11  Finances publiques: la consolidation passe au second plan

Perspectives 2025-2026 pour l’économie mondiale

conjoncture
déficit public
politique budgétaire
politique monétaire
taux souverain
inflation
France
Europe
USA
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Céline Antonin
Clémence Briodeau
Sandra Daudignon
Publié le

9 avril 2025

Modifié le

15 avril 2025

La politique budgétaire américaine 2025-2026 serait marquée par l’incertitude et combinerait coupes massives dans les dépenses et baisses d’impôts, creusant le déficit et portant la dette à 126,4 % du PIB. En Europe, la France et l’Italie poursuivraient la consolidation budgétaire, tandis que l’Espagne améliorerait ses finances grâce à une croissance solide. L’Allemagne adopterait une stratégie de relance, dont l’impact positif soutiendrait la croissance de ses voisins, notamment la France, l’Italie et le Royaume-Uni.

11.1 Politique budgétaire américaine : de l’expansion à la restriction

Le scénario de politique budgétaire américaine en 2025 et 2026 est marqué par une forte incertitude. En effet, le gouvernement Trump prévoit à la fois un choc fiscal positif marqué par de fortes baisses d’impôts, mais également des coupes massives dans les dépenses1. Au total, selon nos hypothèses, l’effet de baisse des dépenses (de l’ordre de 100 milliards de dollars dès 2025 puis 200 milliards supplémentaires en 2026) dominerait en 2025, alors que l’essentiel des baisses d’impôts aurait lieu en 2026 : l’impulsion budgétaire2 serait ainsi de -0,2 % du PIB en 2025 et de 0,3 % en 2026. Quant au solde public, il se dégraderait, passant de 7,0 % du PIB en 2024 à 7,7 % en 2026 (graphique 11.1), tandis que la dette publique augmenterait de près de 5 points en deux ans, pour atteindre 128,4 % du PIB en 2026.

1 Ces dernières sont présentées comme des mesures d’efficacité, et ne visent pas nécessairement à réduire le déficit ou la dette.

2 L’impulsion budgétaire est mesurée par l’opposé de la variation du solde structurel primaire, c’est-à-dire hors charges d’intérêt et recettes exceptionnelles : elle représente la politique budgétaire discrétionnaire.

Graphique 11.1. Evolution des déficits publics en zone euro et aux Etats-Unis depuis 2019

11.2 Zone euro : la relance allemande éclipse la consolidation budgétaire

Entre 2019 et 2023, pour faire face aux crises de la Covid et de l’énergie, les gouvernements de la zone euro ont mis en place des plans de soutien qui se sont traduits par une augmentation des niveaux de dette publique. Avec la normalisation de l’inflation (Voir partie Inflation), notamment énergétique, les mesures de soutien à l’énergie connaissent un effet d’attrition (graphique 11.2). En revanche, les dépenses liées à la défense devraient augmenter - dans des proportions variables - , dès 2025 en Espagne, et à partir de 2026 en France et en Italie. En Allemagne, l’augmentation des dépenses liées à la défense, initiée en 2022, devrait se poursuivre3. Sur la stratégie budgétaire en 2025-2026, les trajectoires divergent. En France, l’heure est à la consolidation budgétaire : l’impulsion budgétaire en 2025 représenterait 0,8 % du PIB. L’Italie est dans la même perspective, mais avec une consolidation beaucoup plus faible (0,2 % du PIB en 2025). Le très fort ajustement structurel observé en 2024 est lié à la fin du superbonus, ainsi qu’à une forte élasticité des recettes fiscales à la croissance. En 2025, le gouvernement italien devait faire 0,5 % d’ajustement structurel, mais il mise sur le fait que l’élasticité des recettes observée en 2024 serait de nature permanente, et prolonge la baisse des impôts qui devait initialement expirer en 2025. C’est pourquoi nous inscrivons un ajustement structurel plus faible en prévision. A contrario, l’Espagne, avec une prévision de croissance de 2,3 %, verrait son solde public s’améliorer et l’endettement public se réduire malgré une impulsion budgétaire positive (0,8 point de PIB). Quant à l’Allemagne, elle a décidé de tourner le dos à l’austérité en votant un plan de relance budgétaire massif début 20254. En 2026, la France poursuivrait la consolidation budgétaire, rejointe par l’Espagne, alors que l’Italie connaîtrait une impulsion nulle.

3 En Allemagne, un fonds spécial dédié à la modernisation de l’armée avait été créé dès 2022, doté de 100 milliards d’euros.

4 Le projet de budget transmis à la Commission européenne le 15 octobre 2024 prévoyait initialement une impulsion budgétaire négative de 0,8 point.

Graphique 11.2. Impulsion budgétaire décomposée

Le 14 mars 2025, un accord a été trouvé entre les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU, les sociaux-démocrates du SPD, et les Verts pour voter un plan d’investissements massif dédié aux infrastructures et à la défense. Le texte prévoit trois mesures : l’exemption du calcul de la règle d’or des dépenses de défense supérieures à 1 % du PIB ; la création d’un fonds spécial hors budget ayant une capacité d’emprunt de 500 milliards d’euros sur douze ans, destiné aux investissements dans les infrastructures ; l’augmentation de la capacité d’endettement des Länder. Nous faisons l’hypothèse d’une impulsion budgétaire nulle en 2025 et équivalente à 40 milliards d’euros (1 point de PIB) en 2026. Cela contribuerait à relever la croissance allemande d’un point, notamment à travers les canaux de l’investissement privé et de la consommation publique.

La relance allemande aura un impact positif sur les autres pays de la zone euro. Dans notre prévision d’octobre 2024, nous inscrivions une trajectoire de réduction des déficits publics pour l’Allemagne en 2025, avec une impulsion négative de 0,7 % du PIB, qui devait se poursuivre en 2026. La révision de notre scénario, qui inclut le plan d’investissement dédié aux infrastructures et à la défense, nous conduit à inscrire un ajustement nul en 2025, et fortement positif (1 % du PIB) en 2026 (encadré 17.1). Ainsi, par rapport au contrefactuel de notre précédente prévision, la croissance des grands pays voisins de l’Allemagne serait positivement affectée par sa relance budgétaire. Nous estimons que dans les cas de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni, l’impact serait de 0,1 point de croissance supplémentaire en 2025 et de 0,2 point en 2026. Cette estimation fait l’hypothèse que la part des dépenses orientée vers des entreprises européennes resterait inchangée. Or, dans un contexte de fragmentation accrue du commerce international et de recentrage européen – notamment pour les dépenses militaires – , l’impact pourrait être amplifié.

Le plan ReArm Europe/Préparation à l’horizon 2030, publié sur le site de la Commission Européenne le 19 mars dernier, aiderait les pays membres de l’UE à financer l’augmentation de leurs dépenses de défense à hauteur de 800 milliards d’euros (Commission européenne, 2025a).

Le premier volet du plan aidera les pays de l’UE en les autorisant à s’endetter davantage. Il permettra aux pays d’activer la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance pendant une période de quatre ans (2025-2028) et dans une limite d’1,5 point de PIB par an. Plus spécifiquement, les pays seront autorisés à dépasser leur objectif de déficit public approuvé par le Conseil de l’UE pour une année donnée à hauteur du minimum entre i) la variation des dépenses de défense de l’année en cours par rapport à 2021 rapportée au PIB, et ii) 1,5 point de PIB (voir Commission européenne (2025b),Commission européenne (2025c),Conseil européen (2025a)).

Sous l’hypothèse que les États membres augmenteraient linéairement leurs dépenses de défense à hauteur de 1,5 point de PIB en moyenne d’ici à 2028 (ce qui correspond à une augmentation annuelle de 269 milliards d’euros à l’échelle européenne en 2028), la Commission estime que la dépense militaire cumulée supplémentaire sur 2025-2028 serait de 650 milliards d’euros sur quatre ans (graphique 11.3).

Graphique 11.3. Hausse supposée des dépenses militaires dans l’UE depuis l’annonce du plan ReArm Europe/Préparation à l’horizon 2030

Cette mesure pourrait bénéficier à tous les pays membres, notamment aux pays sous procédure pour déficits excessifs dont la France, dont les marges de manœuvre budgétaire sont très faibles. Elle augmentera la marge de manœuvre budgétaire des « bons élèves » avant qu’ils ne fassent l’objet d’une procédure concernant les déficits excessifs (e.g., l’Allemagne, l’Espagne) et des « mauvais élèves » (e.g., la France, l’Italie) avant qu’ils n’aient à fournir des efforts budgétaires supplémentaires. La définition des dépenses de défense prises en compte reste à préciser mais un calcul rapide nous permet d’évaluer celles de la France à 0,4 point de PIB en 2025 par rapport à l’objectif fixé(a). On imagine tout de même mal des pays comme la France ou l’Italie considérer s’écarter de l’objectif fixé (encore moins à hauteur d’1,5 point de PIB) au risque de voir leur note être dégradée par les agences de notation, et la prime de risque sur la dette s’envoler.

Le deuxième volet du plan prévoit une enveloppe totale de 150 milliards d’euros de prêts aux Etats membres, désignée par l’acronyme SAFE (Security Action For Europe), financée par la Commission européenne grâce à l’émission d’obligations ou à des emprunts auprès d’institutions financières. Les termes des prêts devraient être avantageux mais les conditions d’éligibilité sont restrictives. Par exemple, les prêts devront être utilisés pour financer des acquisitions dans les domaines de défense prioritaires(b). D’autre part, les demandes devront être adressées aux industries des pays membres de l’UE, de l’Ukraine, et des pays membres de l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) qui font également partie de l’Espace Économique Européen (EEE)(c), et les composantes des produits acquis devront provenir de ces pays (à hauteur d’au moins 65% du coût total des composantes). A noter que cette liste (non-exhaustive) de critères pourra être étendue aux « pays partageant les même valeurs » (e.g., les pays en voie d’adhésion, candidats, candidats potentiels) et aux pays ayant signé un partenariat de sécurité et de défense avec l’UE comme le Japon par exemple (voir Commission européenne (2025b),Conseil européen (2025b),Conseil européen (2025a)).

Graphique 11.4. Dépenses publiques de défense des pays UE-OTAN (+ Royaume-Uni) (2024)

Les critères d’éligibilité de cette facilité de prêt semblent assez contraignants pour des pays comme l’Italie par exemple, dont la quasi-totalité des importations d’armes provient des Etats-Unis (graphique 11.5). Par ailleurs, elle devrait entraîner une réallocation de la demande vers les pays du groupe UE-Ukraine-AELE/EEE qui ont déjà une industrie de la défense importante et spécialisée dans les domaines ciblés. Cela pourrait profiter à des pays comme la France et la Suède dont le ratio dépenses publiques de défense sur PIB est légèrement au-dessus de la moyenne de l’UE(d) (graphique 11.4) et qui importent peu d’armes (graphique 11.5). A noter cependant que la mesure des importations dans les données du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) est basée sur les coûts de production d’un ensemble d’armes de base, et vise à représenter le transfert de ressources militaires plutôt que sa valeur marchande(e).

Graphique 11.5. Importations d’armes des pays européens sur la période 2020-2024
  1. Le budget de la défense hors pensions s’élève à 39,2 et 50,5 milliards d’euros en 2021 et 2025 respectivement, soit une hausse de 0,4 point de PIB. Le déficit public toléré via l’activation de la clause dérogatoire pourrait donc s’élever à 5,8 points de PIB au lieu des 5,4 approuvés précédemment par le Conseil.
  2. Défense aérienne et antimissile, systèmes d’artillerie, munitions et missiles, drones et systèmes anti drones, mobilité militaire, intelligence artificielle, intelligence quantique, cyberdéfense, guerre électronique, capacités stratégiques et protection des infrastructures critiques
  3. Le groupe de pays membres de l’AELE et de l’EEE inclue l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
  4. Les dépenses de défense totales des pays de l’UE s’élevaient à environ 1,9 point du PIB de l’UE en 2024 d’après l’Agence européenne de défense.
  5. Le SIPRI mesure les transferts internationaux d’armes en TIV (Trend Indicator Value), une unité de mesure qui reflète le coût de production des transferts. Si le prix de vente s’écarte significativement du coût de production, alors la valeur des imports d’armes pourrait être bien plus importante que celle suggérée sur le graphique 11.5.