15.1 Espagne, pays de l’année
En 2024, l’Espagne s’est affirmée comme le moteur de la croissance de la zone euro, devançant ses voisins européens et obtenant le titre de « pays de l’année » décerné par The Economist1. Son PIB a progressé de 3,2 %, après une hausse de 2,7 % en 2023, surpassant largement la croissance annuelle du PIB en France, en Italie et en Allemagne.
1 Le classement se base sur les 37 pays de l’OCDE, et un score est calculé en fonction de cinq indicateurs macroéconomiques et financiers (le PIB, la performance boursière, l’inflation, le chômage, et les équilibres budgétaires). Pour en savoir plus: « What Spain can teach the rest of Europe »
Cette dynamique repose principalement sur une forte progression de la consommation des ménages, en hausse de 2,9 % sur l’année. Ce regain de consommation est lui-même porté par une nette augmentation du pouvoir d’achat, portée par la masse salariale. En effet, d’un côté les salaires ont connu une accélération notable, passant d’une croissance modérée de 4,5 % en début d’année à 5 % sur l’ensemble de 2024, après 5,8 % en 2023. De l’autre, l’emploi a également contribué à cette tendance avec une hausse de 2,2 % des effectifs salariés, permettant à l’économie espagnole de franchir la barre des 17 millions de salariés dans le secteur marchand, ramenant le taux d’emploi à 52,3%, des niveaux inédits depuis 2006, avant la crise des subprimes. Parallèlement, le taux de chômage est tombé à 10,6 % en fin d’année, marquant un plus bas historique depuis la période 2005/2006, avant la crise des subprimes et confirmant la solidité de la reprise espagnole.
La demande intérieure a également été soutenue par une accélération de la consommation publique, qui a progressé de 4,9 % en 2024 après 5,2 % en 2023. Ce rebond s’est accompagné d’un ralentissement de l’inflation, qui s’est établie en moyenne à 2,9 % sur l’année, contre 3,4 % en 2023, contribuant ainsi à l’augmentation du pouvoir d’achat et à la confiance des ménages.
Sur le front du commerce extérieur, la contribution est restée positive, grâce au dynamisme exceptionnel du tourisme. L’Espagne a accueilli 94 millions de visiteurs en 2024, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2023. Cette performance a entraîné une hausse de 9 % des exportations de services, qui dépassent désormais leur niveau de 2019.
Seul point faible de ce tableau économique , l’investissement, qui bien que progressant de 2,3 % sur l’année, ne doit son accélération qu’au rebond de 3,4 % en fin d’année. La formation brute de capital fixe (FBCF) a ainsi à peine dépassé son niveau de 2019, illustrant le retard accumulé par l’Espagne par rapport à ses partenaires européens, surtout en matière de construction où la crise immobilière a laissé des traces pérennes.
D’ailleurs, le gouvernement a mis en place un plan de 12 mesures pour atténuer les effets de la crise du logement, qui continue de s’intensifier dans les grandes villes du pays. Ce plan présenté en janvier, s’axe autour de 3 mesures principales: l’augmentation de l’offre, une meilleure régulation, et des aides renforcées. L’augmentation significative des arrivées de nouveaux résidents a exacerbé la pénurie de logements, portant le déficit estimé à 200 000 unités par an, selon la Banque d’Espagne. Pourtant, l’investissement dans le logement n’a progressé que de 1,4 % en 2024, marquant un ralentissement par rapport à 2023 où il avait progressé de 2,1%.
Enfin, cette forte croissance a favorisé l’amélioration des finances publiques, consolidant la trajectoire de réduction des déséquilibres budgétaires. La dette publique a reculé à 101,8 % du PIB en fin d’année, tandis que le déficit s’établissait à 3,2 % au troisième trimestre -et atteindrait 2,8% sans la prise en compte des dépenses liées aux inondations de Valence d’octobre dernier- confirmant une amélioration progressive des comptes publics.
15.2 La croissance restera soutenue en 2025…
Les indicateurs de court terme d’activité sont, pour le premier trimestre de l’année bien orientés, et l’indicateur de prévision à court terme du PIB de l’Airef indique une variation trimestrielle de 0,7% pour le premier trimestre de l’année 2025, consolidant le rythme élevé de croissance de fin d’année 2024.
On s’attend à ce que le rythme de croissance ralentisse mais reste dynamique à 2% pour 2025 et 1,7% pour 2026 sous couvert d’une consommation publique réduit (2,9% pour 2025, après 4,9% en 2024 et 1,2% pour 2026).
Les gains de productivité de l’ensemble de l’économie, sont désormais stables, permettant à la productivité de rester proche de sa tendance de long terme. Par conséquent, le marché de l’emploi devrait poursuivre sa dynamique positive et continuer à créer des postes, dans la lignée de la tendance observée en février. En effet, le nombre d’affiliés à la Sécurité sociale, indicateur de l’emploi à court terme, a continué de progresser en données brutes, atteignant 21,2 millions, avec une hausse mensuelle de 100 340 inscrits par rapport à janvier, soit la deuxième plus forte augmentation pour un mois de février depuis 2007.
La reprise de l’investissement privé de fin d’année devrait perdurer en 2025, et contribuer positivement à la croissance du PIB grâce plusieurs facteurs : de meilleures conditions de financement adossées à une baisse du taux directeur de la BCE, une demande intérieure soutenue et le déploiement accru du programme NextGenerationEU puisque le 5ème versement devrait atteindre 25 milliards d’euros2, et celui annoncé par le gouvernement pour soutenir la construction immobilière. Les indicateurs sont déjà biens orientés : l’indicateur du climat de la construction a atteint +5,7 points en janvier.
2 Pour rappel, l’Espagne a déjà reçu 48 milliards d’euro du plan de relance européen depuis août 2021. Voir l’encadré 1 dans « Espagne: vers un atterrissage en douceur – Prévision de l’OFCE, automne 2024 »
Cependant, comme on l’a déjà observé en février, l’inflation repart à la hausse à 2,9% par rapport à l’année dernière, après avoir atteint un point de bas de 1,7% en septembre 2024. Cela n’apparait pas totalement supprenant puisqu’en janvier la réduction de la TVA à un taux nul appliquée sur certains produits alimentaires de base, mis en place en janvier 2023 pour lutter contre l’inflation, a pris fin, et est revenu à 4% . Il est en de même pour l’éléctricité puisque le taux réduit de 10 % s’appliquait encore sous condition de prix (au-dessus de 45 €/MWh). Il est revenu au taux ordinaire de 21 % en janvier 2025.
15.3 …malgré quelques nuages qui pourraient assombrir l’horizon
L’amélioration progressive des perspectives économiques en zone euro a été brusquement remise en question par deux événements majeurs. Tout d’abord, l’élection de Donald Trump a ravivé les tensions commerciales entre les États-Unis et le reste du monde, notamment avec la Chine, le Mexique et le Canada. Cette escalade protectionniste, marquée par l’instauration de nouveaux droits de douane, représente un risque de ralentissement pour la croissance mondiale et le commerce mondial. Bien que l’Espagne n’exporte qu’une part limitée de ses biens vers les États-Unis (environ 5 % du total), l’impact sur ses principaux partenaires européens entraîne une révision à la baisse des prévisions d’exportation pour 2025. Par ailleurs, cette guerre commerciale pourrait également engendrer des fluctuations des prix pour les consommateurs espagnols, renforçant la tendance haussière à l’oeuvre depuis le début de l’année.
Parallèlement, les tensions géopolitiques se sont intensifiées autour du conflit entre la Russie et l’Ukraine, notamment en raison des interventions de Trump. Face à cette situation, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé un plan de réarmement pour l’Union européenne. Cette décision pose un défi particulier pour l’Espagne, dont le budget de défense, représentant 1,28 % du PIB, est le plus faible des pays de l’OTAN. Consécutivement, Pedro Sanchez a annoncé la mise en place d’un plan national visant à développer l’industrie de sécurité et de défense, pour atteindre les 2% du PIB d’ici 2029. Cependant, le premier ministre socialiste n’était déjà pas parvenu à faire adopter son projet de loi de finances, la question du financement de ces nouvelles mesures reste donc en suspens, même s’il compte les deployer sans vote du Parlement. On intègre ainsi des dépenses liées à la défense supplémentaire de 6 milliards d’euros par an en 2025 et 2026 (soient 0,43% du PIB), cela n’affectera néanmoins pas la trajectoire des finances publiques et celle de la décroissance de la dette, certes moins rapide.
en % |
2024
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2025
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de 2024t3 à 2026t4 |
2024
|
2025
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2026
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T3 | T4 | T1 | T2 | T3 | T4 | |||||
PIBa | 0,8 | 0,8 | 0,3 | 0,5 | 0,6 | 0,5 | 3,2 | 2,3 | 1,8 | |
PIB par habitanta | 0,5 | 0,3 | 0,0 | 0,3 | 0,4 | 0,4 | 1,8 | 1,1 | 1,2 | |
Consommation ménagesa | 1,2 | 1,0 | 0,4 | 0,5 | 0,6 | 0,4 | 2,9 | 2,8 | 1,7 | |
Consommation publiquea | 2,5 | 0,4 | 0,6 | 0,5 | 0,3 | 0,3 | 4,9 | 2,9 | 1,2 | |
FBCF totalea,b | −1,4 | 3,4 | 0,9 | 1,0 | 1,1 | 1,1 | 2,3 | 4,4 | 3,9 | |
logementa | −2,0 | 1,6 | 1,0 | 0,9 | 0,9 | 0,9 | 2,6 | 2,7 | 3,4 | |
Exportationsa,c | 0,4 | 0,1 | 0,5 | 0,6 | 0,6 | 0,7 | 2,9 | 1,8 | 2,6 | |
Importationsa,c | 0,9 | 1,3 | 1,2 | 0,9 | 0,8 | 0,8 | 2,0 | 4,1 | 3,5 | |
Demande intérieurea,d,e | 0,9 | 1,2 | 0,5 | 0,6 | 0,6 | 0,5 | 3,0 | 2,9 | 1,9 | |
Variations de stocksa,e | 0,0 | −0,1 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | −0,2 | −0,1 | 0,0 | |
Commerce extérieura,c,e | −0,1 | −0,4 | −0,2 | −0,1 | −0,0 | −0,0 | 0,4 | −0,6 | −0,2 | |
Inflationf | 2,2 | 2,4 | 2,7 | 1,3 | 2,3 | 2,3 | 2,8 | 2,2 | 1,9 | |
Taux de chômageg | 11,2 | 10,6 | 10,5 | 10,3 | 10,1 | 9,9 | 11,3 | 10,2 | 9,6 | |
Solde couranth | — | — | — | — | — | — | 2,9 | 2,7 | 2,2 | |
Déficit publich | — | — | — | — | — | — | 1,9 | 2,0 | 1,4 | |
Dette publiqueh | — | — | — | — | — | — | 102 | 101 | 102 | |
Impulsion budgétairei | — | — | — | — | — | — | −0,9 | 0,7 | −0,4 | |
Sources : Eurostat, prévision OFCE avril 2025. | ||||||||||
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle,
pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.
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