Sans représailles
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Avec représailles
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2025 | 2026 | 2025 | 2026 | |
USA | −0.1 | −0.4 | −0.4 | −0.9 |
Allemagne | −0.1 | −0.1 | −0.1 | −0.1 |
Canada | −0.1 | −0.3 | 0.0 | −0.1 |
Chine | −0.3 | −0.2 | −0.1 | −0.6 |
Mexique | −0.1 | −0.3 | −0.2 | −0.5 |
Sources: McKibbin, Hogan & Noland, The international economic implications of a second Trump presidency | ||||
En 2026, le PIB des Etats-Unis serait inférieur de 0,4% à ce qu'il serait dans l'hypothèse où les droits de douane resteraient inchangés
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12.1 Scénario
Depuis son retour à la présidence des Etats-Unis, Donald Trump a décidé de relancer la guerre commerciale. Si le protectionnisme américain s’était surtout focalisé sur la Chine entre 2017 et 20211, il s’étend désormais au reste du monde. Les annonces de hausses des tarifs douaniers se sont multipliées. Les hausses effectives étaient déjà nombreuses avant le 2 avril, le « jour de la libération ». Des droits de douane de 25% avaient été imposés sur l’automobile, l’acier et l’aluminium, ainsi que sur les produits canadiens et mexicains2, les produits chinois voyant quant à eux passer les tarifs douaniers de 10 à 20%. Ces augmentations étaient cependant limitées par rapport aux droits de douane « réciproques » annoncés le 2 avril. Ceux-ci incluent une hausse minimale des tarifs douaniers de 10 pt de pourcentage pour les pays dont le commerce extérieur est déficitaire avec les Etats-Unis. Pour les pays bénéficiant d’excédents avec les Etats-Unis, la hausse des tarifs douaniers est égale à la moitié du ratio de leur excédent sur la valeur de leurs importations en provenance des US. Cela donne des hausses de tarifs de 20 points avec l’Union Européenne, de 34 points avec la Chine (soit des droits de douane de 54% pour les produits chinois en tenant compte des hausses précédentes), 24 points pour le Japon ainsi que des hausses très substantielles pour plusieurs pays d’Asie et d’autres pays dont certains territoires inhabités.
1 Il convient de rappeller que la présidence Biden n’avait que partiellement rompu avec la philosophie protectionniste introduite par la première administration Trump, comme en témoigne le vaste programme de subventions à l’industrie dans l’Inflation Reduction Act ou les restrictions aux exportations de semi-conducteurs à destination de la Chine.
2 Cependant, les produits qui entrent dans le cadre de l’accord de libre échange USMCA entre les 3 pays sont exemptés de droits de douane. Ces produits recouvrent 50% des exportations mexicaines et 38% des exportations canadiennes.
3 Il faut cependant noter que la littérature empirique sur l’incidence finale des droits de douane est disputée. Ainsi (Cavallo et al., 2021) estime que ce sont essentiellement les ménages et les entreprises américaines qui ont supporté les droits de douane sur les produits chinois durant la « première » guerre commerciale et ce malgré l’appréciation du dollar. Le fait que la très large majorité des importations américaines soit « pricée » en dollars joue un rôle important.
Donald Trump semble avoir de longue date des opinions isolationnistes et protectionnistes. Les objectifs de cette politique ne sont pas pour autant parfaitement clairs. Les motivations affichées sont nombreuses et contradictoires. Les droits de douane pourraient ainsi être une source de revenus supplémentaires pour l’état fédéral. Sans en faire une proposition explicite, il a durant sa campagne proposé de remplacer l’impôt fédéral sur le revenu par des tarifs douaniers. Dans l’esprit de l’administration Trump, cette taxe serait supportée par les pays étrangers et non les consommateurs et les entreprises américaines. Cette idée, développée par l’un des principaux conseillers économiques de Donald Trump, Stephen Miran (voir (Miran, 2024)) n’est pas absurde. Les Etats-Unis sont une « grande » économie et les tarifs douaniers peuvent être un moyen pour eux d’améliorer leurs termes de l’échange. La littérature estime ainsi que le tarif douanier optimal des Etats-Unis se situe entre 15 et 20% (voir (Costinot et Rodríguez-Clare, 2014) par exemple)3. Un deuxième objectif affiché est la réduction du déficit commercial américain, d’où des droits de douane plus élevés pour les pays bénéficiant d’un fort excédent bilatéral avec les Etats-Unis. En donnant un avantage compétitif aux entreprises américaines sur leur marché domestique, le protectionnisme réduirait les importations et permettrait une réindustrialisation. Enfin, Les tarifs douaniers semblent être vus comme un instrument de négociation pour obtenir des concessions, y compris sur d’autres sujets comme l’immigration clandestine, la lutte contre le trafic de drogue etc. Miran (2024) suggère que la maison blanche pourrait rechercher un accord global avec les principaux partenaires commerciaux, dans lequel l’administration américaine renoncerait aux tarifs douaniers en échange de l’engagement des autres pays à prendre des mesures pour réduire le déficit commercial américain. Ce fut le sens de l’accord commercial sino-américain signé à la fin de la première présidence Trump ou des accords du Plaza de 1985. Donald Trump n’a cependant pas été très explicite sur les concessions qu’il attendait des autres pays. L’idée défendue par Miran (2024) est un accord type Plaza sur les taux de change. Les pays ayant de fortes réserves de dollars en vendraient une partie pour déprécier la monnaie américaine. Un tel compromis (pas de droits de douane et un dollar faible) pourrait se révéler satisfaisant au regard des objectifs de réduction du déficit commercial et de réindustrialisation. Il ne permettrait cependant pas d’augmenter les revenus de l’état fédéral et surtout, se traduirait par une dégradation des termes de l’échange pour les Etats-Unis, une perspective qui ne semble pas aujourd’hui faire consensus au sein de l’administration américaine.
A cette incertitude sur la politique américaine s’ajoute l’incertitude sur les mesures de rétorsions. A ce stade, il est difficile de voir précisément quelles seront les réponses des autres pays. Certains ont d’ores et déjà affirmé qu’ils souhaitaient négocier tandis que d’autres comme la Chine ou l’Union européenne, s’apprêtent à prendre des mesures de représailles. La multiplicité des annonces et des objectifs complique la construction d’un scénario. Avant les annonces du 2 avril, nous avions retenu une hypothèse conservatrice dans laquelle les différentes hausses de tarifs équivaudraient à une hausse de 10% des droits de douane sur l’ensemble des produits importés aux Etats-Unis quelqu’en soit la provenance, sans mesures de rétorsions des autres pays. Les annonces du « liberation day », intervenues au moment du bouclage de notre prévision, et les premières ripostes qui ont suivies, suggèrent que ce scénario était trop optimiste. Nous n’avons pas pu les intégrer dans nos comptes de manière détaillée. La synthese internationale précise cependant leur impact potentiel sur l’activité en Europe et aux Etats-Unis. Des négociations pourraient également amener Donald Trump à réduire les tarifs mis en place jusque-là.
12.2 Un impact économique limité sous nos hypothèses
La baisse progressive des tarifs douaniers dans le cadre des accords du GATT puis de l’OMC a été l’un des faits majeurs de la deuxième partie du vingtième siècle. Elle a largement contribué au processus de mondialisation. Le dernier épisode de hausse généralisée des tarifs douaniers remonte aux années 30, avec en particulier le Hawley-Smoot act aux Etats-Unis dont le rôle dans l’aggravation de la grande dépression demeure un point de controverse. Il y a donc peu d’éléments empiriques pour évaluer l’impact d’une hausse massive des tarifs douaniers. Des modèles structurels du commerce international peuvent cependant apporter des éléments de réponse. Une hausse des tarifs douaniers représente une taxe distorsive qui empêche des échanges internationaux mutuellement avantageux, induisant des pertes permanentes sur le produit intérieur brut pour l’ensemble des économies. A plus court terme, le choc protectionniste est d’abord, toutes choses égales par ailleurs, un choc de politique budgétaire négatif caractérisée principalement par une hausse des taxes sur la consommation, avec un multiplicateur potentiellement élevé car l’effet inflationniste peut conduire la banque centrale à ne pas réduire son taux d’intérêt en réponse à la contraction budgétaire. Il implique ensuite un coûteux processus de réallocation des ressources. Ce coût dépend des rigidités réelles et nominales présentes dans les économies, qui limitent la vitesse à laquelle le processus de réallocation peut s’effectuer, et en amplifient les effets négatifs sur l’activité. Les prédictions des modèles structurels dépendent de la finesse de la représentation du commerce international et des hypothèses sur les effets de substitution d’une part (pour les pertes permanentes) et des hypothèses faites sur les rigidités réelles et nominales, et les réponses des politiques budgétaires et monétaires au choc de droits de douanes d’autre part (pour les pertes temporaires dues au processus de réallocation).
Une première classe de modèles étudie la question des pertes permanentes. Un certain nombre sont purement statiques. Costinot et Rodríguez-Clare (2014) étudie les effets des droits de douane dans plusieurs modèles récents de ce type. L’impact est le plus fort quand les entreprises se caractérisent par une productivité hétérogène et en présence de consommations intermédiaires. Ainsi des tarifs douaniers généralisés de 40% induiraient une perte de bien être de 7%. Des tarifs limités aux seules relations bilatérales avec les Etats-Unis auraient toutefois des effets beaucoup plus restreints. D’autres modèles sont dynamiques, comme le modèle MIRAGE du CEPII (voir Decreux et Valin, 2007). Celui-ci intègre de nombreux éléments des théories modernes du commerce international (concurrence imparfaite, coûts fixes etc).En l’utilisant, Bouët, Sall et Zheng (2024) anticipent notamment qu’une hausse des tarifs douaniers américains de 10% sur l’ensemble des produits et de 60% sur les produits en provenance de Chine réduit le PIB mondial de 0,5% sur le long terme avec des effets particulièrement forts aux Etats-Unis (-1,3%) et en Chine (-1,3%). De nombreux autres scénarios sont simulés et feront l’objet d’une étude spéciale à paraitre dans la Revue de l’OFCE.
Une deuxième classe de modèles permet à la fois d’étudier les pertes permanentes et les pertes temporaires, au prix d’une analyse moins fine des premières. Le modèle G-cubed, développé dans (McKibbin et Wilcoxen, 2013), a été mobilisé par le Peterson Institute pour analyser les effets de la guerre commerciale (voir McKibbin, Hogan et Noland, 2024 ; et McKibbin et Noland, 2025). Il intègre des rigidités nominales sur les salaires, et donc du chômage, des règles de politique monétaire et des taux de change endogènes. Les résultats du modèle sur l’activité sont résumés dans tableau 12.1 , tableau 12.2, tableau 12.3. Une hausse uniforme de 10% des tarifs douaniers américains sans mesures de représailles aurait un impact limité en 2025 et 2026, y compris pour le Canada et le Mexique. Les effets seraient plus forts si des représailles symétriques sont mises en oeuvre. Par rapport à une situation sans droits de douane, le PIB américain serait plus faible de 0,9 point de pourcentage en 2026. Un tarif de 25% sur les produits européens aurait également des répercussions limités sur les pays concernés (voir tableau 12.3) avec un effet négatif maximal de 0,4 point de pourcentage sur le PIB allemand en 2026, en cas de représailles symétriques. L’incidence sur le PIB français serait même positive en 2025 en raison d’une baisse marquée de l’euro par rapport au dollar, un résultat qui nous semble peu plausible. Les résultats de ce modèle sont pour notre prévision un élément de guidage. Les effets retenus in fine sur tel pays peuvent intégrer d’autres considérations. Il convient de souligner plusieurs limites de ce modèle qui peuvent conduire à sous estimer l’impact économique de la guerre commerciale. Les importations en biens représentant 12% du PIB américain, un droit de douane de 10% représente au premier ordre une contraction budgétaire de 1,2 point de PIB. Le multiplicateur implicite de cette contraction est donc plus faible que ceux retenus habituellement. Plusieurs hypothèses du modèle peuvent expliquer un tel résultat. Les rigidités nominales sont relativement limitées, seuls les salaires étant rigides à court terme tandis que les prix sont parfaitement flexibles. Les hypothèses concernant la substituabilité, entre consommation présente et future, et entre biens importés et biens domestiques peuvent également être trop optimistes.
12.3 Des risques majeurs
La sous estimation des rigidités existantes dans le processus de réallocation est l’un des premiers facteurs. Cependant, si la hausse des tarifs douaniers reste au niveau que nous anticipons dans notre scénario, la réallocation à effectuer demeurerait limitée. Les hausses annoncées le 2 avril, des mesures de rétorsion beaucoup plus larges contre les produits américains, pourraient avoir un effet recessif plus important. Les effets de bord constituent un deuxième niveau de risque. Privés du débouché américain, certains pays, notamment la Chine, pourraient mettre en place des politiques de prix plus agressives, tandis que des pays très dépendant des exportations vers les Etats-Unis, comme le Canada ou le Mexique verraient leur monnaie se déprécier fortement. Cela constitue un risque additionnel non négligeable pour la croissance des pays européens. Les gouvernements européens pourraient alors être tentés de mettre en place leurs propres droits de douane pour limiter l’impact sur leurs économies. Une guerre commerciale généralisée et un nouvel épisode de « démondialisation » constituerait alors un troisième niveau de risque. Un autre scénario, plus positif, doit cependant être évoqué, celui dans lequel la guerre commerciale américaine conduit les pays à forts excédents commerciaux à relancer leur marché domestique par des politiques budgétaires et monétaires plus expansionniste. Le plan de relance du nouveau gouvernement allemand, ainsi que certains signaux faibles en provenance de Chine, peuvent appuyer dans une certaine mesure un tel scénario.
Sans représailles
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Avec représailles
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2025 | 2026 | 2025 | 2026 | |
USA | 0.0 | −0.1 | −0.1 | −0.4 |
Allemagne | 0.0 | 0.1 | 0.0 | 0.1 |
Chine | −0.9 | −0.9 | −0.8 | −1.2 |
Sources: McKibbin, Hogan & Noland, The international economic implications of a second Trump presidency |
Sans représailles
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Avec représailles
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2025 | 2026 | 2025 | 2026 | |
USA | 0.0 | −0.1 | −0.1 | −0.2 |
Allemagne | −0.1 | −0.2 | −0.2 | −0.4 |
France | 0.1 | −0.1 | 0.1 | −0.2 |
Italie | 0.0 | −0.1 | 0.0 | −0.2 |
Sources: McKibbin, Hogan & Noland, Modeling a US-EU trade war: Tariffs won’t improve US global trade balance |