Le décrochage productif français et la sous-performance des secteurs intensifs en TIC

Croissance
Productivité
Investissement
Autrices, auteurs
Affiliation
Penelope Gelman
Date de publication

18 novembre 2024

Au cours des trois dernières décennies, la productivité du travail a augmenté plus rapidement aux États-Unis qu’en Europe. En 2019, la productivité horaire dans la zone euro représentait 82 % de celle des États-Unis, contre 98 % en 19951. Ce décrochage européen a suscité un vif intérêt lors des élections européennes de 2024 et la publication du rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne réalisé par Draghi (2024). Entre autres, le rapport documente le fossé d’innovations entre l’Europe et les États-Unis, soulignant le rôle des secteurs numériques que l’auteur estime « déjà perdus ». L’OFCE évalue également l’écart grandissant en termes de revenu par habitant entre l’Europe et les États-Unis sur la période 2000-2019 (Policy Brief 128 2024; Policy Brief 130 2024). Ces deux contributions révèlent une inquiétante anémie européenne en matière de gains de productivité du travail. Les pays européens souffrent d’un déficit criant d’investissements par travailleur, tant en capital matériel TIC que non-TIC, contribuant ainsi potentiellement à accroître le fossé de productivité.

1 Les 19 pays de la zone euro considérés sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovaquie et la Slovénie. La productivité du travail est calculée comme le rapport entre le PIB, exprimé en parité de pouvoir d’achat constante de 2015, et le nombre d’heures travaillées. Sources : OCDE et calculs des auteurs.

Pourtant, dans sa célèbre critique intitulée « We’d Better Watch Out », Solow (1987) souligne que « l’ère de l’informatique est visible partout, sauf dans les statistiques de productivité », comme si les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) n’avaient entraîné que peu ou pas de gains de productivité malgré une apparente révolution technologique depuis les années 1980. Ce phénomène est connu sous le nom du paradoxe de Solow. Acemoglu et al. (2014) soutiennent que ce paradoxe persiste, du moins aux États-Unis, dans la mesure où les gains de productivité associés aux TIC restent difficilement mesurables.

Ces éléments interrogent sur le rôle potentiel joué par les TIC dans l’écart de gains de productivité. Les secteurs intensifs en TIC connaissent-ils des gains plus prononcés que les secteurs qui le sont moins ? Sont-ils moins performants en France qu’aux États-Unis, contribuant ainsi à l’écart de gains de productivité entre les deux pays ? Quelles sont les sources des écarts de gains productivité agrégés et sectoriels ? Dans ce blog, nous évaluons si les secteurs intensifs en TIC enregistrent des gains de productivité plus importants. Nous explorons également l’origine des différences de performances productives entre la France et les États-Unis. Enfin, nous discutons brièvement des implications de cette divergence pour le déploiement de l’Intelligence Artificielle (IA).

Des gains de productivité plus élevés dans les secteurs intensifs en TIC

La Figure 1 illustre les écarts de performance entre les secteurs intensifs et moins intensifs en TIC en France et aux États-Unis, sur la période 1995-2019. La comparaison porte sur trois indicateurs : la productivité horaire du travail, la valeur ajoutée réelle et les heures travaillées. On observe des gains de productivité du travail plus élevés dans les secteurs intensifs en TIC au cours de la période. Les secteurs dont le taux d’investissement en TIC était supérieur d’un écart type à la moyenne ont enregistré des gains supplémentaires de 22,3 points de pourcentage (pp) entre 1995 et 2019 aux États-Unis. En France, ce différentiel est également positif mais nettement inférieur pour un total de 14,3 pp sur la période. La croissance asymétrique de la productivité du travail dans les secteurs intensifs en TIC témoigne d’une augmentation relativement plus marquée de la valeur ajoutée réelle dans les deux pays. Cet écart de croissance de la valeur ajoutée réelle s’élève à 22,4 pp aux États-Unis et à 12,6 pp en France sur l’ensemble de la période. La relation entre les heures travaillées et l’intensité en TIC est presque nulle pour les deux pays. L’écart de variation des heures travaillées se rapproche de 0 pp aux États-Unis et de -1,5 pp en France dans les secteurs intensifs en TIC au cours de la période.

Figure 1: Écarts de performance des secteurs intensifs en TIC par rapport aux secteurs moins intensifs en France et aux États-Unis entre 1995 et 2019

Note : Le différentiel de croissance cumulé de la variable considérée des secteurs intensifs en TIC (lignes pleines) est estimé à partir d’une régression présentée dans l’encadré 1. Les intervalles de confiance à 95 % (lignes en tirets) sont basés sur des écarts types groupées par secteur. Nous considérons un panel de T=25 périodes allant de 1995 à 2019 et J=26 secteurs à l’exclusion des secteurs agricole (A) et pharmaceutique (C21), des activités des ménages en tant qu’employeurs (T) et des activités extraterritoriales (U) en raison de valeurs manquantes pour certaines variables utilisées dans cette analyse.
Source : EU KLEMS comptes nationaux et de capitaux (Bontadini et al. 2023), calculs des auteurs.

Il en ressort que les gains de productivité ont été plus élevés dans les secteurs intensifs en TIC dans les deux pays. Ces résultats confortent l’idée selon laquelle les investissements dans les TIC améliorent l’efficacité productive de l’économie, conduisant ainsi à une expansion de l’activité économique. Cependant, la croissance relative de l’activité des secteurs intensifs en TIC est moins marquée en France qu’aux États-Unis, ce qui révèle des performances économiques moindres en France. Les secteurs intensifs en TIC n’ont pas connu d’écart de variation substantiel en matière d’heures travaillées par rapport aux secteurs à faible intensité. Ces secteurs ont pu connaître une augmentation de la demande de travail induite par l’expansion de l’activité économique, compensée par une baisse de la demande de travail liée à l’automatisation de certaines tâches par les TIC.

Afin d’évaluer le différentiel de gains de productivité des secteurs intensifs en TIC par rapport aux secteurs à faible intensité, nous estimons un ensemble de régressions descriptives, suivant la méthodologie d’Acemoglu et al. (2014) :

Y_{jt}=\delta_t+\gamma_j+ \sum\limits_{t=1995}^{2019} \beta_t \times ICT_j+\varepsilon_{jt}.

Nous régressons plusieurs variables explicatives au niveau sectoriel Y_{jt} (productivité horaire du travail, valeur ajoutée réelle et heures travaillées exprimées en logarithme) sur une mesure statique sectorielle de l’intensité en TIC, TIC_j. Cette mesure est calculée comme la moyenne sectorielle du ratio des dépenses en formation brute de capital fixe en TIC sur la formation brute totale de capital fixe sur la période 1995 à 2019. Les dépenses brutes de formation de capital fixe en TIC incluent le capital matériel lié aux technologies de l’information et de la communication. Nous y intégrons également les logiciels et les bases de données qui sont des actifs immatériels afin de mieux appréhender la numérisation de l’économie. Ce ratio moyen est ensuite standardisé pour obtenir une moyenne nulle et un écart type unitaire afin de se concentrer sur les différences relatives d’intensité en TIC entre secteurs. Les régressions sont pondérées par les heures travaillées et incluent des effets fixes secteurs \gamma_j et années \delta_t. Nous estimons ces régressions séparément pour la France et les États-Unis afin de capturer les différences potentielles de performances des secteurs intensifs en TIC entre les deux pays.

Les coefficients d’intérêt \beta_t représentent l’effet estimé, mesuré en points logarithmiques, d’une augmentation d’un écart-type du taux d’investissement sectoriel moyen en TIC sur la variable d’intérêt au cours de la période 1995 à 2019. Ils quantifient ainsi le différentiel de croissance cumulée de la variable d’intérêt des secteurs intensifs en TIC par rapport aux secteurs moins intensifs, 1995 étant la période de référence (\beta_{1995}=0). Les coefficients estimés sont convertis en points de pourcentage.

Notons que ces régressions ne démontrent pas de lien causal entre l’utilisation de TIC et la croissance de la productivité du travail. Elles fournissent des relations descriptives et des éléments préliminaires sur les différences de performances des secteurs intensifs en TIC entre la France et les États-Unis.

L’anémie des gains de productivité du travail dans les secteurs intensifs en TIC en France

La Figure 2 fournit les taux de croissance annuels moyens de la productivité du travail agrégée et sectorielle pour la France et les États-Unis entre 1995 et 2019. L’économie totale est positionnée au sommet de l’axe des ordonnées. Les secteurs sont ensuite classés selon la mesure étasunienne d’intensité en TIC. La productivité du travail a augmenté à un taux de croissance annuel moyen de 1,1 % en France contre 1,6 % aux États-Unis entre 1995 et 2019. Cet écart de 0,5 pp est quantitativement important car il représente un écart de croissance cumulé de 15,7 pp sur 24 ans de 1995 à 2019, soit 45,3 % pour les États-Unis contre 29,6 % pour la France.

Figure 2: Taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail en France et aux États-Unis entre 1995 et 2019

Note : Le taux de croissance annuel moyen de l’économie totale pour chaque pays est placé en haut de l’axe des ordonnées. Les secteurs sont ensuite classés selon la mesure étasunienne d’intensité en TIC. Les taux de croissance annuels moyens sont exprimés en pourcentage.
Source : EU KLEMS comptes de croissance (Bontadini et al. 2023), calculs des auteurs.

Parmi les secteurs affichant les plus grands écarts de gains de productivité, figurent en particulier ceux qui sont les plus intensifs en TIC, soulignant de nouveau la moindre performance de ces secteurs en France vis-à-vis des États-Unis. En effet, on observe un écart de taux de croissance de 2 pp dans le secteur de l’information et de la communication (J), de 3,1 pp pour les activités de soutien et les services administratifs (N), une différence de 1,5 pp pour le commerce de gros et de détail (G) et un écart massif de 7 pp pour la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques (C26). Ces écarts substantiels confirment la sous-performance des secteurs intensifs en TIC en France par rapport aux États-Unis.

Il convient de noter que ces secteurs englobent des activités de fabrication, de commerce et de services, mettant en lumière leur interdépendance potentielle dans la génération de gains de productivité (Blog OFCE 2024). La fabrication est essentielle pour produire du matériel de haute qualité tandis que les secteurs de l’information et de la communication fournissent les logiciels et les services numériques qui y sont intégrés. Ces produits sont ensuite utilisés et distribués dans le commerce de gros et de détail pour finalement être exploités par les prestataires de services via des activités de support. Cela fait écho aux propos de Solow (1987), selon lesquels « les services à haute valeur ajoutée sont en réalité indissociables de la production des biens qu’ils desservent ».

Une intensité capitalistique et une PGF moins dynamiques en France

La comptabilité de la croissance permet d’appréhender les écarts de gains de productivité entre la France et les États-Unis.2 Les données EU KLEMS offrent une base pour appliquer cette méthode par pays et par secteur en décomposant les gains de productivité du travail en cinq composantes :

2 Voir l’article de Solow (1957).

Gains de productivité (%) = Composante de productivité globale des facteurs
+ Composante d’intensité capitalistique matérielle non-TIC
+ Composante d’intensité capitalistique matérielle TIC
+ Composante d’intensité capitalistique immatérielle
+ Composante de composition du travail

La première composante capture la contribution de la productivité globale des facteurs (PGF), qui est la partie de la croissance de la productivité du travail qui reste inexpliquée par les variations d’intrants de production. Les trois composantes suivantes capturent les changements de la productivité du travail imputables à l’évolution de l’intensité capitalistique dans trois catégories d’actifs : les immobilisations matérielles non-TIC (logements, bâtiments, structures et matériel de transport), TIC (matériel informatique et équipements de télécommunications) et les immobilisations immatérielles (R&D, logiciels, bases de données et autres produits de propriété intellectuelle). L’augmentation de l’intensité capitalistique fait référence à une croissance de la quantité de capital mobilisée par heure travaillée. À mesure que l’intensité capitalistique augmente, chaque travailleur dispose de plus d’outils et de ressources, ce qui augmente la productivité du travail. La composition du travail rend compte du rôle joué par le changement de la structure du travail en matière de sexe, d’âge et d’éducation.

La Figure 3 documente l’écart de taux de croissance annuel de la productivité du travail agrégée, en comparant les contributions des différentes composantes de la comptabilité de la croissance entre la France et les États-Unis. Cette analyse permet de déterminer dans quelle mesure les écarts de gains de productivité entre les deux pays s’expliquent par des différences d’évolution de la PGF, de l’intensité capitalistique et de la composition du travail. Sur la période 1995-2019, l’économie française se distingue par une augmentation moins prononcée de l’intensité capitalistique qu’aux États-Unis. Pour un écart de gains de productivité du travail de 0,5 pp, 0,4 pp résulte d’une croissance inférieure de l’intensité capitalistique en France, dont 0,2 pp provient des actifs TIC et 0,2 pp des actifs non-TIC. Les écarts de croissance de la PGF et de l’intensité capitalistique immatérielle ne contribuent chacun qu’à hauteur de 0,1 point de pourcentage. Les dynamiques de composition du travail contribuent négativement pour -0,1 pp en faveur de la France. La contribution des TIC est d’autant plus notable qu’elle ne reflète que l’effet direct de l’investissement en TIC par travailleur sur la productivité du travail, sans inclure leur effet indirect sur la PGF. En effet, l’adoption des TIC influe sur l’organisation des entreprises, augmentant la production à facteurs de production constants, et renforçant ainsi la productivité du travail via la PGF.

Figure 3: Décomposition de l’écart de taux de croissance de la productivité du travail entre la France et les États-Unis sur la période 1995-2019

Note : L’écart de taux de croissance annuel moyen de la productivité du travail entre la France et les États-Unis est décomposé en cinq éléments : l’écart de contribution de la PGF, de l’intensité capitalistique matérielle non-TIC, TIC, immatérielle et de la composition du travail.
Source : EU KLEMS comptes de croissance (Bontadini et al. 2023), calculs des auteurs.

Nous analysons maintenant les quatre secteurs clés intensifs en TIC évoqués précédemment. A cet effet, le Figure 4 affiche la décomposition des écarts de taux de croissance annuels sectoriels de la productivité du travail entre la France et les États-Unis. Dans le secteur de l’information et le la communication, l’écart de gains de productivité de 2,1 pp est principalement attribuable à une contribution plus faible de l’intensité capitalistique TIC (1,2 pp), avec une moindre croissance de la PGF (0,9 pp). Dans le secteur des activités de soutien et des services administratifs, l’écart de 3,1 pp découle d’une croissance plus lente de la PGF (1,4 pp), ainsi qu’à une contribution inférieure de l’intensité capitalistique en actifs non-TIC (1 pp) et TIC (0,6 pp). Dans le commerce de gros et de détail, l’écart de gains de productivité de 1,5 pp s’explique par une croissance plus lente de la PGF (0,8 pp) et une moindre contribution de l’intensité capitalistique, tant dans les actifs TIC (0,4 pp) que non-TIC (0,4 pp). Enfin, dans la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, l’écart de 7 pp provient d’une croissance plus faible de la PGF (5,9 pp), suivie d’une moindre contribution de l’intensité capitalistique immatérielle (0,7 pp). La croissance limitée de l’intensité capitalistique matérielle y contribue aussi tant pour les actifs TIC (0,2 pp) que non-TIC (0,2 pp).

Figure 4: Décomposition des écarts de taux de croissance sectoriels de la productivité du travail entre la France et les États-Unis sur la période 1995-2019

Note : Les écarts de taux de croissance annuels moyens de la productivité du travail entre la France et les États-Unis sont décomposés en cinq éléments : les écarts de contribution de la PGF, de l’intensité capitalistique matérielle non-TIC, TIC, immatérielle et de la composition du travail. Un écart positif implique une contribution plus élevée aux États-Unis qu’en France. Les secteurs sont classés selon la mesure étasunienne d”intensité en TIC. Les valeurs sont exprimées en points de pourcentage. En raison de l’absence de données, nous ne disposons pas de valeurs pour la composition du travail et la PGF dans le secteur des machines et équipements (C28) aux États-Unis.
Source : EU KLEMS comptes de croissance (Bontadini et al. 2023), calculs des auteurs.

Ainsi, l’intensité capitalistique et la PGF jouent toutes deux un rôle clé dans l’explication de l’écart de gains de productivité du travail entre la France et les États-Unis. Ces résultats suggèrent que la France se situe sur un sentier de croissance moins favorable. En outre, le déficit d’investissement en TIC par travailleur n’est pas uniquement porté par les secteurs producteurs de TIC mais aussi par d’autres secteurs utilisateurs de ces technologies. Or, l’investissement en TIC par travailleur ne suffit pas à générer des gains de productivité pour l’ensemble de l’économie s’il reste concentré dans quelques secteurs. Pour que ces investissements bénéficient pleinement à l’économie, il est nécessaire que les secteurs non-producteurs de TIC adoptent pleinement ces technologies. À défaut, des goulets d’étranglement risquent de se former : les secteurs en retard freinent la productivité agrégée, même si les secteurs de pointe continuent de progresser.3

3 Voir Acemoglu, Autor, et Patterson (2023).

Stimuler l’investissement pour tirer parti de l’IA, malgré l’incertitude des gains de productivité engendrés

La théorie de la croissance de Solow stipule que la croissance économique résulte à la fois de l’accroissement de l’intensité capitalistique et du progrès technologique. Cependant, seul le progrès technologique, mesuré par la croissance de la PGF, est susceptible de générer une croissance durable. L’augmentation de l’intensité capitalistique ne produit qu’une croissance temporaire en raison de la diminution des rendements du capital. Néanmoins, la croissance de l’intensité capitalistique, notamment dans les TIC, est essentielle compte tenu des développements technologiques actuels tels que l’IA, qui reposent sur des actifs numériques.

Les preuves empiriques des gains de productivité de l’IA sont encore rares. Parmi les prévisions les plus optimistes, McKinsey & Company (2023) estime que l’IA générative pourrait entraîner une croissance de la productivité du travail de 0,1 à 0,6 % par an jusqu’en 2040. En la combinant à d’autres technologies, les gains pourraient atteindre 0,5 à 3,4 % par an selon leur degré d’adoption. Goldman Sachs (2023), quant à lui, prédit que l’IA pourrait induire une augmentation de 7 % (soit près de 7 000 milliards de dollars) par an du PIB mondial et des gains de productivité aux Etats-Unis de 1,5 pp par an au cours de la prochaine décennie. A contrario, Acemoglu et al. (2014) estiment que les effets de l’IA sur la PGF ne dépasseront pas 0,05 % à 0,07 % par an au cours de la prochaine décennie aux États-Unis. En termes de croissance du PIB, l’effet de l’IA devrait se situer entre 0,09 % et 0.11 % par an. D’une part, l’IA a le potentiel d’accroître la productivité en réduisant les coûts de production grâce à l’automatisation de certaines tâches, et en créant de nouveaux emplois productifs. Mais, d’autre part, les gains qu’elle génère pourraient être limités par sa capacité restreinte à automatiser des tâches plus complexes et à augmenter significativement la productivité des tâches plus simples qu’elle automatise. En outre, l’IA pourrait avoir des effets macroéconomiques néfastes de premier ordre, notamment à travers la désinformation et la manipulation des données en l’absence d’une réglementation adéquate.

Ainsi, en raison du manque de preuves empiriques à long terme, il est prématuré de se prononcer sur les gains de productivité générables par l’IA. Malgré cette incertitude, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que pour concrétiser les avantages potentiels de l’IA, les entreprises doivent déjà disposer d’actifs TIC sur lesquels cette technologie s’appuie fortement. Faute d’investissements substantiels dans ces actifs (Draghi 2024; Blog OFCE 2024), la mise en œuvre de l’IA ne permettra probablement pas de réaliser les gains de productivité escomptés, ce qui pourrait renforcer la divergence de l’Europe et de la France vis-à-vis des États-Unis.

Références

Acemoglu, Daron, David Autor, David Dorn, Gordon H. Hanson, et Brendan Price. 2014. « Return of the Solow Paradox? IT, Productivity, and Employment in US Manufacturing ». American Economic Review 104 (5): 394‑99. https://ideas.repec.org/a/aea/aecrev/v104y2014i5p394-99.html.
Acemoglu, Daron, David Autor, et Christina Patterson. 2023. « Bottlenecks: Sectoral Imbalances and the US Productivity Slowdown ». NBER Working Papers 31427. National Bureau of Economic Research, Inc. https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/31427.html.
Blog OFCE. 2024. « Les insuffisances de l’investissement européen ». Sciences Po, OFCE. https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/les-insuffisances-de-linvestissement-europeen/.
Bontadini, F., C. Corrado, J. Haskel, M. Iommi, et C. Jona-Lasinio. 2023. « EUKLEMS & INTANProd: industry productivity accounts with intangibles ». Luiss Lab of European Economics. http://www.jstor.org/stable/1926047.
Draghi, Mario. 2024. « The future of European competitiveness ». Report. European Commission. https://commission.europa.eu/topics/strengthening-european-competitiveness/eu-competitiveness-looking-ahead_en.
Goldman Sachs. 2023. « The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic Growth ». Report. https://www.gspublishing.com/content/research/en/reports/2023/03/27/d64e052b-0f6e-45d7-967b-d7be35fabd16.html.
McKinsey & Company. 2023. « The economic potential of generative AI ». Report. https://www.mckinsey.com/capabilities/mckinsey-digital/our-insights/the-economic-potential-of-generative-ai-the-next-productivity-frontier#introduction.
Policy Brief 128. 2024. « Le décrochage européen en question ». Policy Brief 128. Sciences Po, OFCE. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2024/OFCEpbrief128.pdf.
Policy Brief 130. 2024. « 25 ans d’union monétaire : la zone euro à travers les crises ». Policy Brief 130. Sciences Po, OFCE. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2024/OFCEpbrief130.pdf.
Solow, Robert M. 1957. « Technical Change and the Aggregate Production Function ». The Review of Economics and Statistics 39 (3): 312‑20. http://www.jstor.org/stable/1926047.
———. 1987. « We’d Better Watch Out ». New York Times New York Times Book Review: 36. https://www.standupeconomist.com/pdf/misc/solow-computer-productivity.pdf.