Pays émergents d’Asie (hors Chine) et d’Amérique latine

conjoncture
pays émergents
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Amel Falah
Christine Rifflart
Publié le

28 octobre 2024

Modifié le

11 décembre 2024

En 2023, la croissance des économie émergentes et en développement s’est maintenue à 4 % avec de fortes disparités régionales. Après une année 2022 à 3 %, l’activité chinoise a rebondi à un rythme de 5,2 % tandis que celle dans le reste de l’Asie continuait de progresser autour de 5,4 %. A l’inverse, l’Amérique latine a vu sa croissance divisée de moitié, à 1,9 % en moyenne cette année-là. En 2024 et 2025, la croissance de cette partie du monde baisserait légèrement, principalement entrainée par la Chine. Le reste de l’Asie résisterait plutôt bien avec une croissance autour de 5 %. En Amérique latine, la dégradation à 1,1 % en 2024 puis 1,9 % en 2025 est surtout imputable à deux grandes économies de la région (Argentine, Mexique), la situation dans les autres économies s’améliorant.

Globalement, la croissance en Asie hors Chine est restée relativement dynamique et le restera en 2024 et 2025. Toutefois, malgré cette performance, le PIB de l’Asie hors Chine n’est pas revenu au niveau qu’il aurait eu si la croissance depuis 2020 s’était maintenue sur sa tendance pré Covid. C’est le cas pour la Corée du sud, et surtout Hong Kong qui accuse un net retard, mais aussi les pays du groupe des tigres (Malaisie, philippines, Thaïlande, …). Même l’Inde malgré un dynamisme qui se poursuit, reste légèrement en deçà. En Amérique latine, le PIB régional aurait dépassé ce niveau, porté par les bonnes performances du Brésil et de la Colombie, les autres pays n’ayant pas encore effacé les effets des crises récentes (graphique 1) .

Graphique 1. PIB des BRICS

A l’exception de quelques pays en crise (Argentine, Venezuela), l’inflation a reflué partout dès 2023. En Asie, elle est revenue à l’intérieur de la bande définie par les banques centrales dans le cadre de leur politique d’inflation targetting mais reste encore très supérieure en Amérique latine. Malgré tout, ce reflux a permis la baisse des taux d’intérêt nominaux en Amérique latine (le dernier pays à l’avoir fait étant le Mexique en début d’année). En Asie par contre, le mouvement vient seulement de commencer (Indonésie et Philippines), en ligne avec la détente des taux aux États-Unis. La politique monétaire y est malgré tout peu restrictive, voire neutre, à la différence de l’Amérique latine où les taux réels restent très élevés.

Dans ce contexte, les perspectives pour 2024 et 2025 restent contraintes à la fois par des facteurs internes et externes. Sur le plan intérieur, les politiques monétaires resteront contraintes par le risque d’une reprise inflationnistes, notamment en Amérique latine. La baisse prévue des taux d’intérêt aux États-Unis relâchera la pression sur les taux de change face au dollar et permettra aussi aux banques centrales de baisser les taux. Pour l’heure, la volatilité sur le marché des changes est forte mais les monnaies sont plutôt bien positionnées en termes de compétitivité. Sur le plan externe, la conjoncture internationale n’est guère porteuse. La baisse de la croissance aux États-Unis et en Chine devrait affecter les exportations des pays émergents qui réalisent pour beaucoup d’entre eux près de 40 % de leurs exportations avec ces deux grands pays (près de 90 % pour le Mexique et 55 % pour le Chili) (graphique 2). Par ailleurs, la stratégie offensive de la Chine qui s’appuie sur des prix faibles pour gagner des parts de marché sur les marchés tiers devrait se poursuivre, au détriment de ses concurrents. Enfin, après la flambée de 2021-2022, les prix des matières premières sont revenus à des niveaux plus modérés et devraient le rester, ce qui est favorables aux pays importateurs (principalement d’Asie) mais défavorables aux pays exportateurs (principalement d’Amérique latine).

Graphique 2. Part des exportations vers la Chine et les Etats-Unis en 2021

1 Asie : La dynamique de croissance est toujours là

Si l’Asie a connu un ralentissement de l’activité en 2023, celle-ci devrait s’accélérer en 2024.

En 2023, le PIB a augmenté de 3,4 % en rythme annuel en Asie, en ralentissement par rapport à l’année précédente. Cependant, la dynamique de croissance a été supérieure à la moyenne mondiale (+3,1 %) et à celle des économies avancées (+1,6 %). Le ralentissement observé en 2023 s’explique en partie par une normalisation par rapport à la performance de 2022 (4,1%), qui avait vu l’activité économique rebondir très fortement à la suite de la réouverture post-Covid. L’inflation a également ralenti en 2023 à 4,2 %, en net recul par rapport à 2022 (+5,1 %). Ce ralentissement s’explique par l’effet conjugué de la chute des prix mondiaux des matières premières et de l’énergie, et le resserrement monétaire initié en 2022 dans l’ensemble de la région. Le taux d’inflation de plusieurs pays de la région est désormais revenu à l’intérieur des fourchettes cibles des banques centrales ce qui leur permettra (ou permet si c’est déjà amorcé) de mettre fin au durcissement monétaire. Fin 2023, près de deux tiers des banques centrales de la région avaient gardé leur taux directeur inchangé par rapport à 2022 (comme l’Inde), tandis que d’autres banques centrales avaient débuté un assouplissement de leur politique monétaire pour contrer le ralentissement de l’activité économique. La Banque de Corée vient de réduire son taux directeur de 0,5 point à 3,25%.

La croissance en Asie devrait s’améliorer en 2024 et 2025, avec des taux prévus respectivement à 4,2% et 4,0%. Ce dynamisme est lié à la hausse prévue des exportations de marchandises et de la demande intérieure sur l’horizon de prévision, et à un retour du tourisme aux niveaux prépandémie qui devrait bénéficier à la plupart des économies de la région. Les principaux risques à court terme sont liés à une hausse soudaine des prix des matières premières; une croissance plus lente que prévue en Chine; les répercussions négatives des élections américaines (en cas de réélection de Donald Trump, il est probable que les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine s’intensifient); et une éventuelle récession dans les économies avancées hors de la région. La guerre commerciale engagée il y a plus d’un an entre les Etats-Unis et la Chine a fragilisé la croissance en Asie, une région qui génère, à elle seule, près des deux tiers du produit intérieur brut (PIB) mondial. Singapour, les Philippines et la Corée ont les plus été impactés.

Tableau 1. Asie : résumé des prévisions de PIB
En % Poids 2023 2024 2025
Corée du sud 6.8 1.4 2.5 2.1
Asie en développement rapide rapide 20.3 3.4 4.2 4.0
Taiwan 3.9 1.3 3.9 2.7
Hong Kong 1.5 3.3 2.9 2.6
Singapour 0.9 1.1 2.6 2.5
Thaïlande 3.6 1.9 2.6 3.1
Indonésie 6.0 5.0 5.0 5.0
Malaisie 1.7 3.6 4.9 4.5
Philippines 2.6 5.5 5.7 5.9
Chine 48.5 5.2 4.7 4.4
Inde 24.4 8.2 6.9 6.7
Asie hors Chine 51.5 5.4 5.2 5.0
Total 100.0 5.3 5.0 4.7
Sources : CEIC, calculs et prévisions OFCE octobre 2024.

Dans un contexte de forte demande intérieure et de forte croissance dans les secteurs manufacturier et des services, l’Inde devrait atteindre une croissance à 6,9 % en 2024, en net ralentissement par rapport à 2023 (+8.2). L’affaiblissement de la croissance économique indienne a déjà été observé :  au second trimestre 2024, le PIB indien a augmenté de 6,7 % par rapport à la même période de l’année précédente (contre +7.8% au premier trimestre 2024), le taux de croissance trimestriel du PIB le plus bas sur les quinze derniers mois. Principal moteur de la croissance, l’investissement est resté dynamique avec une progression de +7,5 % au second trimestre 2024. La production industrielle, dynamique au second trimestre 2024, en hausse de 3.8 %, soutient également la croissance.  Malgré le dynamisme de l’investissement, le net ralentissement des exportations a pesé sur l’activité économique. L’inflation des prix à la consommation en Inde devrait ralentir de 5,7 % en 2023 à 4,5 % en 2024, restant dans la fourchette de 2 à 6 % fixée par la Banque centrale. Les chaleurs extrêmes enregistrées au mois de juin, et des réserves en eau inférieures à la normale font peser un risque sur les récoltes d’été et sur les prix des fruits et légumes. Ces facteurs inflationnistes pourraient être compensés par une baisse des prix des céréales par rapport à l’année dernière. Le premier ministre sortant N. Modi a remporté les élections législatives et reste aux commandes du pays pour un troisième mandat, mais avec une majorité moins forte qu’attendu. La composition du nouveau gouvernement, laisse supposer que la politique menée sera dans la continuité des précédentes.

Au premier trimestre de 2024, la Corée du Sud a enregistré une croissance de 3, 3 % en glissement annuel, le rythme le plus élevé en plus de deux ans (2,3 % au second trimestre). Cette croissance a été possible grâce à une hausse des exportations de biens (+1,8 % en volume sur un an). Les exportations devraient augmenter de 8,5 % cette année, rebondissant par rapport au déclin de 7,4 % de l’année précédente. La croissance de la Corée est tirée par de solides perspectives à l’exportation, grâce au redémarrage de la demande de puces électroniques et à l’essor des investissements dans l’intelligence artificielle. Un plan de relance a été mis en place en début d’année pour soutenir les exportateurs pour un montant 26 milliards d’euros soit 1,3 % du PIB. Malgré une reprise des exportations, la consommation intérieure et l’investissement (-1,3 au second trimestre 2024) devraient rester faibles en raison de l’inflation. La banque a ramené son taux d’intérêt de référence à 3,25 % après l’avoir maintenu à 3,5 %, son plus haut niveau des quinze dernières années, depuis l’été 2021. Le taux de chômage a connu une légère hausse au second trimestre 2024 passant de +3.8 % à 4,1 %. Pour stimuler l’investissement, le gouvernement va mettre en place une déduction fiscale supplémentaire pour les entreprises investissant davantage dans des installations d’équipements par rapport à l’année précédente. Il prévoit également de relever temporairement le taux de déduction fiscale de 10 % pour les entreprises investissant davantage dans des projets de R&D. Pour stimuler la consommation intérieure, le gouvernement prévoit d’offrir une plus grande déduction fiscale pour l’utilisation de cartes de crédit. Cette réforme fiscale entrainerait une baisse des recettes fiscales de 13 100 milliards de won sur quatre ans. Le gouvernement a également fixé l’objectif d’attirer 20 millions de visiteurs étrangers en 2024, avec des exemptions de frais de demande de visa pour les touristes de groupe en provenance de Chine, du Vietnam, des Philippines, de l’Indonésie, de l’Inde et du Cambodge cette année.

L’économie singapourienne a progressé de 2,9% en glissement annuel au deuxième trimestre 2024 principalement tirée par les secteurs des semiconducteurs, ainsi que par la reprise du secteur manufacturier et financier. La normalisation des niveaux de stocks a eu un impact positif sur les perspectives économiques de Singapour, en particulier dans l’électronique et le commerce de gros. Le secteur des services, pilier de l’économie, bien moins vigoureux qu’en 2O22 (+4,8%°) a continué de croitre en 2O23 enregistrant une hausse de 2,3 %. Cette croissance a notamment été soutenue par les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et des services aux entreprises, qui ont enregistré une hausse de 4,6%. La reprise des chantiers interrompus durant la pandémie, à la suite des pénuries de main-d’œuvre importée et aux restrictions sanitaires, ont également contribué à cette dynamique.

Dans le cadre d’un rattrapage post-covid, les Philippines avaient connu en 2022 leur plus forte croissance (+7,6 %). Au second trimestre 2024, les Philippines ont connu une croissance de +6.3 % soutenue par une hausse de l’investissement public et une hausse de la demande pour leurs exportations (niveau du potentiel de croissance des exportations estimé par le FMI (6,5%) En dépit de la persistance de l’inflation (+3.8 % au second trimestre) la consommation des ménages reste soutenue. Les transferts globalement stables (8 % au cours des trois dernières années) en provenance des travailleurs étrangers continueront de soutenir la consommation privée.

En Indonésie le PIB a augmenté de 5,0 % au second trimestre 2024 soutenu par l’amélioration de la confiance des entreprises et des consommateurs qui a stimulé la demande intérieure et la croissance de la production en ce début d’année 2024. La vigueur de la demande intérieure et la résilience du marché du travail ont ravivé l’inflation, sous-jacente et globale, portant l’inflation à 2,1 en septembre 2O24. Prabowo Subianto, succédera en octobre prochain à Joko Widodo, à la tête de la première économie d’Asie du Sud-Est avec pour projet d’augmenter les dépenses sociales, et des mesures visant à assurer l’efficience des dépenses publiques, telles qu’un recentrage des aides en faveur des ménages vulnérables.

Depuis sa transformation ces dernières années d’exportateur de matières premières à une économie plus diversifiée, la Malaisie est en constante expansion. Au second trimestre 2024 le PIB a augmenté de +5,9 %. Le secteur des services est le plus important de l’économie, et s’est développé pour représenter environ 54% du PIB. Le secteur manufacturier a connu une croissance ces dernières années et représente désormais 25% du PIB et plus de 60% des exportations totales. L’agriculture ne représente plus que 9 % du PIB, l’exploitation minière et l’extraction également.

En Thaïlande, au second trimestre 2024, la croissance a rebondi au rythme de 2,3 % après 1,6% au premier trimestre grâce à la reprise des exportations (+2,9 %) et à la hausse de la consommation privée (+3,1 %) tirée par la reprise continue du tourisme (34,5 M de visiteurs attendus cette année). L’économie thaïlandaise reste trop dépendante au tourisme et afin de répondre à ses défis macro-structurels et sociaux que la crise sanitaire a renforcés, le pays a engagé un ambitieux programme d’investissements dans ses infrastructures de transport et une stratégie de modernisation économique.

A Taiwan le 20 mai 2024 le nouveau président Lai Ching-te, du Parti démocrate progressiste a pris ses fonctions pour un mandat de quatre ans dans un climat assez tendu. Alors que le maintien du statu quo officiel dans les relations entre Taipei et Pékin est le scénario le plus probable à court terme, les tensions dans le détroit de Taiwan restent très élevées. Après un net ralentissement en 2023, la croissance économique s’est redressée, elle a atteint +6,6% en glissement annuel (g.a.) au premier trimestre 2024 et 5,1 % au second, et devrait dépasser 4% en moyenne cette année. Taiwan bénéficie d’une position dominante et d’une très forte avance technologique dans l’industrie des puces électroniques, qui représentent 39% du total de ses exportations de marchandises et 34% de sa production industrielle. La production industrielle a rebondi de +8,8% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024, après une baisse moyenne de -12,2% en 2023, et les exportations ont augmenté de +9,1% en g.a en valeur sur la même période. A Taiwan, un plan national de développement (2021 – 2024) a été présenté en juillet et fixe parmi ses objectifs un PIB par tête de 30000 USD et une croissance économique de 3,4% en 2024.

L’économie de Hong Kong a enregistré une croissance de 3,3% au deuxième trimestre 2024 par rapport à la même période en 2023. Au cours du premier trimestre, la croissance était de 2,8%. Indépendamment de cette trajectoire positive les tensions géopolitiques et les perspectives de l’économie mondiale et des taux d’intérêt créent un climat d’incertitude qui pourront peser sur l’économie hongkongaise.

En Asie, l’amélioration de la conjoncture extérieure favorisera en 2024 la croissance dans la région. Les pays d’Asie continuent d’afficher cette année une croissance plus soutenue que le reste du monde inférieur à son niveau d’avant la pandémie. Nous prévoyons une croissance de 4,2 % cette année avant de fléchir à 4,0 % en 2O25. Plusieurs facteurs à cela, le ralentissement de la Chine qui a vu sa croissance s’affaiblir après le tassement du rebond post Covid. En cause, la faiblesse persistante du marché immobilier et la perte de confiance chez les consommateurs et les investisseurs, auxquelles viennent s’ajoutent des défis structurels comme le vieillissement de la population ainsi que les tensions de la conjoncture mondiale. L’intensification des tensions géopolitiques et les risques de catastrophes naturelles pourraient aussi détériorer les perspectives économiques de la région. Néanmoins, en 2025, la croissance économique en Asie est prévue d’être robuste, mais avec des variations régionales soutenue principalement par l’Inde. Seule l’Indonésie devrait connaître en 2024 et 2025 une croissance égale ou supérieure aux niveaux d’avant la pandémie, contrairement à la Malaisie, aux Philippines, à la Thaïlande.

2 Amérique latine : une croissance toujours sous contraintes

Après deux années d’embellie en Amérique latine, l’activité s’est ralentie de moitié en 2023 et devrait continuer en 2024 avant de s’accélérer légèrement en 2025 à 1,9 % de croissance attendue. En 2023, face à un environnement international très dégradé (poursuite de la baisse du prix des matières premières, taux d’intérêt élevés), les deux principaux pays d’Amérique latine, le Brésil et le Mexique (qui représentent 66 % du PIB de la zone) ont bien résisté et sont parvenus à maintenir une croissance soutenue mais la plupart des autres pays, notamment les plus dépendants aux exportations de matières premières (voir Pays émergents de la prévision d’avril 2024) ont vu leur économie stagner, voire reculer. En 2024, la situation s’améliore dans plusieurs petits pays, se consolide au Brésil mais la récession s’amplifie en Argentine. Partout, l’inflation reflue mais à l’exception du Pérou et de l’Uruguay, elle reste supérieure au haut de la fourchette ciblée par les autorités monétaires (notamment en Colombie). La politique monétaire reste partout très restrictive. Les politiques budgétaires resteront plutôt accommodantes, au risque de creuser les déficits dans les pays à plus faible demande.

Après une longue période de stagnation (-0,3 % de croissance moyenne annuelle entre 2014 et 2019) et un recul du PIB de 3,6 % en 2020, le Brésil connait depuis la reprise post Covid, une embellie économique qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Entre 2021 et 2023, la croissance a été de 3,7 % en moyenne annuelle. Au deuxième trimestre 2024, elle ralentit mais reste dynamique (à 2,8 % sur un an), soutenue par la consommation des ménages et l’investissement (4,8 % et 5,5 % respectivement sur la période). Le taux de chômage continue de baisser jusqu’à retrouver son niveau historiquement bas de 2014. Sur le plan monétaire, la baisse des taux d’intérêt de 3,25 points de base entre juillet 2023 et mai 2024 s’est interrompue. Depuis plusieurs mois, l’inflation oscille autour de 4,5 % et face aux perspectives de croissance plutôt favorables et aux tensions sur le marché du travail, les anticipations d’inflation ont cessé de baisser. Par ailleurs, la sécheresse de 2023-24 dans l’ensemble du pays a affecté la production d’électricité dans un pays qui dépend aux deux tiers de l’hydroélectricité, et pousse les prix de l’énergie à la hausse. Les perspectives d’inflation à l’horizon fin 2025 visent donc plutôt le haut de la fourchette de 3%+/- 1,5 point. Pour éviter le risque inflationniste, un nouveau tour de vis a été décidé par la Banque centrale qui a relevé ses taux de 0,25 point en septembre. Du coté budgétaire, les progrès réalisés en matière de réforme fiscale et les nouvelles règles de contrôle budgétaire ont été bien accueillis par les marchés, les agences de notation Fitch et S&P ayant relevé la note du pays de BB- à BB. La croissance pourrait atteindre 2,9 % en 2024 et 2,2 % en 2025.

Au Mexique, les perspectives de croissance restent sensiblement dégradées pour 2024 et 2025 avec 1 % et 1,5 % attendus, après une moyenne à 3,5 % sur les deux années précédentes. Depuis trois trimestres, l’activité stagne, plombée notamment par des exportations en baisse et une demande intérieure freinée par une politique monétaire très restrictive. La consommation a résisté jusqu’au début d’année, tout comme l’investissement. Mais l’inflation reste élevée (5 % en aout dernier). Le peso reste très volatile et a enregistré une forte dépréciation sur la période récente (incertitudes des marchés face à l’élection de la nouvelle présidente de gauche Claudia Scheinbaum et à la majorité qualifiée dont elle dispose au Congrès, adoption de la réforme constitutionnelle du système judiciaire, dénouement d’opérations de carry trade par des opérateurs finançant en yen leur investissement en peso et en réal brésilien, ..). Malgré les trois baisses de 0,25 point réalisées depuis mars, la marge de manœuvre de la Banque centrale pour réduire ses taux (11,5 % en août) est très étroite, d’autant qu’elle dépend beaucoup des décisions de la Réserve fédérale. Cette contrainte monétaire est adoucie par la politique budgétaire plutôt expansionniste de l’ancien gouvernement AMLO et reprise par le nouveau gouvernement en fonction depuis le 1er octobre 2024. Le déficit pourrait se dégrader en 2024 au tour de 5 % du PIB et 4 % en 2025.

La récession en Argentine entamée à la mi 2022 s’accentue au premier semestre 2024. Un point bas a néanmois peut-être été atteint, les indicateurs de court terme semblant marquer une amélioration en milieu d’année. Mais en trois trimestres, le PIB a reculé de plus de 6 % sous l’effet de la chute de 9 % de la consommation des ménages, et de 30 % de l’investissement. La chute des importations sur la période combinée à la hausse de 23 % des exportations, soutenue par la baisse du peso et la mise en place d’un taux de change préférentiel pour les exportations, ont limité la crise mais la situation sociale est terrible : le taux de pauvreté est estimé au premier semestre à 52 % et le taux d’extrême pauvreté est passé de 12 à 18 % en 6 mois. L’inflation sur un an reste élevée (236 % en septembre) mais baisse par rapport au mois précédent. Ce recul semble être le résultat d’un choc de politique économique via le contrôle de l’émission monétaire et des changes. Le niveau des réserves de changes est très bas. Le 12 juin, un nouvel accord de swap de devises avec la Chine a été signé pour un montant de 5 milliards de dollars sur un an (en 2023, le gouvernement y avait eu recours pour payer les échéances de prêts auprès du FMI). En juin, un deuxième paquet de mesures et de réformes a été adopté au Parlement, avec notamment l’approbation de la loi d’urgence administrative et économique pendant un an, la réduction de la place de l’état dans l’économie, la privatisation de certaines entreprises publiques, des incitations pour attirer les capitaux étrangers, la dérégulation dans l’énergie et l’aéronautique, la flexibilisation sur le marché du travail, … Le 15 septembre, le nouveau budget 2025 a été présenté au Parlement avec le maintien de l’objectif de l’équilibre budgétaire. Après un déficit de 4,2 % du PIB en 2023, le budget devrait être proche de l’équilibre en 2024 (le solde primaire visant un excédent d’environ 2,4 %), cela au prix d’une chute de 30 % des dépenses primaires sur les 7 premiers mois de l’année.

Dans les autres pays d’Amérique latine (Chili, Colombie, Pérou, …), plus exposés à l’évolution des cours de matières premières et de la demande mondiale, la croissance devrait rester modérée en 2024 et 2025, marquées par le ralentissement de l’activité en Chine et aux États-Unis. Malgré tout, la détente monétaire combinée à des taux de change compétitifs devrait permettre à ces pays d’adoucir la pression sur la demande intérieure et de gagner des parts de marché à l’exportation. La croissance devrait être plus rapide qu’en 2023, autour de 2-2,5 %.

Tableau 2. Amérique latine : résumé des prévisions de PIB
En % Poids 2023 2024 2025
Brésil 37.4 2.9 2.9 2.2
Mexique 30.9 3.2 1.0 1.5
Argentine 12.4 −1.6 −5.1 0.9
Colombie 8.8 0.6 1.4 2.6
Chili 5.6 0.3 2.2 2.4
Pérou 5.1 −0.6 2.8 2.7
Total 100.0 1.9 1.1 1.9
Sources : Banques nationales, calculs et prévisions OFCE octobre 2024.