La fécondité et les aides financières aux familles dans l’Union Européenne : un point sur les données

L’état de la fécondité dans l’Union Européenne

Union européenne
Démographie
Protection sociale
Autrices, auteurs
Date de publication

18 janvier 2024

Les taux de fécondité dans l’Union européenne

En ce milieu de janvier 2024, l’INSEE a publié le taux de fécondité de la France pour l’année 2023, s’établissant à 1,68 enfant par femme. Cela marque la neuvième année consécutive de baisse, conduisant à un taux au plus bas depuis 1994. Dans cette note, nous replaçons la fécondité française dans le cadre élargi de l’Union Européenne et dans une perspective de long terme pour tenter d’en déterminer les grandes lignes. Nous mettons notamment les taux de fécondité des différents pays de l’Union au regard de leurs dépenses sociales en soutien des familles, avant de dresser un rapide bilan de la littérature sur les déterminants de la fécondité.

La situation en 2021

La tendance à la baisse du nombre de naissance en France remet en question son statut de nation la plus féconde de l’Union européenne, une position qu’elle occupait encore en 2021 (dernière année disponible pour des comparaisons internationales) avec un taux de fécondité de 1,84 enfant par femme (voir Figure 1). La France voit désormais sa position contestée de près par deux pays d’Europe de l’Est, à savoir la République tchèque et la Roumanie, tous deux affichant un taux supérieur à 1,8. Suivent ensuite l’Irlande, le Danemark et la Suède, situés au nord du continent, avec un taux respectif de 1,78, 1,72 et 1,67 enfant par femme. En revanche, à l’autre extrémité du spectre, certains pays d’Europe du sud enregistrent un taux de fécondité inférieur à 1,3, tels que Malte (1,13), l’Espagne (1,19) et l’Italie (1,25). Les pays affichant un taux de fécondité compris entre 1,3 et 1,4, comme la Pologne (1,33), le Portugal (1,35), la Lituanie (1,36), le Luxembourg (1,38) et Chypre (1,39), ne connaissent guère une situation plus encourageante en termes de natalité. Les treize autres pays de l’Union se situent tous autour de la moyenne européenne, qui s’établit à 1,53 enfant par femme, avec des variations de plus ou moins 0,1 enfant. Le constat est clair : l’Union européenne fait face à un vieillissement démographique « par le bas » de la pyramide des âges (auquel s’ajoute un vieillissement « par le haut » lié à l’augmentation de l’espérance de vie - voir Gannon, Le Garrec, et Touzé (2020) pour l’étude de l’impact différencié sur l’économie de ces deux facteurs du vieillissement démographique). Même les pays les plus féconds ne parviennent plus à atteindre le seuil symbolique des 2,1 enfants par femme, niveau nécessaire au renouvellement des générations. Il est également important de souligner que la situation évolue au sein de l’Union européenne. En 2021, la plupart des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), à l’exception de la Lituanie et surtout de la Pologne, surpassent la moyenne européenne, marquant un changement significatif par rapport à la situation observée vingt ans auparavant.

Figure 1

Un paysage en mutation

Si l’on compare depuis le début des années 2000, les taux de fécondité des pays qui composent aujourd’hui l’Union Européenne, tous les pays d’Europe centrale et orientale (qui n’ont rejoint l’Union européenne qu’en 2004 pour les premiers, en 2013 pour le dernier, la Croatie) figuraient en bas du classement. Notamment, la République tchèque, qui fermait la marche avec seulement 1,15 enfant par femme en 2001, a vu son taux de fécondité augmenter de 0,68 enfant par femme en vingt ans. L’analyse de la Figure 2 révèle un schéma de convergence des taux de fécondité, illustré par une tendance linéaire. Ainsi, on peut observer que, à l’exception de l’Espagne, l’Italie et la Pologne, les pays moins féconds il y a vingt ans ont enregistré une augmentation du nombre d’enfants par femme. En revanche, les pays les plus féconds ont vu leur taux de fécondité diminuer, entraînant la France et l’Irlande à passer sous la barre des 2 enfants par femme. Comparé à la trajectoire moyenne décrite, la République tchèque et la Roumanie ont significativement surpassé les attentes en matière d’augmentation de leur fécondité. En revanche, l’Italie, l’Espagne, la Pologne, le Portugal et surtout Malte, ont sous-performé en termes du nombre attendu d’enfants par femme. Ainsi, selon l’évolution moyenne européenne, Malte aurait dû voir son taux de fécondité se stabiliser, voire légèrement augmenter, alors que dans les faits, il s’est effondré pour atteindre 1,13 enfant par femme en 2021. Si l’on accrédite l’idée d’une convergence des taux de fécondité au sein de l’Union européenne telle que représentée sur la Figure 2, ces derniers se stabiliseraient alors entre un peu plus de 1,4 et un peu moins de 1,8 (la bande grise représentant l’intervalle de confiance à 99%). En tout cas, le seuil des 2,1 enfants par femme semble bien inatteignable.

Figure 2

Encadré : Fécondité et mortalité

Dans la quête des déterminants de la fécondité, la théorie de la transition démographique met en lumière le rôle central de la mortalité. Selon cette approche, une société confrontée à une mortalité (en particulier infantile) élevée ne peut assurer sa survie qu’en maintenant une fécondité élevée. Ainsi, elle établira des normes et des institutions favorisant une forte fécondité (mariage précoce, organisation traditionnelle de la famille, forte influence de la religion …). Dans cette histoire qui se veut universelle (même si elle a été abondamment discutée et amendée, voir Kaa (1996)), la baisse de la mortalité liée au progrès technique (hausse du niveau de vie, amélioration de l’alimentation, progrès des techniques et de connaissances médicales, amélioration de l’hygiène) a initialement entraîné une croissance de la population, suivie par une baisse de la fécondité le temps que les institutions s’ajustent progressivement au nouvel environnement, favorisant l’émergence de valeurs plus individualistes. Ainsi, dans cette perspective, la réduction de la mortalité est associée à une baisse de la fécondité, car l’objectif des familles se déplace du plus grand nombre de naissances vers le désir d’avoir un certain nombre d’enfants en vie et de les élever dans des meilleures conditions. En ce qui concerne la France, le lien entre la mortalité infantile et la fécondité est clairement établi entre 1965 et 1980, comme illustré sur la Figure 3(a) (pour la lisibilité du graphique, et sans perte de généralité, l’intervalle des données s’arrête en 2007). Cependant, ce lien semble avoir disparu après cette période, marquant le début de la phase post-transitionnelle. Cette dernière se caractérise par la transformation des structures familiales, notamment par la diffusion de l’emploi salarial des femmes. De même, au sein de l’UE, en 2018, la mortalité infantile apparaît peu prédictive des niveaux de fécondité (Figure 3(b)), suggérant bien une évolution des facteurs influençant la fécondité au-delà de la simple relation avec la mortalité infantile.

Figure 3

Les dépenses sociales publiques pour les familles

A la recherche des facteurs déterminant la fécondité, en complément de la mortalité (voir encadré), de nombreuses études se sont penchées sur les dépenses sociales destinées aux familles. L’idée sous-jacente est que la réduction du coût lié à l’enfant devrait stimuler la fécondité. Mais dans quelle mesure? Les transferts financiers destinés aux familles se déclinent en trois catégories : en espèces, en nature, ou sous forme d’allègements fiscaux. Certains de ces transferts sont liés à une prime à la naissance, intervenant ainsi une seule fois au cours de la vie de l’enfant, tandis que la plupart sont octroyés de manière régulière, parfois soumis à des conditions de ressources, et ce jusqu’à ce que l’enfant atteigne un certain âge. Comme illustré sur la Figure 4, selon la base de données sur les familles de l’OCDE, au sein de l’Union européenne, le montant total de ces transferts varie en 2019, de 1,4% du PIB en Espagne à 3,4% en France, en Suède et au Luxembourg. Parmi ces trois derniers pays, la France se distingue en étant le seul à mettre en œuvre des allègements fiscaux, représentant 21% du total. La Suède quant à elle privilégie les prestations en nature (61% des dépenses) tandis que le Luxembourg opte majoritairement pour les versements en espèces (68% des dépenses). Bien que tous les transferts aux familles ne soient pas explicitement orientés vers des objectifs natalistes (mais plutôt destinés à compenser le coûts d’éducation des enfants, à réduire leur risque de pauvreté ou à améliorer leur niveau de vie), il semble que, dans les pays de l’Union européenne (hors PECO), un soutien financier plus généreux soit corrélé à une fécondité plus élevée. D’un côté, les pays du sud de l’Europe tels que l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Italie se caractérisent par une faible fécondité et un faible soutien financier aux familles (1,4% du PIB en Espagne, 1,7% au Portugal, 1,8% en Grèce et 2% en Italie). À l’inverse, la France, ainsi que deux pays nordiques, le Danemark et la Suède, affichent des taux de fécondité supérieurs à 1,7 enfant par femme (en 2019), associés à des dépenses sociales en soutien des familles plus de deux fois supérieures à l’Espagne (3,4% du PIB en France et en Suède, 3,3% au Danemark). Bien que les études convergent généralement dans l’observation d’un effet positif des transferts financiers sur la fécondité, elles s’accordent également sur leur impact limité, voire faible. Par exemple, les résultats d’Ekert (1986) attribuent un supplément de seulement 0,2 enfant par femme aux dépenses de politique familiale française, représentant alors 16% du coût total d’un enfant (voir Gauthier et Philipov (2008) et Thévenon (2014) pour des revues de la littérature). Certaines études précisent par ailleurs que les aides financières auraient davantage d’impact sur le calendrier des naissances, effet capté par l’indice conjoncturel (somme des taux de fécondité par âge d’une année), et très peu sur la descendance finale (somme des taux de fécondité par âge d’une génération). L’effet serait ainsi plus transitoire que permanent. Gauthier et Philipov (2008) et Sobotka, Matysiak, et Brzozowska (2019) soulignent enfin que l’instabilité des politiques familiales, marquée par des réformes trop fréquentes et l’annulation intempestive de certaines mesures, aurait rendu la politique familiale de certains pays imprévisible, illisible et peu fiable. Cela limiterait la capacité des ménages à l’intégrer dans leur projet d’enfant. Selon Spéder (2016), c’est notamment le cas en Hongrie (comme dans beaucoup de pays d’Europe de l’est depuis l’effondrement de l’URSS) même si les transferts financiers y sont substantiels, supérieur à 3% du PIB en 2019.

Figure 4

En définitive, au-delà des aides financières (mais aussi d’autres facteurs : culturels, niveaux de vie, politique, …), l’élément qui semble faire consensus dans la littérature pour expliquer les niveaux de fécondité dans l’Union européenne au cours de la période récente est la plus ou moins grande flexibilité offerte aux femmes pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Ce consensus repose sur le constat que les pays affichant une fécondité plus élevée ont également, en moyenne, des taux d’emploi des mères (d’enfants de moins de 15 ans) plus élevés, dépassant les 80% en Suède et au Danemark, par exemple, et restant inférieurs à 60% en Italie en 2020. Dans ce contexte, la littérature met particulièrement en avant l’importance de l’accès aux infrastructures de garde des jeunes enfants, facilitant le retour précoce des femmes sur le marché du travail. L’effet positif mis en exergue est non seulement constaté sur l’indice conjoncturel, mais aussi sur la descendance finale, témoignant d’un impact durable (Sobotka, Matysiak, et Brzozowska (2019)).

Bibliographie

Ekert, O. 1986. « Effets et limites des aides financières aux familles : une expérience et un modèle ». Population, nᵒ 41: 327‑48. https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1986_num_41_2_17618.
Gannon, F., G. Le Garrec, et V. Touzé. 2020. « The South’s Demographic Transition and International Capital Flows in a Financially Integrated World Economy ». Journal of Demographic Economics, nᵒ 86: 1‑45. https://doi.org/doi:10.1017/dem.2019.17.
Gauthier, O., et D. Philipov. 2008. « Can policies enhance fertility in Europe? » Vienna Yearbook of Population Research, nᵒ 6: 1‑16. https://www.jstor.org/stable/23025489.
Kaa, D. J. van de. 1996. « Anchored Narratives: The Story and Findings of Half a Century of Research into the Determinants of Fertility ». Population Studies, nᵒ 50: 389‑432. http://www.jstor.com/stable/2174640.
Sobotka, T., A. Matysiak, et Z. Brzozowska. 2019. « Policy responses to low fertility: How effective are they? » https://www.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/Policy_responses_low_fertility_UNFPA_WP_Final_corrections_7Feb2020_CLEAN.pdf.
Spéder, Zsolt. 2016. « Fertility Decline and the Persistence of Low Fertility in a Changing Policy Environment—A Hungarian Case Study ». In Low Fertility, Institutions, and their Policies: Variations Across Industrialized Countries, édité par Ronald R. Rindfuss et Minja Kim Choe, 165‑94. Cham: Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-32997-0_7.
Thévenon, O. 2014. « Evaluer l’impact des politiques familiales sur la fécondité ». Informations Sociales, nᵒ 183: 50‑62. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-3-page-50.htm.