Allemagne: une crise qui dure

conjoncture
Allemagne
Europe
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Céline Antonin
Publié le

21 octobre 2024

Modifié le

21 novembre 2024

Graphique 1. Allemagne, principaux indicateurs économiques

Au deuxième trimestre 2024, le niveau de PIB allemand dépasse à peine le niveau pré-covid, une situation qui contraste de plus en plus avec celle des autres grands pays de la zone euro. La reprise en Allemagne n’en finit plus de se faire attendre, comme en atteste la croissance nulle du PIB au premier semestre 2024, sous l’effet du recul marqué de l’investissement privé et la faiblesse de la consommation privée.

Pourquoi l’Allemagne ne parvient-elle pas à trouver le chemin de la croissance ? D’abord pour des raisons structurelles: les deux crises successives de la covid et de l’énergie ont mis à jour les faiblesses structurelles du pays, notamment sa dépendance à la Chine et sa vulnérabilité énergétique. Les fabricants de biens d’investissement et les secteurs industriels à forte consommation d’énergie subissent la hausse des coûts de l’énergie et de la concurrence croissante des biens industriels en provenance de Chine. Par ailleurs, l’Allemagne pâtit d’une démographie en berne et d’un déficit d’investissement qui se traduit par des infrastructures vieillissantes (Antonin, 20241).

Les difficultés allemandes se manifestent à travers plusieurs indicateurs : l’utilisation des capacités de production diminue depuis plus de deux ans, et les enquêtes montrent que les entreprises font état, tous secteurs confondus, d’une faiblesse persistante de la demande. Sur le plan domestique, malgré le recul de l’inflation, le rattrapage des salaires réels et la robustesse du marché du travail, cela ne profite guère à la consommation, car les ménages privilégient l’épargne. Ainsi, le taux d’épargne a augmenté de 0,5 point de pourcentage au cours du premier semestre 2024 pour atteindre 11,3% du revenu disponible, ce qui est nettement supérieur à la moyenne des dix années précédant la pandémie (10,1 %).

En prévision, les indicateurs disponibles2 plaident pour un recul du PIB au troisième trimestre 2024, suivi d’une reprise timide (+0,2 %) au dernier trimestre. Au total, la croissance du PIB serait nulle en 2024. En 2025, le taux de croissance du PIB (+0,8 %) avoisinerait le taux de croissance potentielle, ce qui ne permettrait pas de combler l’écart de production (-1,2 % du PIB potentiel fin 2025). Globalement, nous anticipons un recul de l’inflation, avec une hausse de l’indice des prix à la consommation harmonisé de 2,4 % en 2024 et 2,0 % en 2025. Compte tenu de la conjoncture, le marché du travail, qui avait bien résisté grâce à la baisse du temps de travail3 et à la modération des salaires réels, devrait fortement se dégrader entre mi-2024 et fin 2025 avec une destruction de 170 000 emplois nets (soit 0,4 % de l’emploi total). Sous l’effet d’une progression dynamique des salaires réels, les revenus disponibles réels augmenteraient en 2025 : nous anticipons une légère baisse du taux d’épargne – sous l’effet de la baisse des taux d’intérêt –, qui soutiendrait la consommation privée et les importations. En revanche, malgré la croissance de l’économie mondiale, la perte de compétitivité des entreprises allemandes orientées vers l’exportation se traduirait par une contribution négative du commerce extérieur à la croissance. L’autre point noir reste l’investissement, qui stagnerait en 2025, notamment sous l’effet d’une politique budgétaire toujours restrictive. Le déficit public devrait baisser à 2,1 % du PIB en 2024, puis 1,4 % du PIB en 2025. Quant à la dette publique, elle passerait de 63,6 % en 2023 à 63,2 % en 2025.

2 notamment le climat des affaires de l’IFO, les ventes au détail, le baromètre de l’emploi IAB, le nombre de faillites… Voir la note du Ministère des Finances allemand, Die wirtschaftliche Lage in Deutschland im Oktober 2024, 25 octobre 2024.

3 La baisse de la durée moyenne du travail atteint 2,2 % entre le quatrième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2024.

1 Une récession qui dure

1.1 Croissance nulle au premier semestre 2024

Le premier semestre 2024 a vu le PIB allemand stagner : après une croissance de 0,2 % au premier trimestre, le PIB allemand s’est contracté de 0,1 % au deuxième trimestre 2023. Au deuxième trimestre 2024, par rapport à la période pré-covid (quatrième trimestre 2019), la valeur ajoutée reste encore inférieure de 5 % dans l’industrie (hors construction), de 3,4 % dans le secteur « commerce, transports et hôtellerie-restauration », et de 16,6 % dans la construction. On observe une divergence entre la valeur ajoutée dans l’industrie manufacturière et la production industrielle. Alors que la valeur ajoutée brute n’a baissé que de 2,4 % entre le premier trimestre 2018 et le deuxième trimestre 2024, l’indice de production industrielle a baissé de 12,7 % sur la même période (graphique 2). Cet écart reflète une baisse du taux de consommation intermédiaire, lié à une augmentation des activités non industrielles. En effet, alors que l’indice de production ne mesure que la production de biens industriels, la valeur ajoutée brute intègre en outre les activités de services de l’industrie manufacturière, telles que les activités de R&D et de commerce. La stagnation de la valeur ajoutée brute indique donc que les entreprises de l’industrie manufacturière ont pu jusqu’à présent compenser la baisse de la valeur ajoutée issue de la production de biens en développant des activités non industrielles (Gemeinschaftsdiagnose, 20244).

Graphique 2. Valeur ajoutée brute et indice de production industrielle, industrie manufacturière

Malgré une progression des salaires dynamique (5,2 % au deuxième trimestre 2024 en glissement annuel), qui a soutenu le revenu disponible brut, la consommation privée a stagné entre le deuxième trimestre 2023 et le deuxième trimestre 2024, en raison d’une augmentation du taux d’épargne (passé de 10,6 à 11,3 %). Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation de ce taux d’épargne: l’insécurité politico-économique, ou encore la hausse des taux d’intérêt.

L’augmentation des coûts de financement a également continué à freiner les investissements. Les investissements en biens d’équipement ont baissé de 4,1 % au deuxième trimestre 2024, ce qui représente un recul pour le troisième trimestre consécutif. Les entreprises réduisent leurs investissements en équipement depuis 2022-23 ; l’une des raisons de cette faiblesse tient au fait que depuis mi-2018, la production dans l’industrie manufacturière a tendance à diminuer, ce qui entraîne une baisse constante des besoins d’investissement des entreprises. Outre les prévisions de vente moroses, cela s’explique par la faiblesse de l’environnement extérieur et les conditions de financement défavorables. Les investissements dans la construction ont continué de baisser au cours du premier semestre de cette année (-1,2 %). Au premier trimestre, les investissements dans la construction avaient certes augmenté de 0,8 %, principalement grâce à l’investissement en bâtiments publics (+ 7 %). Toutefois, cette hausse surestime la dynamique conjoncturelle, car les corrections saisonnières ne prennent pas en compte la tendance récente à des hivers plus doux (Gemeinschaftsdiagnose, 2024). Au deuxième trimestre, les investissements dans la construction ont poursuivi leur tendance à la baisse et ont diminué de 2,0 %, essentiellement sous l’effet de la baisse de l’investissement logement. Au deuxième trimestre 2024, le nombre de permis de construire dans le secteur résidentiel a baissé de 35 % par rapport à 2021.

Par ailleurs, l’embellie des exportations qui s’était dessinée début 2024 n’a pas fait long feu. Au deuxième trimestre 2024, les exportations ont baissé et les importations ont stagné. Outre les problèmes conjoncturels (faiblesse de l’industrie mondiale, politique monétaire restrictive…), les exportations allemandes pâtissent également de problèmes structurels, notamment liées aux prix de l’énergie. Ainsi, par rapport au niveau de 2022, les exportations de produits chimiques et pharmaceutiques ont chuté de 8,5 % en valeur au deuxième trimestre 2024. Alors que la Chine était davantage spécialisée vers les biens de consommation, sa montée en gamme lui permet de produire de plus en plus de biens d’équipement, et de concurrencer plus fortement l’Allemagne.

1.2 Un marché du travail résilient

Le marché du travail a été particulièrement résilient depuis 2019, malgré la faiblesse de la croissance. En réalité, près des deux tiers de cette évolution favorable peuvent s’expliquer par deux facteurs : la baisse de la durée du travail et du coût du travail réel (voir encadré 1). Même si l’emploi progresse, le rythme de progression tend à ralentir : seuls 170 000 emplois supplémentaires nets ont été créés entre le deuxième trimestre 2023 et le deuxième trimestre 2024. Cette augmentation est uniquement due au secteur des services: les plus fortes augmentations ont eu lieu dans les services financiers et d’assurance, les services immobiliers, l’information et la communication, ainsi que dans les services publics, l’éducation et la santé. Dans l’industrie manufacturière, en revanche, ainsi que dans la construction, les destructions d’emplois se sont poursuivies. En outre, les besoins en personnel des entreprises en Allemagne sont actuellement en baisse : au deuxième trimestre 2024, il y avait 1,34 million de postes vacants dans tout le pays, soit une baisse de 23% par rapport au deuxième trimestre 2023 (source : IAB). Ainsi, la faiblesse de la conjoncture laisse des traces évidentes dans la demande de main-d’œuvre des entreprises. Du fait de la croissance de la population active (+0,5 % au premier semestre 2024), le taux de chômage a progressé passant de 3,2 % en décembre 2023 à 3,5 % en juin 2024.

Au deuxième trimestre 2024, soit plus de quatre ans après le début de la crise Covid, la valeur ajoutée dans le secteur marchand non agricole se situe 0,1% en dessous de son niveau pré-crise, alors que l’emploi se situe 0,9% au dessus de son niveau pré-crise. Compte tenu de la croissance tendancielle de productivité du travail observée jusqu’en 2019 (0,7% par an), la faible croissance de l’activité aurait dû conduire, toutes choses égales par ailleurs, à une baisse de 3,2 % de l’emploi salarié dans le secteur marchand (soit près d’un million d’emplois) mi-2024. Au contraire, l’emploi salarié marchand non agricole s’est accru de 268 000 emplois entre le dernier trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2024. Comment expliquer ces 1,2 million d’emplois « en trop » et la baisse de productivité vertigineuse en Allemagne? Deux variables jouent un rôle prépondérant: le coût du travail et la durée du travail, qui ont baissé de respectivement 0,83 % et 2,37 % entre le quatrième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2024.

Un élément chiffré de réponse peut être obtenu à partir d’une analyse simplifiée inspirée d’Heyer (2023)(a). On ne raisonne ici pas par branche, mais uniquement sur le secteur agrégé de l’économie marchande hors agriculture. Nous estimons une équation de demande d’emploi des entreprises simplifiée et écrite sous la forme d’un modèle à correction d’erreurs (MCE), sur la période 2008T4 - 2024T2 :

\Delta e_t = -\gamma_E ( (e_{t-1}-va_{t-1})-\sigma_E (w_{t-1} - p_{t-1}) \\ - \beta_E (\sigma_E-1) \pi^* - \alpha_E h_{t-1} ) \\ + \kappa_E\sum_{i=1}^{n}{\Delta e_{t-i}} + \tau_E\sum_{i=0}^{n}{\Delta {va}_{t-i}} \\ + \upsilon_E\sum_{i=0}^{n}{\Delta (w_{t-i}-p_{t-i}}) + \phi_E\sum_{i=0}^{n}{\Delta h_{t-i}} + \delta_{E_t}

p : log du prix de la valeur ajoutée, e : log de l’emploi salarié, personnes physiques, h: log de la durée du travail des salariés, en heures, va : log de la valeur ajoutée en volume, w : log de la rémunérations brutes par tête, en euros, \pi^* : tendance de productivité.

Les résultats montrent qu’il existe une relation de cointégration entre l’emploi, la valeur ajoutée, un trend de productivité, le coût du travail réel et la durée du travail. La force de rappel (le cœfficient \gamma_E) est de 0,14. Par ailleurs, la sensibilité de l’emploi à son coût est estimée à 0,39 et l’élasticité de la durée du travail à l’emploi est de 0,2.

Estimation de l’équation d’emploi
Variable Cœfficient
Force de rappel -0.14***
(-6.73)
Cœfficients de long terme
Coût du travail réel (w-p) -0.20***
(-3.04)
Durée du travail (h) -0.39***
(-8.50)
Trend Oui
Période d’estimation 2008t4-2024t2
Nombre d’observations 83

A partir de ce modèle, nous simulons un contrefactuel en supposant que le coût du travail réel et la durée du travail évoluent selon les tendances de croissance de la période pré-crise (2010-2019), soit respectivement -0,1 % et 0,8 % par an. Les estimations indiquent que si le coût du travail et la durée du travail avaient continué sur leur trajectoire pré-crise, il y aurait 778 000 emplois en moins dans l’économie au deuxième trimestre 2024. Autrement dit, sur les 1 237 000 emplois « en trop » que l’on cherche à expliquer, 63 % de l’évolution peut s’expliquer par la baisse de la durée du travail et du coût du travail réel.

  1. Heyer Éric (2023) . Comment expliquer l’évolution de l’emploi salarié depuis la crise Covid ? Une analyse économétrique sur données macro-sectorielles. Revue de l’OFCE, 180(1).

1.3 Inflation en baisse

L’inflation mesurée par l’IPC est passée sous la barre des 2 % au mois d’août 2024, essentiellement sous l’effet de la baisse des prix de l’énergie (-5,1 % en août 2024, en glissement annuel). L’inflation sous-jacente reste toutefois élevée, notamment sous l’effet de l’inflation dans les services (+4,4%). Le taux d’inflation harmonisé a également fortement baissé, passant de 3,8 % à 2,1 % entre décembre 2023 et août 2024 (voir graphique 3).

2 2024-2025 : reprise sans rattrapage

Les indicateurs avancés mentionnés supra ne laissent pas entrevoir de regain d’activité pour le troisième trimestre 2024. Le climat des affaires de l’Ifo s’est dégradé en septembre 2024 pour la quatrième fois consécutive et les carnets de commandes sont dégarnis. Ce n’est qu’à partir du quatrième trimestre 2024 que l’on s’attend à une reprise progressive. Le PIB stagnerait en 2024, avant une reprise de l’activité avec une croissance de 0,8 % en 2025. Le chômage progresserait, passant de 3,5 % mi-2024 à 3,9 % en 2025, notamment sous l’effet d’une amélioration de la productivité – grâce aux 49 mesures qui composent l’initiative de croissance lancée par le gouvernement en 2024.

2.1 Pas de soutien à attendre de la politique budgétaire

En 2024, l’impulsion budgétaire serait négative (-0,8 point de PIB, soit 30 milliards d’euros), mais en réalité elle serait nulle si on exclut l’effet lié à la suppression du bouclier énergétique. Les autres mesures restrictives liées à l’énergie (augmentation de la taxe poids lourds, augmentation de la taxe CO2, suppression de la TVA réduite sur le gaz naturel et la restauration) sont contrebalancées par des mesures expansionnistes. Parmi ces mesures, on trouve les 49 mesures inscrites dans la loi d’initiative de croissance du gouvernement, avec la correction de la « progression à froid »5, l’extension des règles d’amortissement dégressif, suppression de la taxe sur les énergies renouvelables…

5 La progression à froid désigne la révision des barèmes progressifs permettant ainsi d’atténuer l’augmentation fiscale.

En 2025, l’impulsion budgétaire serait négative (-0,7 point de PIB). Plusieurs mesures ont un effet restrictif (suppression de l’exonération de la prime de compensation de l’inflation, augmentation des taux de cotisation à l’assurance maladie et assurance dépendance). Au total, le déficit public passerait de 2,5 % du PIB en 2023 à 2,1 % en 2024, et 1,4 % en 2025. La dette publique baisserait légèrement, passant de 63,6 % à 63,2 % du PIB.

2.2 Des perspectives en demi-teinte

2.2.1 Un franc ralentissement de l’inflation

Après avoir atteint des niveaux élevés en 2023, l’IPC en Allemagne a sensiblement baissé en début d’année. Au mois d’août 2024, l’IPC a crû de 2,0 % en glissement annuel, contre 6,4 % un an plus tôt. L’inflation devrait se stabiliser à l’horizon de la prévision (graphique 3). En effet, nous faisons l’hypothèse d’une stabilisation des prix au comptant du pétrole et du gaz naturel, qui entraînerait une baisse de la composante énergétique de l’inflation au cours de la période de prévision (-3,2 % en 2024, -3,3 % en 2025). Le taux d’inflation sous-jacent devrait quant à lui rester dynamique, en raison de la hausse des coûts salariaux inscrite en prévision. Cependant, l’effet du rattrapage des salaires nominaux sur l’inflation devrait rester limité, car la hausse de salaires devrait se faire au détriment des marges des entreprises: le taux de marge baisserait, passant de 35,7 % à 33,2 % de la valeur ajoutée.

Graphique 3. Contribution des composantes alimentaire, énergétique et du sous-jacent à l’évolution de l’indice des prix à la consommation

2.2.2 La consommation privée, unique moteur de la croissance, portée par les salaires et la baisse du taux d’épargne

La forte croissance des salaires conventionnels et effectifs s’explique avant tout par l’exonération de charges des primes compensatoires de l’inflation (jusqu’à fin 2024)6. Après l’expiration de cette mesure au 1er janvier 2025, les éventuels paiements spéciaux devraient être encore plus faibles, ce qui réduirait les augmentations des salaires conventionnels. En outre, les augmentations de rémunération pérennes (avec un effet sur le barême) devraient également diminuer en 2025 sous l’effet de la baisse de la pression inflationniste. En résumé, la masse salariale devrait augmenter de 5,7 % en 2024, puis de 3,6 % en 2025 en termes nominaux. En termes réels, l’augmentation devrait être de 3,0 % en 2024, puis 1,7 % en 2025.

6 Depuis le 26 octobre 2022 et jusqu’à fin 2024, les employeurs peuvent accorder à leurs salariés une prime de compensation de l’inflation allant jusqu’à 3 000 euros en franchise d’impôts et de charges.

En 2024, les prestations sociales aux ménages augmenteraient de 4,8 %, sous l’effet de plusieurs mesures d’augmentation des dépenses: revalorisation des pensions de base et des pensions d’invalidité, aide aux transports (billet de transport à 49 euros par mois), chèque de 200 euros à destination des étudiants, réforme de l’allocation logement et de l’allocation chauffage… En revanche, les revenus des entreprises et de la propriété des ménages privés seront affectés par la faiblesse de la croissance. Au total, en 2024, le revenu disponible nominal de 4,0 % sera inférieur aux taux de croissance des années précédentes. Mais en raison du ralentissement de l’inflation, le revenu disponible réel croîtrait de 1,4 %, soit le rythme le plus élevé depuis 2018 (graphique 4).

Graphique 4. Revenu disponible réel et contributions au revenu disponible nominal des ménages

En 2025, le revenu disponible réel ne croîtrait plus que de 0,7 % (contre 2,7 % pour le revenu nominal), porté quasi-exclusivement par la progression des salaires. Malgré ce rattrapage, le niveau des rémunérations réelles par tête retrouverait à peine le niveau pré-covid fin 2024/début 2025. Et même, le niveau des rémunérations réelles par tête fin 2025 serait inférieur de 3,9 % au niveau de rémunération par tête « attendu », i.e. qui aurait suivi la tendance de croissance pré-crise.

En 2024, le taux d’épargne augmenterait, sous l’effet d’un comportement de précaution des ménages et du niveau encore élevé des taux d’intérêt. En 2025 en revanche, nous faisons l’hypothèse d’une baisse modérée du taux d’épargne, atteignant 10,5 % au quatrième trimestre 2025 sous l’effet de la baisse des taux d’intérêt ; ainsi, la consommation des ménages progresserait de 0,5 % par trimestre en 2025.

2.2.3 Recul de l’emploi

Selon le baromètre de l’emploi de l’IAB, les agences locales pour l’emploi s’attendent à ce que le chômage continue d’augmenter au cours des prochains mois. Entre le deuxième et le quatrième trimestre 2024, nous anticipons la destruction de 180 000 emplois. Malgré une stagnation de la population active, cela se traduirait par une hausse du taux de chômage au deuxième semestre. En 2025, la productivité par tête devrait se redresser (+1,2 %), ce qui se traduirait par environ 200 000 destructions d’emplois supplémentaires.

2.2.4 Investissement en panne

L’année 2024 serait marquée par un fort recul de l’investissement en biens d’équipement – qui représente la moitié de l’investissement total des entreprises – et de l’investissement en construction. Cette baisse de l’investissement serait également liée à la baisse du taux de marge, amorcée début 2023, et qui se poursuivrait en 2024 et en 2025. Le taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie, historiquement bas, nous conduit à inscrire un recul de l’investissement total en biens d’équipement de 1,5 % au troisième trimestre 2024. S’ensuivrait une reprise – modérée – en 2025, sous l’effet d’une politique monétaire moins restrictive. En réalité on observe un découplage entre l’investissement public et privé en biens d’équipement : autant les investissements privés baisseraient en 2024 et dans une moindre mesure en 2025 (en raison d’un fort effet d’acquis), autant les investissements publics resteraient dynamiques, grâce aux impulsions provenant du fonds spécial de la Bundeswehr. Les autres investissements, notamment les dépenses de recherche et développement, ont nettement augmenté au premier semestre 2024 (+2,4 %), et devraient rester orientés à la hausse. Enfin, dans le secteur de la construction, le taux d’utilisation des capacités a diminué au troisième trimestre 2024. Pour le deuxième semestre 2024 et 2025, on devrait observer un découplage persistant entre le bâtiment et le génie civil. Dans le secteur du bâtiment, en particulier du logement, la situation reste tendue, et ne devrait s’améliorer que lentement en 2025, grâce à la baisse des taux et à la loi sur les opportunités de croissance (par le biais des amortissements pour la construction de nouveaux logements locatifs).

2.2.5 Contribution négative du commerce extérieur

Enfin, le commerce international ne devrait pas fournir de soutien à la croissance allemande dans les prochains trimestres. Au troisième trimestre, les indicateurs avancés laissent entrevoir un nouveau recul des exportations (-0,2 %) : les attentes des entreprises en matière d’exportations ont baissé récemment et la confiance des entreprises dans les pays acheteurs est restée faible jusqu’en août. A partir du quatrième trimestre 2024, les exportations devraient s’orienter vers une expansion modérée. Toutefois, elles ne devraient pas suivre le rythme du commerce mondial et l’Allemagne devrait continuer à perdre des parts de marché en prévision, en raison d’une dégradation de sa compétitivité-prix. Au niveau des importations, nous faisons l’hypothèse d’une lente progression du taux de pénétration, en lien avec le dynamisme de la consommation.