Next Generation EU : quels effets économiques en attendre ?

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Jérôme Creel et Jonas Kaiser

Dans une étude pour la Foundation for European Progressive Studies (FEPS), nous tentons d’évaluer les effets économiques de Next Generation EU en Allemagne, en France et en Italie. Le programme Next Generation EU (NGEU), créé en réponse à la pandémie de COVID-19, représente un engagement financier de l’Union européenne sans précédent. NGEU a été conçu non seulement pour soutenir les États membres dans leur reprise économique immédiate, mais aussi pour faciliter des investissements et des réformes à grande échelle alignés sur les objectifs à long terme de l’UE (notamment la transition écologique, la numérisation et la cohésion sociale et territoriale). L’évaluation des effets économiques de NGEU est cruciale car elle aide à informer les décideurs politiques sur l’efficacité de telles interventions financières à grande échelle et à guider les décisions futures sur la politique budgétaire et l’intégration de l’UE.

Le programme NGEU est historique par son ampleur et son approche. Son principal composant, la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), dispose d’un budget de 724 milliards d’euros (à prix courants), dont environ la moitié sous forme de subventions et l’autre sous forme de prêts. Les aspects novateurs de NGEU incluent :

  • l’émission de la dette commune : pour la première fois, l’UE a émis une dette commune pour financer un vaste programme d’investissement, montrant ainsi la capacité de l’UE à répondre de manière coordonnée à un choc externe majeur ;
  • une affectation des fonds innovante : contrairement à d’autres programmes de l’UE, les fonds ne sont pas affectés uniquement en fonction de critères macroéconomiques tels que le produit intérieur brut ou la population, mais en fonction des besoins induits par la pandémie, assurant un soutien ciblé là où il est le plus nécessaire.

La littérature mesurant les effets des politiques budgétaires mises en œuvre depuis la crise de COVID-19 dans l’UE met en évidence un large éventail de multiplicateurs budgétaires[1]. Certaines estimations sont proches de zéro (mais jamais en dessous) tandis que d’autres dépassent largement l’unité. Toutes ces études reposent sur des simulations de modèles en équilibre général. Notre étude propose une vue alternative aux exercices de modélisation ex ante pour évaluer la valeur ajoutée attendue de NGEU pour certains États membres de l’UE. Bien que NGEU soit toujours en cours avec la majorité des déboursements prévus dans la seconde moitié de la période 2021-2026 (Graphique 1), l’étude propose de lier l’effet réel attendu ex post de NGEU à l’effet réel ex post des politiques budgétaires nationales passées menées par les États membres de l’UE.

Les prêts accordés au titre de NGEU sont assez similaires aux dettes nationales contractées pour financer les dépenses publiques. On peut penser que leurs multiplicateurs budgétaires seront comparables. Toutefois, les subventions accordées au titre de NGEU, qui n’engendrent pas de paiements d’intérêts immédiats de la part des gouvernements bénéficiaires, devraient produire des multiplicateurs budgétaires plus élevés car elles ne produisent pas d’effets d’éviction via une hausse des taux d’intérêt sur la dette, vu que la dette nationale n’a pas augmenté. L’étude propose donc d’utiliser les multiplicateurs budgétaires nationaux comme limite inférieure des effets attendus de NGEU, suggérant que l’impact réel de NGEU, notamment par le biais des subventions, pourrait dépasser celui observé avec les stimuli basés sur les prêts.

Les multiplicateurs budgétaires sont estimés pour les trois plus grandes économies de l’UE, l’Allemagne, la France et l’Italie, sur la base de données trimestrielles. Compte tenu de la disponibilité des données, les estimations sont réalisées sur des périodes différentes : 1991T1-2019T4 pour l’Allemagne, 1980T1-2019T4 pour la France et 1999T1-2019T4 pour l’Italie. L’étude utilise une approche basée sur la loi d’Okun pour estimer la production potentielle et l’écart de production[2]. Ensuite, le solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles est dérivé de ces estimations de l’écart de production et les chocs budgétaires sont identifiés comme des variations trimestrielles de ce solde. Enfin, l’effet multiplicateur budgétaire est estimé à l’aide de projections locales.

Les résultats sont les suivants. La France présente un multiplicateur budgétaire de 0,5 après un an ; l’Italie atteint un pic à 0,7 après trois ans ; celui de l’Allemagne n’est jamais statistiquement significatif. Compte tenu de l’accent mis par les fonds NGEU sur l’Italie, les résultats soutiennent l’idée que les fonds alloués au titre de la FRR vont principalement là où les effets réels attendus sont les plus élevés, en Italie donc.

Les résultats sont différents dès lors que l’on introduit le contexte macroéconomique.  En séparant l’échantillon entre les années de ralentissement économique et les années d’expansion, le multiplicateur budgétaire pour la France montre très peu de différence (Graphique 2). En Allemagne, cependant, la différence est substantielle : alors que le multiplicateur budgétaire est nul en période d’expansion, il est élevé en période de ralentissement, atteignant un pic de 2 un an après le stimulus. En Italie, la différence entre les mauvaises et les bonnes années est également significative. Son multiplicateur budgétaire est positif à court terme pendant les bonnes années et il atteint un pic de 4 après trois ans si le stimulus budgétaire a eu lieu pendant les années de ralentissement.

Cette étude montre que la politique budgétaire a des effets tangibles sur l’économie, avec des estimations des bornes inférieures des multiplicateurs budgétaires ne tombant jamais en dessous de zéro à court terme en Allemagne et significativement positives en France et en Italie. Ces effets sont particulièrement forts en période de chômage élevé, soulignant l’importance des interventions de relance opportunes alignées sur les périodes de ralentissement économique. Malgré une reprise économique rapide après la pandémie qui a réduit les taux de chômage dans les trois pays étudiés, l’appropriation et l’utilisation des fonds NGEU ont été somme toute assez limitées, probablement en raison de contraintes administratives et d’obstacles du côté de l’offre. Cependant, cette étude suggère que même en période économique plus favorable, des politiques budgétaires comme NGEU peuvent encore être efficaces, en particulier dans des pays comme l’Italie, qui a été sévèrement touchée par la pandémie et dispose de montants substantiels de subventions et de prêts encore à débourser. Une évaluation continue de NGEU sera nécessaire pour mieux comprendre leur impact économique réel et leur contribution aux objectifs à long terme de l’UE mais face au ralentissement économique européen et à la remontée des taux d’intérêt depuis juillet 2022, l’utilisation complète des fonds alloués au titre de NGEU par les Etats membres de l’UE semble aller de soi.


[1] Le multiplicateur budgétaire mesure l’impact sur le PIB d’une variation donnée des dépenses publiques ou des impôts (dans ce dernier cas, on parlera plus particulièrement de multiplicateur fiscal). Notre étude fournit une revue de la littérature sur les effets attendus de NGEU. Pour une revue récente et plus extensive de la littérature empirique, voir Deleidi, Iafrate et Levrero (2023).

[2] La loi d’Okun relie la variation du PIB à celle du taux de chômage.