Peu importe la fin de l’histoire, l’incertitude de politique commerciale aura des effets sensibles sur le commerce mondial
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Introduction
Après les annonces de Donald Trump concernant une montée générale des droits de douane bilatéraux, le 2 avril 2025 entrera dans les livres d’histoire économique comme le « le jour de la Libération ». Si les annonces du 2 avril sont particulièrement détaillées, elles succèdent une longue liste d’annonces qui ont marqué le début de son deuxième mandat à la présidence des Etats-Unis de Donald Trump. Le Peterson Institute tente de retracer la chronologie exhaustive des annonces de la nouvelle administration. Pour le seul mois de mars 2025, l’institut recense 15 annonces majeures concernant à la fois les relations bilatérales avec la Chine, le Canada, le Mexique, l’Union Européenne mais aussi l’ensemble des partenaires commerciaux dans certains secteurs précis (bois et acier). Selon D. Irwin, la concrétisation des annonces de Trump porteraient les droits de douanes appliqués aux Etats-Unis à leur plus haut niveau depuis la deuxième guerre mondiale et ceci bien avant « le jour de la Libération ».
Au 1er trimestre de l’année, la hausse effective des droits de douane s’est avérée moins rapide à celles des menaces verbales. Néanmoins, ceci ne veut pas dire que le climat de guerre commerciale ambiant n’est pas sans conséquence sur l’économie mondiale. En moyenne, en janvier et en février, les importations américaines en biens s’établissent 10 points au-dessus de leur niveau de décembre. Ce fort dynamisme pourrait s’expliquer par la volonté des importateurs de constituer des stocks de produits étrangers avant leur probable renchérissement.
Une montée de l’incertitude commerciale certaine
Si jusqu’ici la montée des barrières au commerce sont restés, au moins jusqu’au 2 avril, pour l’essentiel au stade de menace le contexte ne laisse pas augurer de la poursuite du status quo. Caldara et al. (2020) ont construit un indice qui essaye de mesurer l’ampleur de l’incertitude portant sur la politique commerciale américaine. Cet indice est construit sur la base des recensions d’articles de presse tirés de sept journaux1. Selon les auteurs, cet indicateur est fortement corrélé avec la volatilité des droits de douanes américains.
1 Les journaux mobilisés sont: Boston Globe, Chicago Tribune, Guardian, Los Angeles Times, New York Times, Wall Street Journal, et Washington Post.
Au mois de mars, l’indice construit par Caldara et al. (2020) s’établit à un niveau historiquement élevé (à un niveau 13 fois supérieur à son écart-type historique) et traduit bien l’ampleur historique des tensions en cours (Figure 1).
Pour essayer d’évaluer l’effet d’un tel niveau d’incertitude, nous avons utilisé la méthodologie présentée dans Sampognaro (2022) pour modéliser les effets d’un choc d’incertitude sur le commerce mondial en marchandises. Pour cela nous avons construit un modèle reliant l’indice d’incertitude de politique commerciale américaine, le taux de droits de douanes implicites, l’indice de prix des échanges commerciaux de marchandises et le commerce mondiale de marchandises en volume2. Le modèle est estimé à partir de l’an 2000 en raison de la disponibilité des données mensuelles du CPB. Pour pouvoir identifier l’effet causal des chocs d’incertitude sur les autres variables un ordre chronologique des liens de causalité a été supposé comme dans Sampognaro (2022)3.
2 Ces données sont produites par le CPB sauf pour les droits de douane qui sont calculés comme le taux de droits de douane implicite calculé à partir de données du BEA.
3 Il a été supposé l’ordre suivant de causalité entre les variables: (1) risque de politique commerciale, (2) taux implicite de droits de douanes, (3) prix des échanges internationaux et (4) commerce mondial en volume.
Avec des effets concrets sur le cours de l’économie mondiale
Selon notre estimation, une variation inattendue d’une unité du logarithme de l’indice d’incertitude de politique commerciale (TPU selon son acronyme en anglais) se traduit, à très court terme, par la légère hausse du volume du commerce mondial de marchandises (Figure 2) suite au choc d’incertitude (+1,5% pendant le premier mois). Ces variations pourraient s’expliquer par la réaction des importateurs qui essayent de constituer des stocks de marchandises en vue de contourner les hypothétiques barrières commerciales à venir. Les exportateurs augmenteraient aussi leurs prix comme l’atteste notre estimation d’une hausse de l’indice de prix des marchandises échangées (+1,0 %) comme réaction à un choc d’incertitude de politique commerciale.
Toutefois, ces effets ne sont que de court terme. Un choc d’incertitude de politique commerciale a des effets significatifs sur les échanges internationaux à moyen terme. Selon notre estimation, neuf mois après le début de l’épisode d’incertitude le volume des échanges de marchandises resterait significativement déprimé (-5 points). Au même horizon, l’effet sur les prix ne serait pas significatif.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le « jour de la libération » constitue la fin de la phase d’incertitude4 ou si ce type d’effet restera prégnant pour comprendre les évolutions de l’économie mondiale. Donald Trump semble suggéré que la négociation reste possible mais il le dit depuis une position de force. Même si la guerre commerciale reste à un stade verbal, les stigmates sur l’économie mondiale pourraient être durables. Ceci suggère que les acteurs économiques peuvent utiliser une stratégie de derisking (Cerdeiro et al. 2024) en cas d’incertitude sur le coût de leurs achats à l’étranger. Ainsi, les chaînes de valeur se détourneraient des fournisseurs étrangers lorsque le prix futur des achats devient plus incertain5.
4 Et le début des effets concrets du changement effectif des droits de douanes.
5 Ou l’accès à des fournisseurs étrangers si l’incertitude porte sur des barrières non tarifaires.
Dans la situation actuelle, il faut noter que l’indice d’incertitude de politique commerciale s’établit (en logarithme) à un niveau supérieur de 1,4 unités par rapport au niveau précédant l’élection de Donald Trump d’octobre 2024. Selon le modèle ici estimé, les échanges internationaux peuvent rester durablement amputés (au moins à horizon 2026) du fait des tensions en cours et pourrait avoir des conséquences non négligeables sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.