Espagne: vers un atterrissage en douceur

conjoncture
Espagne
Europe
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Christine Rifflart
Publié le

21 octobre 2024

Modifié le

11 décembre 2024

Graphique 1. Espagne, principaux indicateurs économiques

Avec une croissance à 2,7 % en 2023 et un très bon premier semestre 2024, l’économie espagnole affiche un dynamisme qui contraste avec les faibles performances observées dans les autres principaux pays de la zone euro. A la mi 2024, le PIB dépasse le niveau qu’il avait fin 2019 de 5,8 %, soit comme en Italie (5,5 %), et plus qu’en France (3,7 %) et surtout en Allemagne (0 %). Il est revenu au niveau de son PIB potentiel. La croissance devrait baisser progressivement à partir du deuxième semestre 2024. Compte tenu d’un fort effet d’acquis en milieu d’année, la croissance serait à 2,9 % sur l’ensemble de l’année, plus élevée qu’en 2023. Elle baisserait à 2,2 % en 2025. Les tensions inflationnistes devraient être un peu plus marquées que dans le reste de l’UE. L’inflation atteindrait 2,4 % fin 2025.

1 La dynamique perdure, envers et contre tous

Au cours des six derniers trimestres, et à la différence des autres grands pays de la zone euro, la croissance espagnole est restée vive. Après la phase de rebond qui a suivi la crise Covid de 2020, l’activité s’est ralentie sensiblement dans plusieurs pays alors qu’elle continuait sur sa lancée en Espagne. Ainsi, au deuxième trimestre 2024, le PIB a progressé de -0,2 %, 1,7 % et 0,7 % en Allemagne, en France et en Italie respectivement par rapport à fin 2022 et de 4,1 % en Espagne. Comme le montre le graphique 2, la différence s’explique par le dynamisme de toutes les composantes de la demande intérieure hors variations de stocks en Espagne, mais surtout de la consommation des ménages et de la consommation publique. À l’opposé de la France et de l’Allemagne, l’investissement a joué positivement, moins qu’en Italie cependant. En revanche, à la différence des autres pays cités, le commerce extérieur a été neutre sur la croissance espagnole pendant cette période (malgré des exportations plus dynamiques qu’ailleurs) alors qu’il a largement contribué à la croissance dans les 3 autres pays. Enfin, les variations de stocks ont joué négativement et avec une ampleur assez proche dans 3 pays. Malgré ces bonnes performances espagnoles sur la période récente, il n’en reste pas moins que, au deuxième trimestre 2024, la consommation des ménages est (seulement) de 1,5 % supérieure à son niveau de fin 2019 (3 % pour la France), la consommation publique de 17 % (7,5 % pour la France) tandis que l’investissement est au même niveau (1,5 %).

Graphique 2. Contributions des composantes de la demande à la croissance du PIB pour les 4 grands pays de la zone euro entre T4 2022 et le T2 2024

Après un rythme presque régulier de 0,7 % par trimestre en 2023, la croissance espagnole atteint 0,9 % puis 0,8 % sur les deux premiers trimestres 2024. Elle continue d’être assez équilibrée, tirée par toutes les composantes de la demande. Il faut dire que la consommation des ménages est assise sur des revenus toujours bien orientés. Au premier trimestre, soutenu par les revenus du travail et des revenus financiers exceptionnels (dont la propension à consommer est assez faible), le RDB réel augmente de 3,7 % et le taux d’épargne de 2,7 points (pour atteindre un pic à 14,7 % du RDB). Au deuxième trimestre, le revenu chute de 2 %, en lien avec une hausse des cotisations sociales et surtout des impôts et une masse salariale qui stagne. Le retour du taux d’épargne vers sa moyenne de 2023 permet de lisser la consommation sur ce premier semestre. Celle-ci s’accroît de 0,5 % puis 1 % sur chacun des deux premiers trimestres.

Sur le marché du travail, les créations d’emploi restent dynamiques, l’emploi progresse à un rythme de 0,4 % par trimestre. Et malgré une population en âge de travailler qui s’accélère fortement depuis plusieurs années (1,5 % sur un an depuis fin 2021), comme la population active (1,7 % sur la période), le taux d’emploi reste stable. Le taux de chômage lui continue de se contracter jusqu’à 11,3 % au deuxième trimestre, niveau jamais atteint depuis 2008. Pour autant et malgré des niveaux de prix élevés, on n’observe pas d’accélération des salaires nominaux. La hausse du salaire par tête se poursuit à un rythme plus modéré que l’an passé, +4,5 % sur un an au deuxième trimestre après 5,9 % un an plus tôt (4,4 % après 9,2 % pour le salaire horaire). Le salaire réel est stable en rythme annuel. Sur la période récente, le dynamisme de la consommation est donc davantage porté par les créations d’emploi que par la hausse des salaires réels par tête.

L’investissement logement reste faible, les ménages ayant sensiblement réduit leurs opérations nettes d’achat immobilier depuis la remontée des taux d’intérêt. Cette situation a néanmoins permis aux ménages de se désendetter. La dette hypothécaire ne représente plus que 45,4 % du PIB après 56,5 % fin 2019 (et un pic à 85 % en 2009). Elle a retrouvé son niveau de 2001 avant l’envolée de la spéculation immobilière. Malgré tout, le marché reste tendu (voir documentos occasionales, BE). Face à une demande tirée par la croissance démographique et la population non-résidente, l’offre de logement reste insuffisante. Les prix accélèrent et depuis le début de 2023, augmentent plus vite que l’inflation (+ 7,8 % en nominal au deuxième trimestre 2024, dont 11,2 % dans le neuf et +7,3 % dans l’ancien, après +3,6 % fin 2023 sur un an). En termes réels, les prix de l’immobilier rapportés à l’IPC, viennent de dépasser leur niveau de 2019 mais sont nettement plus bas qu’en 2007, contrairement aux autres pays européens.

Dans les entreprises, la situation est un peu moins favorable, le taux de marge étant en retrait par rapport à la période pré Covid. Au deuxième trimestre 2024, la productivité par tête reste dégradée mais l’ajustement sur la durée du travail (-3 % par rapport à 2019) a permis à la productivité horaire de corriger son déficit. Dans le secteur marchand, la productivité horaire a retrouvé sa tendance passée (0,6 % en rythme annuel), le cycle s’est refermé au premier semestre 2024. Coté salaires, le salaire horaire réel est stable depuis le début de l’année 2023. Pour autant, il est plus élevé qu’avant la crise Covid et le taux de marge des entreprises reste dégradé malgré un redressement très net depuis 2021. Il est actuellement inférieur à son niveau de 2019, déjà en retrait par rapport à sa moyenne de long terme, l’économie espagnole étant cette année-là en haut de son cycle conjoncturel. Malgré le rôle de l’investissement dans la croissance de ces dernières années, son taux n’a toujours pas redémarré. Il est vrai que dans l’industrie notamment, le taux d’utilisation des capacités de production reste en dessous de sa moyenne de long terme. En valeur, le taux d’investissement continue de baisser à un niveau inférieur à celui enregistré pendant la crise de 2008 et surtout pendant la crise de la zone euro. La vigueur de l’activité s’accompagne toutefois d’une forte hausse des créations d’entreprises depuis le début 2023 et d’une baisse des défaillances.

Coté prix, l’inflation a cessé de baisser depuis un an. Après un point bas à 2,8 % au deuxième trimestre 2023, elle atteint 3,6 % à la mi 2024, soit un rythme désormais plus élevé que chez les partenaires européens. Cette légère remontée s’explique par la hausse sur un an de 6,3 % des prix de l’énergie après une chute de 20 % il y a un an. La légère remontée des prix du Brent au deuxième trimestre s’est reportée sur le prix des carburants mais c’est surtout la levée progressive des allègements de taxes et impôts sur les prix du gaz et de l’électricité tout au long du premier semestre qui a renchéri les prix de l’énergie pour les ménages. Les autres composantes continuent de ralentir (graphique 3). L’inflation sur le prix des biens alimentaires est passée de 11,3 % à 4,4 % en un an et l’inflation sous-jacente de 3,9 % à 2,9 % sur la même période.

Graphique 3. Composantes de l’IPCH à l’horizon 2025

2 Des indicateurs de court terme bien orientés ; l’emploi ralentit

Les indicateurs disponibles au moment de la réalisation de la prévision laissent entrevoir un troisième trimestre encore dynamique, que nous inscrivons à 0,7 %.

Selon les enquêtes, l’indicateur du sentiment économique général augmente plus rapidement depuis le début de l’année et surtout depuis cet été. En septembre, il est revenu au niveau d’avant crise, sur sa moyenne de long terme.

Du coté des ménages, le climat de confiance bien qu’encore très inférieur à son niveau de 2019, se redresse depuis un an. Les immatriculations de voitures neuves sont stables au troisième trimestre et les ventes au détail, en hausse sur les deux premiers mois connus du trimestre. Le nombre de chômeurs continue de baisser et le taux de chômage stable en 2023, a repris son mouvement baissier pour atteindre 11,3 % en septembre (après 12 % en septembre 2023).

Concernant l’activité des entreprises, les indicateurs sont plus mitigés. Les enquêtes s’améliorent, notamment dans l’industrie malgré un indice de production qui recule légèrement au deuxième trimestre et sur les deux premiers mois du troisième. L’indicateur de confiance, en hausse sur les huit premiers mois de 2024, et surtout pendant l’été, dépasse en septembre son niveau de 2019 et retrouve sa moyenne de long terme. Ceci est à mettre en lien avec la remontée des carnets de commande jusqu’en juin. Ceux-ci baissent toutefois sur les trois mois d’été. Le taux d’utilisation des capacités augmente légèrement mais ne montre pas de tensions. Dans les services, l’indicateur de confiance reste stable, toujours très au-dessus de sa moyenne de long terme, et les réponses des directeurs d’achat, très au-dessus de la barre des 50. Dans la construction, malgré une activité déprimée et une forte volatilité, l’indicateur de confiance est positif. Les permis de construire et les prix de l’immobilier sont toujours orientés à la hausse (8,7 % sur un an pour les prix).

Pour autant, l’emploi ralentit au vu de l’évolution du nombre de nouveaux affiliés à la Sécurité sociale depuis le mois de juin. De même que les avancées salariales conclues dans le cadre de conventions collectives ou d’entreprises, sont de 3,0 % sur un an en cumulé sur les 9 premiers mois de l’année, après 3,4 % sur la même période de 2023. Les nouveaux accords signés en 2024 sont de 3,9 %, après 4,3 % pour ceux signés en 2023 et 2,9 % en 2022.

Côté prix, la détente se confirme au troisième trimestre. L’IPCH, très volatile, a baissé par rapport au deuxième trimestre, portant à 2,6 % l’inflation sur un an. La baisse de l’indice global s’explique par le retournement du prix des produits énergétiques et pour la première fois des biens alimentaires sur les mois de juillet et août (dernier mois connu du trimestre). Ces deux composantes exclues, l’indice sous-jacent marque une pause. L’inflation de ces trois composantes sur les deux mois du trimestre est de respectivement 0,5 %, 3 % et 2,8 %.  

Autre source d’informations, l’indicateur de PIB en temps réel calculé par l’AireF1 sur la base de 10 indicateurs évalue à 0,8 % la croissance au troisième trimestre. Au moment de la rédaction, l’indicateur s’appuie sur plus de 80 % des données utilisées dans le modèle. Les principaux soutiens à la croissance sont la consommation d’énergie électrique, l’indice PMI dans les services, les ventes dans les grandes entreprises. A l’inverse, les importations de biens pèsent sur la croissance.

1 Autoridad Independiente de Responsabilidad Fiscal est une agence indépendante en charge de garantir la soutenabilité des finances publiques en Espagne.

Dans ce contexte, nous prévoyons une croissance à 0,7 % au troisième trimestre. La consommation des ménages ralentirait à 0,6 % et la consommation publique à 1 %. L’investissement des ménages et des entreprises accélérerait, nourrissant aussi un besoin accru en produits importés. La contribution du commerce extérieur deviendrait nulle.

3 Des politiques économiques neutres en 2025

A l’horizon de fin 2025, nous prévoyons un atterrissage en douceur de l’économie espagnole sur fonds de neutralité des politiques économiques.

3.1 Un budget 2025 à nouveau bloqué !

De 4,7 % fin 2022, le déficit public a terminé l’année 2023 à 3,5 % du PIB (pour un objectif à 3,9 %), avec selon nos calculs, une impulsion négative de 0,6 point. Au deuxième trimestre 2024, le déficit sur un an se situe à 3,3 % et la dette, à 105,3 % du PIB. Dans la trajectoire de finances publiques présentée par le gouvernement en juillet dernier (mais non adoptée), l’objectif de déficit pour 2024 est maintenu à 3 % et durci à 2,5 % pour 2025, après 2,7 % inscrit dans le Programme de stabilité 2023-2026 (l’objectif pour 2026 a aussi été durci de 2,5 % du PIB à 2,1 % et vise 1,8 % en 2027).

Faute de majorité au Congrès en 2023, le projet de loi de finances pour 2024 n’avait pu être voté. Le budget 2023 a donc été prorogé pour la gestion des affaires courantes, les nouvelles mesures discrétionnaires ayant été adoptées par le biais de Décrets-lois royaux (Real Decreto Ley). On suppose que l’objectif de déficit sera atteint en 2024, avec l’amélioration du solde conjoncturel et l’absence de nouvelles mesures. Le budget devrait être neutre sur l’année du point de vue de l’impulsion budgétaire.

Le principal décret-loi adopté en 2024 est celui du 25 juin (RDL 4/2024) qui a validé certaines mesures anti-inflationnistes déjà annoncées et prolongé d’autres. Avec la baisse des cours de l’énergie en 2023, les allègements de taxes sur le prix de l’énergie ont donc pris fin au 1er juillet dernier2. Par contre, les mesures sur le prix des biens alimentaires ont été prorogées sur le deuxième semestre avec un retour progressif à la normale au plus tard, au 1er janvier 2025. Ainsi, la TVA au taux ultra réduit de 0 % sur les produits de première nécessité et l’huile d’olive et de 5 % sur les pâtes et autres huiles devra repasser d’ici décembre 2024 à respectivement 2 % et 7,5 %. À partir de janvier 2025, tous ces produits retrouveront leur niveau antérieur de TVA de 4 % et 10 % (l’huile d’olive restant au taux ultra réduit de 4 %). Ce retour à la normale aurait un impact de 1,2 point sur les prix des biens alimentaires au cours des deux prochains trimestres (soit +0,1 et +0,3 point sur l’inflation totale aux quatrième trimestre 2024 et premier 2025). Au-delà de ces hausses de rentrées fiscales, le budget 2024 est également marqué par les décisions adoptées dans les budgets antérieurs, notamment les impôts temporaires sur les secteurs de l’énergie et de la finance mis en place fin 2022 dans le cadre des mesures exceptionnelles pour répondre à l’impact économique de la guerre en Ukraine et de la hausse des prix. Ces impôts prévus sur 2023 et 2024, pourraient être ajustés et pérennisés, selon l’accord de coalition du gouvernement. Selon le ministère des Comptes publics, le recouvrement de ces deux impôts extraordinaires rapporterait à l’État 2,9 milliards d’euros, dont 1,7 venant du secteur de la finance, et 1,2 des grandes entreprises de l’énergie. Des allègements d’impôts avaient par ailleurs été actés via notamment la réforme de l’IRPP avec la hausse du seuil d’exemption fiscale au niveau du SMIC annuel (5,2 millions de bénéficiaires). Dans la fonction publique, l’Accord pour une administration du XXI ième siècle conclu en 2022 prévoit une hausse du salaire des fonctionnaires de 2 % avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024 (plus de 3 millions de personnes concernées) et aboutir à une hausse cumulée de près de 10 % des salaires depuis 2022.

2 La taxe sur la production d’électricité est passée de 0 % fin 2023 à 3,5% au premier trimestre et à 5,25% au deuxième trimestre avant de revenir au taux normal de 7% en juillet. L’Impôt spécial sur l’électricité a été relevé de 0,5 % à 2,5% au premier trimestre puis 3,8% au deuxième trimestre avant de revenir au taux normal de 5,11% en juillet. La TVA sur le gaz et l’électricité a été ramenée en janvier de 5 à 10 % puis en mars, à 21 % (le prix moyen sur le marché de gros étant inférieur au seuil de 45€/MWh). Le gel sur le prix de butane a pris fin, la bombonne passant de 12,5 à 19,55 €.

L’histoire budgétaire espagnol se répète sur 2025. Comme en 2019, 2020 et 2024, le Budget 2025 a, cette année encore, peu de chance d’être adopté. Réinvesti en novembre 2023 avec le soutien du parti Socialiste, de l’alliance d’extrême gauche Sumar et des partis indépendantistes basques et catalans, le Président du gouvernement Pedro Sanchez a du mal à asseoir une majorité stable à l’Assemblée. En juillet 2024, le Congrès des députés a rejeté le plafond de dépenses et la trajectoire de finances publiques et en septembre, le gouvernement a repoussé la présentation du budget à une date encore non définie, mais en décalage sur le planning présenté à la Commission européenne. Faute d’accord, c’est à nouveau sur la base du budget 2023 que le budget 2025 sera géré. Pour l’heure, les propositions du gouvernement visent à durcir les objectifs pour ramener le déficit à 2,5 %, la dette à 103,6 % en 2025 et à respecter l’Accord sur les Objectifs de stabilité en plafonnant la hausse des dépenses à la croissance nominale du PIB. On suppose ici que l’objectif de déficit peut être atteint avec une impulsion budgétaire neutre.

3.2 La politique monétaire restrictive en 2024 et neutre en 2025

Après la hausse des taux directeur à la mi 2022 et leur maintien à 4,5 %, la BCE a commencé à relâcher la pression en septembre dernier. La détente devrait se poursuivre d’ici à la fin de l’année et se prolonger en 2025. Fin 2025, nous prévoyons que le taux directeur sera ramené à 2,25 %. En reprenant la variante de la Banque d’Espagne, l’impact cumulé des hausses passées et des baisses en cours et à venir sur le niveau du PIB, serait de -0,35 point en 2024 et nul en 2025.

4 Ralentissement en vue sans surchauffe inflationniste

Après 0,7 % puis 0,6 % au troisième et quatrième trimestres 2024, la croissance trimestrielle devrait baisser à un rythme de 0,4 % au deuxième semestre 2025. Et si la croissance annuelle de 2024 (2,9 %) apparaît plus élevée que celle de 2023 (2,7 %), c’est en raison d’un effet d’acquis de 2,4 point de croissance au milieu d’année. Fin 2025, la croissance sur un an serait de 1,9 %, contre 3,1 % au deuxième trimestre 2024.

L’écart de croissance, nul en 2023, serait positif dans les 2 années à venir (autour de 2,5 points de PIB potentiel en 2025, sur la base du PIB potentiel de l’OCDE). Son cycle étant refermé, la productivité dans l’ensemble de l’économie devrait rester très proche de sa tendance. Le taux de chômage arrêterait de baisser. Il pourrait même réaugmenter si la population active continue de croître au niveau actuel mais nous faisons l’hypothèse qu’elle ralentirait d’un rythme de 2,1 % en 2023 à 1,4 % en 2024 et 1 % en 2025. Il resterait à un niveau relativement bas, sans entraîner de tensions fortes sur les salaires. Même si l’inflation salariale semble maîtrisée, l’inflation sera néanmoins légèrement supérieure à celle des autres pays du fait des écarts de conjoncture (2,4 % fin 2025).

Le ralentissement devrait intervenir progressivement, notamment avec le retrait du commerce extérieur comme soutien à la croissance. La demande intérieure resterait ferme, soutenue notamment par la consommation des ménages et l’investissement. A l’horizon 2025, l’emploi devrait continuer de progresser mais sur un rythme inférieur à celui du PIB. Mais le léger rattrapage de la durée du travail en 2025, après le décrochage observé depuis 2019, maintiendrait la hausse de la productivité horaire autour de sa tendance. Simultanément, nous ne prévoyons pas de dérapage des salaires nominaux mais plutôt la poursuite du ralentissement à 3,2 % pour le salaire horaire. Les salaires réels devraient rester stables en 2024 et augmenter légèrement en 2025. Cette légère accélération du salaire horaire réel au-delà de la tendance de la productivité horaire conduirait à une légère baisse du taux de marge dans les entreprises en 2025. Le RDB réel des ménages ralentirait à partir du second semestre 2024, du fait du ralentissement de l’emploi et des revenus exceptionnels tirés des placements financiers et immobiliers. Soutenue par la baisse du taux d’épargne, la consommation des ménages pourrait rester sur des rythmes de 0,6 - 0,5 % par trimestre jusqu’à la fin de 2025.

Mais surtout on fait l’hypothèse que le cycle d’investissement se mettra en place à partir du deuxième semestre 2024, stimulé à la fois par des taux d’intérêt à la baisse, une demande finale soutenue et des financements européens qui devraient commencer à se concrétiser sur le terrain (encadré 1). Jusqu’alors l’investissement est resté en retrait de la croissance. Nous supposons que le taux d’investissement en volume repartira à la hausse dès le troisième trimestre 2024. Encouragé par la baisse des taux d’intérêt, une demande de logements non satisfaite et des besoins en rénovation du parc immobilier financés par les fonds européens, l’investissement logement devrait consolider sa reprise et terminer 2025 sur un rythme de 3 % l’an. De même, l’investissement public et privé devrait être se raffermir dans les secteurs des nouvelles technologies, l’environnement, les infrastructures, … encouragés par le déblocage des subventions européennes (graphique 4).

Graphique 4. Taux d’investissement des entreprises

A l’opposé, le plus fort contenu en biens intermédiaire de l’investissement devrait stimuler les importations de marchandises. Le taux de pénétration devrait repartir à la hausse. Les exportations devraient pâtir de prix relatifs moins compétitifs sur les marchés étrangers, les parts de marché devraient s’en trouvées réduites. La contribution du commerce extérieur deviendrait neutre au deuxième semestre 2024 puis négative en 2025.


À l’horizon 2025, notre prévision de croissance est basée sur la consolidation de la demande intérieure, et notamment de l’investissement privé et public. L’Espagne reçoit depuis 2021 des financements européens dans le cadre du plan de relance et d’investissement Next Generation European Union (NGEU) mis en place dès 2020 par la Commission européenne à la suite de la crise Covid. Ces fonds sont un soutien opportun à l’investissement. Sur la base de plusieurs travaux, il ressort que l’effet a déjà commencé à se produire en 2022 et 2023 et sera maximal en 2024-2025.

Pour rappel, le Plan NGEU dispose d’un fonds de 730 milliards d’euros sur une période de 6 ans (2021-2026), dont 648 milliards via la Facilité pour la Reprise et la Résilience (FRR) et 83,1 milliards au titre des programmes européens plus ciblés. Alloué sous la forme de subventions et de prêts aux États membres, le Plan s’articule avec les plans de relance nationaux présentés à la Commission européenne par chaque gouvernement (Plan de Recuperación, Transformación y Resiliencia (PRTR) pour l’Espagne3). La répartition des fonds européens dépend de plusieurs critères : 70 % est lié à la population du pays, au PIB par habitant, au taux de chômage sur la période 2015-2019 ; les 30 % restant dépendent de l’ampleur de la crise économique durant la pandémie de 2020-2021.

L’Espagne dans le plan NGEU

Souffrant d’un taux de chômage particulièrement élevé depuis la crise financière de 2008 (17,7 % en moyenne sur la période 2015-2019) et ayant connu la plus forte chute du PIB en 2020 (-8,3 % en 2020-21 par rapport à 2019), l’Espagne reçoit un financement important de l’Europe : 163 milliards d’euros, dont 80 milliards en subventions4 (6,6 % du PIB de 2021) et 83 milliards en prêts (6,8 % du PIB 2021)5. Ce montant, le plus important auquel l’Espagne avait droit6, fait que l’Espagne est le deuxième pays récipiendaire du plan européen, après l’Italie (194,4 milliards) et le premier pays dans la composante subventions.

Ces aides sont conditionnées à la réalisation d’objectifs examinés par la Commission européenne avant chaque déblocage de fonds. L’Espagne s’est engagée à mettre en place des mesures avec 140 cibles d’investissement et plus de 110 réformes (marché du travail, retraites, protection sociale, fiscale, logement, éducation). Les axes visés sont la transition écologique (40 % des aides), la digitalisation de l’économie (26 %), cohésion sociale et territoriale (22 %), et lutte contre les inégalités de genre.

Le déblocage des fonds

De 2021 à l’été 2024, l’Espagne a reçu 48,3 milliards de l’Europe (la quatrième tranche de 9,9 milliards ayant été versée le 27 juillet7), soit 60 % des 80 milliards attendus (l’Italie a reçu 44,7 milliards, et la France 30,9 milliards) et 30 % des 163 milliards prévus. À la différence d’autres pays, le pays a privilégié le déblocage des subventions et ne va recourir à la demande de prêts qu’à partir du deuxième semestre 2024. Avant la fin de l’année, l’Espagne devrait recevoir une première tranche de prêts de 3,4 milliards du fonds de résilience régionale qui sera gérée par la BEI. C’est le début de la mobilisation des 83 milliards d’aides financières restants. En contrepartie, la CE a validé 30 % du total des jalons et objectifs posés (voir The Reforms component of Spain’s Recovery Plan, Fedea).

L’impact macroéconomique des investissements financés par le plan de relance sera maximal en 2024-2025

Plusieurs estimations de l’impact de NGEU sur l’économie espagnoles ont été réalisées sur la base du planning de déblocage des fonds prévus, dont celle du gouvernement espagnol, reprise dans le PLF révisé 2024 présenté à Bruxelles. Selon cette estimation actualisée avec la révision de 2023 et qui prend en compte l’ensemble des financements du NGEU (transferts et à partir de 2025, prêts), le niveau du PIB serait relevé de 1,2 point en moyenne par an sur la période 2021-2031, et de 1,7 point en fin de période (graphique). Les investissements expliqueraient plus d’un tiers de cette hausse, avec un point haut en 2024 à 1,7 point et 1,2 en 2025, après 1,5 point en 2023, sachant que sur la période 2021-24, seuls les transferts ont été utilisés.

Deux autres mesures d’impact ont été réalisées par la Banque d’Espagne, la première reprise dans le scénario central des prévisions macroéconomiques. Selon la Banque, l’impact des investissements associés au PNRR sur le PIB serait moindre : +0,2 point en 2021, +0,4 point en 2022, +0,7 point en 2023, +1 point en 2024. L’impact maximal aura lieu en 2025-2026. L’autre estimation publiée dans un document de travail en 2024 montre que les fonds NGEU augmenteraient le PIB entre 0,9 et 1,4 point à l’horizon 2028 selon deux hypothèses sur l’efficacité du capital public. L’impact sur la croissance du PIB serait en moyenne assez stable entre 2021 et 2026, compris entre 0,11 et 0,17 % selon ces hypothèses, avec un maximum en 2025 entre 0,11 et 0,19. L’impact sera nul au-delà de 2028.

En résumé, selon les modèles, l’impact des investissements et principalement des transferts sur le niveau du PIB serait maximal autour de 2025 (2028 pour le DT). Sur la croissance du PIB, l’impact serait maximal entre 2024 et 2025.

Ces estimations supposent au moins deux choses : les décaissements suivent le calendrier établi avec la CE ; ces décaissements sont investis rapidement auprès des bénéficiaires sur le terrain. Or, une note du 4 septembre souligne que moins d’un tiers des 730 milliards d’euros avait été décaissés fin 2023 alors que le dispositif expire le 30 août 2026, dans moins de 2 ans. Dans le cas de l’Espagne, 80 % des demandes de paiements prévues avant fin 2023 avaient bien été réalisées (pour 70 % en moyenne pour l’UE) mais avec un peu de retard par rapport au timing initial lié à des circonstances extérieures et à la sous-estimation du temps nécessaire aux réformes. Par exemple, selon un Rapport de la cour des comptes européenne d’avril 2024, en Espagne, la cible intermédiaire consistant à rénover 231 000 logements résidentiels pour la fin 2023 a été retardée du fait de l’inflation et la forte hausse des prix des matières premières. Lors de la procédure de modification de son PRTR, l’Espagne a par conséquent proposé de reporter d’un an l’échéance de la cible intermédiaire, mais aussi de revoir à la baisse le nombre total de logements à rénover dans le cadre de la mesure envisagée, en le faisant passer de 510 000 à 410 000. Après évaluation, la Commission a accepté les deux propositions. Comme pour d’autres pays, l’Espagne a bénéficié de la révision de certaines cibles à la baisse et du report du délai d’achèvement de certaines mesures.

La CE semblerait donc assez accommodante. Pour autant, l’Espagne apparaît plutôt comme un bon élève. Les délais de la procédure sont inférieurs à 200 jours (moins que pour la France et l’Italie) et fin 2023, 46 % des fonds de la FRR ont été décaissés et 29 % des jalons et des cibles, atteints alors que dans l’UE en moyenne, les chiffres sont de respectivement 37 % et 19 %.

Dans ce contexte, nous intégrons dans notre prévision une montée en puissance de l’impact direct et indirect du fonds NGEU sur l’investissement public et privé en 2024 et surtout en 2025.

7 9 milliards au titre de préfinancement en août 2021, 10 milliards en décembre 2021 au titre du premier versement semestriel, 12 milliards en juillet 2022 au titre du deuxième versement semestriel, 6 milliards en mars 2023 au titre du troisième versement semestriel, 1,4 milliard en février 2024 au titre du préfinancement du plan révisé et désormais 9,9 milliards au titre du quatrième versement.

6 13 pays avaient déposé une demande de prêts avant la date butoir de décembre 2023. L’Espagne a demandé le maximum, la France, elle, n’a pas fait de demande.

5 L’Espagne a demandé le maximum de prêts. La France n’a pas déposé de demande de prêts.

4 Dans la version initiale, les subventions atteignaient 69,5 + 10,3 milliards dans l’Addendum en juin 2023 (7,7 milliards de la FRR et 2,6 milliards de RepowerEU).

3 En juin 2023, la Commission a autorisé les Etats membres à inclure un châpitre RePowerEU aux plans nationaux. Doté d’une enveloppe de 20 milliards d’euros, celui-ci vise à se passer du gaz, du pétrole et du charbon en provenance de Russie d’ici à 2027. Les plans nationaux ont été réactualisés à cette occasion. La première version avait été présentée en 2021. Le plan inclut 212 mesures dont 110 concernant l’investissement et 102 réformes sur la période 2021-2023.