisation masque d’importantes disparités de niveaux de prix entre les pays. Depuis le début de la crise inflationniste au troisième trimestre 2021, les prix ont augmenté en moyenne de 16,6 %. Mais cette hausse ne s’est pas répartie de manière homogène : l’Allemagne enregistre la plus forte progression avec un indice de 118,2 fin 2024, suivie de près par l’Italie (117,8) et l’Espagne (116,1), tandis que la France affiche un niveau plus modéré à 114,3. En l’espace de 13 trimestres, un écart de 4 points s’est ainsi creusé entre ces économies (graphique 9.3).

La question centrale est de savoir si ces écarts vont progressivement se résorber. Pour cela, l’analyse des crises économiques passées peut offrir des enseignements sur les dynamiques d’inflation à long terme.

Historiquement, la divergence des niveaux de prix a longtemps été la norme au sein de la zone euro, notamment avant la crise financière de 2008. Durant la première décennie de la monnaie unique, les économies du sud comme l’Espagne et l’Italie ont connu une inflation plus élevée que celles du nord, creusant progressivement les écarts. Ces divergences se sont accompagnées de déséquilibres des balances courantes, qui ont joué un rôle clé dans la crise de la zone euro.

Après la crise financière, une phase de convergence des prix s’est amorcée, sans pour autant compenser totalement les écarts accumulés entre 1999 et 2009. La crise du COVID et le choc énergétique ont ensuite introduit de nouvelles pressions inflationnistes différenciées, l’Allemagne et l’Espagne enregistrant une hausse des prix plus marquée que la France et l’Italie. Toutefois, contrairement à la période pré-2008, la convergence des niveaux de prix semble aujourd’hui mieux ancrée, suggérant que la monnaie unique impose, à long terme, un certain alignement des dynamiques inflationnistes.

Aujourd’hui, bien que l’inflation ralentisse dans l’ensemble de la zone euro, des écarts de dynamique persistent. Toutefois, contrairement aux périodes passées, ces divergences ne s’accompagnent pas nécessairement des mêmes déséquilibres de balances courantes. Une partie de ces écarts récents s’explique par un choc spécifique sur les prix de l’énergie, qui n’a pas affecté tous les pays de la même manière et dont la transmission aux indices de prix nationaux a varié selon les méthodologies utilisées. Une convergence durable des niveaux de prix reste donc incertaine et dépendra largement des politiques économiques et salariales mises en place dans chaque pays.

Graphique 9.3. La convergence des indices de prix pendant 3 décennies

Malgré cette détente de l’inflation, la situation reste contrastée. Les prix ne se stabilisent pas encore durablement sous l’objectif des 2 %, la dynamique reste hétérogène entre les pays, et les ménages subissent toujours les séquelles de l’érosion de leur pouvoir d’achat. De plus, le climat d’incertitude a retrouvé des niveaux élevés depuis l’élection de Trump aux États-Unis, et le déclenchement d’un nouveau volet de la guerre commerciale qui se traduira par une hausse de l’inflation.

9.2 La guerre commerciale menace-t-elle le retour de l’inflation à sa cible?

La guerre commerciale relancée par Donald Trump aurait un impact direct sur les prix pour les consommateurs via l’application de droits de douane sur les produits importés aux États-Unis. Sous l’hypothèse d’une hausse des droits de douane de 10 points, l’inflation américaine repartira à la hausse en 2025 et devrait atteindre un pic à 3,2 % en fin d’année1. Elle diminuerait en 2026 mais de façon progressive. Sous l’hypothèse d’absences de mesures de représailles, le pouvoir d’achat des ménages européens seraient moins affecté et l’inflation continuerait de décélérer en 2025 (graphique 9.4). Les prix de l’énergie ne contribueront plus à l’augmentation des prix. Les salaires alimenteront alors la hausse des prix, via une hausse des marges des entreprises. En effet, dans le détail en France l’inflation serait de 1,3 % puis 1,8 %, en Allemagne, elle atteindrait 1,9 % et 2,2 %. En Italie l’inflation serait de 1,6 % en 2025 avec les prix de l’énergie qui diminue et 1,7% en 2026. Enfin en Espagne, elle atteindrait 2,5 % puis 1,9 %, à contre courant des autres pays. Au Royaume-Uni et au Japon, il faudrait attendre l’année 2026 pour observer une baisse notable de l’inflation. En effet, elle se maintiendrait au-dessus de 3 % en 2025 et ne convergerait vers 2 % qu’en fin d’année 2026.

1 Cette hausse de l’inflation ne résulte pas uniquement de la hausse des droits de douane. Elle serait en effet alimenter par la politique migratoire plus stricte qui se traduirait par des tensions sur sur le marché des biens et sur le marché du travail.

Graphique 9.4. Prévisions d’inflation