Allemagne: l’investissement public au chevet de la croissance
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Ce post est issu du chapitre consacré à l’Allemagne dans la prévision OFCE d’avril 2025
Après deux années de récession, l’économie allemande reste marquée par une consommation atone, une industrie en perte de vitesse et une crise dans la construction. A la crise économique s’ajoute l’instabilité politique : à l’issue des élections fédérales anticipées du 23 février, une « grande coalition » entre la CDU/CSU et le SPD est apparue comme la seule option viable pour former un gouvernement stable. Le 9 avril, un accord de coalition de 140 pages a été présenté, définissant les grandes orientations du futur gouvernement dirigé par Friedrich Merz. Outre un durcissement de la politique migratoire, des réformes fiscales et sociales, cet accord prévoit une augmentation des investissements publics, en particulier dans la défense et la modernisation des infrastructures.
L’accord de coalition reprend ainsi l’accord politique antérieur conclu début 2025 pour lancer un vaste plan d’investissement public dans les infrastructures et la défense. Ce plan, financé hors des contraintes habituelles d’endettement, devrait jouer un rôle moteur dans la reprise. Grâce à une forte impulsion budgétaire, l’Allemagne retrouverait une croissance de 1,5 % en 2026. L’investissement public devient ainsi, potentiellement, la clé du redressement économique allemand. N’en reste pas moins qu’entre un contexte international tendu, marqué par les menaces sur le commerce extérieur, et les premières fissures apparentes au sein de la « grande coalition »1, le futur de la croissance allemande reste incertain.
1 Les discussions actuelles sur l’accord de coalition sont marquées par des divergences sur des questions sociales et fiscales, notamment le salaire minimum et la fiscalité des bas revenus. Sur la question du salaire minimum, la CDU insiste pour que toute modification reste du ressort de la commission indépendante dédiée, refusant une hausse automatique par voie législative. Cette position suscite des dissensions internes au sein du SPD, et des critiques, notamment de la part des Jusos (jeunesses du parti) et de l’aile gauche.
2024: deuxième année consécutive de récession
En 2024, le produit intérieur brut a reculé de 0,2 % par rapport à l’année précédente; fin 2024, il se situait à peine au-dessus de la moyenne de 2019. Cette piètre performance s’explique par trois facteurs : une faible consommation privée malgré le dynamisme du revenu disponible réel ; la baisse de production de l’industrie manufacturière, notamment liée à la perte de compétitivité-prix ; la crise dans le secteur de la construction avec une perte d’un cinquième de la valeur ajoutée entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2024.
Si la consommation publique a fortement progressé (+3,5 % en 2024), les dépenses de consommation privée des ménages sont restées limitées, n’augmentant que de 0,3 % en 2024, malgré la progression soutenue du revenu disponible réel (+1,5 % en 2024), porté par des salaires réels dynamiques (+2,9 %). Ainsi, les ménages ont privilégié l’épargne en raison de l’incertitude économique et d’une conjoncture morose sur le front de l’emploi marquée par l’augmentation du taux de chômage ; le taux d’épargne a ainsi progressé d’un point pour s’établir à 11,4 % en 2024. En 2024, la forte croissance des salaires et l’affaiblissement de la productivité ont entraîné une très forte augmentation des coûts salariaux unitaires réels. Mais en réalité, il s’agit d’une normalisation, étant donné les baisses de salaires réels passées liées à la résurgence de l’inflation2. Sur le front de l’investissement privé, la FBCF s’est contractée de 2,6 % en 2024, avec une chute particulièrement marquée de l’investissement en machines et équipements (-5,1 % en 2024). Dans la construction, la FBCF a également reculé de 3,2 % en 2024 ; en revanche, le quatrième trimestre est en progression, en partie grâce aux conditions météorologiques clémentes. En 2024, la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande a été fortement négative (-0,6 point), notamment en raison d’un recul des exportations. Ainsi, au 4e trimestre 2024, les exportations de biens et services ont considérablement baissé (-2,2%) par rapport au 3e trimestre 2024, malgré le dynamisme de la demande mondiale. Cela découle de la perte de compétitivité de l’industrie allemande, notamment vis-à-vis de la Chine : en 2024, les exportations de biens vers la Chine étaient inférieures de 20 % à leur niveau de 2019 (graphique 1). Par ailleurs, la divergence s’accroît entre l’évolution de la valeur ajoutée brute en volume dans l’industrie manufacturière et dans le secteur des services. Au quatrième trimestre 2024, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière a baissé de 0,6 %, soit la septième baisse consécutive.
2 Le niveau des salaires réel au quatrième trimestre 2024 est encore inférieur de 1,2 % à son niveau du quatrième trimestre 2019.
Une reprise progressive, qui s’accélère en 2026
Les élections fédérales du 23 février 2025 ont placé la CDU-CSU en tête des suffrages, avec 28,6 % des voix. Le chef de file de la CDU, Friedrich Merz, pressenti comme futur chancelier, a conclu un accord de principe pour former une coalition avec les sociaux-démocrates du SPD, arrivés en troisième position. Cet accord de gouvernement marque un tournant majeur pour la première économie européenne ; il prévoit notamment un investissement massif dans les infrastructures et dans la défense, ce qui devrait stimuler l’économie allemande à court terme et augmenter le potentiel de production à long terme (encadré 1). Ainsi, nous inscrivons une impulsion budgétaire de 1 % du PIB en 2026, qui se traduirait par un surcroît de croissance de 1 point.
En 2025, le PIB stagnerait ; la faiblesse de la conjoncture et le niveau élevé de l’incertitude pèseraient encore sur l’investissement, mais ces freins se lèveraient en 2026. Ainsi, l’Allemagne devrait connaître une reprise en 2026 avec une croissance de 1,5 % : outre la politique monétaire moins restrictive, c’est l’augmentation des investissements publics et privés qui soutiendrait la croissance. Etant donnée la forte dégradation du cycle de productivité depuis 2019, l’essentiel de cette croissance se traduirait par des gains de productivité par tête, et l’emploi stagnerait entre le dernier trimestre 2024 et le dernier trimestre 2026, avec pour corollaire une augmentation du taux de chômage (de 3,4 % à 3,8 % entre 2024 et 2026). Sous l’effet de la relance budgétaire, le déficit public devrait se creuser, atteignant 3,1 % du PIB en 2026, et la dette publique devrait passer de 63,3 % du PIB en 2024 à 65,2 % en 2026.
Malgré le stimulus budgétaire, plusieurs éléments pèseront sur la croissance. Le commerce extérieur apporterait une contribution négative : la hausse des droits de douane et la perspective d’une fragmentation accrue du commerce mondial aura un effet négatif sur les exportations allemandes. Par ailleurs, le revenu disponible réel des ménages devrait stagner en 2025, avant de progresser faiblement en 2026. En effet, la baisse de l’inflation – liée en 2025 à la baisse des prix de l’énergie que nous inscrivons en prévision – devrait entraîner une moindre progression des salaires réels. Bien que le retour de la croissance et la baisse de l’inflation plaideraient pour la baisse du taux d’épargne – durablement plus élevé par rapport à la période pré-covid – , ce dernier baisserait très faiblement entre 2024 et 2026 en raison de l’incertitude économique et de l’augmentation du taux de chômage. Au total, la consommation privée augmenterait de 0,4 % en 2025 et 0,8 % en 2026.
Les fonds spéciaux (Sondervermögen) sont des budgets exceptionnels créés en dehors du budget fédéral ordinaire, souvent destinés à financer des projets spécifiques comme la modernisation de l’armée ou la transition énergétique, sans affecter directement les règles strictes d’endettement de l’Allemagne. Il en existe 29 et le plus ancien date de 1951.
Dullien, S., Jürgens, E., Paetz, C. et Watzka, S. (2021). Makroökonomische Auswirkungen eines kreditfinanzierten Investitionsprogramms in Deutschland, IMK Report, 168, Mai 2021.
Le multiplicateur budgétaire est calculé comme la somme pondérée des multiplicateurs associés à chaque type de mesure.
en % |
2024
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2025
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de 2024t3 à 2026t4 |
2024
|
2025
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2026
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T3 | T4 | T1 | T2 | T3 | T4 | |||||
PIBa | 0,1 | −0,2 | 0,1 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | −0,2 | 0,1 | 1,5 | |
PIB par habitanta | 0,1 | −0,2 | 0,0 | 0,2 | 0,1 | 0,2 | −0,4 | 0,1 | 1,4 | |
Consommation ménagesa | 0,2 | 0,1 | 0,1 | 0,1 | 0,1 | 0,1 | 0,3 | 0,4 | 0,8 | |
Consommation publiquea | 1,5 | 0,4 | −0,2 | 0,4 | 0,4 | 0,7 | 3,5 | 2,0 | 2,9 | |
FBCF totalea,b | −0,5 | 0,4 | 0,0 | 0,4 | 0,5 | 0,6 | −2,6 | 0,3 | 4,1 | |
dont : productive privéea | 0,1 | −0,4 | 0,2 | 0,5 | 0,6 | 0,8 | −2,3 | 0,4 | 4,2 | |
logementa | −1,1 | 0,8 | −0,5 | 0,2 | 0,3 | 0,4 | −4,9 | −0,8 | 3,3 | |
APUa,b | −1,6 | 2,9 | 0,3 | 0,4 | 0,4 | 0,4 | 2,7 | 1,9 | 4,7 | |
Exportationsa,c | −1,9 | −2,2 | 0,3 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | −1,0 | −2,0 | 1,4 | |
Importationsa,c | 0,6 | 0,5 | 0,2 | 0,3 | 0,4 | 0,5 | 0,3 | 1,8 | 2,3 | |
Demande intérieurea,d,e | 0,4 | 0,2 | 0,0 | 0,2 | 0,2 | 0,3 | 0,4 | 0,7 | 1,9 | |
Variations de stocksa,e | 0,9 | 0,8 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | −0,0 | 1,1 | 0,0 | |
Commerce extérieura,c,e | −1,1 | −1,3 | 0,0 | −0,0 | −0,1 | −0,1 | −0,6 | −1,7 | −0,4 | |
Inflationf | 2,2 | 2,6 | 2,4 | 1,5 | 1,4 | 2,0 | 2,5 | 1,8 | 2,1 | |
Taux de chômageg | 3,5 | 3,4 | 3,5 | 3,6 | 3,7 | 3,8 | 3,4 | 3,7 | 3,8 | |
Solde couranth | — | — | — | — | — | — | 5,7 | 4,5 | 4,0 | |
Déficit publich | — | — | — | — | — | — | 2,2 | 2,5 | 3,1 | |
Dette publiqueh | — | — | — | — | — | — | 63 | 64 | 65 | |
Impulsion budgétairei | — | — | — | — | — | — | −0,9 | 0,0 | 1,0 | |
Sources : Destatis, prévision OFCE avril 2025. | ||||||||||
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle,
pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.
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