La Réserve fédérale vs Donald Trump : acte I
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L’actualité économique du début du mois de novembre ne fut pas uniquement marquée par le résultat des élections présidentielles aux États-Unis. En effet, les membres FOMC – comité de politique monétaire la banque centrale américaine – ont annoncé le 7 novembre une baisse du taux directeur de la Réserve fédérale de 0,25 point. Il s’agit de la deuxième baisse de taux après celle – de 0,5 point – annoncée le 18 septembre. L’impact de la politique monétaire dépend de sa transmission aux taux de marché et en particulier aux taux de long terme, qui sont aussi influencés par les perspectives futures pour les finances publiques. L’anticipation de la dégradation du solde budgétaire, après la victoire du candidat républicain, interfère de fait avec les effets de la décision de la Réserve fédérale. Par ailleurs, Donald Trump avait fortement critiqué les décisions de hausses des taux de la Réserve fédérale lors de son premier mandat. De nouvelles tensions pourraient voir le jour, dès janvier, avec Jerome Powel, si le Président tente de faire pression sur le rythme de baisse des taux.
L’objectif de la banque centrale est d’influencer les conditions de financement pour atteindre son objectif d’inflation et de croissance. Avec la baisse de l’inflation américaine, la Réserve fédérale considère qu’elle peut désormais assouplir la politique monétaire pour soutenir la croissance et le plein-emploi. C’est pourquoi, elle a décidé en septembre d’une première baisse des taux qui s’et répercutée sur l’ensemble des taux de marché à différentes maturités (Figure 1). La baisse du mois de novembre a eu des effets plus contrastés. Alors que la réduction du taux cible de la Réserve fédérale (Fed Funds rate) s’est bien transmise aux taux des Treasuries de très court terme, la courbe des taux montre que les taux de plus long terme n’ont pas baissé et qu’ils sont même plus élevés que ceux observés début août1. Pourtant, la victoire de Donald Trump a largement été saluée par les marchés boursiers qui ont fortement progressé dans les jours suivants la proclamation des résultats2. Comment expliquer alors cette évolution plus contrastée des taux d’intérêt ?
1 Titres émis par le Trésor américain : Treasury-Bills pour les maturités inférieures à deux ans et Treasury-Bonds pour les maturités allant de 2 à 30 ans.
2 Voir par exemple l’article publié le 11 novembre par Les Echos Investir.
Une première raison pourrait être que les marchés avaient déjà intégré la perspective de baisses de taux supplémentaires. En effet, selon la théorie des anticipations de la structure par terme des taux d’intérêt, les taux de long terme reflètent les anticipations de taux d’intérêt de court terme futurs. Par conséquent, une baisse des taux de la banque centrale aura des effets sur les taux longs si les marchés anticipent qu’elle sera suivie d’autres baisses. Non seulement l’annonce de septembre était de plus grande ampleur mais elle indiquait aussi le changement de cap de la Réserve fédérale qui amorçait le début d’un cycle d’assouplissement. Cette décision avait donc probablement un contenu informationnel plus important que celle du mois de novembre ce qui aurait contribué à la baisse observée entre la réunion du 31 juillet et celle du 18 septembre. Cette explication n’est cependant pas cohérente avec la rémontée des taux sur l’ensemble des maturités supérieures à 2 ans entre le début du mois d’août et le début du mois de novembre.
Une autre possibilité serait que la victoire de Donald Trump a modifié les anticipations de trajectoire de dette publique et d’inflation. En effet, pendant la campagne électorale, le candidat Républicain a multiplié les annonces de baisses d’impôts qui pourraient aboutir à un creusement du déficit et une hausse de la dette estimée à près de 10 points à l’horizon 2035 selon les analyses de du Penn Wharton Model. Cette anticipation de hausse de l’offre de titres de dette pourrait donc pousser les taux à la hausse. Parmi les autres annonces faites par Trump, il y a également celle d’une hausse des droits de douane ainsi que l’expulsion massive de migrants. Ces deux mesures sont susceptibles d’accroître l’inflation puisque la hausse des tarifs douaniers augmentera le coût des biens importés tandis que l’expulsion de travailleurs immigrés pourrait provoquer des tensions sur le marché du travail et donc une hausse des coûts du travail qui se répercutera également sur les prix3. A rendement réel constant, une augmentation de l’inflation anticipée pousse les rendements nominaux à la hausse. L’émission d’obligations indexées sur l’inflation permet de décomposer l’évolution du taux nominal décrit par la courbe des taux entre le rendement réel et les anticipations d’inflation4. Depuis le mois de septembre, les taux réels et l’inflation anticipée (appelée BEIR pour Break-even inflation rate) sont repartis à la hausse (Figure 2). La hausse de 0,7 point du taux nominal à 5 ans entre le 19 septembre et le 8 novembre s’explique par une augmentation de 0,3 point du taux réel et de 0,4 point de l’inflation anticipée. Sur le rendement à 10 ans, la contribution de l’inflation anticipée (0,2) est moins importante que celle du rendement réel (0,4).
3 Voir par exemple cette analyse du Petersen Institute for International Economics.
4 Les obligations indexées (TIPS : Treasury inflation protected securities aux Etats-Unis) sont des titres dont les coupons et le principal sont ajustés pour tenir compte de l’évolution de l’inflation. Le prix de ces titres permet donc de déterminer le rendement réel (ajusté de l’inflation). L’écart entre le rendement nominal sur une obligation standard et une obligation indexée de même maturité donne un proxy des anticipations d’inflation sur l’horizon considéré.
L’effet de la politique monétaire dépend de la transmission des décisions des banques centrales à l’ensemble des conditions financières et notamment aux taux longs puisque ce sont ces variables qui influencent les comportements de consommation et d’investissement des ménages et des entreprises. La victoire de Donald Trump et les conséquences de son programme économique pourraient par conséquent atténuer l’impact de l’assouplissement monétaire mis en oeuvre par la Réserve fédérale.
Au-delà de ces effets de court-terme, la réélection de Donald Trump pourrait se traduire par des tensions entre le Président et la Réserve fédérale. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait souvent critiqué l’action de Jerome Powell lorsqu’il avait augmenté les taux d’intérêt entre fin 2016 et 2018. La victoire de Donald Trump est perçue comme une potentielle remise en cause de l’indépendance de la banque centrale. Il est d’ailleurs revenu sur ce sujet pendant la campagne déclarant, selon le New York Times, que « le Président devrait au moins avoir son mot à dire sur les taux d’intérêt ». S’il sera difficile pour le Président de contraindre Jerome Powell à la démission5, les pressions pourraient s’intensifier pour que la Réserve férale baisse ses taux plus fortement et plus rapidement. Quel serait alors l’impact sur les taux longs ? Donald Trump pourra difficilement contraindre les marchés. La hausse actuelle des taux longs n’est pas la conséquence de la politique monétaire mais bien des mesures promises par Trump qui devraient se traduire par plus d’inflation et plus de dette publique. Néanmoins, (Tillmann 2020) ou (Bianchi et al. 2023) ont montré que les multiples déclarations à l’encontre de Jerome Powel ou de la Réserve fédérale avaient eu une incidence sur les taux longs, les marchés anticipant une baisse – ou une moindre hausse – des taux de politique monétaire futurs. Il faudra donc sans doute attendre le mois de janvier pour voir s’il y aura un acte II avec une remise en cause de l’indépendance qui pourrait se traduire par des taux plus faibles.
5 Jerome Powell, dont le mandat prendra fin en mai 2026, a d’ores et déjà déclaré qu’il ne démissionerait pas.