par Evens Salies [1]
Au lendemain de la première réunion de la Commission mixte paritaire relative à la proposition de loi visant à « préparer la transition vers un système énergétique sobre », il apparaît important d’interroger les raisons ayant amené le Sénat, le 30 octobre 2012, à adopter une motion de rejet de cette proposition de loi. Ce rejet est basé sur des erreurs de jugement qui témoignent de la difficulté à définir une tarification résidentielle de l’énergie juste et efficace, étant donné l’objectif du gouvernement en matière de maîtrise de la demande d’énergie. Aussi, il nous paraît opportun de nous demander clairement si la tarification proportionnelle en vigueur doit être corrigée afin de valoriser les économies d’énergie.
L’opposition des parlementaires porte avant tout sur le point suivant : le dispositif bonus-malus rompt le principe d’égalité de traitement des citoyens devant l’accès à l’énergie.[2] Cet argument n’est pas sans rappeler l’annulation par le Conseil constitutionnel en 2009 de la taxe carbone.[3] Il est toutefois surprenant dans la mesure où le principe d’égalité de traitement n’est pas totalement respecté avec la tarification en vigueur. En effet, chaque ménage paie deux taxes locales sur sa consommation finale d’électricité. Or, celles-ci diffèrent d’une commune et d’un département à l’autre pour des raisons difficiles à expliquer. Les sénateurs ont également critiqué la progressivité que le dispositif bonus-malus surimposerait à la tarification en vigueur, l’associant à une taxe déguisée. Cette critique paraît peu fondée dans la mesure où les tarifs sociaux introduisent déjà une progressivité.[4]
L’élément novateur de la proposition de loi est celui de la compatibilité entre la tarification proportionnelle en vigueur et la valorisation des économies d’énergie. Entre deux ménages de composition semblable et abonnés au même tarif, la facture de celui qui contrôle sa consommation est déjà réduite. Mais cette réduction est-elle suffisante pour compenser cet effort ? Autrement dit, doit-on considérer qu’un kilowatt/heure à économiser au prix d’un effort a la même valeur économique – au signe près – que ce même kilowatt/heure simplement consommé ? Tout dépend si l’économie à réaliser est envisagée comme un gain ou une perte. Pour les ménages qui se trouvent dans ce dernier cas, l’économie est appréhendée comme un coût. Alors elle n’est pas réalisée et c’est pourquoi le dispositif bonus-malus serait efficace. Les autres n’ont pas besoin d’incitation supplémentaire.
Le dispositif bonus-malus n’offre pas seulement une ristourne (le bonus) qui sera financée par les surconsommations.[5] Il vise aussi à informer chaque ménage sur son comportement, qu’il soit vertueux ou pas, ce qui est cohérent avec plusieurs observations récentes de la littérature : un ménage fonde peu sa consommation d’énergie sur des prix marginaux quasi nuls – exprimés en centimes d’euro par kilowatt/heure – et qu’il connaît imparfaitement. Les variations du montant de sa facture et les annonces de variation de prix jouent un rôle plus grand. De ce fait, ce n’est pas tant les valeurs absolues des bonus et malus qui importent, mais plutôt le signal que leurs valeurs relatives inscrites sur la facture enverront aux ménages.
Certes, la surimposition du dispositif bonus-malus sur les tarifs en vigueur amplifiera dans un premier temps les écarts entre les dépenses des usagers. Mais le bonus qui s’appliquerait sur la facture des ménages dont le comportement profite à tous n’est pas moins légitime que les ristournes dont bénéficient ceux qui, depuis l’ouverture à la concurrence des marchés de détail de l’énergie, ont entrepris de changer de fournisseur.
Malheureusement, le rejet de la proposition de loi Brottes clôt tout débat didactique sur le lien entre économies d’énergie et tarification résidentielle de l’énergie. Le peu d’engouement pour ce sujet dans le débat public est facile à percevoir à la lecture du récent et volumineux rapport de la Commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité. Ce n’est pas si étonnant, dans un secteur où l’on encourage plutôt l’innovation du côté offre. L’effacement diffus en est l’exemple le plus récent.[6] Mais, sans innovation également dans la structure des tarifs de l’énergie, la France pourra-t-elle atteindre son objectif de réduction de la consommation d’énergie ?
[1] L’auteur tient à remercier Marcel Boiteux, Marc-Kévin Codognet, Jérome Creel, Gilles Le Garrec, Marcelo Saguan et Karine Chakir. Les opinions défendues dans cette note n’engagent que la responsabilité de son auteur.
[2] Ce principe est assuré par la péréquation tarifaire : quel que soit le lieu de résidence, la grille tarifaire est la même.
[3] Au motif que cette taxe introduisait une rupture de l’égalité des contribuables devant les charges publiques.
[4] Crampes, C., Lozachmeur, J.-M., 10/09/2012, Les tarifs progressifs de l’électricité, une solution inefficace, Le Monde.
[5] Dans le cas où la somme des malus ne suffirait pas à couvrir les bonus, l’Etat devra financer le déficit. Et, même en l’absence de déficit, la répartition des consommateurs vertueux n’étant pas forcément la même d’un fournisseur à l’autre, une péréquation des soldes bonus-malus devra être appliquée afin que chacun finisse avec un solde nul.
[6] L’effacement diffus consiste à interrompre l’alimentation d’un radiateur ou d’un chauffe-eau pendant 10-15 minutes.