Annee | prix chainés | prix constants |
---|---|---|
2019 | 2.1 | 2.0 |
2020 | -7.6 | -7.7 |
2021 | 6.8 | 6.8 |
2022 | 2.6 | 2.8 |
2023 | 1.1 | 0.5 |
2024 | 1.1 | 1.0 |
Source INSEE Comptes nationaux trimestriels à prix chainés et prix constants (version du 30/01/2025). calculs OFCE. Le taux de croissance à prix constants est calculé avec les prix de l'année 2020. |
Retour sur la croissance française en 2022 et 2023: un partage volume prix sur courant alternatif
Autrices, auteurs
Des différences significatives entre croissance à prix constant et à prix chainés en 2022 et 2023
Pour quantifier l’évolution du produit intérieur brut (PIB), les comptables nationaux doivent différencier l’effet de la hausse des prix de celui de la hausse des volumes. Il existe plusieurs méthodes pour effectuer le partage volume-prix du PIB. La première est celle des prix constants. Les volumes sont évalués aux prix d’une année donnée sans tenir compte de la déformation de la structure de prix au cours du temps. Les volumes sont évalués en utilisant des prix potentiellement très éloignés des prix actuels, donnant à certaines branches un poids complétement disproportionné dans le PIB et ses évolutions. Une solution est de changer régulièrement d’année de base mais le problème se déplace alors vers les années élognées dans le temps pour lesquels les taux de croissance deviennent potentiellement peu significatifs. De plus, la chronologie est modifiée à chaque changement d’année de base. Face à ces difficultés, les différents instituts statistiques nationaux ont progressivement adopté la méthode des prix de l’année précédentes chainés. Chaque année, la décomposition de la croissance économique entre volume et prix est calculée en utilisant les prix de l’année précédente. En France, les comptes nationaux sont publiés en volume à prix chainés depuis 2007. Cependant, des comptes nationaux trimestriels à prix constant sont toujours élaborés par l’Insee car ils sont plus aisés à manipuler dans les modèles macroéconomiques 1. Ceux-ci font apparaitre en 2022 et 2023 une divergence limitée mais néanmoins surprenante avec les comptes à prix chainés. La croissance du PIB à prix constants est plus forte de 0.3 pt en 2022 mais plus faible de 0.6 pt en 2023 (Table 1 et Figure 1). Au final, le PIB à prix constants de l’année 2020 est inférieur de 0.3 pt au PIB à prix chainés à la fin 2024 (Figure 1). Ce constat est surprenant car la divergence se crée en un temps très court. L’année de base étant 2020, comptes à prix chainés et à prix constants sont identiques en 2021. Ils divergent au fur et à mesure que la structure de prix se déforme mais cette déformation est supposée se faire très progressivement.
1 En effet, les séries en volume aux prix chaînés ne sont pas additives ce qui introduit une complexité supplémentaire dans les modèles.
Ces différences s’expliquent essentiellement par la trajectoire de la branche énergie.
Une analyse plus poussée des données issues des comptes trimestriels ainsi que les travaux de l’INSEE sur la contribution de l’arrêt des centrales nucléaires à la croissance française2 nous permettent d’affirmer que la divergence entre prix constants et prix chainés provient de la branche énergie. Pour cela, nous utilisons à la fois l’approche production et l’approche demande du PIB. Dans l’approche production, nous calculons la contribution à la croissance du PIB de l’évolution de la valeur ajoutée de la branche énergie eau déchets (A17-DE)3. Nous réalisons le calcul en utilisant les comptes à prix chainés puis les comptes à prix constant, puis nous calculons la différence entre les deux contributions. Dans l’approche demande, la méthode est similaire mais porte sur la contribution des emplois finaux en produit « énergie, eau, déchets » à la croissance économique. La différence de taux de croissance entre prix chainés et prix constants s’explique bien par une contribution beaucoup plus forte de la valeur ajoutée de la branche énergie dans l’approche production et par une contribution beaucoup plus forte des exportations et importations en produit énergie dans l’approche demande (Figure 2).
2 Voir plus exactement: Morvan, Fanch. 2024. « En 2023, le redémarrage des centrales nucléaires a contribué pour un demi-point à la croissance du PIB », in « Du PIB, des jeux et des inconnus », Notes de Conjoncture INSEE, P24-25.
3 Cette branche inclut notamment la branche électricité mais aussi les produits des industries extractives ainsi que les branches eau et déchets (ces derniers ne jouant qu’un rôle très limité ici)
L’impact sur le partage volume prix du commerce extérieur
Les importations et exportations d’électricité ont été particulièrement impactées par l’arrêt des centrales nucléaires. Les agrégats du commerce extérieur sont également affectés par le phénomène décrit dans les paragraphes précédents. La baisse des exportations a été valorisé au prix de 2021 tandis que le hausse est évaluée aux prix de 2022. Le chainage conduit donc probablement à surestimer le volume d’exportations et à sous estimer le déflateur des exportations. Inversement, la hausse des importations est évaluée aux prix de 2021, puis la baisse aux prix de 2022. Au final, le volume d’importation est sous estimée et le déflateur surestimée. En conséquence, les comptes nationaux à prix chainés présente une évolution des termes de l’échange plus défavorable qu’elle ne l’est en réalité. On peut le vérifier en comparant l’évolution des termes de l’échange dans les comptes nationaux à prix chainés et à prix constants (Figure 3). On remarque ainsi qu’à prix constants, malgré le choc énergie subi par l’économie française et la dépréciation de l’euro par rapport au dollar, les termes de l’échange sont meilleurs fin 2024 qu’ils ne l’étaient fin 2019.
Attention à 2024 et 2025
L’impact demeure pour le moment quantitativement limité. Cependant, il pourrait devenir beaucoup plus important en cas de révision à la hausse de la production d’énergie en 2024 ou d’amplification du rebond en 2025. En 2024, la branche énergie (DE) n’a pas retrouvé dans les comptes nationaux son niveau d’activité de 2019 en volume. Avec les volumes à prix chainés, donc en ne prenant pas en compte les effets de chainage au sein de la branche, la production reste inférieure de 6% et la valeur ajoutée de 10%. Si les effets de chainage au sein de la branche sont pris en compte et qu’on raisonne à prix constants, la production est 9% en dessous de son niveau de 2019 et la valeur ajoutée 20% en dessous. Cette dégradation est probablement en partie durable (vieillissement des centrales nucléaires, remplacement du gaz russe par du gaz naturel liquéfié) comme mentionné ici, mais de fortes variations ne sont pas à exclure les prochaines années avec probablement encore un léger biais à la hausse. L’impact sur le taux de croissance français serait alors significatif5. Cela ne signifie pas qu’il faille automatiquement anticiper un tel effet. Il s’agit davantage de souligner la sensibilité du taux de croissance de l’économie française à de forts mouvements sur la branche énergie et le cas échéant d’en relativiser la signification économique.
5 A titre illustratif, dans le cas extrême où la valeur ajoutée de la branche énergie reviendrait à prix constants à son niveau de 2019 en 2025, l’effet positif sur la croissance du PIB en 2025 irait jusqu’à 0.75 pt de pourcentage. Dans des scénarios plus plausibles, l’impact sur la croissance du PIB pourrait demeurer significatif tout en étant complexe à interpréter économiquement. Une situation où la valeur ajoutée de la branche énergie aurait contribué positivement à la croissance du PIB sur la période 2019-2025 tout en restant inférieure à son niveau de 2019 est possible.
6 Certaines corrections efféctuées sur ces données d’entreprise, notamment le passage prix de base/prix d’acquisition sont particulièrement importantes pour la branche énergie, ce qui peut introduire une incertitude supplémentaire. Ainsi, pour les derniers comptes semi-définitifs publiés (2022), il existe un écart significatif entre l’évolution valeur ajoutée de la branche électricité (DZ) dans les comptes nationaux et sa contrepartie dans les données d’entreprise (La valeur ajoutée à prix courants de la branche électricité et gaz passe de 32 mds d’euros en 2021 à 29 mds d’euros en 2022 dans les comptes nationaux tandis que sur la même période, la valeur ajoutée du secteur dans les données d’entreprise passe quant à elle de 40 à 17 mds d’euros).
Pour 2024, La production ou la demande finale d’électricité sont a priori relativement bien estimés initialement vu le faible nombre d’acteurs et le poids des acteurs publics. Cependant, des révisions sont toujours possibles, dans un sens ou dans l’autre, notamment à l’occasion des comptes définitifs et semi-définitifs dans lesquels les comptables nationaux intègrent les données comptables d’entreprises 6.
Comment interpréter ces différences ?
Pourquoi la trajectoire de la branche énergie a-t-elle pu induire une divergence entre PIB à prix chainés et PIB à prix constants ? Le secteur a connu deux évolutions très spécifiques en 2022 et 2023. D’une part, les prix de marché de l’électricité et du gaz ont très fortement augmenté à la suite de la guerre russo-ukrainienne. D’autre part, l’arrêt des centrales nucléaires en 2022 a induit une baisse de la production française d’électricité et une forte hausse des importations cette année là, suivi d’une reprise importante en 2023. A cet effet électricité peut s’ajouter des effets sur le transport et la distribution du produit des industries extractives. Ce double mouvement des quantités et des prix pose un problème important avec la méthode des prix chainés. En effet, la baisse de la production en 2022 est évaluée aux prix bas de 2021 tandis que le rebond de 2023 est évaluée aux prix élevés de 2022. Dans ce type de configuration, il est possible de revenir exactement aux mêmes quantités qu’initialement et afficher un PIB à prix chainés significativement différent comme l’illustre l’exemple de la Note 1. Il s’agit là d’un problème bien connu de la méthode aux prix de l’année précédente chainés. Elle n’assure pas toujours la cohérence du partage volume-prix quand les deux années qui sont comparées sont séparées de plus d’un an. Le PIB en volume (plus exactement l’indice de volume) dépend non seulement des quantités produites au niveau désagrégé, qui se rapproche de la performance économique proprement dite, mais aussi de l’historique des prix, qui relève davantage d’effets purement statistiques.
Le PIB à prix constants est-il plus représentatif de la performance économique de la France sur la période ? Le paragraphe précédent nous conduit à répondre plutôt par l’affirmative. Le PIB de 2024 évalué aux prix constants de 2020 nous semble plus directement comparable aux PIB des années antérieures et notamment à 2019, car il n’intègre pas ces effets de chainage. Il serait en revanche incorrect d’affirmer que la croissance économique française en 2023 serait largement le fruit d’un phénomène purement statistique car la méthode des prix chainés demeure cohérente quand la comparaison se fait entre deux années consécutives. Cela souligne cependant que la performance de 2023 est non seulement largement lié au rebond de la production d’électricité mais aussi à un poids de la branche électricité dans l’économie plus élevé qu’auparavant, la performance du reste de l’économie ayant été peu impressionnante.
Il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’évaluation du PIB serait inexacte ou qu’il serait préférable d’utiliser la méthode des prix constants. L’INSEE ne fait ici qu’appliquer mécaniquement la méthodologie recommandée au niveau international, laquelle présente des avantages importants. Cependant, la comparaison avec les prix constants permet de mieux interpréter l’évolution de l’économie française sur la période. Par rapport à 2019, il n’est pas déraisonnable d’estimer que 0.3 pt de PIB reflète davantage un phénomène purement statistique qu’une performance économique réelle 4. Cela signifie également qu’à PIB potentiel inchangé, l’écart par rapport à celui-ci (« l’output gap ») est légérement plus important que celui estimé par les différents instituts de prévision. Les calculs qui utilisent le concept d’output gap, comme ceux portant sur le solde structurel primaire, doivent prendre en compte cet effet.
4 Cette appréciation n’engage que l’auteur de ces lignes.
Considèrons une économie à 2 produits (A et B) sur 3 périodes. Initialement, la quantité de produit A est 1 contre 99 pour le produit B. Les deux prix sont égaux à 1. La production du produit A baisse de moitié en année 2 mais son prix double. La situation de la branche B reste inchangée. A la troisième période, la quantité de biens A revient à son niveau initial et la quantité de biens B reste inchangée. Les quantités sont les mêmes qu’à la période 1. Il s’agit ensuite de calculer l’agrégat en volume à prix chainés de l’année précédentes. Il convient de rappeller que le volume aux prix chainés de l’année précédente n’est pas le volume aux prix de l’année précédente. Il ne se calcule pas directement mais via un indice de Laspeyres sur les volumes. \frac{pib_{ch,t}}{pib_{ch,t-1}}=\frac{p_{a,t-1}q_{a,t}+p_{b,t-1}q_{b,t}}{p_{a,t-1}q_{a,t-1}+p_{b,t-1}q_{b,t-1}} Observant que le dénominateur est le PIB en valeur de l’année précédente et qu’il peut aussi s’écrire pib_{ch,t-1}p_{pib,t-1} où p_{pib,t-1} est le déflateur du PIB en t-1, on peut calculer le volume à prix chainés en utilisant la formule:
pib_{ch,t}=\frac{p_{a,t-1}q_{a,t}+p_{b,t-1}q_{b,t}}{p_{pib,t-1}}
On peut ainsi obtenir le volume à prix chainés en divisant le volume aux prix de l’année précédente par le déflateur de l’année précédente.
Quand on calcule le PIB avec les prix chainés on obtient un PIB en volume supérieur de 0.495% au PIB de la période initiale alors que les quantités de bien A et B sont strictement les mêmes (voir Table 2 ).