11 Février : Journée Internationale des Femmes dans les STEMs
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La France à la traîne en matière de parité dans les filières STEM : phénomène global?
En 2022, l’école Polytechnique célébrait les 50 ans de l’ouverture de son concours d’entrée aux femmes. À cette occasion, la directrice de l’institution affichait un objectif clair : 20 % de candidates, 20 % admises. Pourtant en 2024, l’École n’a admis que 16 % de femmes, en nette baisse par rapport à 2023 (21%) où le taux de candidates avait été également de 20%. Ce constat conduit à s’interroger sur la place des femmes dans les filières scientifiques. Plus globalement, les femmes ne représentaient que 28 % des effectifs dans les écoles d’ingénieurs en 2023 (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). Ce chiffre masque cependant de grandes disparités selon les champs : si elles restent sous-représentées dans d’autres institutions prestigieuses, comme les Arts et Métiers (16 %) ou l’École des Mines (29 %), elles sont majoritaires dans les écoles d’agronomie, de biologie ou de chimie (65 % à AgroParisTech). Cette faible présence des femmes dans les STEMs (Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques) est d’autant plus frappante que les femmes dominent globalement l’enseignement supérieur : en 2021, elles ont obtenu 55,8 % des diplômes en France. C’est dans ce contexte que la Journée Internationale des Femmes dans les STEMs, instaurée en 2015 et célébrée chaque 11 février, vise à rappeler la lente progression de la parité dans ces disciplines.
Dans le monde, la proportion de femmes dans les STEMs progresse, mais de manière inégale1. Ainsi, bien que le nombre absolu de femmes dans les mathématiques, les statistiques et l’informatique ait augmenté depuis les années 2000 aux Etats-Unis, leur proportion a diminué en raison d’une progression plus rapide du nombre d’hommes dans ces domaines. En revanche, la part des femmes titulaires d’un doctorat en ingénierie a progressé de 16 % à 25 % en moyenne, avec des disciplines comme l’informatique (23 %) et les mathématiques-statistiques (27 %) affichant encore un retard.
1 Aux États-Unis, par exemple, les femmes ont obtenu 49 % des diplômes en STEM en 2017. Toutefois, si elles sont majoritaires en biologie (62 %), leur présence chute drastiquement dans les disciplines quantitatives : 39 % en géosciences, 22 % en ingénierie, 42 % en mathématiques, 19 % en informatique et 40 % en sciences physiques.
L’Europe et ses disparités : une progression lente mais constante
Les tendances observée en Europe confirment ces inégalités persistantes. Selon Eurostat, la part des femmes diplômées en STEMs au niveau du troisième cycle était de 33,2 % en 2015 et de 35,4 % en 2021. Certains pays se distinguent comme la Roumanie avec 42,5 % de femmes , la Pologne (41,5 %), la Grèce (40,9 %) et l’Italie (39 %). Toutefois, comme aux États-Unis, les femmes sont surreprésentées dans les sciences du vivant (67,8 % des diplômés en 2021) et sous-représentées dans l’ingénierie, la construction et la manufacture (27,2 %) ou encore en physique (2 %). Seule exception notable : les mathématiques, qui présentent une meilleure parité avec 48,1 % de femmes diplômées.
Si la France affiche des statistiques proches de la moyenne européenne au regard de la part des femmes diplômées dans les STEMs (31,5 % en 2015, 32 % en 2021), certaines tendances inquiètent. En particulier, la proportion de femmes d ingénieures et physiciennes dans l’enseignement supérieur n’a jamais dépassé 25 %. En effet, la part des femmes diplomées dans l’ingénierie, la construction et la manufacture a chuté de 12 % entre 2015 et 2021, passant de 26,7 % à 23,6 %, alors que la moyenne européenne est restée stable autour de 28 %. Dans les métiers des sciences et technologies, la France se situe systématiquement 2 à 3 points en dessous de la moyenne européenne, oscillant entre 16,9 % et 19,3 %.
Enfin, un des constats les plus marquants concerne les mathématiques : en 2021, les femmes ne représentaient que 33 % des diplômés en France contre 48 % en Europe. Cette tendance se maintient lorsque l’on considère l’ensemble des diplômés en mathématiques et statistiques, où les femmes représentent 33,8 % en France contre 44,2 % en Europe.
Le « leaky pipeline » : un frein global pour la participation féminine dans la recherche et l’innovation
Le leaky pipeline (tuyau percé) est une métaphore anglo-saxonne qui décrit la disparition progressive des femmes à mesure qu’elles montent en grade dans le monde académique et professionnel. Un processus qui commence avant l’entrée à l’université et se pousuit dans le marché du travail (Speer 2023). En France, bien que les femmes obtiennent près de deux tiers des diplômes de licence et de master, elles ne représentent que 40 % des doctorants (Figure 1). Dans les STEM, la part des doctorats chute encore : 35,4 % des doctorants en 2021, contre 36,9 % en Europe. Cette fuite est plus prononcée dans les disciplines où les femmes sont largement représentées, comme la biologie (plus de 60 % en licence). Paradoxalement, dans les disciplines plus quantitatives, comme l’ingénierie, la proportion de femmes reste stable autour de 30 %.
Ce leak se poursuit dans le monde professionnel. Alors que les femmes représentent 38 % des docteurs en STEM dans l’Union européenne, seules 17,9 % des professeurs titulaires en ingénierie et technologie sont des femmes (Research & Innovation, 2022). Le secteur du numérique est particulièrement concerné: en 2023, seules 18,4 % des diplômées en numérique en France sont en situation d’emploi, un chiffre qui résonne avec la difficulté persistante à voir des femmes dépasser 20 % des spécialistes en Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). De plus, malgré une augmentation de 21 % du nombre de femmes dans les emplois de haute technologie en France entre 2013 et 2022, cette progression reste inférieure à la moyenne européenne de 35 %. Ce retard souligne la nécessité d’actions concrètes pour renforcer la présence des femmes dans les disciplines scientifiques, et plus particulièrement dans les domaines les plus quantitatifs.
Au-delà des efforts institutionnels : quel levier pour agir ?
Ces derniers jouent un rôle déterminant dans les choix d’orientation des élèves, un domaine où les initiatives formelles peinent souvent à rivaliser. Selon l’enquête Genderscan 2021, 43 % des étudiantes en France identifient leur famille et leurs amis comme le principal facteur ayant influencé leur choix de formation. Les enseignants jouent également un rôle clé, étant cités par 40 % des étudiantes en STEM, et plus particulièrement par 32 % de celles évoluant dans le numérique.
Toutefois, cet entourage peut aussi décourager les jeunes filles puisque selon toujours cette même enquête, 33 % des étudiantes en numérique rapportent que leurs proches leur ont fait comprendre que ce domaine serait hostile aux femmes et ne correspondrait pas à un métier féminin. De plus, près de 60 % des étudiantes en STEM citent les enseignants comme leur première source de découragement. Une étude Ipsos menée dans une école d’informatique renforce ces constats : seuls 33 % des filles sont encouragées par leurs parents à s’orienter vers les métiers du numérique, contre 61 % des garçons.
Ces résultats soulignent l’urgence d’agir sur la déconstruction des stéréotypes de genre, en sensibilisant aussi bien les familles que les enseignants, afin de créer un environnement propice à une orientation plus équilibrée. Dans cette optique, Breda et al. (2023) montrent que le contact entre des lycéennes performantes en sciences et des modèles féminins dans les disciplines STEM, sans insister sur la sous-représentation des femmes dans ces domaines, favorise leur inscription dans des filières scientifiques dans l’enseignement supérieur.