Comment analyser le recul du PIB au Japon au troisième trimestre ?

Conjoncture
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Date de publication

15 décembre 2025

Après un bon début d’année 2025, le PIB a reculé de 0,6 % au troisième trimestre 2025, selon la deuxième estimation publiée le 8 décembre 20251. Le Cabinet Office (agence dépendant du gouvernement qui rend publics les comptes nationaux) a dans le même temps revu à la hausse la croissance du premier trimestre de 0,3 point de pourcentage. Le recul du troisième trimestre fait donc suite à une croissance de 0,4 % au premier trimestre et 0,5 % au deuxième trimestre. La plupart des instituts japonais anticipant toujours un léger rebond de la croissance au dernier trimestre 2025, celle-ci devrait atteindre 1,2% en moyenne annuelle en 2025 mais serait plus faible en 2026.

1 Selon la première estimation publiée le 17 novembre 2025, la baisse était de 0,4 %.

2 La contribution des variations de stocks a été négative (-0,1 %). Celles du commerce (-0,1 %) et de l’investissement en logement (-0,3 %) l’ont également été, en raison de l’effet différé des droits de douane pour le premier et d’une nouvelle loi sur la construction pour le second.

Si les mauvais résultats du troisième trimestre témoignent de la fragilité de la conjoncture japonaise, ils sont surtout le reflet de plusieurs facteurs négatifs qui se sont accumulés ce trimestre-là2 (Figure 1). C’est la première baisse du PIB depuis le début de l’année 2024 (marquée par une baisse des ventes de voitures , à la suite d’irrégularités dans les tests de certification et de problèmes liés à des tests de sécurité dans une filiale de Toyota). Seule la consommation privée a continué de soutenir l’activité économique, comme depuis plusieurs trimestres.

Figure 1: Contributions à la croissance du PIB

La consommation des ménages ralentit, l’investissement immobilier s’écroule

La consommation des ménages a continué de progresser faiblement (0,2 %). La poursuite des créations d’emplois au même rythme que l’évolution de la population active s’est traduite par une stabilité du taux de chômage à un faible niveau (2,5 %), soutenant la consommation, tandis qu’à l’inverse les pressions inflationnistes ont entamé le pouvoir d’achat des ménages. L’inflation est désormais supérieure à 2% depuis avril 2022, ce qui n’était pas arrivée depuis 2014, lors de la hausse de 3 points du taux de la taxe sur la consommation. Elle est largement tirée par les prix de l’énergie et de l’alimentaire3. L’inflation hors alimentation et énergie qui avait dépassé temporairement les 2 % en 2023, s’est depuis plusieurs mois fixée autour de 1,6 %. Sa contribution à l’inflation est de 1 point environ de pourcentage, alors que celle de l’alimentaire et l’énergie atteint 2 points au total sur les derniers mois, ce qui pèse sur le moral des consommateurs et a contribué au récent changement de gouvernement.

Du côté de l’investissement immobilier, les nouvelles normes environnementales dans le domaine de la construction, mises en place en avril 2025, ont pesé sur les mises en chantier. Cela n’a pas eu d’effet au deuxième trimestre sur l’investissement en logement pour des raisons de comptabilisation, mais l’impact a été très fort au troisième trimestre 2025, avec une chute de 8,2 %, ce qui a contribué négativement à la croissance (-0,3 point).

L’investissement productif recule, la chute des exportations est atténuée par les débouchés hors Etats-Unis

L’investissement productif a également pesé sur la croissance au troisième trimestre 2025 (-0,2 % en variation trimestrielle). Les baisses ont été observées dans le secteur des machines de transport, des autres machines et équipements, tandis que l’investissement des entreprises en bâtiment et en produits de la propriété intellectuelles est resté quasiment stable. Il semble que les investissements aient été freinés par la forte incertitude autour des droits de douane.

L’annonce par Donald Trump de tarifs douaniers à l’encontre de la plupart des pays et la mise en place de droits de douane dès avril et mai 2025 sur les voitures et les pièces de voiture avaient fait craindre un recul des exportations dès le deuxième trimestre 2025. Or les entreprises japonaises avaient réagi dans un premier temps en baissant les prix à l’exportation dans le secteur automobile pour conserver les volumes de leurs ventes aux Etats-Unis, dans l’attente d’un accord commercial entre les deux pays. Ce dernier est intervenu le 22 juillet 2025 et a fixé le taux de droit de douane, y compris pour les automobiles, à 15 %, hors les produits spécifiques tels que l’acier (50 % depuis le 4 juin 2025). Cet accord diminue l’incertitude des derniers mois et entérine un taux moins élevé que celui dont le Japon était menacé (25 % initialement prévu et 27,5 % appliqués sur les automobiles et les pièces détachées depuis leur entrée en vigueur), même s’il demeure élevé4.

4 Les automobiles et pièces détachées représentent 38% des exportations japonaises vers les Etats-Unis et le Japon est le troisième plus gros exportateur de voitures aux Etats-Unis, derrière le Mexique et le Canada.

Le recul des exportations vers les Etats-Unis s’est finalement matérialisé au troisième trimestre, mais il a été en partie amorti par la poursuite de l’accroissement des exportations vers les autres pays (Figure 2) : les exportations de biens vers l’Union Européenne se sont redressées (notamment dans les biens en capital), tout comme les exportations vers les autres pays (hors Chine où elles demeurent plates), tirées par la demande liée aux nouvelles technologies.

Figure 2: Exportations réelles japonaises de biens

Quelle croissance attendre au dernier trimestre 2025 ?

Après la publication des comptes nationaux du troisième trimestre, les principaux instituts d’études économiques japonais ont mis à jour leurs prévisions. Ces dernières sont de l’ordre de 0,1 % à 0,2 % de croissance au dernier trimestre de l’année 2025. Les facteurs qui ont conduit à la chute du PIB au troisième trimestre ne sont pas amenés à durer et le PIB japonais croitrait légèrement dans un contexte où l’économie américaine semble bien résister. Que ce soient NLI Research Institute, Dai-Ichi Life Research ou Daiwa Institute of Research, le diagnostic est sensiblement le même, avec un rebond de l’investissement résidentiel et de l’investissement productif et un recul modéré des exportations. Les risques sont néanmoins orientés à la baisse, notamment du fait des tensions avec la Chine. 

A la suite de propos tenus par la première ministre japonaise début novembre sur la situation politique à Taiwan, la Chine a demandé le 14 novembre 2025 à ses citoyens de ne pas voyager au Japon. Or les touristes chinois ont représenté depuis le début de l’année 2025, 23 % des touristes accueillis au Japon, ce qui pourrait affaiblir la croissance au dernier trimestre 2025 et en 2026. Selon les premières estimations réalisées entre le 18 et le 21 novembre par deux instituts de recherche japonais Daiwa et Nomura5, l’impact sur le PIB japonais des tensions entre les deux pays serait compris entre 0,1 et 0,4 % en 2026 en fonction des hypothèses retenues. L’effet a été estimé en se basant sur l’expérience de 2012 lorsque le gouvernement chinois avait demandé à ses ressortissants de ne pas voyager au Japon à la suite du conflit concernant les iles Senkaku et que des produits japonais avaient été boycottés6. A cet impact sur le tourisme et sur les exportations de certains produits vers la Chine, s’ajoutent d’autres risques tel que la limitation par la Chine de ses exportations de terres rares vers le Japon (ces éléments métalliques sont très utilisés pour la fabrication de smartphones, de véhicules électriques ou hybrides…).

5 Les documents sont disponibles uniquement en japonais, via ces liens [1; 2]

6 Pour plus d’informations sur ce sujet, voir : « Japon-Chine : du contentieux territorial des îles Senkaku à la guerre économique ?», E. Dourille-Feer, Blog du CEPII, billet du 19 octobre 2012.

Dans notre prévision d’octobre 2025, nous anticipions une croissance de 0,1 % au dernier trimestre 2025, avec une croissance moyenne annuelle de 1,3 % en 2025 puis une croissance de 0,7 % en 2026. La baisse du PIB du troisième trimestre devrait conduire à une croissance de 1,2 % en 2025. Pour 2026, l’effet d’acquis est négatif, mais il pourrait être en partie compensé par une politique budgétaire plus expansionniste, étant donné les dernières annonces du gouvernement.