Effet d’un choc d’incertitude politique sur le PIB français

France
Conjoncture
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Raul Sampognaro
Résumé
Cette étude propose une méthodologie pour évaluer les conséquences de la dissolution de l’Assemblée Nationale du 9 juin 2024 qui a ouvert une période d’incertitude politique dans l’Hexagone, qui n’est pas retombée avec le résultat des élections législatives des 30 juin et du 7 juillet. Selon ce modèle, la croissance du PIB français serait amputée de 0,1 point en 2024 et de 0,3 point en 2025. La croissance serait pénalisée en particulier par l’affaiblissement de l’investissement des sociétés non financières. En outre, un choc ponctuel sur l’incertitude politique génère une hausse du taux d’intérêt national qui explique la persistance des pertes de PIB.

La dissolution de l’Assemblée Nationale du 9 juin 2024 a ouvert une période d’incertitude politique dans l’Hexagone, qui n’est pas retombée avec le résultat des élections législatives des 30 juin et du 7 juillet. Si la formation de plusieurs gouvernements de coalition minoritaires a pu atténuer l’incertitude dans un premier temps, la chute du gouvernement Barnier a ravivé les tensions en fin d’année. L’incapacité à garantir le vote d’un nouveau budget et la censure du gouvernement Barnier a lieu dans un contexte budgétaire tendu alors que la France est en procédure de déficit excessif depuis le 26 juillet dernier.

Afin d’analyser l’effet de la montée du risque politique sur les perspectives de croissance du PIB français, nous avons utilisé les données d’incertitude de politique nationale issues des travaux de Baker, Bloom et Davis (2016). Cet indice utilise les publications dans la presse française (Le Monde et Le Figaro) d’articles dans lesquels on observe l’occurrence simultanée de mots en lien avec l’incertitude dans les principales politiques économiques en France. Précisément, après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale l’indice d’incertitude politique pour la France a fortement augmenté. Au 3e trimestre 2024 il s’établit à un niveau supérieur de plus de 50 % à sa valeur moyenne observée pendant la XVIe législature (allant de juin 2022 à juin 2024, alors même qu’il y avait déjà un gouvernement minoritaire). Partant de la méthodologie de Sampognaro (2022), un modèle statistique reliant l’indice de risque politique national (noté EPU par son acronyme en anglais) à quelques variables macroéconomiques importantes a été développé. A partir de ces estimations, nous pouvons proposer une quantification de l’effet d’un choc d’incertitude politique française sur l’investissement des sociétés non financières, le PIB et le taux d’intérêt à 3 mois.

Selon nos calculs, l’impact du choc d’incertitude observé aux 3e trimestre 2024 et au 4e trimestre 20241, la croissance du PIB français serait de -0,1 point pour 2024 et de -0,3 point pour 2025. La croissance serait pénalisée en particulier par l’affaiblissement de l’investissement des sociétés non financières (SNF) dont le niveau serait amputé de plus d’un point de PIB pour la fin-2025. En outre, un choc ponctuel sur l’incertitude politique génère une hausse, visible encore 8 trimestres après le choc, du taux d’intérêt national ce qui explique une certaine persistance des pertes de PIB.

1 Les dernières données disponibles concernant l’indice EPU vont jusqu’au mois de novembre, soit le mois précédant la censure du gouvernement Barnier. Il faut noter qu’à chaque mise à jour mensuelle, les données des deux mois précédents peuvent également être légèrement révisées du fait de certains délais dans la mise en ligne des archives des journaux. Au moment de la publication de la dernière prévision de l’OFCE, les données étaient disponibles jusqu’au mois d’octobre. Ainsi, cette publication met à jour l’évaluation de l’effet du risque politique national sur la croissance du PIB.

Dans la section 1, l’indice développé dans Baker, Bloom et Davis (2016), utilisé pour quantifier le risque politique, sera présenté. Puis dans la section 2, la méthodologie empirique utilisée sera explicitée. Finalement, après avoir présenté les données utilisées, la section 3 détaillera les principaux résultats.

1 La mesure de l’incertitude de politique économique

Il existe une vaste littérature initiée par Bloom (2009) portant sur les effets de l’incertitude sur la trajectoire macroéconomique. La présence d’incertitude peut brouiller la capacité des acteurs privés à prévoir les variables pertinentes pour le futur (niveau de la demande, coûts de production). En présence de coûts d’ajustement, ceci peut amener les acteurs privés à valoriser l’attente d’un signal plus clair et in fine à reporter leurs décisions générant des conséquences durables (par exemple d’investissement ou d’achat).

Ce type de phénomène peut émerger aussi en relation avec l’incertitude sur la politique économique qui sera appliquée. L’incertitude sur le niveau de la fiscalité, de la demande publique ou sur les taux d’intérêts directeurs des banques centrales peut aussi perturber les anticipations de rentabilité des projets privés et avoir des conséquences sur la dynamique économique.

Dans la littérature on peut trouver des mesures de l’incertitude utilisant la volatilité de variables financières ou des mesures spécifiques mesurant le coût de s’assurer face à certains risques (indice VIX, spreads). On peut aussi trouver des mesures de la variance des prévisions macroéconomiques, par exemple d’un groupe d’experts supposés mobiliser la totalité de l’information disponible2. Néanmoins, ce type de mesure n’est pas facilement mobilisable pour mesurer l’incertitude concernant des aspects très précis du risque.

2 Si la variance des prévisions des analystes - mobilisant un ensemble d’information commun - fluctue, cette fluctuation doit dépendre essentiellement sur l’incertitude portant sur les variables inobservées liées au cycle économique.

Baker, Bloom et Davis (2016) constitue un des premiers travaux visant à mesurer l’incertitude portant sur la politique publique. En s’inspirant de ce travail fondateur, la littérature s’est fortement enrichie avec des mesures d’incertitude concernant la politique monétaire (Husted, Rogers et Sun, 2020), la politique commerciale (Caldara et al., 2020), la politique climatique (Liu et al., 2024). Enfin, des indices d’incertitude sur le prix du pétrole (Abiad et Qureshi, 2023) ou le risque géopolitique (Abiad et Qureshi, 2023) ont été construits avec des méthodologies proches.

Baker, Bloom et Davis (2016) construisent leur indice d’incertitude de politique économique en se basant sur les mentions dans la presse d’articles signalant la présence d’incertitude sur le sujet. Les auteurs comptent le nombre d’articles de presse intégrant une mention à l’incertitude sur le contenu de la politique et à son moment d’application. Si l’essentiel de leur travail se concentre sur l’incertitude concernant la politique aux Etats-Unis3, ils proposent par ailleurs des indices d’incertitude (EPU d’après l’acronyme en anglais) pour 11 pays, dont la France.

3 Pour les Etats-Unis, les auteurs distinguent 10 domaines d’incertitude (taxes, prestations sociales, politique monétaire,…) et proposent aussi des indices d’incertitude au niveau infra-national (Etats).

4 Il faut noter que les auteurs disposent des données pour le journal Le Monde depuis 1987 et pour Le Figaro depuis 2002, ce qui nécessite de réaliser des ajustements supplémentaires. Plus de détails dans l’annexe de Baker, Bloom et Davis (2016).

5 Pour la France les termes qui sont recherchés sont « économie » ou « économique(s) ».

6 Pour la France les termes qui sont recherchés sont « taxe(s) » ou « impôt(s) » ou « politique(s) » ou « régulation(s) » ou « réglementation » ou « loi » ou « lois règlements » ou « dépense(s) » ou « déficit(s) » ou « banque centrale » ou « BCE » ou « Réserve Fédérale » ou « budget » ou « budgétaire »

7 Les termes recherchés sont « incertitude(s) » ou incertain(es).

Pour les pays européens, les auteurs construisent les indices EPU basés sur une méthodologie propre à celle utilisée pour les Etats-Unis. Les auteurs, s’appuient sur deux journaux par pays. Le Monde et Le Figaro4 sont les deux journaux sélectionnés pour l’indicateur français. Les auteurs recensent le nombre d’articles contenant au moins un mot portant sur l’économie5 et un domaine de politique économique6 et un terme associé avec l’incertitude7. Le nombre d’articles recensés est normalisé par le nombre total d’articles dans le corpus disponible.

La série de l’indice EPU pour la France est affichée dans graphique 1.

Graphique 1. Indice d’incertitude de politique économique

Si l’on mesure un choc d’incertitude de politique économique comme une variation mensuelle de l’indice EPU supérieure à un écart-type de la série historique, on peut recenser 18 mois où un fort choc d’incertitude politique est apparu. On peut voir dans tableau 1 que la série réagit effectivement à certains moments de crise économique, où des doutes peuvent émerger en ce qui concerne la réponse de politique économique qui sera apportée par le policymaker, mais aussi à des moments d’incertitude sur la composition du futur gouvernement (élections). L’incertitude semble apparaître à des moments où le gouvernement semble faible, générant des risques sur la capacité à mettre en oeuvre sa politique (par exemple lorsqu’il est minoritaire ou lorsque sa majorité vacille comme lors des débats de la Loi Travail en 2016).

Tableau 1. Chocs d’incertitudes de politique économique identifiées par l’indice EPU
Date Elements de contexte Date Elements de contexte
09/1992 Référendum Maastricht 03/2017 Elections présidentielles
09/2007 Crise des subprime 05/2018
05/2010 Crise de la zone euro 03/2020 Covid
12/2010
09/2020 Covid
04/2012 Elections présidentielles 03/2022 Guerre en Ukraine
09/2014 Invasion de l'Ukraine 10/2022 Elections législatives sans majorité
06/2016 Débat Loi Travail 05/2024 Elections européennes
09/2016
07/2024 Elections législatives sans majorité
11/2016
11/2024 Rumeurs de censure du gouvernement

2 Stratégie empirique : la méthode des projections locales

Un des principaux objectifs de la science économique de nos jours est d’estimer l’effet causal d’une variable sur une variable d’intérêt (voir Garg et Fetzer (2024)). Ceci est particulièrement complexe en macroéconomie où l’ensemble de variables est déterminé de façon simultanée. Une piste précoce empruntée par la littérature depuis Sims (1980) a été d’estimer des modèles VAR. Toutefois, ce type de modèle ne résout pas la question de l’identification d’effets causaux. Il reste nécessaire de poser des restrictions au modèle VAR pour pouvoir faire des affirmation causales. On appelle un tel modèle Structural VAR (SVAR)8. Un modèle VAR ne serait que la forme réduite d’un modèle SVAR. La littérature propose différentes stratégies pour poser des restrictions mais, pour synthétiser, en distingue quatre principales: (i) faire des hypothèses sur le timing des réactions des variables entre elles; (ii) montrer par un modèle pleinement spécifié qu’il existe des variables non directement corrélées qui peuvent donner des sources de variation exogène pour une variable, (iii) considérer que l’on peut observer des vrais chocs sur une variable non liée à la situation économique ou (iv) calibrer certains paramètres à partir des relations d’équilibre, surtout à long terme d’un système économique.

8 Voir (Blanchard et Quah, 1989) pour une référence canonique sur les modèles SVAR.

2.1 Du modèle SVAR…

Si on écrit un modèle SVAR de façon matricielle:

\mathbf{B_0 Y_t}=\mathbf{\alpha_t}+\mathbf{B(L)Y_t+\varepsilon_t}

Le vecteur \mathbf{Y_t} de dimension k\times1 correspond aux k variables modélisées. La matrice \mathbf{B_0} représente les relations contemporaines entre les variables modélisées, sur laquelle les hypothèses d’identification doivent être posées. Enfin \varepsilon_t correspond au vecteur de chocs structurels, par définition de moyenne nulle et non corrélés entre eux.

En pré-multipliant de chaque côté par \mathbf{B_0}^{-1} nous obtenons la formulation classique d’un modèle VAR:

\mathbf{Y_t}=\mathbf{\widetilde{\alpha_t}}+\mathbf{\widetilde{B}(L)Y_t+u_t} Avec \mathbf{\widetilde{\alpha_t}}=\mathbf{B_0}^{-1}\times \mathbf{\alpha_t}, \mathbf{\widetilde{B}(L)}=\mathbf{B_0}^{-1}\times\mathbf{B(L)} et \mathbf{u_t}=\mathbf{B_0}^{-1}\times\mathbf{\varepsilon_t}.

Dans ce contexte, il peut être montré que les variables du modèle réagissent aux chocs structurels t périodes après l’occurrence du choc en suivant le processus suivant (notée \widehat{IR}(t)):

\widehat{IR}(t)= \mathbf{\Phi^{t}}\mathbf{B_0}^{-1}

\mathbf{\Phi} représente les paramètres du VAR d’ordre 1 estimés pour les k variables endogènes.

Ainsi, la clé de l’identification des effets causaux repose essentiellement sur la définition de la matrice \mathbf{B_0} et nécessite l’estimation d’un modèle VAR classique.

2.2 … aux projections locales de Jordà (2005)

Jordà (2005) propose une alternative à l’estimation d’un modèle SVAR complet pour résoudre le problème précédent : les projections locales (PL). L’auteur propose d’éviter d’estimer la totalité du modèle mais de faire une estimation équation par équation pour différents horizons h d’intérêt:

\mathbf{y_{t+h}} = \mathbf{\alpha_h} + \mathbf{\gamma_1^h y_{t-1}}+...+\mathbf{\gamma_p^h y_{t-p}}+\mathbf{u_{t+h}^h}

Ces équations (par horizon mais aussi par variable d’intérêt) peuvent être estimées de façon isolée les unes par rapport aux autres.

Dans ce contexte, les fonctions de réactions peuvent être estimées:

\widehat{IR}(t)= \mathbf{\gamma_1^h}\mathbf{B_0}^{-1}\mathbf{\gamma_1^h} est la collection des coefficients estimés par moindres carrés ordinaires (MCO) des équations estimées de façon séparée. Il faut noter qu’au delà de la simplicité d’estimer les modèles équation par équation, passer d’une méthodologie SVAR à une méthodologie par projections locales (PL) n’exonère pas de poser un ensemble de restrictions \mathbf{B_0}.

Il faut noter que la seule façon de s’extraire de cette nécessité serait d’avoir une série de chocs exogènes de la variable \mathbf{y_t}. A ce moment, l’estimation d’une équation par les MCO suffirait pour identifier la fonction de réaction. D’ailleurs, les PL sont plus souvent utilisées lorsque ce type de choc est observé. Cette étude spéciale utilise une décomposition de Cholesky - donc utilise des hypothèses sur le timing des relations causales entre les variables - pour pouvoir établir des effets causaux des évolutions de l’indice de risque politique9.

9 L’algorithme \mathbf{lpirfs} du logiciel \mathbf{R} a eté utilisé pour réaliser les estimations. La fonction employée, décrite dans Adämmer (2019) estime en amont les chocs sur les variables prédits avec un modèle VAR et les contraintes de Cholesky posées.

Dans la présente étude spéciale, les estimations sont faites par la méthode des PL. Il faut noter que PL et l’estimation d’un modèle SVAR doivent donner, en théorie, des résultats identiques. Ceci a été montré par Plagborg‐Møller et Wolf (2021). Il faut nuancer quelque peu ce résultat théorique, portant en grande partie sur les propriétés asymptotiques des deux méthodes d’estimation. L’exercice de simulation réalisé par Li, Plagborg-Møller et Wolf (2022) montre que pour certains processus générateurs de données, avec des échantillons courts les PL peuvent donner des estimations moins biaisées mais avec une plus forte variance pour des horizons longs.

La méthode des PL est particulièrement flexible pour estimer sans grande difficulté les fonctions de réaction des versions non-linéaires des modèles portant sur les relations entre les k variables d’intérêt. Cette facilité, permise grâce aux travaux de Auerbach et Gorodnichenko (2012), n’a pas encore été exploitée mais constitue une extension naturelle à l’étude spéciale.

3 Résultats empiriques

3.1 Données

Au-delà de l’indice EPU d’autres données ont été mobilisées afin d’évaluer l’impact des tensions géopolitiques sur la croissance du PIB. La présentation exhaustive des séries utilisées dans l’étude spéciale est laissée dans le tableau 2.

Les séries mobilisées peuvent être divisées en trois groupes: (i) données de comptabilité nationale (PIB, investissement des SNF, déflateur de la consommation des ménages); (ii) des données financières et des marchés internationaux de matières premières (taux d’intérêt de court terme, prix du pétrole); (iii) des données de population. Le jeu de données complet est disponible depuis 1990. Nous commençons l’ensemble des estimations à partir de cette date.

Tableau 2. Séries utilisées
Variable Pays Source Code de la série
Indice de risque de politique économique France https://www.policyuncertainty.com/
Indice de risque de politique économique Europe https://www.policyuncertainty.com/
FBCF des Sociétés non Financières (volume) France Insee 011794897
PIB (volume) France Insee 011794860
Consommation des ménages (valeur) France Insee 011794863
Consommation des ménages (volume) France Insee 011794864
Population début du mois France Insee 000436387
Taux d'intérêt interbancaire à 3 mois France Fred IR3TIB01FRM156N
Prix du pétrole Brent Monde Fred DCOILBRENTEU

3.2 La spécification du modèle

La spécification préférée du modèle10 intègre les variables suivantes : (1) indice de risque politique en France, (2) investissement des SNF en volume par habitant, (3) PIB réel par tête, (4) prix du pétrole réel (corrigé par le déflateur de la consommation des ménages), (5) taux d’intérêt français à 3 mois. En outre, le modèle incorpore un choc de risque politique en Europe pour tenir compte de facteurs de risque en provenance des incertitudes liées à la politique européenne (par exemple pendant la crise de la zone euro) et le taux d’intérêt interbancaire allemand à 3 mois.

10 Pour information une spécification identique à celle proposée dans Sampognaro (2022) (donc sans variables européennes et avec prix du pétrole endogène) a aussi été estimée (elle-même inspirée de Abiad et Qureshi (2023) pour l’économie américaine). Les effets immédiats du choc d’incertitude sont proches à ceux présentés ici, mais leurs effets se dissipent plus rapidement pour des raisons qui seront mentionnés dans la prochaine sous-section.

Dans notre spécification préférée, nous supposerons que les évolutions françaises n’ont aucun impact sur les variables internationales (taux d’intérêt en Allemagne, risque politique en Europe et prix du pétrole). Cette hypothèse suppose en particulier que les phénomènes de fuites vers la qualité dans les marchés financiers ne jouent pas entre la France et l’Allemagne, ce qui peut être une hypothèse forte.

Le modèle sous-jacent estimé intègre un seul retard des variables modélisées. En suivant Ramey (2016) et Sims, Stock et Watson (1990), il a été décidé d’estimer le modèle en niveau de logarithme avec l’inclusion d’une tendance déterministe. Ce choix est fait malgré le fait que l’essentiel de nos variables soient non stationnaires car cela ne pose pas de problème majeur sur l’identification des fonctions de réaction comme le suggère la littérature citée.

3.3 L’effet d’un choc de risque politique

Les réactions des différentes variables à un choc d’une unité du log de l’indice de risque politique français est affiché dans la graphique 2. L’investissement des entreprises réagit négativement à une montée des tensions politiques. De même, l’effet sur le PIB est significativement négatif dès le trimestre où le choc d’incertitude politique a lieu. L’impact négatif est assez long à se dissiper et il est maximal six trimestres après le choc initial. Il faut noter que le taux d’intérêt réagit à la hausse avec une montée des tensions, mais cet effet n’est pas significatif (à un niveau de significativité de 90 %).

Il faut noter que dans Sampognaro (2022), un choc de risque géopolitique avait un effet négatif sur le taux d’intérêt et le prix du pétrole, opérant ainsi comme un choc de demande (résultat proche de celui d’Abiad et Qureshi (2023) pour les Etats-Unis). Si on modélise l’effet du risque politique domestique comme cela avait été fait dans Sampognaro (2022) on trouverait un effet similaire. Le fait de rendre purement exogènes les variables internationales permet d’éviter cette interprétation. Ainsi, le risque politique n’aura plus d’effet négatif sur le prix du pétrole ni sur le taux d’intérêt, éliminant une force d’amortissement du choc politique, qui nous semble difficilement plausible dans le contexte de notre évaluation. Ainsi, en absence de cet effet amortisseur les effets de l’incertitude politique ont des effets plus durables par rapport à ceux qui avaient été évalués dans Sampognaro (2022) et ceci semble crédible au vu de la montée du spread du taux d’intérêt souverain français qui atténue l’effet positif des baisses des taux directeurs de la BCE.

Graphique 2. Effet d’un choc d’un écart type de l’indice EPU

3.4 L’effet de la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024 et 2025

Après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale, l’indice EPU français a fortement augmenté (graphique 1). Au 3e trimestre 2024, il s’établit à un niveau supérieur de plus de 50 % à sa valeur moyenne observée pendant la XVIe législature (allant de juin 2022 à juin 2024, où il y avait déjà un gouvernement minoritaire). Cet écart constitue notre mesure de l’incertitude politique générée par (i) le résultat des élections européennes, (ii) la dissolution de l’Assemblée Nationale, (iii) le résultat des élections législatives et (iv) les difficultés à constituer un gouvernement.

Les premières données du 4e trimestre (avant le vote de la motion de censure du gouvernement Barnier rendant impossible le vote du budget) affichent un niveau de l’indice EPU inférieur à son niveau du 3e trimestre. Toutefois, la diminution de l’indice s’avère plus lente que ce que prédit la fonction de réaction estimée à partir de notre modèle (voir graphique 2). Ceci laisse penser qu’au 4e trimestre, il y a encore un nouveau choc haussier sur l’incertitude politique que nous avons mesuré avec la formule:

Choc_{T_4,2024}=EPU_{T_4,2024}-EPU_{2022-2024}-\gamma^1_1Choc_{T_3,2024}

\gamma_1^1 représente l’effet causal d’un choc d’EPU en t-1 sur l’EPU en t, tiré de l’estimation de la fonction de réaction d’un choc d’EPU sur l’EPU futur. Cette dernière estimation est faite par la méthode des PL présentée ci-dessus.

Selon ce modèle, consécutivement à l’impact du choc d’incertitude observé au 3e trimestre 2024 et au 4e trimestre 2024 (jusqu’au mois de novembre), entraînerait une réduction de la croissance du PIB français de 0,1 point pour 2024 et de 0,3 point pour 202511. La croissance serait pénalisée en particulier par l’affaiblissement de l’investissement des SNF. En outre, un choc ponctuel sur l’incertitude politique génère une hausse, visible encore 8 trimestres après le choc, du taux d’intérêt national ce qui explique une certaine persistance des pertes de PIB. Le détail temporel de l’effet estimé du choc d’incertitude politique sur les principales variables macroéconomiques analysées est donnée dans le tableau 3.

11 Chiffre qui diffère de celui publié dans la dernière prévision de l’OFCE car il intègre la nouvelle observation de l’indice de risque de politique économique du mois de novembre 2024.

Tableau 3. Effet estimé du choc de risque politique post-dissolution
Ecart au compte central (pt %) T3 2024 T4 2024 T1 2025 T2 2025 T3 2025 T4 2025
PIB −0,1 −0,2 −0,2 −0,2 −0,3 −0,4
FBCF des SNF −0,2 −0,4 −0,3 −0,3 −0,7 −1,1
Taux d'intérêt 0,0 0,1 0,1 0,3 0,3 0,3
Sources: Calculs OFCE.

Conclusion

La dissolution de l’Assemblée Nationale du 9 juin 2024 a ouvert une période d’incertitude politique dans l’Hexagone, qui risque de s’aggraver après la censure du gouvernement Barnier. Il n’est toujours par clair quel sera le budget de la Nation pour l’année 2025. Cette étude spéciale présente une méthode empirique, inspirée de Sampognaro (2022) pour évaluer les effets de cette incertitude sur la dynamique macroéconomique des prochains trimestres.

Selon le modèle ici-estimé, les chocs observés jusqu’au mois de novembre 2024, diminueraient le niveau du PIB en volume de 0,4 point fin-2025 et celui de l’investissement des entreprises de 1,1 point. Cette baisse semble durable et s’explique en partie par l’attentisme des acteurs privés, potentiellement aggravé par une moindre efficacité de la transmission des décisions de politique monétaire, qui suggéraient une baisse des taux d’intérêt au niveau de la zone euro.

Par rapport au travail qui a servi de base de départ pour l’analyse (Sampognaro (2022)), un choc d’incertitude politique n’est pas totalement comparable avec un choc de demande au niveau macroéconomique. Par delà des effets d’attentisme - qui diminuent le niveau de l’investissement et par un phénomène classique d’accélérateur - l’incertitude de politique économique se traduit par une augmentation du risque dans l’économie nationale. Ceci génère des conséquences plus durables des chocs identifiés qui passe à travers les taux d’intérêt. Compte tenu de la fragmentation politique qui s’installe, ceci invite à prolonger le travail présenté dans cette étude spéciale. En particulier, il semble nécessaire d’analyser plus en détail l’effet sur les variables financières, notamment les taux d’intérêt nationaux, qui dans cette étude spéciale affichent une réaction lente du taux d’intérêt interbancaire. Il serait pertinent d’analyser en détail l’effet sur les taux souverains et déterminer s’il existe - ou pas - une déconnexion entre le risque souverain et les taux exigés pour le secteur privé. Creuser ces points permettrait de mieux comprendre les canaux de diffusion du choc et surtout de comprendre si l’effet sera plus ou moins durable.

Références

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