Les crises expliquent-elles la hausse de la dette publique en France ?

Dette publique
Conjoncture
France
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Date de publication

24 mai 2024

L’évolution de la dette publique française occupe légitimement une place importante dans le débat politique depuis que l’Insee a révélé, le 26 mars dernier, le chiffre de déficit public significativement plus élevé qu’attendu pour l’année 2023. À 5,5 % du PIB, celui-ci a surpris par son ampleur alors qu’il était prévu à 4,9 % par le gouvernement encore un mois auparavant1. Au-delà de ce chiffre, la cause de la hausse continue de la dette publique française depuis 2007 fait toujours débat. Entre 2007 et 2023, la dette publique est passée de 64,5 % à 110,6 % du PIB (?@fig-dette). Cette hausse de 45 points de PIB entre 2007 et 2023, qui correspond à 1300 milliards d’euros en 2023, est-elle le résultat de crises économiques de grande ampleur ou bien le fruit de la lente accumulation de déséquilibres récurrents et structurels des comptes publics ? Ce diagnostic est nécessaire pour assoir sur des bases solides le débat sur l’orientation souhaitable de la politique économique en France.

1 Le niveau de déficit public plus élevé que prévu pour 2023 n’a pas surpris que les autorités publiques. Pour rappel, au mois d’octobre 2023, les prévisions de déficit de l’OFCE s’établissaient à 4,8 % du PIB. Pour plus de détails, voir l’encadré dans OFCE (2024), « L’heure des comptes : perspectives 2024-2025 pour l’économie française », OFCE Policy brief 126, 10 avril.

L’objet de ce blog est de mesurer la contribution des crises économiques à la hausse de la dette publique en France. Cette analyse est différente de celle de savoir si ces crises ont été bien gérées, et si les hausses des dettes publiques étaient excessives ou insuffisantes pendant ces crises.

Cette question plus circonscrite (i.e quelle aurait été la dette publique française sans crise ?), est difficile car les crises économiques font chuter l’activité économique de manière transitoire ou durable. Mais la chute d’activité peut aussi être liée à la correction de déséquilibres antérieurs à la crise.

De ce fait, nous utilisons trois méthodes différentes pour mesurer l’effet des crises sur la dette publique de la France de 2007 à 2023. La première méthode se concentre sur une période plus restreinte 2017-2023 pendant laquelle le détail des mesures budgétaires peut être analysé permettant aussi d’identifier les mesures qui ont augmenté le déficit structurel. Par ailleurs, l’intérêt de cette période restreinte est de faire écho à l’actualité du débat public qui discute de la hausse de la dette publique sous la présidence d’Emmanuel Macron. Cette première méthode conduit à une contribution à la hausse de la dette publique des crises et des effets non liés à des mesures budgétaires permanentes de 52 % entre 2016 et 2023. En d’autres termes les crises et les effets non liés à des mesures budgétaires permanentes expliquent une hausse de la dette de 6,6 points de PIB entre 2016 et 2023, alors que la hausse totale de la dette est de 12,6 points de PIB sur cette période. Ce chiffre monte à 69 % si l’on considère l’ensemble du plan de relance comme une réaction à la crise, et non pas comme une mesure structurelle indépendante de la crise.

La seconde méthode, qui porte sur la période 2007-2023, utilise la révision des prévisions de dettes publiques par le FMI avant les crises, par rapport à la valeur observée un an environ après la crise. Cette différence peut être qualifiée de surprise quant à la hausse de la dette et peut être attribuée à la crise. Cette seconde méthode conduit à identifier 44 % de la hausse de la dette publique de la France aux crises sur la période de 2007 à 2023. Mais cette méthode se concentre exclusivement sur les effets immédiats des crises sur les finances publiques.

La troisième méthode considère les pertes de recettes fiscales et les dépenses nouvelles du fait des crises, en utilisant les estimations de perte d’activité générée par les crises. A partir de l’écart de production que nous mesurons ainsi que des dépenses exceptionnelles, on peut mesurer l’effet des crises sur le déficit et la dette. On trouve une contribution des crises de l’ordre de 47 %.

Une hausse de la dette publique depuis 2017 de 1000 milliards ?

Parmi les journalistes et les politiques, certains ont tiré le bilan budgétaire depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron en mettant en avant le chiffre de 1 000 milliards de dette publique supplémentaire. La discussion de ce chiffre est une bonne introduction à la difficulté de mesurer les causes de la hausse des dettes publiques. Tout d’abord, si l’on attribue l’ensemble de l’année 2017 à l’actif d’Emmanuel Macron, la dette publique a crû de 911 milliards d’euros entre 2016 et 2023 …soit près de 90 milliards de moins que les 1 000 milliards annoncés, écart qui n’est pas négligeable, surtout en période de disette budgétaire. Ensuite, si la dette a augmenté de plus de 900 milliards, le PIB lui a crû de 569 milliards sur la même période (Figure 1) malgré deux crises majeures successives (sanitaire et énergétique). Or, analyser la dette en euros courants n’a pas de sens économique si, dans le même temps, l’on ne regarde pas l’évolution de la valeur créée mesurée par le PIB. Car ce dernier reflète la dynamique des assiettes fiscales qui, elles-mêmes, déterminent la capacité de l’Etat à rembourser sa dette. C’est pourquoi les économistes suivent le ratio dette publique / PIB pour caractériser les évolutions de la dette. Ainsi, la dette publique a crû de 12,6 points de PIB entre 2016 et 2023, avec une marche d’escalier très nette en 2020. Or, bien que cette augmentation soit importante, comparés à la valeur du PIB de 2023, 12,6 points de PIB représentent 353 milliards d’euros, soit bien loin des 1 000 milliards en débat.

Figure 1: Dette publique et PIB en France sur la période 2016-2023

Si la dette publique a augmenté significativement entre 2016 et 2023, elle a connu tout d’abord une relative stabilité sur la période 2017-2019 avant d’augmenter franchement à partir de 2020. Cette marche d’escalier sur la dette à partir de 2020 fait clairement écho à la crise Covid.

Si les gouvernements sous la présidence d’Emmanuel Macron ont une responsabilité dans la hausse de la dette, il est difficile de leur attribuer intégralement les conséquences budgétaires des crises. Ces crises ont eu pour effet de réduire les recettes fiscales avec les chocs négatifs sur le PIB. De plus, les mesures exceptionnelles, et non pérennes, prises durant la crise sanitaire à travers les mesures d’urgence (chômage partiel, fonds de solidarité pour les entreprises, dépenses de santé…) ou les mesures pour faire face à la crise énergétique et limiter la hausse des prix (boucliers tarifaires, remise carburant, chèques aux ménages modestes et aides sectorielles aux entreprises…) ont eu un coût budgétaire élevé mais sont des réponses temporaires et nécessaires à des chocs économiques spécifiques.

Pour mieux comprendre la dynamique de la dette, nous décomposons les différents éléments qui contribuent à son évolution depuis 2017, que ce soit la conjoncture mesurée par l’écart de production à un PIB potentiel (output gap), les mesures budgétaires exceptionnelles de crise, l’évolution des prix du PIB (par rapport à une trajectoire de référence de 2 %) mais aussi celle de la charge d’intérêts, les ajustements flux-stock2 sur la dette liés aux achats/cessions d’actifs financiers, à la gestion de trésorerie ou à des prêts des administrations à des entités non publiques et enfin, les effets propres à la dynamique du solde structurel primaire hors mesures exceptionnelles (Figure 2). Or, ce dernier point est celui qui a l’effet le plus pérenne et qui serait le plus identifiable comme directement lié à la responsabilité des gouvernements récents dans les choix budgétaires.

2 Ce sont des opérations en capital qui modifient l’actif et le passif des administrations publiques et donc la dette publique au sens de Maastricht sans pour autant avoir un effet sur le déficit public.

3 Parmi ces autres effets, au-delà de l’impact de l’output gap sur le déficit et la dette, il y a l’effet de l’évolution du dénominateur, hors effet prix, sur le ratio dette/PIB ainsi que celui lié au niveau de déficit qui stabilise la dette.

Sur les 12,6 points de PIB d’augmentation de dette publique entre 2016 et 2023, 8,3 points seraient liés aux mesures budgétaires exceptionnelles liées aux crises. Les effets flux-stocks augmenteraient la dette publique de 2,7 points de PIB entre 2016 et 2023. En revanche, l’effet prix baisserait le ratio de la dette par rapport au PIB nominal sur la période (-1,8 point de PIB) en raison du retour de l’inflation en 2022 et 2023 avec un effet « taxe inflationniste » sur la dette. Enfin, la baisse des charges d’intérêts et l’effet de la conjoncture mesuré par l’output gap diminueraient la dette relativement au PIB de respectivement -1,6 et -1,5 point entre 2016 et 2023. Les autres effets3 non directement mesurés représentent une hausse de la dette de 0,5 point de PIB au cours des sept dernières années.

Enfin, les effets budgétaires structurels directement attribuables aux choix discrétionnaires durables représenteraient 6,0 points de PIB, soit 48 % de la hausse totale de la dette publique entre 2016 et 2023. Si l’on retire le plan de relance des mesures structurelles et qu’on le réaffecte à la composante « mesures budgétaires exceptionnelles », on tombe à 3,9 points de PIB de hausse structurelle de la dette publique (et 10,4 points de PIB pour les mesures exceptionnelles), soit 31 % de la hausse totale. Selon le périmètre de référence utilisé pour les mesures exceptionnelles de crise, la part des décisions politiques non liées aux gestions des crises, à la hausse de la dette publique, représente entre 3,9 points et 6,0 points de PIB, soit entre 110 et 170 milliards d’euros de la valeur du PIB de 2023.

Figure 2: Variation de la dette publique par rapport à 2016 et décomposition des différents effets

La hausse structurelle de la dette publique depuis 2017 est en grande partie attribuable à des mesures budgétaires non financées. A partir des projets de loi de finances et de différents documents budgétaires, nous avons reconstitué les principales mesures pérennes qui ont été prises depuis 2017 alors que celles-ci n’étaient pas prévues dans la trajectoire budgétaire initiale de 2017 et qui n’ont pas été compensées. Ici, nous n’analysons pas l’efficacité ou la légitimité des mesures qui répondent à un problème économique identifié (pouvoir d’achat, compétitivité…), mais seulement leur coût budgétaire à partir du moment où celles-ci n’étaient pas prévues dans la trajectoire budgétaire initiale et n’ont pas fait l’objet d’un financement spécifique.

Nous estimons qu’en 2023, l’ensemble des mesures structurelles non financées non prévues représente 40 milliards, entrainant une dégradation du déficit structurel annuel de 1,4 point de PIB par rapport à 2016 (Table 1).

Au total, depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron, selon nos calculs, l’ensemble de ces mesures non prévues non financées auraient augmenté la dette publique de 5,1 points de PIB, soit un montant relativement proche de la contribution estimée à la hausse de la dette des mesures budgétaires pérennes hors mesures exceptionnelles et hors plan de relance (3,9 points de PIB). Environ la moitié de ces mesures budgétaires (renoncement de la hausse de la taxe carbone, annulation de la hausse de CSG pour les retraités modestes, baisse de l’impôt sur le revenu et élargissement supérieur à ce qui était prévu de la prime d’activité) proviennent des réponses au mouvement des gilets jaunes (Table 1). Le reste provient à hauteur de près de 20 milliards de la suppression de la taxe d’habitation pour tous (initialement prévue pour 80 % des ménages) et de la baisse pérenne des impôts sur la production dans le cadre du plan de relance.

Table 1: Mesures budgétaires non prévues et non financées par rapport à la trajectoire budgétaire initiale de 20174

4 Sources: Projets de Loi de Finances, documents budgétaires.

En milliards d’euros 2019 2020 2021 2022 2023
Renoncement hausse de la taxe carbone 3,1 6,2 9,3 11,5 11,5
Annulation hausse CSG retraités modestes 1,5 1,5 1,5 1,5 1,5
Baisse de l’Impôt sur le Revenu 5,0 5,0 5,0 5,0
Suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés 2,6 5,4 8,2
Baisse des impôts sur la production 10,6 11,3 11,2
Elargissement « supplémentaire » de la prime d’activité 2,8 2,8 2,8 2,8 2,8
TOTAL 7,4 15,5 31,8 37,5 40,2
TOTAL (en pts. de PIB) 0,3 0,7 1,3 1,4 1,4

L’effet des crises mesuré par les surprises

La deuxième méthode développée pour mesurer l’effet des crises sur l’évolution de la dette publique française exploite les surprises constatées ex post entre la dette publique observée et une prévision réalisée avant que la crise en question puisse être anticipée. Ainsi, nous mesurons l’effet propre d’une crise initiée à la date t_0 sur le niveau de la dette publique comme l’écart entre le niveau de dette observé à la date t_0+h et le niveau de dette qui était anticipé pour cette date-là avant le déclenchement de la crise5.

5 En fait, comme il peut aussi y avoir des révisions sur les données passées, le niveau de dette initial (à la date t_0-1) peut lui aussi avoir été revu. Pour tenir compte de ce type de révision, on mesure l’effet de la crise comme l’erreur de prévision dans la variation de l’endettement public entre t_0+h et t_0-1. Mais ceci ne modifie pas la logique sous-jacente de la stratégie d’identification de l’effet des crises sur la dette publique.

Nous nous concentrons ici sur une période plus longue qui est celle 2007-2023 et évaluons l’impact des deux récessions identifiées par le Comité de datation des cycles de l’économie Française de l’AFSE qui ont pu avoir un effet sur les finances publiques :

  • la crise financière globale, avec le pic du cycle au premier trimestre 2008 et le creux identifié au deuxième trimestre 2009 ;

  • la crise Covid, avec un pic au quatrième trimestre 2019 et un creux au deuxième trimestre 2020. En outre, nous avons évalué les effets jusqu’à la fin de l’année 2023 pour tenir compte des effets de la crise énergétique, qui a eu un impact très sensible sur la vitesse d’effacement des dispositifs des aides aux agents privés.

Une fois les dates de début des prévisions définies, nous utilisons des prévisions réalisées par le FMI (implicitement, nous supposons que les économistes de l’institution utilisent toute l’information disponible au moment de la réalisation de la prévision et que les crises étudiées ne pouvaient pas être anticipées à ce moment-là) lors de la publication des World Economic Outlook ou des publications des rapports des missions de l’article 4 qui précèdent les cycles économiques identifiés ci-dessus.

Il faut noter que, comme il a déjà été souligné dans la partie précédente, lors du déclenchement d’une crise, la dette publique peut évoluer en raison de différents facteurs tels que la dégradation spontanée du solde conjoncturel, la mise en place de mesures d’urgence pour pallier les effets concrets et non persistants spécifiques à chaque crise, la mise en place d’un plan de relance pour accélérer la reprise post-crise, un surplus de charge d’intérêts pour le futur… Évaluer l’effet propre des crises sur la dette publique nécessite de pouvoir différencier la part de réponse endogène de la politique publique (et à quel horizon cette réaction de politique publique peut être perçue comme indépendante de la crise identifiée). Dans ce contexte, nous allons circonscrire l’analyse de la surprise de dette à la frontière la plus étroite possible afin d’éviter au maximum de capter les effets plus endogènes des réactions de politique publique durables6.

6 Il faut noter que le FMI, comme les autres grandes organisations nationales ou internationales, ne font pas de prévisions trimestrielles de dette publique. Ce problème de fenêtre d’observation nous pousse aussi à élargir l’horizon de la surprise à une année après la fin de la récession.

7 Ceci peut être lié au fait qu’en période de troubles sur les marchés des dettes publiques les réactions endogènes de politique publique peuvent être rapides et de ce fait il devient difficile d’identifier l’effet propre de cette crise sur l’endettement en utilisant des données annuelles.

Nos résultats sont les suivants. Un an après la fin de la récession associée à la crise financière globale, la surprise de dette publique est de 351 milliards d’euros (Table 2), un effet au-dessus des effets de la crise Covid (318 milliards). Il faut remarquer que la crise Covid a pour spécificité d’avoir conduit à une hausse de l’endettement public nettement plus rapide que les autres crises. Selon cette méthode, la crise des dettes souveraines de la zone euro aurait eu un faible effet sur l’endettement public7.

Table 2: Effet des crises sur la dette publique mesuré par l’écart entre l’évolution de la dette publique observée et la variation anticipée de la dette publique avant le déclenchement de la crise8

8 Calculs des auteurs.

Année post-crise Evolution prévue de la dette Evolution observée de la dette Surprise
Crise financière globale 2010 +101 mds +453 mds +351 mds
Crise Covid et crise énergétique 2023 +257 mds +715 mds +458 mds

Selon cette méthode, l’effet immédiat des crises observées depuis 2007 expliquerait un surplus d’endettement de 809 milliards d’euros (soit 44 % de la hausse observée pendant la période). Or, ce chiffre est une borne inférieure : ceci ne doit pas masquer que les effets peuvent être durables sur les trajectoires des déficits et donc de la dette future ainsi que des charges d’intérêts associées. Par ailleurs, la vitesse de la reprise post-crise n’est pas toujours équivalente. Au-delà de l’effet immédiat des récessions, il faut tenir compte de toute la chronique spécifique des pertes d’activité. Ainsi, pour mesurer plus précisément l’effet des crises sur l’endettement public, il est nécessaire d’étudier de plus près les déterminants de la dynamique de la dette et des effets plus durables des crises même après la fin des récessions.

L’effet des crises mesuré par la chute d’activité

La dernière méthode pour mesurer l’effet des crises économiques à la hausse de la dette consiste à mesurer la contribution des crises par son effet sur l’activité et donc sur la baisse des recettes et sur la hausse de dépenses. Nous couvrons l’ensemble de la période 2007-2023.

Tout d’abord, et pour les raisons mentionnées plus haut, nous calculons l’accroissement de la dette en milliards d’euros entre 2007 et 2023, par rapport à un ratio de dette sur PIB de 64,5% en 2007. Ce montant est de 1 300 milliards d’euros. En d’autres termes, si la dette publique était inférieure de 1 300 euros en 2023, le ratio de dette sur PIB serait de 64,5% du PIB en 2023, comme en 2007. Nous mesurons ensuite, la contribution des crises à cette hausse de la dette de 1300 milliards d’euros entre 2007 et 2023.

Pour ce faire, nous considérons l’écart de production (output gap) estimé par l’OFCE de 2007 à 2023. Ensuite, nous utilisons une élasticité du déficit conjoncturel à l‘écart de production de 0,6 (c’est l’élasticité utilisée par la commission européenne) pour calculer le déficit cyclique. Il est important de noter que l’utilisation de cette élasticité moyenne biaise probablement à la baisse la mesure de la contribution des crises à la hausse de la dette. En effet, des mesures exceptionnelles de soutien à l’activité ont été mises en place après les crises et qui peuvent être attribuées à la crise (en plus de cette réponse moyenne systématique). Par exemple et comme expliqué dans la première partie du Blog, attribuer le plan de relance à la crise augmente la contribution de la crise à la hausse de la dette de 52 % à 69 % sur la période 2017-2023.

Le Figure 3 représente l’écart de production comme déviation en pourcentage, du PIB observé au PIB potentiel de la France selon différents instituts. Il existe des écarts entre les mesures des différents instituts, qui proviennent de la difficulté d’estimation d’un PIB potentiel. Cet écart est plus marqué après la crise sanitaire.

Nous discutons en conclusion cette notion de PIB potentiel en présence de crises.

Figure 3: Écarts de production (output gap) pour la France selon le FMI, l’OCDE et l’OFCE

Considérons sur la base de nos estimations, la période d’output gap négatif, de 2009 à 2023, que nous décomposons en trois sous-périodes résumées dans le Table 3 (2007-2010, 2011-2019 et enfin 2020-2023) Puis, à la contribution de l’écart de production au déficit, c’est-à-dire à la contribution du déficit conjoncturel, ajoutons l’évolution de la dette brute due à l’ajustement flux-stock (F&S) comme vu plus haut.Ces ajustements sont d’ordinaire faibles, mais ils augmentent pendant les crises. Par exemple, l’ajustement était de l’ordre de 7 milliards en 2005, mais atteint 100 milliards en 2009 et 74 milliards en 2020. La somme cumulée de ces ajustements sur la période 2007-2023 est de 130 milliards d’euros, avec une contribution négative sur la période 2011-2019 du fait, entre autres, de changement du portefeuille financier de l’État.

Table 3: Effet des crises sur le déficit (en milliards d’euros courants)9

9 Calculs des auteurs.

Période Déficit cyclique Ajustement F&S
Crise financière globale 2007-2010 33 114
Crise de la zone euro 2011-2009 221 -61
Crise Covid et énergétique 2020-2023 232 79

Ce calcul donne un montant total de l’accroissement de la dette dû aux crises de l’ordre de 617 milliards d’euros, soit 47% du total des 1300 milliards d’accroissement de la dette sur la période.

Conclusion : Au-delà de la dette publique

Les trois méthodes présentées dans ce blog donnent une fourchette de l’estimation de la contribution des crises à la hausse du taux d’endettement en France. Une estimation basse est que 44 % de la hausse de l’endettement entre 2007 et 2023 peut être attribué aux crises. Une estimation haute, sur la période 2017-2023, est que 69 % de la hausse de l’endettement provient des crises ou à des mesures qui ne sont pas liées à des mesures budgétaires pérennes. Si les crises jouent un rôle important sur la dynamique de l’endettement public - et donc sur la capacité à faire face aux chocs futurs, elles laissent aussi un effet durable sur le niveau de l’activité. Quatre ans après le début de la crise Covid, le PIB français reste 5 points en-dessous de ce qu’il serait s’il avait suivi sa tendance pré-Covid. Lorsqu’on compare avec la crise financière de 2007, l’écart était aussi de plus de 5 points (Figure 4). Par ailleurs, la tendance de PIB a aussi été atténuée à la suite de la crise financière globale. Si la crise financière globale a eu un effet permanent sur le niveau potentiel de l’activité française, la question reste ouverte pour les suites de la pandémie et de la crise énergétique. Ce manque permanent d’activité questionne aussi sur la soutenabilité des comptes publics. Ainsi, l’action publique doit non seulement répondre aux chocs mais aussi réduire les vulnérabilités (économiques, sécuritaires ou environnementales) qui peuvent poser des nouveaux défis dans le futur.

Figure 4: Evolution du PIB en volume (T4 2007 = 100)