Sortir de l’euro ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Bruno Ducoudré, Paul Hubert, Xavier Ragot, Raul Sampognaro, Francesco Saraceno, et Xavier Timbeau

L’évaluation des effets de la sortie de la France de la zone euro (Frexit) est un exercice des plus délicats tant les voies en sont multiples et les effets incertains. Cependant, cette proposition étant avancée dans un débat plus général sur les coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne et à l’euro, il est utile de discuter et estimer les mécanismes en jeu.

La question de l’appartenance à l’euro s’ancre sur plusieurs points de diagnostic peu consensuels. D’une part, les bénéfices liés à la monnaie unique 18 ans après sa création ne sont pas perçus comme flagrants ; d’autre part l’hétérogénéité de la zone monétaire ne s’est pas réduite de façon évidente et, ce qui peut être lié, les déséquilibres de balance courante qui se sont accumulés dans la première décennie de la zone euro et qui ont été amplifiés ensuite par les conséquences de la crise financière globale de 2008 contraignent les politiques économiques.

La dissolution de l’union monétaire européenne serait un événement inédit, non seulement pour les pays membres mais aussi du point de vue de l’histoire des unions monétaires. Non pas que des expériences de dissolution n’aient jamais eu lieu – Rose (2007) comptabilisait déjà 69 cas de sortie d’union monétaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – mais, à de nombreux égards, ces expériences offrent peu d’éléments de comparaison (Blot & Saraceno, 2014) et ne permettent pas de mettre en évidence des régularités empiriques qui pourraient nous informer sur les possibles infortunes ou chances de succès d’un éclatement de la zone euro.

Pour autant, la référence aux épisodes passés n’est pas le seul outil par lequel l’économiste peut produire une analyse de l’éclatement de la zone euro. Il est en effet possible de mettre en lumière les mécanismes qui seraient à l’œuvre si l’on devait mettre un terme au projet d’union monétaire en Europe. Les chemins possibles en cas d’éclatement de la zone euro sont nombreux et toute analyse en termes de coûts et de bénéfices doit être interprétée avec la plus grande prudence dans la mesure où, à l’incertitude portant sur l’évaluation quantitative des mécanismes à l’œuvre, s’ajoute celle du scénario qui se dessinerait en cas de sortie. Dans ces conditions, la sortie de la zone euro ne peut pas forcément s’appréhender que du point de vue de son impact sur le taux de change ou de ses effets financiers. Il est en effet fort probable que la sortie s’accompagnerait de la mise en œuvre de politiques économiques alternatives. L’analyse effectuée ici n’engage pas ce débat et se borne à expliciter les mécanismes macroéconomiques à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sans détailler les réactions de politiques économiques et des effets de second tour.

L’hypothèse centrale que nous retenons ici est celle d’un éclatement complet de l’union monétaire et non celle où la France seule en sortirait. En effet, si la France, deuxième économie de la zone euro venait à en sortir, l’existence même de cette zone monétaire serait remise en question. La dévaluation du franc par rapport aux pays du sud de l’Europe restés dans la zone euro déstabiliserait leur économie et les pousserait hors de la zone euro amputée. Nous ne traitons pas ici l’ensemble des éléments techniques en lien avec l’organisation de la dissolution[1] – mise en circulation des nouvelles monnaies, liquidation de la BCE et arrêt du système TARGET, etc. – mais nous nous concentrons sur l’analyse des effets macroéconomiques[2]. Deux types d’effets seraient alors à l’œuvre. D’une part, la dissolution de l’union monétaire européenne entraînerait de facto un retour aux monnaies nationales et donc à une dévaluation ou une réévaluation des monnaies des pays de la zone euro vis-à-vis des partenaires de la zone euro mais aussi vis-à-vis des pays hors zone euro. D’autre part, la redénomination des actifs et des passifs aujourd’hui libellés en euros et la perspective de mouvements de change auraient des effets financiers que nous analysons au prisme des crises financières passées. Nous retenons donc un scénario de crise contenue.

La sortie unilatérale de la France de la zone euro et l’éclatement de la zone euro qui s’en suivrait interdisent un scénario de type monnaie commune où une coopération forte entre les anciens Etats membres permettrait de maintenir une grande stabilité des changes et de préserver de fait un statu quo économique. Un tel scénario a une faible vraisemblance puisqu’il conduirait à ne pas utiliser les marges de manœuvre ouvertes par la sortie et à maintenir le carcan supposé et dénoncé. La crise est contenue dans le sens où les effets les plus violents seraient cependant réduits par des politiques coordonnées. Cela conduit donc à des mouvements de change rapides, importants, mais qui se stabilisent à un horizon de quelques trimestres[3]. Nous supposons en revanche que chaque pays poursuit son intérêt propre sans coopération particulière.

I  – Un résumé des  mécanismes économiques en jeu

Les gains attendus de la sortie de la zone euro

En premier lieu, la sortie de la zone euro conduirait à ce que les taux de change entre les monnaies des pays qui la composent puissent à nouveau varier les uns par rapport aux autres. Dans ces conditions, se pose la question de la valeur du taux de change vers laquelle ces monnaies vont converger. Les gains attendus seraient d’une part une amélioration de la compétitivité du fait de la dévaluation du franc. Une telle dévaluation génèrerait de l’inflation importée à court terme, avant d’accroître le pouvoir d’achat et la croissance. Le second gain concerne la possibilité de définir une politique monétaire et budgétaire différenciée par pays et donc plus appropriée à la conjoncture française.

La sortie de la zone euro permettrait par ailleurs de mettre des tarifs douaniers défavorables aux importations des autres pays et donc favorables aux producteurs sur le territoire national mais qui se répercuteraient aussi sur les prix à la consommation et donc sur le pouvoir d’achat des ménages[4].

Les coûts de la sortie de la zone euro

 Une sortie de la France de la zone euro entraînerait une sortie d’autre pays qui verraient leur monnaie se déprécier par rapport au franc, notamment les pays du sud de l’Europe. L’effet net sur la compétitivité peut s’avérer ambigu.

Un Frexit entraînerait des mouvements de change, ce qui se traduirait par un retour des coûts de transaction sur les échanges monétaires entre les pays de la zone euro. Par ailleurs, l’éclatement de la zone euro provoquerait également une redénomination des actifs et des dettes en monnaie nationale. Au-delà des aspects juridiques, ces effets de bilan appauvriront les agents qui détiennent des actifs re-dénominés en monnaie se dépréciant et des dettes re-dénominées en une monnaie s’appréciant (et inversement pour l’enrichissement). Les incertitudes sur les effets de bilan, notamment pour les intermédiaires financiers et les banques, devraient conduire à une période de fort ralentissement du crédit.

Le gain de l’autonomie de la politique monétaire est incertain dans la période actuelle. En effet, il est difficile de concevoir une politique monétaire beaucoup plus expansionniste que la politique de taux négatifs de la BCE et de rachat de titres[5]. La Banque de France pourrait certes racheter la dette publique nationale en créant de la monnaie, mais il n’est pas évident que le gain soit important face à la faiblesse des taux d’intérêt actuel sur la dette publique française[6]. Notons que la persistance d’une balance courante déficitaire nécessiterait de la financer par une épargne extérieure et que cette contrainte extérieure pourrait affecter la politique monétaire, obligeant par exemple à une hausse des taux d’intérêt courts et longs qui pourrait imposer un contrôle des capitaux par le gouvernement.

Enfin, la mise en place d’un protectionnisme commercial entraînerait de toute évidence des mesures de rétorsion des partenaires lésés qui nuiraient aux exportations françaises. L’effet net serait globalement négatif sur le commerce mondial, sans gain sur le plan national.

II – Les effets sur le change et la compétitivité

Un Frexit ne conduirait pas à de forts gains de compétitivité. En effet, nous avons simulé l’effet d’un Frexit de la manière suivante :

  1. Nous faisons l’hypothèse qu’un Frexit conduirait à un délitement rapide de la zone euro ;
  2. Dès lors nous utilisons nos estimations de taux de change d’équilibre de long terme, présentées dans le chapitre 4 du Rapport iAGS 2017. Il apparaît que la parité d’équilibre pour le nouveau franc correspondrait à une dévaluation effective réelle de 3,6 % par rapport au niveau actuel de l’euro. Il s’agit d’une variation réelle, c’est-à-dire une fois corrigée des effets de l’inflation et effective, c’est-à-dire qui tient compte des variations de change par rapport aux différents partenaires commerciaux, possiblement de sens contraire. Le nouveau franc serait dévalué par rapport à la monnaie allemande, mais s’apprécierait par rapport à la monnaie espagnole ;
  3. Utilisant les estimations empiriques des ajustements du taux de change (Cavallo et al., 2005), nous déterminons une trajectoire de court terme des taux de change. Notre estimation est une dépréciation du taux de change effectif de la France de 13,7% vis-à-vis des autres pays de la zone euro, et une appréciation de 8,6% vis-à-vis des pays qui n’appartiennent pas à la zone euro.

A partir de simulations du modèle emod.fr, nous évaluons un gain modeste de compétitivité. L’effet sur le PIB serait proche de 0 la première année et de 0,4% au bout de trois ans. Ces chiffres sont faibles et sont en référence à un scénario sans réajustement à l’intérieur de la zone euro. En ouvrant la possibilité d’un tel ajustement graduel à l’intérieur de la zone euro (selon des mécanismes par exemple évoqués dans l’iAGS 2016) le gain potentiel serait encore plus faible. Encore une fois, il est possible d’envisager que la politique monétaire conduite par la Banque de France cherche à dévaluer plus fortement la monnaie française par rapport à celle de ses concurrents. Mais, dans un tel schéma, il est fort probable que ces derniers souhaitent à leur tour préserver leur compétitivité et s’engager dans des politiques de dévaluations compétitives.

III – Les effets financiers : les effets des crises bancaires

La dissolution de la zone euro et le retour aux monnaies nationales auraient d’importantes répercussions sur les systèmes bancaires et financiers nationaux de par leur activité internationale et provoqueraient le retour de l’exposition au risque de change à l’intérieur de la zone euro. Nous évaluons dans un premier temps les risques que font peser l’éclatement de la zone euro sur le système bancaire. Les mécanismes à l’œuvre sont de nature à provoquer une crise bancaire dont les coûts en termes d’activité peuvent être élevés.

Le retour aux monnaies nationales dans un espace financièrement intégré engendrerait forcément un bouleversement important pour le système financier. Ces effets ne sont pas comparables à ceux qui ont été observés au moment de l’adoption de l’euro. En effet, comme l’ont montré Villemot et Durand (2017), les effets de bilan seraient potentiellement importants pour un scénario de faible coordination.

Les effets de bilan pourraient être réduits dans le cas d’une coordination internationale lors de la sortie de l’euro. Une telle coordination permettrait de répartir de manière cohérente les actifs et passifs de la BCE, notamment dans le cadre de Target 2. Une coordination importante lors de la sortie de la zone euro semble cependant une hypothèse difficile à retenir. Il est illusoire de croire que les difficultés de coordination se réduiraient. Elles devraient, au contraire, s’accroître dans un climat d’instabilité au lieu de celui d’un destin partagé. De ce fait, nous excluons dans le scenario de sortie de la zone euro la mise en place d’une architecture financière ou monétaire nouvelle.

Le risque de crise bancaire ou financière est central pour comprendre les impacts qu’aurait l’éclatement de la zone euro. Ils passeraient par trois canaux principaux. Le premier est la fuite des dépôts, de l’épargne et la liquidation de détresse d’actifs financiers. Le second tient aux effets de désalignement de change sur les bilans bancaires et des assureurs. Le troisième concerne le risque souverain qui porterait soit sur la dette publique et son financement, soit en cas de monétisation non contrôlée de cette dette, du retour d’une contrainte extérieure dure. La littérature économique nous offre des développements récents (notamment Rogoff et Reinhart, Borio, Schularik, le FMI) qui tentent d’évaluer des crises bancaires ou financières. Précisons d’emblée que cette littérature ne traite pas des dissolutions des unions monétaires. Dans les différentes crises bancaires répertoriées depuis les années 1970 par Laeven et Valencia (2010 et 2012), il n’est pas fait mention de crises liées à des dissolutions d’union monétaire. Néanmoins, les effets financiers à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sont, comme évoqué précédemment, des facteurs de risque de crise bancaire ou financière.

Par ailleurs, la littérature économique sur les crises de change a pointé le lien avec les crises bancaires (Kaminsky et Reinhart, 1999). L’éclatement d’une union monétaire traduit de fait une situation de crise du régime de change qui entraîne des réévaluations et des dévaluations avec sur-ajustement des taux de change, comme nous le soulignons dans la partie précédente. Dès lors, la référence au coût des crises bancaires permet d’illustrer les effets potentiellement négatifs d’une sortie de la zone euro. Il faut cependant bien rappeler que ces coûts correspondent à une évaluation globale des crises bancaires qui ne permettent pas d’identifier précisément les mécanismes par lesquels le choc financier se propage vers l’économie réelle. Une telle évaluation consistant à identifier l’impact qui serait lié à la hausse des différentes primes de risque, à des effets de rationnement du crédit ou à l’incertitude est bien plus délicate à réaliser. Une analyse menée par Bricongne et al. (2010) sur les différents canaux de transmission de la crise financière de 2007-2008 suggère que la part de l’inexpliqué est importante. Aussi à défaut d’une analyse plus fine, nous faisons l’hypothèse que les expériences historiques de crise bancaire sont le principal élément quantitatif permettant d’approcher l’éventuel impact négatif – via les effets financiers – d’un éclatement de la zone euro.

Laeven et Valencia (2012) ont analysé 147 crises bancaires dans les pays développés et émergents au cours des dernières décennies (1970-2011). Ils calculent les pertes de production comme le cumul sur trois ans de la perte relative de PIB réel par rapport à sa tendance[7]. Pour les pays développés, la perte cumulée de croissance est en moyenne de 33 points de PIB. Durant ces 3 ans de crise, la dette publique augmente en moyenne de 21 points de PIB (en partie à cause des recapitalisations bancaires), l’augmentation du bilan de la banque centrale est de 8 points de PIB, et le taux de prêts non-performants augmente de 4 points de pourcentage. Il faut noter qu’il y a une forte hétérogénéité du coût des crises selon les crises considérées et selon le pays considéré. Ainsi, l’évaluation que font les auteurs du coût de la crise bancaire de 2008 en termes de croissance à la suite de la faillite de Lehman Brothers se chiffre à 31 points de PIB pour les Etats-Unis et 23 points de PIB pour la zone euro dans son ensemble. Hoggarth, Reis et Saporta (2002) ont mené une étude similaire et cherchent à fournir des évaluations robustes à la mesure de la tendance du PIB. Ils constatent des pertes cumulatives de production pendant les périodes de crise allant de 13 à 20 points de PIB selon l’indicateur retenu. Ces estimations du coût des crises bancaires sont cependant à considérer avec prudence car elles reposent sur de nombreuses hypothèses et notamment sur la trajectoire qu’auraient suivie les pays en l’absence de crise.

IV – Les gains de l’autonomie monétaire

Les gains d’une politique monétaire alternative dépendront de l’orientation nouvelle de la politique monétaire qui reste à préciser, et qui déterminera les conditions de financement de l’économie. Une telle politique sera probablement ultra-accommodante du fait de l’instabilité financière et bancaire générée par les effets de bilan.

Les évaluations de la contribution des conditions financières en France de 2014 à 2018 suggèrent cependant que celles-ci ne sont pas le facteur le plus important pour expliquer la faiblesse de l’activité.  Sur cette période, les conditions financières et monétaires contribuent à la croissance du PIB entre -0,1 à 0,2 point[8]. Ainsi, il y a peu de gain à attendre d’une nouvelle politique monétaire ultra-accommodante (indépendamment des effets sur le change discutés en première partie ou de l’impact de la contrainte extérieure).

Conclusion

Ce texte a pour but de brosser les conséquences possibles d’un Frexit, sans entrer dans une quantification trop détaillée et donc périlleuse.

  1. Contrairement à ce qui est parfois avancé, il y a peu à attendre en termes de compétitivité ou en marges de manœuvre de la politique monétaire à court terme ;
  2. Le coût principal proviendrait de la crise bancaire ou financière induite par les effets de bilans, notamment dans le cadre d’une sortie non ordonnée.

A ce stade de l’analyse, il est difficile d’identifier les effets économiques positifs potentiels d’un Frexit alors que les risques d’un impact négatif en raison des effets financiers semblent très importants.

 

Références

 

Blot C. et Saraceno F., 2014, « Que sait-on de la fin des unions monétaires ? », OFCE Le Blog, 11 juin.

Bordo, M., Eichengreen, B., Klingebiel, D., et Martinez-Peria, M. S., 2001, « Is the crisis problem growing more severe?  » Economic Policy, 32, 51-82.

Bricongne J-C., Fournier J-M., Lapègue V., et Monso O., 2010, « De la crise financière à la crise économique. L’impact des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance de sept pays industrialisés », Economie et Statistique,  n° 438-440, 47-77.

Capital Economics. 2012. Leaving the euro: A practical guide.

Cavallo Michelle, Kate Kisselev, Fabrizio Perri, Nouriel Roubini, 2005, « Exchange rate overshooting and the costs of floating »,  Federal Reserve Bank of San Francisco Working Paper Series.

Demirguc-Kunt, A., et Detragiache, E., 1998, « The determinants of banking crises in developed and developing countries », IMF Staff Papers 45, 81–109.

Destais C., 2017, « Lex monetae : de quoi parle-t-on ?  », CEPII le blog, 14 mars.

Diamond, D. W., et Dybvig, P. H., 1983, « Bank runs, deposit insurance, and liquidity »,

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Furceri, D., et Mourougane A., 2012, « The effect of financial crises on potential output: New empirical evidence from OECD countries », Journal of Macroeconomics, 34, 822-832.

Gorton, G., 1988, « Banking panics and business cycles », Oxford Economic Papers, 40, 751-781.

Hoggarth, G., Reis R., et Saporta V., 2002, « Costs of banking system instability: some empirical evidence », Journal of Banking & Finance, 26(5), 825-855.

Honkapohja S., 2009, « The 1990’s financial crises in Nordic countries », Bank of Finland Discussion Paper, 5.

Jordà, Ò., Schularick M., et Taylor A., 2013, « When Credit Bites Back, Journal of Money  », Credit and Banking, 45(s2), 3-28.

Kaminsky, G. L., Reinhart, C. M., 1999, « The twin crises: The cause of banking and balance of payment problems », American Economic Review, 89, 473-500.

Laeven, L., et Valencia F., 2010, « Resolution of banking crises: the good, the bad and the ugly »,  IMF Working Paper, n° 10/44.

Laeven, L., et F., Valencia., 2012, « Systemic Banking Crises Database: An Update », IMF Working Paper, n° 12/163.

Reinhart, C. M., & Rogoff. K. S., 2009, « The Aftermath of Financial Crises », American Economic Review, 99(2), 466-72.

Rose A., 2007, « Checking out: exits from currency unions », Journal of Financial Transformation, 19, 121-128.

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[1] Ces points sont en grande partie discutés dans Capital Economics (2012).

[2] Il est difficile de bâtir un scénario contrefactuel de long terme dans le cas de la sortie de l’euro. Nous nous concentrons donc sur les effets de court et de moyen terme des transitions éventuelles.

[3] Nous évacuons implicitement le scénario d’une guerre des monnaies où chaque pays tenterait de gagner en compétitivité par des dévaluations qui nous écarteraient durablement d’une convergence vers un taux de change d’équilibre réel.

[4] La mise en place de tels tarifs demande la sortie de l’Union européenne. Sans développer ces analyses ici, il est très probable que la sortie de la zone euro entraînerait une sortie de l’union européenne. Il existe des évaluations de la contribution de l’UE au commerce et à la croissance intra-européenne que nous n’utilisons pas ici dans notre approche de court terme.

[5] Par son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE achète essentiellement des titres de dette publique incluant donc des titres de dette française. En février 2017 l’encours de titres détenus par la BCE dans le cadre de ce programme (PSPP) s’élevait à 1 457,6 milliards d’euros. La répartition des achats se faisant selon la part du capital de la BCE souscrit par les banques centrales des Etats-membres, la fraction de titres de dette française dépasserait 200 milliards d’euros.

[6] S’affranchir de la contrainte du Pacte de stabilité et de croissance peut permettre un gain en soi. Cela suppose que la contrainte du PSC va au-delà de ce que la soutenabilité de la dette publique demande.

[7] Ces évaluations montrent cependant qu’il y a une forte hétérogénéité dans les coûts évalués selon les pays considérés.

[8] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/documents/prev/prev1016/france.pdf




Traité de Rome : Une sélection de travaux sur l’Union européenne

Par Paul Hubert

Depuis la création de l’OFCE, les questions européennes ont une place centrale dans ses analyses. A l’occasion du 60e anniversaire de la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, bien qu’il soit difficile de faire une recension complète, nous proposons une sélection, non exhaustive, de travaux qui ont été menés par les économistes de l’OFCE sur les thèmes abordés dans le préambule du Traité.

Ce préambule met l’accent sur différentes problématiques : le progrès économique et social, l’amélioration des conditions de vie et d’emploi, la stabilité dans l’expansion, l’équilibre dans les échanges, la réduction de l’écart entre les différentes régions et du retard des moins favorisées, la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux.

Jacques Drèze et Edmond Malinvaud proposent un ensemble de politiques de court, moyen et long terme pour répondre au défi économique et social du chômage européen : “Croissance et emploi : l’ambition d’une initiative européenne”, Revue de l’OFCE, 49, 247-288 (1994).

Gérard Cornilleau, Jacques Le Cacheux et Henri Sterdyniak, avec d’autres co-auteurs, évaluent dans quelles mesures l’avènement du marché unique a fait apparaître la nécessité d’une harmonisation de plusieurs impôts : “Vers une fiscalité européenne?”, Revue de l’OFCE, 31(1), 121-189 (1990).

Jean-Paul Fitoussi et ses coauteurs du Groupe international de politique économique de l’OFCE ont publié au début des années 90 lors de l’approfondissement de la construction européenne trois rapports sur les différentes stratégies de croissance en Europe : “La désinflation compétitive, le mark et les politiques budgétaires en Europe”, Editions du Seuil, (1992), “Taux d’intérêt et chômage”, Presses de Sciences Po (1993), “Pour l’emploi et la cohésion sociale”, Presses de Sciences Po (1994).

Jean-Paul Fitoussi discute le rôle de l’acceptation des inégalités dans les choix de politiques macroéconomiques: “Macroeconomic Policies and Institutions”, Document de Travail de l’OFCE, n°2006-06 (2006).

Jacky Fayolle et Anne Lecuyer apportent leur contribution au débat sur le mouvement de la géographie économique européenne au travers des performances économiques entre les régions de l’Union européenne et de leur accès aux fonds structurels européens : “Croissance régionale, appartenance nationale et fonds structurels européens. Un bilan d’étape”, Revue de l’OFCE, 73(1), 165-196 (2000).

Jean-Paul Fitoussi et Francesco Saraceno analysent les arguments contre et en faveur des règles budgétaires et les normes sociales qui les sous-tendent : “Normes sociales et politiques européennes”, Revue de l’OFCE, 102, 283-314 (2007) et  “European Economic Governance: The Berlin-Washington Consensus”, Cambridge Journal of Economics, 37(3), 479–96 (2013).

Jérôme Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux posent la question de la cohérence de la stratégie de Lisbonne entre ses différents objectifs fixés et les moyens déployés La ‘stratégie de Lisbonne’ engluée dans la tactique de Bruxelles”, Lettre de l’OFCE, n°259 (2005).

Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux analysent l’économie politique et les conséquences économiques de la Constitution européenne : “What (Economic) Constitution does the EU need?”, Document de Travail de l’OFCE, n°2007-04 (2007).

Frédéric Zumer et Jacques Mélitz examinent la question des transferts budgétaires entre régions européennes et donc du fédéralisme budgétaire : “Partage du risque dans l’Union européenne, Expériences interrégionales et internationales”, Revue de l’OFCE, 83 bis, 299-323 (2002).

Jacques Le Cacheux et Henri Sterdyniak proposent une réflexion critique sur le fonctionnement économique de l’UE et sur l’organisation des instances communautaires à l’aune du rapport Sapir, publié en juillet 2003 : “Comment améliorer les performances économiques de l’Europe?”, Revue de l’OFCE, 87, 227-253 (2003).

Christophe Blot et Fabien Labondance comparent les institutions économiques de la zone euro avec celles des Etats-Unis et de l’empire austro-hongrois : “Réformer la zone euro : un retour d’expériences”, Revue de l’Union européenne, 566, 140-147 (2013).

Jean-Luc Gaffard et Lionel Nesta proposent un cadre visant à permettre la concurrence et la coopération entre les différents acteurs de l’innovation au sein de l’UE : “Competition and innovation, A challenge for the European Union”, Revue de l’OFCE, 134, 231-238 (2014).

Jérôme Creel et Jacques Le Cacheux examinent les stratégies non coopératives que suivent les gouvernements nationaux des pays européens pour renforcer leur compétitivité dans les échanges intra zone et internationaux : “La nouvelle désinflation compétitive européenne”, Revue de l’OFCE, 98 (2006).

Depuis 2013, le projet iAGS, coordonné par Xavier Timbeau, fournit chaque année une alternative indépendante à l’enquête annuelle sur la croissance (Annual Growth Survey, AGS) publiée par la Commission européenne. Ce projet cherche à informer le débat public sur la stratégie économique en Europe sur les questions de divergence nominale, de soutenabilité des dettes publiques, des ajustements budgétaires et stratégies de sortie de crise, de la transition énergétique, des inégalités de genre ou territoriales.

L’OFCE publie aussi chaque année depuis 2016 dans la collection “Repères” L’économie européenne, ouvrage  coordonné par Jérôme Creel. L’ouvrage de 2017 fait un large tour d’horizon des questions que pose le projet d’Union européenne : Brexit, migrations, déséquilibres, inégalités, règles économiques.




Régulation bancaire européenne : quand l’union fait la force

par Céline Antonin, Sandrine Levasseur et Vincent Touzé

A l’heure où l’Amérique s’apprête, sous l’impulsion de son nouveau président Donald Trump, à mettre fin à la régulation bancaire adoptée en 2010 par l’administration Obama[1], l’Europe entame une troisième année d’Union bancaire (Antonin et al., 2017) et se prépare à l’arrivée d’une nouvelle réglementation prudentielle.

Qu’est-ce que l’Union bancaire ?

Depuis novembre 2014, l’Union bancaire pose un cadre unifié qui permet de renforcer la stabilité financière dans la zone euro[2]. Son objectif est triple :

  • – Garantir la robustesse et la résistance des banques ;
  • – Eviter le renflouement des banques en faillite par de l’argent public ;
  • – Harmoniser la réglementation pour une meilleure régulation et surveillance publique.

Cette Union est l’aboutissement d’un long chemin de coordination réglementaire parcouru depuis la libre circulation des capitaux prévu par l’article 67 du Traité de Rome (1957) : « les Etats membres suppriment progressivement entre eux, pendant la période de transition et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les restrictions aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les Etats membres, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties, ou sur la localisation du placement ».

L’Union bancaire est née de la crise. Si l’acte unique européen de 1986 et la directive de 1988 ont permis une entrée en vigueur en 1990 de la libre circulation des capitaux, la crise financière de 2008 a montré que le manque de coordination en Europe dans le domaine bancaire pouvait être une faiblesse.

En effet, les enseignements de la crise financière sont triples :

  • – Un système bancaire et financier mal régulé (cas américain) peut être dangereux pour le bon fonctionnement de l’économie réelle, dans ce pays mais aussi au-delà ;
  • – Une réglementation et une surveillance trop limitées à une vision nationale (cas des pays européens) ne sont pas efficaces dans un contexte où les mouvements de capitaux sont mondialisés et où de nombreuses opérations financières sont réalisées en dehors des frontières nationales ;
  • – Les crises bancaire et souveraine sont liées (Antonin et Touzé, 2013b): d’un côté, le renflouement des banques par des fonds publics creuse les déficits publics, ce qui fragilise les Etats tandis que la difficile soutenabilité des dettes publiques affaiblit les banques qui détiennent ces titres de dette dans leurs fonds propres.

L’Union bancaire donne un cadre juridique et institutionnel au secteur bancaire européen qui repose sur trois piliers :

(1) La banque centrale européenne (BCE) devient le superviseur unique des grands groupes bancaires ;

(2) Une régulation unique des défaillances bancaires instaure un fonds commun de renflouement (Fonds de résolution unique) et interdit le recours à un financement public national ;

(3) Un fond commun doit permettre, à l’horizon 2024 et sous réserve d’accord définitif de l’ensemble des membres de l’Union bancaire, de garantir les dépôts bancaires détenus par les ménages européens jusqu’à 100 000 euros, dépôts garantis par chacun des Etats depuis 2010.

L’Union bancaire n’est pas totalement achevée. L’adoption du troisième pilier prend du retard du fait des problèmes bancaires grec et italien qui ne sont pas totalement résolus en raison d’un risque encore élevé de défaut sur des crédits accordés. La garantie européenne des dépôts « devra attendre que des progrès suffisants soient réalisés dans la réduction et l’homogénéisation des risques bancaires » (Antonin et al., 2017).

Vers une régulation et une stabilité financière renforcées

Ce dispositif d’Union bancaire se juxtapose à la nouvelle réglementation prudentielle Bâle III adoptée progressivement depuis 2014 par l’ensemble des banques européennes à la suite d’une directive et d’un règlement européen. La réglementation Bâle III exige des banques un niveau plus important de fonds propres et de liquidités d’ici 2019.

L’instauration de l’Union bancaire couplée à une politique monétaire très accommodante de la BCE a contribué à mettre fin à la crise des dettes souveraines et du secteur bancaire européen. La politique de rachat massif d’actifs de la BCE contribue à améliorer la structure de bilan des secteurs endettés, ce qui réduit les risques de défaut bancaire. Aujourd’hui, les Etats membres, les entreprises et les ménages européens empruntent à des taux d’intérêt historiquement bas.

L’achèvement d’un espace bancaire et financier européen stable et performant nécessite d’aller plus loin dans la régulation d’un marché européen de capitaux unifié et dans la réglementation des activités financières des banques (Antonin et al., 2014).

L’Union des marchés de capitaux a pour objectif principal de donner un cadre réglementaire commun afin de faciliter le financement des entreprises européennes par les marchés et d’orienter l’épargne abondante de la zone euro vers des investissements à long terme. Cela permettrait d’avoir un niveau de régulation plus cohérent et potentiellement plus exigeant sur les émissions de titres financiers (actions, obligations, opérations de titrisation).

L’Union bancaire pourrait être également renforcée en s’appuyant sur le projet Barnier de 2014 de séparation forte des activités de dépôts et de spéculation. Le rôle de superviseur unique de la BCE (pilier 1) lui permet de vérifier que les activités spéculatives ne perturbent pas les activités normales. Ce rôle de superviseur pourrait être étendu à l’ensemble des activités financières, y compris le système de crédit parallèle aux crédits classiques, le fameux shadow banking. La séparation des activités crédibilise aussi les fonds communs de renflouement (pilier 2) et de garantie (pilier 3). En effet, il devient plus difficile pour les banques d’être trop grosses, ce qui réduit le risque de faillite coûteuse pour les épargnants (renflouement interne et limites des fonds communs).

Défendre un modèle européen de stabilité bancaire et financière

Si aujourd’hui les Etats-Unis renoncent à une réglementation plus exigeante de leurs banques avec pour objectif de court terme d’augmenter leur rentabilité, l’Union bancaire constitue un outil de défense remarquable pour préserver et renforcer le développement des banques européennes tout en exigeant d’elles une haute exigence de sécurité financière.

Alors que la justice américaine n’hésite pas à condamner à de lourdes amendes les banques européennes[3] et que les grandes banques chinoises accaparent désormais quatre des cinq premières places de la finance mondiale (Leplâtre et Grandin de l’Eprevier, 2016), un mode d’action coordonné devient crucial pour défendre et imposer un modèle bancaire européen stable et performant. Dans  ce domaine, une Europe désunie pourrait apparaître faible alors que ses excédents d’épargne en font une puissance financière mondiale. Certes, la crise a affaibli de nombreuses économies européennes, mais il faut se méfier des tentations court-termistes de repli autarcique car un pays européen qui s’isole devient une proie facile face à un système bancaire mondial en mutation.

 

Bibliographie

Antonin C. et V. Touzé (2013a), « Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ? », Blog de l’OFCE, 22 février 2013. http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/loi-de-separation-bancaire-symbole-politique-ou-nouveau-paradigme-economique/

Antonin C. et  V. Touzé (2013b) « Banques européennes : un retour de la confiance à pérenniser », Les notes de l’OFCE, n°37, décembre, pp.1-9. http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2013/note37.pdf

Antonin C., H. Sterdyniak et  V. Touzé (2014), «  Réglementation des activités financières des banques européennes : un quatrième pilier pour l’Union bancaire », Blog de l’OFCE, 30 janvier 2014. http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/reglementation-des-activites-financieres-des-banques-europeennes-un-quatrieme-pilier-pour-lunion-bancaire/

Antonin C., S. Levasseur et  V. Touzé (2017), « Les deux premières années de l’Union bancaire », in L’économie européenne 2017 (sous la direction de J. Creel), Repère.

Leplâtre S. et J. Grandin de l’Eprevier (2016), « Les banques chinoises trustent les premières places de la finance mondiale », Le Monde, 29 juin 2016. http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/29/les-banques-chinoises-trustent-les-premieres-places-de-la-finance-mondiale_4960155_3234.html#R1zGPo7VG46YVzQ5.99

 

 

[1] Le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act reprend la Volcker rule « qui interdit aux banques de « jouer » avec l’argent des déposants, ce qui conduit à une quasi-interdiction des activités de spéculation pour compte propre des entités bancaires ainsi que d’investissement dans les fonds spéculatifs (hedge fund) ou d’investissement privés (private equity fund) » (Antonin et Touzé, 2013a).

[2] L’Union bancaire est obligatoire pour les pays de la zone euro et facultatif pour les autres pays.

[3] L’actualité récente a montré que la justice américaine pouvait être d’une sévérité redoutable en infligeant d’importantes amendes aux banques européennes : 8,9 milliards de dollars pour BNP Paribas en 2014, 5,3 milliards pour Crédit Suisse et 7,2 milliards pour Deutsche Bank en 2016.




L’économie européenne 2017, ou l’UE après le Brexit

par Jérôme Creel

L’économie européenne 2017 permet de faire un large tour d’horizon des questions que pose aujourd’hui le projet d’Union européenne. Brexit, migrations, déséquilibres, inégalités, règles économiques rigides et souples à la fois : l’UE reste une énigme. Elle donne aujourd’hui l’impression d’avoir perdu le fil de sa propre histoire et d’aller à rebours de l’Histoire. Celle, récente, de la crise financière internationale. Celle, plus ancienne, de la Grande Dépression.

Quelques mois après la faillite de la banque Lehman Brothers, les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Londres pour le sommet du G-20 en avril 2009 avaient établi une liste de recommandations pour relancer l’économie mondiale. Parmi celles-ci figuraient la mise en œuvre de politiques budgétaires et monétaires actives, le soutien aux banques assorti d’une meilleure réglementation bancaire, le refus de la tentation protectionniste, la lutte contre les inégalités et la pauvreté et le soutien au développement durable.

Ces recommandations s’opposaient aux politiques mises en œuvre peu après la Grande Dépression, dans les années 30. A l’époque, les politiques économiques avaient commencé par être restrictives, et avaient donc alimenté la crise et la montée des inégalités. A l’époque aussi, le protectionnisme n’avait pas juste été une tentation mais une réalité : des barrières tarifaires et non tarifaires avaient été levées pour tenter de protéger les entreprises locales de la concurrence internationale. On sait ce qui arriva par la suite : une montée des populismes et des extrémismes qui a plongé l’Europe, puis le monde, dans une guerre épouvantable. Les enseignements économiques tirés de la gestion catastrophique de la crise des années 30 ont donc contribué aux recommandations du sommet de Londres.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces enseignements en Europe ? Peu de choses finalement, si ce n’est une politique monétaire résolument expansionniste et la mise en place d’une union bancaire. La première a vocation à atténuer la crise actuelle tandis que la seconde a vocation à éviter que survienne une crise bancaire en Europe. Ce n’est pas rien, certes, mais cela repose sur une seule institution, la Banque centrale européenne, et ne répond pas, loin s’en faut, à toutes les difficultés qui traversent l’Europe.

Le Brexit est l’une d’entre elles : premier cas de désintégration européenne, la sortie du Royaume-Uni pose notamment la question des conditions du futur partenariat avec l’Union européenne (UE) et voit resurgir la question du protectionnisme entre Etats européens. La tentation du repli sur soi est également manifeste dans la gestion de la crise des réfugiés qui en appelle pourtant aux valeurs de solidarité qui ont longtemps caractérisé l’UE. Les divergences entre les Etats membres de l’UE en termes d’inégalités, de compétitivité et de fonctionnement des marchés du travail réclameraient des politiques différenciées et coordonnées entre les Etats membres plutôt que les politiques très homogènes et sans vision d’ensemble menées jusque-là. C’est le cas notamment des politiques visant à résorber les déséquilibres commerciaux et de celles s’attachant à réduire les dettes publiques. La gestion des finances publiques par l’application de règles budgétaires, même imparfaitement respectées, et la gestion des déséquilibres économiques et sociaux par le respect de critères quantitatifs font perdre de vue les interdépendances entre les Etats membres : l’austérité budgétaire pèse aussi sur les partenaires, tout comme la recherche d’une meilleure compétitivité-prix. Est-ce bien utile et raisonnable dans une Union européenne prochainement à 27 qui peine à retrouver la voie d’une croissance durable et qui a vu augmenter ses inégalités ?

L’économie européenne 2017 dresse un bilan de l’Union européenne dans une période de fortes tensions et de fortes incertitudes, après une année de conjoncture moyenne et avant que ne s’enclenche véritablement le processus de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni. Au cours de cette période, plusieurs élections majeures en Europe serviront aussi de tests de résistance pour l’UE : moins, plus ou « mieux » d’Europe, il va falloir choisir.

 




Effets de bilan d’un éclatement de l’euro

par Cédric Durand (Université Paris 13) et Sébastien Villemot

Lorsqu’il a été introduit au tournant du millénaire, l’euro était largement perçu comme une réalisation majeure pour l’Europe. Les succès économiques apparents, conjugués à la convergence de plusieurs indicateurs économiques entre pays, ont nourri ce sentiment de succès. Quelques années plus tard, le tableau semble radicalement différent. La crise financière mondiale a révélé des déséquilibres qui ont conduit à la crise des dettes souveraines et ont amené la zone euro au bord de la dislocation. Les politiques d’austérité, qui sont devenues la norme sur le continent en 2011, ont alimenté une longue stagnation[1], avec des taux de croissance bien pâles en comparaison des États-Unis et du Royaume-Uni.

Cette sous-performance économique a alimenté le ressentiment populaire vis-à-vis de l’euro, ce dernier étant aujourd’hui perçu par un nombre croissant d’Européens comme le problème plutôt que la solution. La communauté financière elle-même semble s’être préparée à la possibilité d’une sortie ou d’une dissolution de la monnaie unique, par la réduction de ses expositions transfrontalières. La Grèce a failli sortir en 2015. Enfin, l’atmosphère intellectuelle a également changé : des penseurs de premier plan, tels que l’économiste américain Joseph Stiglitz, ou le sociologue allemand Wolfgang Streeck sont les représentants les plus visibles d’un changement d’attitude plus général.

La sortie d’un pays de l’euro, voire la dissolution de la monnaie unique, est donc devenue une possibilité concrète. Un tel événement aurait évidemment un impact majeur sur plusieurs plans. Au niveau économique, la conséquence la plus évidente concernerait les marchés de produits, du fait des nouveaux taux de change ; l’incertitude prévaudrait certes à court terme, mais à plus long terme la possibilité d’ajuster les parités nominales contribuerait à la résorption des déséquilibres des comptes courants.

Il existe toutefois un autre impact, moins discuté, mais potentiellement plus perturbateur : les modifications des bilans des acteurs économiques, résultant du processus de redénomination monétaire. Ce processus pourrait introduire des déséquilibres importants dans les bilans entre actifs et passifs. Il est crucial d’évaluer ces effets de bilan, car ils pourraient affecter les relations financières, l’investissement et le commerce, avoir des effets redistributifs inattendus et, s’ils n’étaient pas gérés adéquatement, conduire à des perturbations dans la sphère productive.

Les questions concrètes que nous posons sont les suivantes. Si un pays sort de l’euro et déprécie sa nouvelle monnaie nationale, quelles seront les conséquences pour les agents économiques nationaux qui ont des passifs libellés en euros : seront-ils en mesure de rembourser dans la nouvelle monnaie nationale ? Sinon, pourront-ils éviter la faillite malgré l’augmentation de leur dette ? Inversement, quelles sont les conséquences pour les pays sortants dont la nouvelle monnaie s’appréciera et qui ont accumulé des actifs étrangers ?

Dans une récente étude, nous proposons une évaluation de ce risque de redénomination dans la zone euro, par pays et par principaux secteurs institutionnels, dans deux scénarios : la sortie d’un seul pays et un éclatement complet.

Notre analyse s’appuie sur le concept de passifs et actifs « pertinents » : ce sont les postes du bilan qui ne seront pas redénominés dans la nouvelle monnaie après la sortie, pour des raisons juridiques ou économiques. Dans la pratique, le facteur le plus important pour déterminer quelles dettes ou actifs sont « pertinents » est le droit qui leur est applicable : si un contrat financier est régi par le droit interne, il est très probable que le gouvernement du pays sortant puisse le redénominer dans la nouvelle monnaie, en faisant simplement voter une loi au Parlement. À l’inverse, les contrats de droit étranger (généralement de droit anglais ou new-yorkais) resteront en euros, ou seront redénominés dans une autre devise si l’euro disparaît. Dans le premier cas, le prêteur supporte la perte économique ; dans le deuxième cas, le risque est supporté par l’emprunteur, dont la charge de la dette est augmentée, à moins qu’il ne décide de faire défaut et donc d’imposer des pertes au prêteur.

Commençons par regarder les passifs. Le tableau 1 présente nos estimations de la dette pertinente, par pays et par secteur institutionnel. Ce tableau donne donc une estimation de l’exposition des différents secteurs et pays à une sortie de l’euro suivie d’une dépréciation. Dans la mesure où les premiers mois après une sortie de l’euro seront les plus critiques, potentiellement marqués par un surajustement du taux de change, la composante de court terme de la dette pertinente est également indiquée.

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Du côté de la dette publique, les pays les plus menacés sont la Grèce et le Portugal, puisqu’ils disposent d’importants prêts extérieurs qui devront être remboursés en euros. À l’inverse, la France ou l’Italie ne sont pas exposés sur leur dette publique, car celle-ci est quasi-intégralement régie par le droit interne et peut donc facilement être redénominée en francs ou en lires. Le secteur financier est plus exposé, en particulier dans les pays agissant comme intermédiaires financiers, tels que le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande. L’exposition du secteur privé non financier semble beaucoup plus limitée (et en raison de certaines limites de nos données, les chiffres sont surestimés dans les pays dotés d’un système financier non bancaire très développé).

Néanmoins, les passifs pertinents ne résument pas l’enjeu à eux seuls. Les actifs pertinents sont également importants : pour les pays qui devraient subir une dépréciation (typiquement les pays du Sud, en y incluant la France), ces actifs aideront à atténuer le problème de la dette, puisque les avoirs en devises seront réévalués en termes de monnaie nationale ; inversement, dans le cas d’une appréciation de la monnaie (typiquement pour les pays du Nord), c’est du côté de l’actif que des difficultés peuvent survenir.

Le graphique ci-dessous montre nos estimations pour les « positions pertinentes nettes », à savoir la différence entre les passifs et les actifs pertinents. Un nombre positif signifie qu’une dépréciation va améliorer le bilan, tandis qu’une appréciation va le détériorer.

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Il ressort de façon frappante que, pour la plupart des pays et des secteurs, la position pertinente nette est positive. Cela signifie que les pays du Nord risquent de subir d’importantes pertes sur leurs avoirs à l’étranger s’ils quittent l’Union monétaire. A l’inverse, pour les pays du Sud et la France, il n’existe pas de risque de bilan pour le secteur privé pris dans son ensemble (à l’exception de l’Espagne), et même pas de risque pour le secteur public dans certains cas. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de problème parce qu’au niveau microéconomique les détenteurs d’actifs pertinents peuvent ne pas être les mêmes que ceux des passifs pertinents, mais au moins y a-t-il des marges de manœuvre.

Afin de brosser un tableau plus global tenant compte du fait que les actifs peuvent atténuer les problèmes de passif – mais seulement dans une certaine mesure – et que la dette à court terme est la question la plus critique, nous avons construit un indice de risque composite qui synthétise toutes ces dimensions, tel que le montre le tableau 2. En particulier, cet indicateur a été construit en utilisant des estimations pour les variations de change attendues après la sortie de l’euro.

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Bien que cet exercice implique nécessairement le choix de seuils arbitraires, il aide à identifier quelques vulnérabilités spécifiques : les dettes publiques de la Grèce et du Portugal, pour lesquelles une restructuration substantielle ou même un défaut serait le résultat probable ; les secteurs financiers de la Grèce, de l’Irlande, du Luxembourg et éventuellement de la Finlande, qui devraient subir une restructuration profonde ; et potentiellement le secteur non financier de l’Irlande et du Luxembourg, bien que ce dernier résultat puisse être un artefact causé par les limites de nos données.

La conclusion générale qui peut être tirée de notre analyse est que, même si le problème des bilans est réel et doit être pris au sérieux, son ordre de grandeur global n’est pas aussi grand que certains le prétendent. En particulier, dans le secteur privé non financier, cette problématique devrait être gérable à condition que des politiques appropriées soient mises en œuvre, ce qui devrait alors limiter les perturbations.

L’évaluation des coûts d’une sortie de l’euro importe évidemment pour gérer correctement cet événement ex post, si celui-ci devait se concrétiser en raison de certains chocs politiques ou économiques inattendus. Mais cette évaluation est également intéressant ex ante, en particulier pour un pays qui envisage de partir ou de rester. À cet égard notre analyse aboutit à une conclusion quelque peu inattendue : les coûts ne sont probablement pas si élevés pour certains pays déficitaires (Italie, Espagne), alors qu’ils sont plus élevés qu’on ne le pense habituellement pour les pays excédentaires, qui pourraient subir des pertes en capital par dépréciation ou défaut. La prise de conscience de ce fait devrait renforcer le pouvoir de négociation des pays du Sud dans leurs négociations avec les pays du Nord concernant l’avenir de la zone euro.

 

[1] Voir les rapports de l’independent Annual Growth Survey (iAGS).




La BCE étend son programme de QE et brouille sa communication

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé ce jeudi 10 mars, à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs, une série de mesures supplémentaires d’assouplissement de sa politique monétaire. L’objectif est d’éviter que la déflation ne s’installe et de tenter de soutenir la croissance en zone euro. L’innovation majeure réside dans le programme de financement des banques à taux négatifs. Si les mesures ont été favorablement accueillies par les marchés au moment de leur annonce, une erreur de communication de Mario Draghi, pendant la conférence de presse qui suit la réunion du Conseil des gouverneurs, a largement réduit une partie de l’effet attendu des décisions prises.

Quelles décisions ont été prises ?

– Les trois taux directeurs fixés par la BCE ont été réduits. Le taux principal de refinancement baisse de 0,05 % à 0 %, tandis que le taux des facilités marginales passe de 0,30 % à 0,25 %. Enfin, le taux des facilités de dépôts, qui rémunère les réserves excédentaires que les banques déposent au bilan de la BCE, baisse lui de –0,30% à –0,40%. Le coût pour une banque à avoir des liquidités au bilan de la BCE augmente donc.

– Le programme d’assouplissement quantitatif (QE) est étendu en termes de taille – les achats de titres passent de 60Mds€ à 80 Mds€ par mois – mais surtout en termes de types de titres financiers éligibles à l’achat. Alors que la BCE achetait jusqu’à présent des titres publics (obligations souveraines et/ou de collectivités locales), elle achètera des obligations d’entreprises de bonne qualité, selon les critères des agences de notation. Cette mesure est une réponse directe à l’assèchement de l’offre de titres publics et devrait permettre de peser directement sur les conditions des entreprises qui émettent sur les marchés obligataires.

– L’innovation majeure réside dans le nouveau programme de TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) dont le but est de réamorcer le canal du crédit bancaire et d’octroyer des financements aux banques conditionnellement à leur financement de l’économie réelle. Ces prêts aux banques se feront à des taux nuls, voire négatifs, en fonction de différents critères parmi lesquels les montants de prêts que les banques accordent aux ménages et aux entreprises. En d’autres termes, la BCE va payer les banques remplissant ces critères pour qu’elles prêtent à leur tour.

Quels effets en attendre ?

L’effet à attendre de telles mesures dépend de la situation sur le marché du crédit. En temps normal, de nombreuses études montrent que ces mesures ont un effet positif sur l’économie. Cependant, cela ne se vérifiera que si c’est l’offre de crédit qui est aujourd’hui contrainte en zone euro. A l’inverse, si le problème réside dans la demande de crédit des ménages et des entreprises dont les perspectives en termes de revenus et profits sont faibles, alors ces mesures n’auront que peu d’effet. En accordant des conditions si favorables aux banques, on peut imaginer que la BCE fait le pari d’augmenter la demande solvable de crédit, c’est-à-dire que la BCE fournit des incitations fortes aux banques à prêter à des ménages et individus qui apparaissaient comme non-solvables aux conditions antérieures. Un autre effet attendu de la baisse du taux sur les facilités de dépôts et de l’augmentation du QE passe par la baisse du taux de change de l’euro, de manière à favoriser les exportations de la zone euro et à augmenter l’inflation importée et donc l’inflation globale de la zone euro. Ce canal est potentiellement d’autant plus important que la Réserve fédérale a enclenché un cycle de resserrement monétaire.

Il n’empêche qu’une politique économique plus pertinente consisterait à utiliser la politique budgétaire – d’autant plus que les conditions de financements des Etats sont à des niveaux historiquement faibles : l’Etat français gagne en 2016 de l’argent à s’endetter à moins de 4 ans – pour soutenir la demande. La politique monétaire n’en aurait alors que plus d’effet.

Pourquoi annoncer que les marges de manœuvre sont épuisées ?

Mario Draghi, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs, a annoncé que « la BCE ne réduirait plus les taux d’intérêts », ce qui a eu pour effet de modifier intégralement l’interprétation des marchés financiers des décisions communiquées un peu plus tôt. Alors que ces décisions, très expansionnistes, ont pour but de desserrer plus encore les conditions monétaires et financières et de faire baisser le taux de change de l’euro, l’annonce que les évolutions futures de la politique monétaire de la BCE ne pouvaient être que restrictives a transformé les anticipations des investisseurs.

Parce qu’un des principaux canaux de la transmission de la politique monétaire passe par les anticipations, plusieurs études réalisées sur données américaines[1], anglaises[2] ou de la zone euro[3] montrent que la communication de la banque centrale doit être cohérente avec ses décisions au risque de réduire les effets attendus de la politique monétaire. On parle alors d’un effet de signal de la politique monétaire. La simple phrase formulée par Mario Draghi en est l’exemple. Le graphique suivant montre le taux de change de l’euro vis-à-vis du dollar sur la journée du 10 mars. La forte baisse du milieu de journée correspond à la publication des décisions prises lors du Conseil des gouverneurs, tandis que la hausse tout aussi brutale correspond au message contradictoire prononcé quelques minutes plus tard lors de la conférence de presse. On constate alors qu’une série de mesures très expansionnistes – dont l’un des buts est de faire baisser l’euro – vient d’être annoncée, que l’euro aura finalement augmenté vis-à-vis du dollar comme si des mesures restrictives avaient été mises en place.

Cela ne veut pas forcément dire que ces décisions n’auront pas d’effets mais qu’une partie des effets sera amoindrie, voire potentiellement nulle. D’autres canaux de transmission que l’effet de signal restent opérants. Alors que le canal du taux de change se trouve maintenant réduit par l’effet restrictif généré par le canal des anticipations, nous verrons dans les semaines et mois à venir si les mouvements de capitaux induits par les décisions prises auront l’effet attendu sur le taux de change de l’euro.

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[1] Hubert, Paul (2015), “The Influence and Policy Signalling Role of FOMC Forecasts”, Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 77(5), 655-680.

[2] Hubert, Paul, and Becky Maule (2016), “Policy and Macro Signals as Inputs to Inflation Expectation Formation”, Bank of England Staff Working Paper, No. 581.

[3] Hubert, Paul (2015), “ECB Projections as a Tool for Understanding Policy Decisions”, Journal of Forecasting, 34(7), 574-587, ou encore Hubert, Paul (2016), “Disentangling Qualitative and Quantitative Central Bank Influence”, OFCE Working Paper, No. 2014-23.




Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré

par Céline Antonin

A l’heure où le débat sur la réforme du marché du travail cristallise les passions en France, l’Italie tire quant à elle les premiers enseignements de la réforme mise en place il y a un an. Il faut dire que la réforme du marché du travail, baptisée Jobs Act, faisait partie des promesses de campagne de Matteo Renzi. Le marché du travail italien souffre en effet de faiblesses chroniques, notamment la segmentation, la dualité entre salariés protégés et non protégés, le fort taux de chômage des jeunes, ou encore l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. D’inspiration sociale-libérale, la réforme de Matteo Renzi prône la flexisécurité, avec l’introduction d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminé et à protection croissante, une baisse des charges sociales sur les entreprises, et une meilleure indemnisation et un accompagnement des chômeurs. Le premier bilan est certes positif en termes de chômage et de créations d’emploi. Cela étant, il faut se garder de tout triomphalisme hâtif, car cette réforme intervient dans des circonstances particulièrement favorables avec le retour de la croissance, le policy mix accommodant, ou encore la stagnation de la population active.

Jobs Act à l’italienne : les points-clefs

Le Jobs Act n’est en réalité que le dernier né d’une série de mesures, adoptées depuis la Loi Fornero de 2012, visant à flexibiliser le marché du travail.  L’acte I du Jobs Act, ou décret-loi Poletti (DL 34/2014), a été adopté le 12 mai 2014, mais est passé relativement inaperçu, car il ciblait essentiellement les CDD et l’apprentissage. Il permettait notamment d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, supprimait les périodes de carences et permettait un renouvellement plus important des CDD, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise[1].

Le véritable changement est intervenu avec l’Acte II du Jobs Act, dont la loi d’habilitation a été adoptée par le Sénat italien le 10 décembre 2014. Les huit décrets d’application, adoptés au premier semestre 2015 comportent quatre points-clefs :

– La suppression de l’article 18 du Code du travail qui permettait une réintégration en cas de licenciement manifestement abusif : l’obligation de réintégration est remplacée par une obligation d’indemnisation plafonnée[2], mais la réintégration reste de mise en cas de licenciement discriminatoire ;

– La création d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée et à protection croissante, intermédiaire entre CDD et CDI : le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche et des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté du salarié sont mises en place ;

– La suppression de l’usage abusif des contrats de collaboration[3], contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié, concernant environ 200 000 personnes. Ces contrats devront être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques), sauf pour quelques cas restreints ;

– La réforme de l’assurance chômage, avec une extension des dispositifs d’indemnisation. Ainsi, la durée d’indemnisation est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant). Quant aux dispositifs d’indemnisation du chômage « technique », ils sont notamment étendus aux apprentis et entreprises de 5 à 15 salariés[4]. Une Agence Nationale pour l’Emploi (ANPAL) avec l’introduction d’un guichet unique, permettant d’articuler la formation et l’emploi, a également été créée.

Notons que seules les mesures relatives à l’expérimentation d’un salaire horaire minimum[5], qui figurent dans la loi d’habilitation de décembre 2014, n’ont pas été abordées.

Parallèlement au Jobs Act, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (équivalent de la taxe professionnelle) pour les personnes employées en CDI a été supprimée, réduisant d’un tiers environ le montant de l’IRAP. Surtout, la Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche. Cette mesure devrait coûter 3,5 Mds d’euros d’ici 2018. La mesure a été prolongée en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans.

Une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage

Depuis le début de l’année 2015, on observe une forte progression de l’emploi, en particulier l’emploi à durée indéterminée : entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés a augmenté de 229 000, avec une progression forte du nombre de salariés (+377 000) et un recul du nombre d’indépendants (-148 000).  Parmi les salariés, on note une progression forte du nombre de CDI (+328 000). Ainsi, le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (graphique 1) ; quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée. En revanche, le rythme annuel des créations d’emploi a retrouvé son niveau d’avant-crise, avec une progression de l’ordre de 250 000 par an (graphique 2).

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Outre les nouvelles embauches en CDI, le Jobs Act a conduit à substituer des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, 5,4 millions de nouveaux emplois ont été créés en 2015[6] (+11% par rapport à 2014), principalement à durée indéterminée. Sur les 2,4 millions de CDI créés, on dénombre 1,9 million de nouveaux CDI et 500 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (dont 85 000 contrats d’apprentissage), en forte hausse par rapport à 2014. On constate également une baisse des contrats de collaboration (-45 % entre le troisième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015) et des contrats d’apprentissage (-24,6 %). Signalons également l’augmentation de 4,3 % du nombre de démissions et la réduction de 6,9 % des licenciements.

Cette progression de l’emploi a pour corollaire une baisse marquée du taux de chômage (graphique 3), qui atteint 11,4 % au dernier trimestre 2015 (contre 12,8 % un an auparavant). Cela étant, la baisse du chômage s’explique également par une stagnation de la population active en 2015, à l’inverse des années précédentes marquées par la réforme des retraites.

 

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Des incertitudes demeurent

Matteo Renzi semble avoir gagné son pari. Pourtant, il ne faut pas sur-interpréter cette baisse du chômage. En effet, plusieurs facteurs positifs ont indéniablement contribué à amplifier le phénomène.

On peut tout d’abord relever un effet d’aubaine lié à l’annonce des exonérations de cotisations sociales pour l’embauche en nouveau contrat à durée indéterminée, qui a conduit certaines entreprises à repousser les embauches prévues en 2014 à 2015 (ce qui a eu pour conséquence une hausse du chômage fin 2014). Par ailleurs, une partie de la baisse du chômage est liée à l’effet de substitution des contrats précaires de courte durée par les nouveaux CDI à protection croissante (voir supra). Reste à savoir si les nouvelles flexibilités permises par ces nouveaux contrats seront utilisées dans les trois années qui viennent, et si les ruptures de contrat seront plus nombreuses.

En outre, la stagnation de la population active (graphique 3) a largement amplifié le mouvement de baisse du chômage. Avec l’embellie observée sur le marché de l’emploi, nous anticipons, dans le futur, que la hausse de la population active, amorcée au dernier trimestre de 2015, va se poursuivre en raison d’un effet de flexion[7], qui viendrait amortir l’effet de la création d’emplois en 2016 et 2017.

Par ailleurs, le  Job Act a été adopté dans un contexte de sortie de récession, avec une reprise certes molle (+0,6 % de croissance en 2015), mais néanmoins au-dessus du potentiel de croissance[8]. Le relâchement de la contrainte budgétaire a eu un effet de relance en 2015, qui peut expliquer en partie le reflux du chômage. Quant aux conditions monétaires, elles sont particulièrement favorables, l’Italie étant l’un des principaux bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la BCE.

Ces réserves ayant été émises, il est néanmoins indéniable que la baisse des cotisations a eu un impact positif. Le rapport de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) de février 2016 montre que sur les 2,4 millions de ces nouveaux CDI créés en 2015, 1,4 million ont bénéficié des exonérations de cotisations employeurs, soit quasiment deux nouveaux CDI sur trois. Par ailleurs, la baisse des contrats précaires au profit de contrats à durée indéterminée, même s’ils sont moins protégés qu’avant, est plutôt un signe encourageant pour l’accès à l’emploi pérenne de populations qui en étaient traditionnellement éloignées (indépendants, contrats de collaboration).

Le principal regret que l’on peut avoir face à cette réforme est l’absence d’un volet dédié explicitement à la formation professionnelle, alors que c’est l’un des principaux points faibles du marché du travail italien. Au sein de l’UE, le pays détient le triste record du nombre de jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation. Par ailleurs, la formation de la main-d’œuvre est insuffisante et l’investissement en recherche et développement est faible, ce qui se traduit par une faible productivité. Il est légitime de vouloir agir sur le coût du travail et la dualité du marché du travail, mais cela ne peut suffire à résoudre la question de la productivité et de l’inadéquation de la main-d’œuvre. Par conséquent, Matteo Renzi serait bien inspiré de prévoir un acte III de la réforme de l’emploi pour enfin sortir le pays de la stagnation.

 

[1] voir C. Antonin, Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur, Note de l’OFCE n°48.

[2] L’indemnité économique est déterminée par un barème en fonction de l’ancienneté du salarié. Elle équivaut  à deux mois du dernier salaire par année d’ancienneté, pour un total qui ne peut être inférieur à 4 mois de salaire et plafonné à 24 mensualités.

[3] « Statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l’entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s’agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d’une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d’organisation du travail et de temps de travail)», E. Prouet, Contrat de travail, les réformes italiennes, France Stratégie, La Note d’Analyse, n°30, mai 2015.

[4] D’autres mesures concernant le chômage technique sont également prévues, notamment le fait que le chômage technique d’un salarié ne peut dépasser 80 % du total des heures travaillées. En outre, la durée maximale pendant laquelle une entreprise peut avoir recours au chômage technique est au maximum de 24 mois sur cinq années glissantes.

[5] Il n’y a pas de salaire minimum généralisé en Italie, mais des salaires minima fixés au niveau des branches, comme c’était le cas en Allemagne avant 2015.

[6] Ce chiffre de 5,4 millions représente les créations brutes d’emploi, tous types d’emplois confondus (en cumulant notamment tous les CDD à très court terme), et sans tenir compte des destructions d’emplois. Si l’on considère le chiffre des créations nettes d’emploi, on retient le chiffre de 229 000 entre janvier 2015 et janvier 2016.

[7] Quand le chômage augmente, les personnes en âge de travailler sont découragées de se présenter sur le marché du travail. À l’inverse, lorsque l’emploi redémarre, certains sont incités à revenir sur le marché du travail, ce qui ralentit la baisse du chômage ; c’est ce phénomène que l’on appelle l’effet de flexion.

[8]  « La croissance tendancielle de productivité du travail est faible en Italie ; par conséquent, la croissance de la production permet de créer davantage d’emplois en Italie qu’en France par exemple, où la productivité du travail est plus forte ».




L’économie européenne 2016

par Jérôme Creel

Pour la première fois, l’OFCE vient de publier un ouvrage synthétique intitulé L’économie européenne 2016 dans la collection Repères des éditions La Découverte. Après soixante années, le chemin parcouru par l’Union européenne ne doit pas manquer de nous impressionner. Pourtant, de nombreuses interrogations demeurent quant à l’efficacité, voire à la pérennité, du projet européen d’intégration. Ce petit livre vise à éclairer le débat, en le resituant dans son contexte historique.

Les six nations fondatrices de la Communauté économique européenne ont été rejointes par pas moins de vingt-deux autres nations dont certaines étaient encore, dans les années quatre-vingt, des économies planifiées, intégrées dans la sphère d’influence soviétique. Le marché commun du charbon et de l’acier a été étendu à toutes les marchandises et à tous les services ; la liberté de circulation des capitaux est complète, celle des personnes, dans l’espace Schengen, décrié aujourd’hui, l’est presque autant. L’Europe s’est immiscée dans la vie quotidienne de tous les citoyens européens, non seulement au travers d’une libéralisation forte des économies dans lesquelles ils vivent, consomment et produisent, mais aussi par l’intermédiaire de règlements, de normes et de politiques publiques et économiques qui protègent, contraignent et influencent leurs activités.

L’Europe est aujourd’hui partout et pourtant, elle reste parfois invisible ou méconnue et souvent incomprise. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? », aurait demandé Henry Kissinger à propos de cet objet étrange, ce projet d’intégration économique et politique entre des nations aux histoires communes et tourmentées.  « L’Europe : quelle politique pour la croissance, la réduction du chômage et des inégalités? » a-t-on envie de demander aujourd’hui. A nouveau confrontée à une crise économique et sociale qui se prolonge, dans un environnement international très incertain, l’Union européenne peine à retrouver un nouveau souffle, à engager une nouvelle phase de développement, tant institutionnel qu’économique, pour dépasser ses divergences internes. La crise financière internationale et la crise grecque sont passées par là. Celles-ci ont conduit certains Etats membres ou certaines opinions publiques à mettre en avant l’intérêt national plutôt qu’européen, au risque de mettre en péril l’une des réalisations-phares de l’Union européenne : l’euro. La crise a catalysé les défauts originels de cette monnaie unique et commune : fruit d’une intégration inachevée, puisqu’elle ne s’est pas accompagnée d’une politique budgétaire fédérale ou d’une intégration plus grande des marchés du travail, l’intégration monétaire européenne a accru plutôt qu’atténué les divergences économiques, financières et sociales européennes. Pour relancer l’activité des entreprises, améliorer le bien-être des ménages, faut-il donc plus ou moins d’Europe, faut-il plus ou moins d’union ?

C’est à cette question que cherche à répondre l’ouvrage L’économie européenne 2016. Pour ce faire, il faut d’abord rappeler les étapes de la construction européenne. Les politiques communes, de concurrence, agricole et relatives à la mondialisation, ont façonné les institutions et le projet d’intégration européenne. La mobilité accrue des capitaux et des personnes, et les échanges commerciaux plus intenses entre les Etats membres de l’Union européenne ont motivé le passage à l’euro. Ils ont aussi obligé les Européens à s’interroger sur les politiques fiscales et sociales : concurrence ou harmonisation, quel est le meilleur moyen pour rendre l’Union européenne attractive et compétitive ? Enfin, la montée des risques écologiques a mené l’Union européenne à s’engager en faveur de l’environnement, de manière précoce par rapport à d’autres régions du monde au même stade de développement.

La deuxième partie de l’ouvrage envisage l’avenir de la zone euro, dont la crise a relancé les spéculations sur la pérennité de la monnaie unique et sur l’avenir du projet d’intégration européenne lui-même. Si un certain nombre d’instruments économiques – la politique monétaire non-conventionnelle, le plan européen d’investissement public, dit « plan Juncker » – et d’objectifs – la stabilité financière – ont été créés ou renforcés durant cette crise, il reste à l’Union européenne à dépasser ses dissensions et divergences internes pour que le projet européen puisse être défini simplement comme un moteur de développement pour tous ses Etats membres, sans exception, sans séparation. Davantage d’Europe, certainement, mais à condition de savoir mieux pour quoi faire ensemble : tel est l’enjeu des prochains mois.

 




Les programmes de QE créent-ils des bulles ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Fabien Labondance

La mise en œuvre des politiques monétaires non-conventionnelles depuis 2008 par les banques centrales a-t-elle créé de nouvelles bulles qui menacent aujourd’hui la stabilité financière et la croissance mondiale ? Telle est la question qui revient régulièrement (voir ici, ou encore ici et ). Comme le montre Roger Farmer, force est de constater qu’il y a une forte corrélation entre les achats de titres par la Réserve fédérale – la banque centrale américaine – et l’indice boursier (S&P 500) aux Etats-Unis (graphique 1). Si l’argument peut sembler à première vue convaincant, les faits méritent néanmoins d’être discutés et précisés. Premièrement, il n’est pas inutile de rappeler que corrélation n’est pas causalité. Deuxièmement, l’augmentation des prix d’actifs est précisément un canal de transmission de la politique monétaire conventionnelle et de l’assouplissement quantitatif (QE). Enfin, toute augmentation des prix d’actifs ne peut être assimilée à une bulle et il convient de différencier l’évolution liée aux fondamentaux de celle purement spéculative.

La hausse des prix d’actifs est un élément de la transmission de la politique monétaire

Si l’objectif final des banques centrales est la stabilité macroéconomique[1], la transmission de ces décisions aux variables objectifs (inflation et croissance) se fait via divers canaux dont certains s’appuient explicitement sur les variations de prix d’actifs. Ainsi, les effets attendus du QE sont supposés être notamment transmis par des effets dits de portefeuille. En achetant des titres sur les marchés, la banque centrale incite les investisseurs à réallouer leur portefeuille de titres à d’autres actifs. L’objectif est ainsi d’assouplir plus largement les conditions de financement de l’ensemble des agents économiques, pas uniquement de ceux dont les titres sont ciblés par le programme de QE. Ce faisant, l’action de la banque centrale pousse les prix d’actifs à la hausse. Il n’est donc pas surprenant d’observer une augmentation des cours boursiers en lien avec le QE aux Etats-Unis.

Toute hausse du prix d’un actif n’est pas une bulle

Par ailleurs, il faut s’assurer que la corrélation entre les achats d’actifs et leur prix n’est pas qu’un simple artefact statistique. La hausse observée des prix pourrait aussi traduire une évolution favorable des fondamentaux et donc s’expliquer par l’amélioration des perspectives de croissance aux Etats-Unis. Le modèle standard de détermination du prix des actifs financiers établit que son prix est égal à la valeur actualisée des flux de revenus (dividendes) anticipés. Bien que ce modèle repose sur de nombreuses hypothèses (plutôt restrictives), il permet néanmoins d’identifier un premier candidat, l’évolution des dividendes, pour expliquer l’évolution du prix des actions aux Etats-Unis depuis 2008. Le graphique 1 montre clairement une corrélation entre la série des dividendes[2] versés et l’indice boursier S&P 500 entre avril 2010 et octobre 2013. Une partie de la hausse des actions s’explique donc tout simplement par la hausse des dividendes : le déterminant usuel des cours boursiers. Au regard de cet indicateur, seule la période qui commence au début de l’année 2014 pourrait alors indiquer une déconnexion entre les dividendes et le prix des actions et donc signaler éventuellement un sur-ajustement.

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Une corrélation que l’on ne retrouve pas dans la zone euro

Si la théorie selon laquelle les politiques monétaires non-conventionnelles créent des bulles est vraie, elle devrait alors également s’observer dans la zone euro. Pourtant, le même graphique que celui effectué pour les Etats-Unis ne permet pas de valider le lien entre les liquidités offertes par la BCE et l’indice boursier Eurostoxx (graphique 2). La première phase d’augmentation de la taille du bilan de la BCE, via ses opérations de refinancement qui débutent en septembre 2008, intervient au moment de l’effondrement des bourses mondiales, à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers. De même, les opérations de refinancement à très long terme proposées par la BCE en fin d’année 2011 ne semblent pas corrélées avec l’indice boursier. La remontée du prix des actions coïncide en fait avec l’annonce de Mario Draghi de juillet 2012 qui met un coup d’arrêt aux inquiétudes sur un éventuel éclatement de la zone euro. Il est certes toujours possible d’argumenter que la banque centrale a joué un rôle mais il n’en demeure pas moins que le lien entre liquidités et prix d’actifs disparaît. A la fin de l’année 2012, les banques remboursent leurs prêts à la BCE, ce qui diminue de fait les liquidités en circulation. Enfin, la période récente illustre à nouveau la fragilité de la thèse selon laquelle le QE créerait des bulles. C’est précisément au moment où la BCE met en œuvre un programme d’achat de titres d’envergure, semblable à celui de la Réserve fédérale, que l’on observe une chute des indices boursiers mondiaux et plus particulièrement l’Eurostoxx.

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Doit-on en conclure que le lien QE-bulles est faux ?

Pas nécessairement. Mais pour répondre à cette question, il convient d’abord d’identifier précisément la part de la hausse qui est due aux fondamentaux (dividendes et perspectives des firmes pour les actions). Une bulle est généralement définie comme l’écart entre le prix constaté et une valeur dite fondamentale. Dans un document de travail à paraître, nous proposons d’identifier les périodes de sur- ou sous-évaluation de plusieurs prix d’actifs pour la zone euro et les Etats-Unis. Notre approche consiste à estimer différents modèles de prix d’actifs et d’en extraire une composante non expliquée par les fondamentaux qui est alors qualifiée de « bulle ». Nous montrons ensuite que pour la zone euro, la politique monétaire au sens large (conventionnelle et non-conventionnelle) de la BCE ne semble pas avoir d’effet significatif sur la composante « bulle » (non-expliquée par les fondamentaux) des prix d’actifs. Les résultats sont plus probants pour les Etats-Unis et suggèrent que le QE pourrait avoir un effet significatif sur la composante  « bulle » de certains prix d’actifs.

Cette conclusion ne signifie pas pour autant que les banques centrales ou les régulateurs soient désarmés et ignorants face à ce risque. Plutôt que de tenter de décortiquer chaque mouvement de prix d’actifs, les banques centrales devraient porter leur attention sur les fragilités financières, et la capacité des agents (financiers et non-financiers) à absorber de fortes fluctuations des prix d’actifs. La meilleure prévention contre les crises financières consiste donc davantage à surveiller en continu la prise de risque des agents plutôt que de tenter de limiter les variations de prix d’actifs.

[1] Nous préférons une définition large de l’objectif final qui permet de tenir compte de la diversité des formulations institutionnalisées des objectifs des banques centrales. Si le mandat de la BCE est prioritairement axé sur la stabilité des prix, le double mandat prévaut pour la Réserve fédérale.

[2] La série des dividendes versés présente une forte saisonnalité et a donc été lissée par une moyenne mobile sur 12 mois.




Pourquoi la Grèce ne parvient-elle pas à se désendetter ?

par Sébastien Villemot

Entre 2007 et 2015, la dette publique grecque est passée de 103 % à 179 %[1] du PIB (voir graphique ci-dessous).  L’augmentation du ratio a été ininterrompue, exceptée une baisse de 12 points en 2012 à la suite de la restructuration imposée aux créanciers privés, et ce malgré l’application de deux programmes d’ajustement macroéconomique (et le commencement d’un troisième) dont l’objectif était précisément de redresser les comptes publics grecs. L’austérité a plongé le pays dans une spirale récessive et déflationniste, rendant son désendettement difficile sinon impossible, ce qui pose avec acuité la question d’une nouvelle restructuration.

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Comment expliquer cet échec ? Quelle est la contribution relative des différents facteurs (déficit publique, austérité, déflation, restructurations, recapitalisations bancaires, …) dans la dynamique d’endettement ? Pour apporter quelques éléments de réponse, nous avons procédé à une décomposition comptable de l’évolution du ratio d’endettement, dont le résultat est donné par le graphique ci-dessous pour la période 2007-2015.

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Plusieurs phases sont clairement identifiables sur le graphique, correspondant aux différents développements de la crise grecque.

En 2007, avant la tempête financière, le ratio dette sur PIB est stable : l’effet négatif du déficit budgétaire (intérêts inclus), qui augmente le numérateur du ratio, est compensé par l’effet bénéfique de la croissance et de l’inflation, qui augmentent le dénominateur. La situation est donc stabilisée, au moins temporairement, même si en niveau l’endettement est déjà élevé (à 103 % du PIB, ce qui d’ailleurs explique le poids important des intérêts).

Cet équilibre est rompu avec le déclenchement de la crise financière mondiale : en 2008 et 2009, la croissance devient nulle puis négative, tandis que le déficit primaire augmente, pour partie en raison des « stabilisateurs automatiques », jusqu’à contribuer pour 10 points de PIB en 2009.

À partir de 2010, face à l’intensité de la crise budgétaire, un premier plan d’ajustement est mis en place. Sous l’effet des mesures d’austérité, le déficit primaire entame un mouvement de réduction (il deviendra quasi-nul en 2012, hors dépenses exceptionnelles). Mais l’austérité a également pour effet d’intensifier la récession : en 2011, la croissance (très négative) contribue ainsi pour près de 15 points de PIB à l’augmentation de la dette. L’austérité a aussi pour conséquence de faire baisser l’inflation, qui devient quasi-nulle et ne joue donc plus son rôle naturel d’amortisseur de la dette. En parallèle, la charge d’intérêts reste élevée (jusqu’à 7,2 points de PIB en 2011).

Il convient de rappeler que la décomposition comptable présentée ici a tendance à sous-estimer l’impact négatif de la croissance, et à surestimer celui du déficit budgétaire. En effet, une récession engendre un déficit conjoncturel, par le biais des stabilisateurs automatiques, et contribue donc de façon indirecte à l’endettement par le canal du solde budgétaire. Cependant, pour identifier les composantes structurelles et conjoncturelles du déficit budgétaire, il faut disposer d’une estimation de la croissance potentielle. Dans le cas grec, étant donné la profondeur de la crise, cet exercice relève de la gageure, et les quelques estimations disponibles sont largement divergentes ; pour cette raison, nous avons préféré nous en tenir à une approche purement comptable.

L’année 2012 est celle des grandes manœuvres, avec deux restructurations successives de la dette en mars puis en décembre. Sur le papier, l’annulation de dette (mesurée par le terme d’ajustement stock-flux) est substantielle : presque 60 points de PIB. Mais ce qui aurait dû être un allègement significatif a été largement neutralisé par des forces contraires. Ainsi, la récession reste exceptionnellement intense et contribue pour 13,5 points de PIB à la hausse de l’endettement. Surtout, le principal effet négatif provient des recapitalisations bancaires, rendues nécessaires par l’effacement de titres de dette publique dont les banques nationales étaient largement détentrices. Comptablement, ces recapitalisations prennent deux formes : des dons aux banques (comptabilisés dans les dépenses exceptionnelles) ou des achats d’actions nouvellement émises (comptabilisées dans les achats d’actifs financiers)[2], raison pour laquelle ces deux catégories sont regroupées sur le graphique. La catégorie achats d’actifs financiers comptabilise également la constitution d’un matelas financier destiné au financement de recapitalisations bancaires futures[3].

En 2013, le ratio dette sur PIB repart fortement à la hausse, bien que le solde primaire (hors dépenses exceptionnelles) soit excédentaire. Les recapitalisations bancaires (19 milliards d’euros) pèsent lourdement et ne sont que partiellement couvertes par la vente d’actifs financiers. La récession, bien que moins intense, et la déflation, dorénavant bien installée, aggravent le tableau.

En 2014 et 2015, la situation s’améliore, mais sans pour autant permettre une décrue du ratio dette sur PIB, et ce bien que le déficit primaire hors dépenses exceptionnelles soit quasi nul. La déflation persiste, tandis que la croissance ne redémarre pas (l’embellie de 2014 est modérée et fait long feu), et qu’il a fallu de nouveau recapitaliser les banques en 2015 (pour 5 milliards d’euros). La charge d’intérêts reste élevée, en dépit de la décision des créanciers européens de baisser les taux sur les prêts du Fonds européen de stabilité financière (FESF) : il faudra plusieurs années avant que cela ne se matérialise dans la charge d’intérêts effective. Seules des ventes d’actifs financiers permettent de tempérer la hausse de l’endettement, ce qui n’est évidemment pas soutenable sur le long terme puisque le stock de ces actifs est limité.

Le tableau ci-dessous donne la contribution cumulée de chaque facteur sur l’ensemble de la période, et sur la sous-période durant laquelle la Grèce était sous programme (2010-2015).
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Les deux contributions principales à la hausse de la dette sont la croissance (négative) et la charge d’intérêts. Autrement dit, l’augmentation totale de la dette est principalement due à « l’effet boule de neige », qui désigne l’augmentation mécanique due au différentiel entre taux d’intérêt réel et croissance (le fameux « r−g»). La remise de dette de 2012 ne suffit même pas à compenser l’effet boule de neige cumulé sur la période. Les recapitalisations bancaires, rendues nécessaires notamment par l’annulation de dette, pèsent lourdement. Le déficit primaire, qui lui est plus directement sous contrôle du gouvernement grec, n’intervient qu’en 4e position sur 2007-2015 (et contribue particulièrement peu sur la période 2010-2015).

Il est donc clair que la forte hausse du ratio dette sur PIB depuis 2007 (et encore plus depuis 2010) n’est pas principalement le fait de l’irresponsabilité budgétaire du gouvernement grec, mais est d’abord le résultat d’une stratégie de consolidation erronée, fondée sur une logique d’austérité comptable et non pas sur un raisonnement macroéconomique cohérent. Un redémarrage de la croissance et de l’inflation sera nécessaire pour permettre un désendettement substantiel. Mais les nouvelles mesures d’austérité prévues dans le 3e plan d’ajustement risquent de provoquer un retour en récession, tandis que les contraintes de compétitivité-prix au sein de la zone euro empêchent d’envisager un réel redémarrage de l’inflation. Une remise de dette significative, qui ne serait pas conditionnée à une nouvelle cure d’austérité destructrice, permettrait un nouveau départ ; dans une précédente étude[4], nous avons montré qu’une restructuration ramenant la dette grecque à 100 % du PIB correspondrait à un scénario soutenable. Cependant, les États européens, qui sont aujourd’hui les principaux créanciers de la Grèce, refusent pour le moment un tel scénario. Les voies du désendettement grec sont donc plus incertaines que jamais…

[1]  Pour 2015, les données ne sont pas encore entièrement disponibles. Les chiffres cités pour cette année correspondent aux projections de la Commission européenne publiées le 4 février 2016.

[2]  Ces prises de participation dans le capital des banques sont ici comptabilisées à leur valeur d’achat. Les dépréciations ultérieures sur ces prises de participation n’apparaissent pas dans le graphique, car elles n’engendrent pas de nouvelle augmentation de la dette brute (mais elles font augmenter la dette nette).

[3]  En 2012 la Grèce a ainsi acheté pour 41 milliards d’euros de bons du FESF. Sur ce total, 6,5 milliards ont été immédiatement donnés à la Banque du Pirée, tandis que 24 milliards ont été prêtés aux 4 grandes banques (qui bénéficieront d’une annulation partielle de leur dette en 2013 contre des prises de participation par l’État grec de moindre valeur). Les 10 milliards restants, inutilisés ont été restitués par la Grèce au FESF en 2015, à la suite de l’accord à l’Eurogroupe du 22 février.

[4] Voir Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot, 2015, « La Grèce sur la corde raide », Revue de l’OFCE, nº 138.