Apprentissage: Maîtriser l’atterrissage

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Bruno Coquet – Chercheur associé à l’OFCE

La réforme de l’apprentissage de 2018 a stimulé la demande et l’offre de travail en apprentissage tout en solvabilisant une offre de formation élargie. Malgré une conjoncture ralentie et des aides publiques en légère diminution, 850 000 nouveaux contrats d’apprentissage ont été signés en 2023, battant pour la quatrième année consécutive le record de l’année précédente.

Fin 2023, 1,01 million d’apprentis étaient en cours de formation, soit 577 000 de plus que fin 2018. Ceci explique 38 % des créations d’emplois salariés marchands sur cette période. Cette hausse a bénéficié aux taux d’activité et d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans (+3,7 et +4,3 points respectivement) et entraîné la baisse de leur taux de chômage (de 20,9% à 17,5%). Le nombre de jeunes chômeurs n’a toutefois que très peu baissé (-26 000), la hausse de l’apprentissage reposant essentiellement sur une bascule du statut d’étudiant vers celui de salarié.

Créée dans le cadre du plan de relance de 2020, c’est surtout l’aide exceptionnelle à la fois très généreuse et non ciblée qui a stimulé l’apprentissage. Jamais auparavant une aide à l’emploi n’avait atteint un tel niveau :  458 000 emplois ont été créés dans son sillage, dont selon nos estimations, 252 000 qui n’auraient pas existé sans elle et 206 000 qui résultent indistinctement du cocktail incitatif combinant la réforme de 2018 et l’aide exceptionnelle.

L’image de l’apprentissage a beaucoup bénéficié de cette promotion, notamment dans l’enseignement supérieur. Mais cette politique est excessivement coûteuse compte tenu de son efficience très faible du point de vue de l’insertion en emploi.

Dans le Policy Brief « Apprentissage : quatre leviers pour reprendre le contrôle » qui vient de paraitre, nous mettons à jour et prolongeons l’étude publiée l’année dernière sur ce même thème (« Apprentissage : un bilan des années folles ») en proposant des pistes de réformes pour un meilleur contrôle de cette dépense.

En 2023, la dépense nationale pour l’apprentissage aurait atteint 24,9 milliards d’euros (Graphique), soit 26 000 € par apprenti, environ deux fois plus que ce qui est consacré à chaque étudiant de l’enseignement supérieur.

En 2024, elle devrait se stabiliser à 24,6 milliards d’euros, ce qui reste incompatible avec la situation budgétaire actuelle. Il est cependant délicat de renoncer à ces fortes subventions car l’objectif présidentiel d’atteindre 1 million de nouveaux apprentis par an a conduit à promettre la stabilité des aides jusqu’en 2027, et aussi car l’emploi des jeunes et les organismes de formation en souffriraient.

Répartition de la dépense nationale pour l’apprentissage (2017-2024)

Sources : Dares, France Compétences, IGAS/IGF, Ministère du Budget, Unedic, calculs de l’auteur.

Mieux vaut donc maîtriser l’atterrissage avant de manquer de carburant. Nous proposons ici quatre leviers pour reprendre le contrôle du dispositif, avec à la clé une économie pouvant avoisiner 10 milliards d’euros en année pleine :

  • Revenir au périmètre de l’aide unique en 2018 : une aide ciblée sur les diplômes de niveau bac ou moins, dans les entreprises de moins de 250 salariés, favorisant les formations longues ;
  • Redonner à la taxe d’apprentissage son rôle de financement des coûts pédagogiques : dispositif hybride entre éducation et formation professionnelle, l’apprentissage doit principalement être co-financé par l’État et les employeurs. Mais la taxe d’apprentissage couvre aujourd’hui moins de la moitié des coûts pédagogiques. Il faut rétablir une contribution adaptée au volume et aux caractéristiques des contrats d’apprentissage.
  • Revoir certains niveaux de prise en charge des contrats en les inscrivant dans une stratégie de politique publique. Par exemple il apparaîtrait logique que des formations à des métiers en tension soient mieux prises en charge, ou que le coût des diplômes identiques soit normalisé.
  • Examiner les droits sociaux attachés aux contrats d’apprentissage et la manière dont ils sont financés. La prime d’activité (200 millions d’euros en 2023), l’assurance chômage (770 millions) ou les trimestres de retraites distribués avec largesse (12 milliards d’euros) mériteraient être examinés.

Quatre pistes complémentaires susceptibles de renforcer l’efficience du dispositif pourraient également être explorées :

  • Supprimer ou fortement plafonner l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient les apprentis ;
  • Limiter les exonérations de cotisations salariales dont bénéficient les apprentis, qui créent des difficultés de gestion des ressources humaines, et se justifient d’autant moins que les droits sociaux acquis par les apprentis sont les mêmes que ceux de tous les salariés.
  • Revoir la manière dont est calculée l’assiette de la taxe d’apprentissage et la manière dont le seuil d’exemption s’applique.
  • Envisager un renforcement de la modulation régionale des financements pour adapter plus finement les formations aux besoins territoriaux.

En effet, il nous apparait préférable d’envisager des mesures équilibrées afin de garantir la pérennité du dispositif d’apprentissage plutôt que de laisser à la merci du rabot budgétaire plus souvent guidés par la taille de l’économie obtenue que par les gains d’efficience.