Le recours au chômage partiel dans la crise

par Bruno Ducoudré

Face à l’urgence de la crise
sanitaire et pour aider les entreprises à faire face aux conséquences des
mesures de confinement et de fermeture administrative des commerces non
essentiels, le gouvernement a largement étendu le dispositif de chômage
partiel : ouverture du dispositif à des salariés auparavant non éligibles
(VRP, journalistes pigistes, …) et prise en charge de l’indemnité de chômage
partiel jusqu’à 4,5 smic horaire, rétroactivité et extension des délais de
dépôt des demandes. Où en-est-on du recours à ce dispositif par les
entreprises ?



Depuis le début du mois d’avril,
la Dares (le service statistique du Ministère du Travail) publie chaque semaine
un ensemble
de données
portant notamment sur les demandes d’autorisation des
entreprises à recourir au chômage partiel pour leurs salariés.

Nous comparons dans le graphique
1 ci-dessous les demandes reportées par la Dares au 14 avril 2020 à notre estimation
du nombre potentiel de salariés concernés par le chômage partiel
. Les
chiffres rapportés par la Dares sont généralement supérieurs à notre évaluation.
Globalement, au 14 avril 2020 la Dares comptabilisait 8,7 millions de salariés
concernés par une demande d’autorisation de recours au dispositif (graphique 1).
Nous estimons à 6,5 millions le nombre de salariés potentiellement concernés
par le chômage partiel (avant application d’un taux de recours), compte tenu de
la chute d’activité estimée, de la possibilité de recourir au télétravail et de
l’existence du dispositif de garde d’enfant. Ces différences proviennent pour
une large part de raisons d’ordre méthodologique.

Les effectifs reportés par la
Dares peuvent être supérieurs à notre évaluation du nombre de salariés
effectivement concernés par le chômage partiel :

  • Nous faisons l’hypothèse que les heures demandées le sont au prorata du temps de travail moyen par salarié dans la branche. Dans notre cas de figure, si une entreprise réduit de 50% l’activité, cela entraîne 50% des emplois de l’entreprise en chômage partiel. Par contre, dans le cas des chiffres reportés par la Dares, d’autres combinaisons sont possibles : si une entreprise fait face à une réduction de 50% de son activité, elle peut mettre 50% de ses salariés au chômage partiel pour 1 mois ou, par exemple, mettre 100% de ses salariés en chômage partiel la moitié du mois ;
  • Compte tenu du niveau élevé d’incertitude, les entreprises peuvent anticiper un recours futur au dispositif pour des salariés qu’elles ne placent pas pour le moment en chômage partiel. La demande porte sur plusieurs mois et peut aller jusqu’à 1 600 heures de chômage partiel autorisées par salarié ;
  • Il peut aussi exister des effets d’aubaine : des entreprises profiteraient du dispositif pour faire travailler leurs salariés tout en bénéficiant du chômage partiel.

Les heures demandées en
autorisation de chômage partiel par les entreprises (graphique 2) sont aussi
plus élevées que le nombre d’heures retenu dans notre estimation, qui portent
sur un mois de confinement :

  • Dans les faits, tous les effectifs ne sont pas à temps complet : les heures demandées pour les salariés à temps partiel donnent la possibilité d’étaler dans le temps les heures demandées. Ainsi 151,67 heures autorisées correspondent à un mois de chômage partiel pour un salarié à temps plein mais à deux mois pour un salarié travaillant habituellement à temps partiel 50% ;
  • Les volumes d’heures demandées portent sur plusieurs mois potentiellement, puisque le plafond d’heures s’élève à 1 600h par an et par salarié. Le nombre d’heures moyen demandé par salarié s’élève à 425 heures ;
  • Les entreprises peuvent anticiper/ne pas connaître parfaitement dans quelle mesure elles auront besoin de recourir au dispositif dans les mois à venir ;
  • Il existe généralement un écart entre le volume d’heures autorisées et le volume d’heures consommées (le recours effectif au dispositif). En 2008, seulement 50% des heures autorisées ont été consommées (graphique 3). Cela peut également signifier que les entreprises font une demande pour certains salariés qui ne seront pas mis in fine au chômage partiel.

D’un côté les chiffres reportés par la Dares portent donc sur des demandes d’autorisation et non des heures (et des salariés) effectivement déclarées en chômage partiel. Elles constituent donc un maximum potentiel et non un nombre effectif de salariés en chômage partiel.  Notre estimation porte sur un nombre de salariés qui seraient potentiellement concernés par le chômage partiel, auquel nous appliquons ensuite un taux de recours moyen de 75% de la part des entreprises[1], compte tenu de notre évaluation de l’impact sur la valeur ajoutée sectorielle des chocs affectant l’économie. Elle peut sous-estimer le nombre de salariés concernés dès lors qu’une partie des salariés est mise en chômage partiel pour une part seulement des heures travaillées mensuelles.

La Dares a également publié les
résultats d’une enquête
auprès des entreprises
de 10 salariés ou plus du secteur privé non
agricole, et portant sur leur situation et les conditions d’emploi de la main-
d’œuvre à fin mars. Les résultats de cette enquête nous renseignent sur le
recours effectif des entreprises au chômage partiel. Nous comparons dans le
graphique 4 le pourcentage de salariés au chômage partiel d’après cette enquête
au pourcentage de salariés concernés calculé à partir de notre évaluation avec
un taux de recours effectif de 75% (soit 5,3 millions de salariés). L’enquête
Acemo porte sur un champ de 15 millions de salariés. Sur ces 15 millions de
salariés, 3,7 millions de salariés étaient effectivement en situation de
chômage partiel la semaine du 23 mars 2020. Si des écarts existent au niveau
sectoriel, ils peuvent provenir pour partie du fait que l’enquête n’inclut pas
les TPE de moins de 10 salariés. Au niveau agrégé, notre estimation de salariés
effectivement en chômage partiel, compte tenu d’un taux de recours de 75% au
dispositif, est très proche : 22,5% de salariés estimés en chômage partiel
en période de confinement contre 24,7% de salariés en chômage partiel en
moyenne la semaine du 23 mars selon l’enquête Acemo.

In fine, il apparaît que le recours des entreprises au chômage partiel est massif durant le confinement, ce qui limite les destructions d’emplois[2] qui pourraient approcher 460 000 au premier mois du confinement. Nous estimons le coût du dispositif à 11,9 milliards d’euros d’indemnités prises en charge par les administrations publiques auxquels s’ajoutent 7,4 milliards d’euros de cotisations sociales perdues par mois de confinement.

Les destructions d’emplois se
concentrent dès lors massivement sur les salariés les moins protégés : ceux
en transition entre deux emplois et ceux en contrats de travail à durée très
courte (CDD de moins d’un mois, missions d’intérim). D’après l’enquête de la
Dares, 11% des entreprises ont diminué leurs effectifs, le plus souvent par le
non renouvellement de CDD (48,5% des entreprises ayant diminué leurs effectifs)
et/ou l’annulation ou le report d’embauches prévues (51,3% des entreprises
ayant diminué leurs effectifs).


[1] Nous
supposons que le taux de recours moyen effectif des branches au chômage partiel
est de 75%. Il est de 100% pour les salariés des branches concernées par les
fermetures administratives. Cf. Policy Brief n°65 pour un detail de la
liste des secteurs impactés par l’arrêté du 15 mars 2020.

[2] Pour
mémoire, au plus fort de la crise financière, 430 000 emplois avaient été
détruits du troisième trimestre 2008 au deuxième trimestre 2009 inclus, pour
une baisse du PIB de 3,1% entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième
trimestre 2009.




Les milliards, comme s’il en pleuvait

Jérôme CreelXavier Ragot et Francesco Saraceno

La deuxième réunion de l’Eurogroupe aura été la bonne. Après avoir étalé une nouvelle fois leurs divisions sur la question de la solidarité entre Etats membres de la zone euro mardi 7 avril 2020, les Ministres de finances ont trouvé un accord deux jours plus tard sur un plan de soutien budgétairemobilisable assez rapidement. Les mesures sanitaires prises par les Etats membres pour limiter l’expansion de la pandémie de Covid-19 seront plus aisément financées à court terme et c’est une bonne nouvelle. Les instruments européens additionnels pour faire face à la crise seraient de l’ordre de 500 milliards d’euros – ce n’est certes pas négligeable, et rappelons qu’ils s’ajoutent aux efforts déjà mis en place par les gouvernements – mais ils correspondent principalement à une nouvelle accumulation de dette par les Etats membres. Le gain net pour chacun d’entre eux est, on va le voir, assez marginal.



L’Eurogroupe va proposer la création d’une ligne budgétaire (Pandemic Crisis Support) spécifiquement consacrée à la gestion de la crise du Covid-19 dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité (MES), sans conditionnalité stricte (au sens où le recours à cette ligne budgétaire n’impliquera pas de contrôle de la part du MES sur la gestion future des finances publiques de l’Etat membre). La création  de cette ligne budgétaire s’inspire de la proposition de Bénassy-Quéré et al. (2020)dont nous présentions les avantages et les inconvénientsavant la réunion de l’Eurogroupe du 9 avril 2020. Le montant alloué à cette ligne budgétaire sera de l’ordre de 2% du PIB de chaque Etat membre de la zone euro, soit près de 240 milliards d’euros (au PIB de 2019).

Le mécanisme de prêt proposé par la Commission européenne pour abonder les programmes de chômage partiel des Etats membres de la zone euro – il répond au nom de SURE– verra bien le jour et sera doté de 100 milliards d’euros. Pour mémoire, les trois principaux bénéficiaires du SURE ne pourront pas bénéficier à eux trois de plus de 60 milliards d’euros de prêts.

Enfin, la Banque européenne d’investissement (BEI) va octroyer, principalement aux petites et moyennes entreprises des Etats membres de l’Union européenne, 200 milliards d’euros additionnels. Au total, les pays de la zone euro disposeront de 480 milliards d’euros de capacité de financement additionnel. 

Le tableau 1 ci-dessous présente une répartition par pays des montants en jeu. Au titre des 240 milliards d’euros duPandemic Crisis Support, l’Allemagne pourra bénéficier d’une capacité de crédit de près de 70 milliards d’euros, la France de près de 50 milliards d’euros, l’Italie et l’Espagne de 35 et 25 milliards d’euros respectivement. Ces montants correspondent à 2% du PIB de 2019 de chaque pays. A ce stade, rien n’indique que les Etats membres recourront à cette capacité de crédit. Leur avantage à le faire dépend en fait crucialement de la différence entre le taux d’intérêt auquel ils peuvent financer leurs dépenses sanitaires et économiques sansrecourir au MES et le taux d’intérêt sur les prêts consentis par le MES. Le coût de se financer sans passer par le MES est le taux d’intérêt sur la dette publique nationale. Le coût de se financer par l’intermédiaire du Pandemic Crisis Supportest le taux d’intérêt auquel cette ligne budgétaire est elle-même financée, c’est-à-dire au taux le plus bas du marché… c’est-à-dire au taux allemand. On le comprend immédiatement, l’Allemagne n’a aucun intérêt à recourir à cette ligne budgétaire. Des 240 milliards d’euros qui sont consacrées au Pandemic Crisis Support, les 70 milliards alloués à l’Allemagne ne servent à rien. Pour les autres pays que l’Allemagne, le recours au Pandemic Crisis Supportdépend de l’écart de leur taux d’intérêt au taux allemand, le fameux spread. Si le spread est positif, le recours au MES permet effectivement de réduire le coût d’emprunt. Mais comme en atteste le tableau 1, le gain permis par le Pandemic Crisis Supportest plutôt faible. Pour la Grèce, dont le spread vis-à-vis de l’Allemagne est le plus élevé de la zone euro, le gain est de l’ordre de 0,04% du PIB de 2019, c’est-à-dire 215 points de base de spread multiplié par le montant alloué à la Grèce pour le Pandemic Crisis Support(3,8 milliards d’euros qui correspondent à 2% de son PIB de 2019), le tout rapporté à son PIB de 2019. Pour l’Italie, le gain est du même ordre : 0,04% du PIB. Exprimés en euros, le gain pour l’Italie serait de 700 millions d’euros. Pour la France, dont le spreadvis-à-vis de l’Allemagne est beaucoup plus faible que celui de l’Italie, le gain pourrait être de 200 millions d’euros, soit 0,01% de son PIB en 2019. 

En supposant que les montants alloués par la BEI le soient au prorata de la taille des pays (mesurée par leur PIB en 2019), et que l’Espagne, l’Italie et la France bénéficient de 20 milliards d’euros chacune au titre du SURE, les économies totales de taux d’intérêt atteindraient 680 millions, 1,5 milliard et 430 millions d’euros respectivement (0,05%, 0,08% et 0,02% du PIB respectivement). A l’heure où les milliards semblent pleuvoir, ce ne sont pas de grandes économies. A moins qu’il faille y voir une métaphore. Comme la pluie avant qu’elle tombe, les milliards d’euros ne sont pas vraiment des euros avant qu’ils tombent. 

Tableau 1. Répartition des montants alloués au titre du Pandemic Crisis Support(PCS), et des gains potentiels par pays, y compris les gains potentiels du recours aux financements additionnels de la BEI et du SURE

Sources: Ameco (PIB 2019), Financial Times (Spreads, 10 avril 2020)

*En faisant l’hypothèse que le recours au financement additionnel de la BEI est intégralement réparti au prorata du PIB relatif du pays par rapport à celui de l’UE (en 2019).

** En faisant l’hypothèse que l’Italie, l’Espagne et la France obtiennent 20 milliards d’euros chacune et que les 40 milliards d’euros restants sont répartis au prorata du PIB relatif des pays par rapport à celui de la zone euro (en 2019).




Quelles marges de manœuvre pour la politique budgétaire en zone euro face aux menaces de ralentissement ?

par Christophe Blot, Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Raul Sampognaro

L’activité économique en Europe a
donné des signes d’essoufflement qui se sont traduits par un ralentissement en
2018, amplifié en 2019. La croissance du PIB de la zone euro a progressé de 1,2
% au troisième trimestre 2019 en glissement annuel contre 1,6 % un an plus tôt
et 3 % fin 2017. Les perspectives pour 2020 restent moroses et la croissance se
maintiendrait à un rythme de 1,2 % tirée notamment vers le bas par le
ralentissement allemand et la stagnation de l’Italie. Surtout, les risques sur
le scénario de croissance restent principalement orientés à la baisse, ce qui
pose la question de la capacité des autorités budgétaires à réagir pour amortir
un choc négatif et empêcher une éventuelle récession dans un contexte qui reste
marqué par un niveau des dettes publiques bien plus élevé qu’avant la Grande
Récession de 2009.



Dans un Policy
Brief
récent, nous discutons l’évolution de la dette publique et déterminons
quelle devrait être l’orientation des politiques budgétaires des pays de la
zone euro permettant d’atteindre un objectif de 60% de dette publique par
rapport au PIB en 2040. Nos analyses suggèrent qu’un assainissement budgétaire supplémentaire
semble irréaliste dans certains pays (France, Italie, Espagne et Belgique),
remettant en question la crédibilité de cet objectif. Certains pays – Allemagne
en tête – bénéficient cependant de marges de manœuvre pour conduire une
politique budgétaire plus expansionniste, ce qui permettrait non seulement
d’amortir le choc négatif en cours mais aussi d’atténuer les besoins de
consolidation devant être effectués par les autres pays. Il reste cependant que
la convergence vers un ratio de dette publique de 60 % du PIB à l’horizon
2040 pour l’ensemble des pays se traduirait par une réduction de la croissance
dans la zone euro, notamment dans les pays qui accusent déjà un retard de
croissance, renforçant de fait l’hétérogénéité. Comme l’ont montré les
précédents rapports iAGS et iASES. Ces
simulations rappellent que l’orientation de la politique budgétaire en zone
euro doit tenir compte des conséquences qu’elle génère en termes de croissance
du PIB – et par conséquent d’emploi – et de la vitesse de réduction de la dette
publique. Les autorités budgétaires n’échapperont pas à cet arbitrage entre des
objectifs qui peuvent être concurrents.

Cet arbitrage se fait dans un
contexte où les taux d’intérêts nominaux souverains s’établissent à des niveaux
historiquement bas, même négatifs, dans nombreux pays de l’union monétaire. Ce
scénario de taux bas semble être causé par des facteurs structurels
(démographie, montée des inégalités, ralentissement du tendanciel de
productivité) et pourrait être durable. Or, un niveau de taux plus bas facilite
l’ajustement de la dette et donne de l’espace fiscal aux États.
Nous illustrons cet effet en analysant l’impact (modéré) du taux d’intérêt sur
l’exigence de consolidation budgétaire. Ainsi, l’ampleur des marges de manœuvre
budgétaires dépendra fortement de la vitesse d’ajustement de la dette publique souhaitée
et du niveau des taux d’intérêt.




Quelles sont les marges de manœuvre pour les finances publiques françaises dans un univers de taux d’intérêt durablement bas ?

Par Eric Heyer et Xavier Timbeau

En France, comme dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les taux d’intérêt souverains baissent et sont maintenant inférieurs à la croissance potentielle nominale. Les raisons avancées de cette baisse sont multiples : politiques monétaires ultra-expansionnistes, insuffisance de l’offre d’actifs sûrs par rapport à la demande, excès d’épargne privée, anticipations de croissance économique à la baisse. Les conséquences économiques le sont également : ce que cela implique pour les anticipations, l’investissement, la soutenabilité des intermédiaires financiers ou encore l’allocation des capitaux sur les actifs risqués. Nous nous intéressons ici au point de vue budgétaire et aux marges de manœuvre pour les finances publiques françaises à l’horizon 2030, ouvertes par la perspective de taux durablement bas.



Partant de la situation anticipée
pour 2021 dans
la dernière prévision de l’OFCE
, deux cas polaires sont considérés pour
la période 2022-2030 :

  1. Dans le premier, celui du statu quo, les taux d’intérêt auxquels emprunte l’Etat français restent bas. Ainsi, l’écart entre le taux souverain français à 10 ans et la croissance nominale resterait constant autour de -2 points. Compte tenu de la maturité de la dette française (supérieure à 7 ans), le taux apparent continuerait de baisser jusqu’à 1% en 2030 (graphique 1).
  2. Le second cas est une situation de « normalisation » du taux souverain qui, dès 2022, se stabiliserait en moyenne à 2,7%. Le taux apparent augmenterait alors progressivement tout au long de la période d’analyse comme l’illustre le graphique 2, jusqu’à 2,7% en 2030. Dans chacun des cas, un aléa est simulé autour des scénarios de référence.

A l’intérieur de ces deux cas
polaires, nous simulons l’incidence de la stratégie budgétaire de la
France :

  1. La
    première stratégie consiste à respecter les règles budgétaires du PSC, en procédant
    à des ajustements structurels de 0,5 point de PIB jusqu’à ce que le déficit
    public structurel soit de 0,4 point de PIB. Partant d’un déficit structurel en
    2021 de 1,5 point de PIB, cette stratégie impose 2 années d’ajustement de 0,5
    point (2022 et 2023), une année à 0,1 point (2024) et neutre ensuite.
  2. La
    seconde stratégie, plus proche de celle du gouvernement présent, consiste à
    recycler la réduction de la charge d’intérêt dans le soutien à l’activité. Ainsi,
    l’ajustement structurel est nul et le déficit structurel reste à 1,5 point de
    PIB jusqu’en 2030.

Un résumé des simulations est
présenté dans le tableau 1.

Trois résultats principaux
ressortent :

  1. Dans tous les cas, la dette publique baisserait à l’horizon 2030. Cette baisse serait faible (-3,5 points de PIB entre 2021 et 2030) – proche de la stabilité – si les taux se normalisent rapidement et qu’il n’y a pas d’ajustement budgétaire. Elle serait de plus de 10 points de PIB (soit plus de 1 point de réduction par an) dans un contexte de taux durablement bas et de respect des règles budgétaires ;
  2. Le non-respect de règles budgétaires permet de dégager 1 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;
  3. Des taux d’intérêt bas (par rapport à leur normalisation) permettent 1,7 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;

Enfin, dans le cas qui nous apparaît le plus probable, à savoir le maintien de taux durablement bas et l’absence d’ajustement budgétaire, la baisse de la dette publique serait limitée (graphique 3). L’incertitude usuelle ne remettrait pas en cause ce scénario, mais une crise majeure le rendrait évidemment caduque. On pourrait également opposer que les taux souverains bas sont le symptôme d’une crise latente. Notre optique est que cette crise est de fait inclue dans le scénario de croissance et que c’est au contraire le scénario de normalisation des taux qui devrait intégrer un rebond de l’activité plus important.




Les règles budgétaires en Europe, à débattre

Pierre Aldama et Jérôme Creel

Au sommet de la zone euro de décembre 2018, les chefs d’Etat et de gouvernement ont donné un sérieux coup de frein aux réformes de la gouvernance budgétaire : parmi les objectifs assignés au budget commun de la zone euro qu’ils appelaient de leurs vœux,  la fonction de stabilisation économique a disparu. C’est dommage dans la mesure où cette fonction est le point faible des règles budgétaires effectivement poursuivies par les Etats membres.

Dans un article récent, nous avons évalué comment les gouvernements répondent, par les outils budgétaires à leur disposition, aux informations sur l’évolution de la dette publique ou de la conjoncture dont ils disposent au moment de prendre leurs décisions budgétaires. Ainsi, au lieu d’évaluer les propriétés des règles budgétaires sur des données éventuellement révisées a posteriori, nous les évaluons « en temps réel ».[1]

Trois résultats principaux ressortent de notre étude. D’une part, les gouvernements européens assurent la soutenabilité de leurs dettes publiques, en améliorant leur solde budgétaire lorsque la dette publique augmente. D’autre part, nous trouvons une tendance à la consolidation budgétaire en bas de cycle dans la zone euro : la politique budgétaire y est plutôt déstabilisatrice. Enfin, les Etats membres de la zone euro adoptent un comportement que l’on ne retrouve pas dans les pays non-européens de notre échantillon : contrairement à eux en effet, les Etats membres de la zone euro continuent de stabiliser leurs dettes publiques en bas de cycle et pendant les années de crise. Ainsi la politique budgétaire des pays de la zone euro apparaît-elle assez nettement à contretemps et à contre-emploi.

L’ensemble des résultats obtenus pour la zone euro plaide pour une réforme des règles budgétaires européennes, mais pas forcément dans le sens le plus généralement admis. La question de la stabilisation de la dette publique ne semble pas primordiale dans la mesure où elle est d’ores et déjà assurée par les politiques budgétaires mises en œuvre. Il conviendrait plutôt de rééquilibrer les objectifs de ces politiques budgétaires en faveur de la stabilisation macroéconomique, surtout si aucun mécanisme commun – un budget de la zone euro – n’est créé à cet effet. Les politiques budgétaires européennes ont grand besoin d’être plus souples, moins normatives, et centrées sur les propriétés de stabilisation macroéconomique. Puisqu’une aucune avancée n’est envisagée au plan européen, il faudrait renforcer les stabilisateurs automatiques nationaux, en augmentant la progressivité fiscale et la réactivité des dépenses sociales aux variations de l’activité économique pour faire face, individuellement et collectivement, au prochain retournement conjoncturel.

[1] Un, sinon le premier article consacré à l’évaluation des règles budgétaires à partir de données « en temps réel » est Golinelli et Momigliano (Journal of Policy Modeling, 2006). On trouvera une synthèse de cette littérature dans Cimadomo (Journal of Economic Surveys, 2016).




Quel impact direct des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat en 2019 ?

par Mathieu Plane

Une amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts

A l’instar de 2018, année durant laquelle la chronique trimestrielle du pouvoir d’achat est marquée par les différentes mesures socio-fiscales, l’année 2019 devrait également se caractériser par des effets importants des mesures prises sur l’évolution infra annuelle du pouvoir d’achat des ménages. Dans le cadre de cette étude, nous nous concentrons uniquement sur les mesures ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat[1] en tenant compte du calendrier fiscal de chacune des mesures et nous évaluons leurs effets en moyenne sur l’année. Nous ne tenons donc pas compte des mesures qui pourraient avoir un impact indirect sur le pouvoir d’achat[2], comme par exemple la réduction des contrats aidés ou l’accroissement des formations, ou encore les économies sur certaines dépenses publiques hors prestations (gel de l’indice fonction publique, économies sur les dépenses de fonctionnement dans les collectivités locales, …) ou enfin les mesures fiscales sur les entreprises. Par ailleurs, nous mesurons ici les effets macroéconomiques directs des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat et nous ne rentrons pas dans le détail de leurs effets selon les déciles de revenus comme nous l’avions réalisé pour le budget 2018[3].

Les principales mesures impactant le pouvoir d’achat en 2018 et 2019 sont documentées par la Loi de finances pour 2018 : baisse de la taxe d’habitation, bascule cotisations salariés/CSG, réforme de l’ISF, mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), hausse de la fiscalité écologique et le tabac, revalorisation de la Prime d’activité, de l’Allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse (ASPA). Des mesures nouvelles ont été prises dans le Projet de loi de finance 2019 : du côté des prélèvements obligatoires, les principales mesures en direction des ménages sont la « désocialisation »[4] des heures supplémentaires et la baisse de la CSG pour 300 000 retraités ; du côté des prestations sociales, les pensions de retraite du régime général, les prestations familiales et les allocations logement seront désindexées de l’évolution de l’inflation (pensions de retraites, prestations familiales, allocations logement, …) et le calcul des allocations logement se fera dorénavant en fonction du revenu courant et non du revenu deux années précédentes. Contrairement à l’année 2018, en 2019 peu de mesures votées lors de la législature précédente ont un impact sur le revenu des ménages. A cela s’ajoute une mesure spécifique qui aura un impact sur le pouvoir d’achat en 2019 mais qui découle d’une décision des partenaires sociaux concernant la gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco.

Notre analyse évalue l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat en moyenne sur l’année (et non pas en fin d’année) en tenant compte du calendrier de mise en place et de la montée en charge des différentes mesures. Ainsi, une mesure de hausse ou de baisse de la fiscalité n’a pas le même impact sur le pouvoir d’achat en moyenne sur une année suivant le moment où elle devient effective[5].

Selon nos évaluations, et à partir de l’information disponible sur la base des documents budgétaires et des déclarations des ministres du Gouvernement Philippe, l’ensemble des mesures socio-fiscales engendrerait un gain de pouvoir d’achat de 3,5 milliards en 2019 (0,3 point de revenu disponible brut (RDB)), après 0,1 milliard en 2018 (0,0 point de RDB) (tableau). La hausse des taux d’appel et de cotisation Agirc-Arrco décidée par les partenaires sociaux devrait amputer le pouvoir d’achat en 2019 de 1,8 milliard d’euros, réduisant l’effet total à +1,7 milliard (0,1 point de RDB).

En 2019, le pouvoir d’achat sera augmenté par les mesures de baisse de la fiscalité directe (9,4 milliards, soit 0,7 point de RDB), dont la bascule cotisations salariés / CSG complète en 2019 (4,5 milliards, 0,3 point de RDB) et la seconde tranche de la réduction de taxe d’habitation en novembre 2019 (3,5 milliards, 0,2 point de RDB), après une première tranche effective en novembre 2018. Le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital induirait un gain de 0,6 milliard en 2019 du revenu des ménages (concentré sur le dernier décile). Enfin, la mise en place de la « désocialisation » des heures supplémentaires en septembre 2019 dans le cadre de la Loi de finance pour 2019 augmenterait le pouvoir d’achat de 0,7 milliard en 2019 (2 milliards en année pleine) et la baisse de CSG pour 300 000 retraités améliorerait le revenu des ménages de 0,3 milliard.

En revanche, l’augmentation de la fiscalité indirecte[6] amputerait le pouvoir d’achat des ménages de 3,5 milliards en 2019 (-0,3 point de RDB), principalement sous l’effet de la hausse en janvier 2019 de la fiscalité écologique (augmentation de la TICPE et Taxe carbone, ce qui correspond à une hausse de 6,5 centimes par litre de diesel et 2,9 centimes par litre d’essence) pour 2,8 milliards. La hausse de la fiscalité sur le tabac (50 centimes de plus par parquet de cigarettes en avril, puis 50 centimes en novembre 2019) pèserait à hauteur de 0,8 milliard[7] sur le pouvoir d’achat global.

Les mesures concernant les prestations sociales devraient amputer le pouvoir d’achat des ménages de 2,5 milliards sous l’effet principalement de la désindexation des pensions de retraite, des prestations familiales et des allocations logement. Sous l’hypothèse d’une inflation à 1,6 % pour l’année 2019, indexer ces prestations à 0,3 % réduirait le pouvoir d’achat moyen des ménages de 3,2 milliards (-0,2 point de RDB) en 2019, dont près de 90 % provient de la sous-indexation des pensions de retraite. De plus, la réforme du mode de calcul des allocations logement réduirait le pouvoir d’achat de 1 milliard en 2019. En revanche, certaines prestations seront significativement revalorisées et soutiendront le pouvoir d’achat en 2019. C’est le cas de la Prime d’activité pour 1 milliard supplémentaire, de l’Allocation adulte handicapé pour 0,5 milliard et du minimum vieillesse pour 0,2 milliard.

Les mesures socio-fiscales décidées par le gouvernement Philippe soutiendront le pouvoir d’achat des ménages en 2019 (3,5 milliards si l’on exclut les mesures Agirc-Arrco), surtout au regard de 2018 où l’impact global moyen des mesures était quasiment nul. En revanche, aussi bien en 2018 qu’en 2019, les politiques menées génèrent de multiples transferts qui peuvent être masqués par les agrégats macroéconomiques. L’exemple de 2018 en est une parfaite illustration avec des impacts sociaux-fiscaux nuls en moyenne sur le pouvoir d’achat mais générant des gagnants et des perdants comme nous l’avions montré dans une étude publiée en janvier 2018. Ainsi, pour une meilleure compréhension de la mise en place des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat des ménages, l’analyse macroéconomique doit être complétée par une analyse d’impact par décile de revenu qui permet de mieux analyser les enjeux de la politique économique menée. Ce travail devrait prochainement faire l’objet d’une publication.

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[1] Les mesures socio-fiscales sont évaluées sur la base de leur impact budgétaire pour les finances publiques et nous n’évaluons pas l’incidence fiscale finale de ces mesures.

[2] Dans un travail à paraître prochainement, nous élaborons une analyse visant à prendre en compte certains effets indirects sur le pouvoir d’achat qui viennent compléter l’impact des mesures socio-fiscales.

[3] P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier. Ce travail sera réalisé à nouveau pour le Projet de loi de finance 2019.

[4] Au sens de l’exonération de cotisations sociales salariés des heures supplémentaires.

[5] Pour plus de détails, voir P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier.

[6] Nous faisons l’hypothèse que les hausses des taxes indirectes sont intégralement supportées par les ménages.

[7] Nous avons retenu ici une élasticité de la consommation de tabac à son prix de -0,5%.




Politique économique et économie politique dans l’UE après la crise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Politique économique et économie politique dans l’UE après la crise ». Tel était le thème du 15e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenu le 8 juin 2018 à Milan. EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni). Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important pour les économies européennes. Cette année, 25 contributions de chercheurs ont été présentées, dont la plupart sont disponibles sur la page web du colloque. Cette note fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.

Comme l’ont souligné Catherine Mathieu (OFCE) et Stefania Tomasini,(PROMETEIA) en introduction, le 15e colloque EUROFRAME est centré sur deux défis auxquels la politique économique européenne est confrontée, un peu plus de 10 ans après le déclenchement de la crise financière 2007 : la normalisation de la politique monétaire et l’économie politique de la politique budgétaire. Les banques centrales envisagent de sortir des politiques non conventionnelles. Cela implique-t-il le retour à des taux d’intérêt réels proches du taux de croissance ? Quel en sera l’impact sur les marchés financiers, les entreprises, les ménages ? Les banques centrales pourront-elles dégonfler leurs bilans ? Dans ce contexte, comment se pose la question de la soutenabilité de la dette publique ? Comment définir un policy mix optimal dans les années à venir : faut-il choisir entre domination monétaire et domination budgétaire ? Après la grande récession, les différents groupes sociaux et les partis politiques tentent de repenser les systèmes nationaux de finances publiques, tant du point de vue de la composition des dépenses et des recettes, que du solde public et de la dette publique. De grandes réformes sont-elles envisageables ?

Les règles budgétaires   

La question des règles budgétaires reste au centre des débats. Katja Riezler (IMK, Düsseldorf) et Achim Truger (Berlin School of Economics and Law et IMK), dans Is the debt brake behind Germany’s successful fiscal consolidation?, analysent l’impact du «frein à la dette » allemand qui a servi de modèle au Traité budgétaire européen. Selon ces auteurs, l’amélioration du solde public allemand depuis 2010 ne s’explique pas par ce frein, mais plutôt par la fin des mesures de stimulation budgétaire, la baisse progressive des transferts aux Länder de l’Est, un environnement macroéconomique favorable et le bas niveau des taux d’intérêt.

Christoph Paetz (Université de Duisburg-Essen et IMK, Düsseldorf), dans : Have fiscal rules made discretionary policy more countercyclical? Evidence from fiscal reactions fonctions for the euro area, estime des fonctions de réaction des politiques budgétaires. L’auteur montre que celles-ci ont été faiblement pro-cycliques, ne pratiquant guère de politiques restrictives en sommet de cycle et ayant tendance à se livrer à des restrictions des dépenses publiques en bas de cycle. L’effet des règles budgétaires semble limité : elles inciteraient à réduire les déficits en haut de cycle, mais aussi en bas de cycle. Les règles portant sur les dépenses semblent permettre une meilleure stabilisation que celles portant sur le solde public ou sur la dette.

Heikki Oksanen (Université d’Helsinki), dans New output gap estimates for assessing fiscal policy with lessons for euro area reform, propose une méthode simple pour estimer l’écart de production : introduire des hypothèses explicites sur la croissance future et lisser le PIB par un filtre HP. Selon l’auteur, cette méthode donnerait des résultats aussi satisfaisants que les méthodes plus élaborées des organismes internationaux (CE, FMI et OCDE). L’auteur reconnaît toutefois que l’estimation de l’écart de production reste soumise à des révisions, qui se répercutent sur l’évaluation de l’effort budgétaire. En étudiant les années 2011-14, il montre qu’une sous-évaluation de la croissance potentielle peut être auto-réalisatrice, induisant une politique budgétaire trop restrictive et donc une baisse de la croissance effective. Il plaide cependant pour des transferts entre pays basés sur les différences d’écarts de production. Il estime que les politiques budgétaires pourraient être plus réactives et plus contra-cycliques si la soutenabilité à long terme des finances publiques était assurée, ce qui nécessiterait des réformes des systèmes publics de retraite et de santé.

Leonardo Augusto Tariffi (Université des Andes, Vénézuela et Université autonome de Barcelone), dans “A threshold multivariate model to explain fiscal multipliers with government debt”, analyse l’impact des dépenses publiques en Italie, Belgique et Royaume-Uni selon le ratio de dette publique/PIB. Au-delà d’un certain niveau de dette publique, le multiplicateur deviendrait négatif.

Tero Kuusi (ETLA, Helsinki), dans Finding the bottom line: A quantitative model of the EU’s fiscal rules and their compliance, décrit l’ensemble compliqué des contraintes auxquelles est soumise la politique budgétaire d’un pays membre (objectif de moyen terme de déficit structurel inférieur à 0,5% du PIB, règles des 3%, des 60%, des 0,5%, des 1/20ème). L’auteur construit un modèle dynamique pour déterminer la trajectoire optimale qui vérifie l’ensemble de ces contraintes en minimisant les ajustements budgétaires nécessaires. Il apparaît nécessaire de prendre en compte l’impact de la politique budgétaire sur l’activité et l’incertitude sur l’environnement économique.

Grzegorz Poniatowski (CASE et Warsaw School of Economics), dans Enhancing credibility and commitment to fiscal rules analyse économétriquement les déterminants du solde budgétaire structurel (selon l’évaluation de la Commission). Il montre que les pays ont tendance à pratiquer des politiques plus restrictives quand des règles budgétaires sont en place ; de ce point de vue, la réforme de 2005 du Pacte de stabilité et de croissance a été contre-productive, contrairement au Traité budgétaire de 2011. L’auteur suggère de traiter la question des relations entre la Commission et les États membres selon un modèle principal-agent ; la Commission devrait mettre en place des incitations fortes, mais différenciées selon les pays, pour que ceux-ci pratiquent des politiques budgétaires de consolidation.

Les déséquilibres internes de la zone euro

Jamel Saadaoui (Université de Strasbourg), dans Internal devaluations and equilibrium exchange rates: New evidences and perspectives for the EMU, évalue les déséquilibres de taux de change réels de 2004 à 2016. En corrigeant les soldes courants pour tenir compte des situations conjoncturelles, il apparaît qu’en 2016, la Chine et les États-Unis ne présentent plus de forts déséquilibres de taux de change ; par contre, l’euro est globalement sous-évalué et la livre sterling est fortement surévaluée. La sous-évaluation de l’euro provient de la sous-évaluation de l’Allemagne, mais aussi maintenant de l’Espagne, de l’Irlande et du Portugal, tandis que la France et l’Italie sont proches du taux de change réel d’équilibre.

Serena Fatica et Wildmer Daniel Gregori (tous deux, Commission européenne – Centre commun de recherche, Italie), dans “Profit shifting by EU banks: Evidence from country-by-country reportingévaluent économétriquement les transferts de profits effectués par les banques multinationales européennes par l’intermédiaire de leurs filiales de façon à être taxées à de faibles taux dans des paradis fiscaux. Les profits exportés sont particulièrement importants pour la France ; en sens inverse, les profits importés sont importants pour Hong Kong et l’Irlande.

Angela Cheptea (INRA, Rennes) et Iuliana Matei (IESEG et Université Paris 1), dans Does political instability matter for sovereign yield spreads in the euro area market?, analysent les déterminants des écarts de taux d’intérêt de 2002 à 2017 entre l’Allemagne et les autres pays européens. Ces écarts s’expliquent par des différences de taux de croissance, de taux d’inflation, de dettes publiques, de solde public et extérieur, mais aussi de risques politiques.

La gouvernance de la zone euro

Riccardo Rovelli (Université de Bologne), dans Completing EMU: A feasible and shared goal ? Economics and political economy of the next EU reforms, pointe deux sources de déséquilibres dans l’UEM : les différentiels d’inflation et de soldes courants. Il en voit l’origine dans les différences de fonctionnement des marchés du travail, en particulier des négociations salariales, sans toutefois estimer que plus de flexibilité des salaires et moins de coordination des négociations salariales suffiraient à résoudre le problème. L’auteur soutient la mise en place de réformes visant à la convergence macroéconomique et salariale, en proposant que ces réformes conditionnent la participation à un système européen d’assurance chômage.

L’article de Sebastian Blesse (ZEW Mannheim), Pierre Boyer (CREST, École Polytechnique), Friedrich Heinemann (ZEW Mannheim), Eckhard Janeba (Université de Mannheim) et Anasuya Raj (CREST, École Polytechnique), European Monetary Union reform preferences of French and German parliamentarians, analyse un sondage effectué auprès de parlementaires allemands et français sur des questions de politique économique européenne. Pour certaines questions, les différences de réponses s’expliquent par les appartenances partisanes : c’est le cas pour la flexibilité du marché du travail (prônée par la droite) et la relance de l’investissement (prônée par la gauche). Pour d’autres questions, la nationalité est aussi un facteur discriminant : c’est le cas pour les achats de titres par la BCE, pour les Euro-obligations, pour l’harmonisation fiscale et pour l’assurance chômage européenne (prônés par les parlementaires de gauche et français) et surtout pour le Traité budgétaire (approuvé les parlementaires de droite et tout particulièrement par les allemands).

L’article de Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (tous deux, OFCE, Paris), Euro area macroeconomics, where do we stand ?, présente les projets récents de réforme de la zone euro émanent des institutions européennes et des États membres. L’article présente et discute les différents points de vue des économistes, ceux qui font confiance aux marchés financiers pour contrôler les politiques économiques nationales, ceux qui veulent renforcer les règles budgétaires, ceux qui veulent les améliorer, ceux qui veulent organiser des transferts, plus ou moins automatiques, entre les pays membres, ceux qui veulent instaurer un budget et un ministre des Finances de la zone euro, ceux qui veulent aller vers une Europe fédérale démocratisée, ceux qui proposent des mesures originales pour réduire les dettes publiques, ceux enfin qui préconisent une meilleure coordination de politiques budgétaires autonomes dans une optique keynésienne.

Raphaël Lee et Jocelyn Boussard (INSEE-CREST, Paris), dans How different are supply shocks under the zero lower bound and normal times? Empirical investigation of the New-Keynesian model and paradoxes, discutent de l’impact de chocs d’offre positifs dans une situation où les taux d’intérêt sont rigides à la baisse. Les auteurs développent d’abord un modèle théorique dit néo-keynésien dans lequel ces chocs ont effectivement un impact négatif sur l’activité dans cette situation, puisqu’ils induisent une baisse du taux d’inflation, donc une hausse du taux d’intérêt réel. Par contre, ils ne réussissent pas à mettre en évidence un tel effet empiriquement (mais les chocs d’offre sont difficiles à mettre en évidence).

Bas van Aarle (KU, Leuwen), Jacob Engwerda (Tilburg University) et Arie Weeren (Mathworks BV, Eindhoven), dans Effects of debt mutualization in a monetary union with endogenous risk premia: Can eurobonds contribute to debt stabilization ?, comparent le régime où les dettes publiques nationales ne sont pas collectivement garanties et les marchés financiers leur imposent des primes de risque spécifiques et un régime d’euro-obligations où les dettes publiques sont collectivement garanties et où la prime de risque est uniforme. Compte tenu de l’hypothèse de non-linéarité entre la prime de risque et le niveau des dettes publiques, l’introduction d’euro-obligations produit des gains nets pour les pays membres. Toutefois, restent à analyser les questions d’aléa moral et de discipline budgétaire.

Harmen Lehment (IfW Kiel), dans “Fiscal implications of the ECB’s Public Sector Purchase Programme analyse les conséquences budgétaires en terme de gains de seigneuriage du Programme d’Achat de Titres Publics de la BCE. L’auteur montre que, du fait de ce programme, les États se financent par les réserves excédentaires des banques, donc à un taux de court terme sans risque, au lieu de se financer par titres, donc à un taux de long terme incorporant une prime de risque. Le gain est d’autant plus fort que le taux de rémunération des réserves est faible et la prime de risque forte. Pour compenser la future hausse du taux de rémunération des réserves, l’auteur préconise d’augmenter le taux de réserves obligatoires des banques et de ne pas les rémunérer.

Le chômage dans les pays européens

Robert Calvert Jump (University of West England, Bristol) et Engelbert Stockhammer (Kingston University), dans New evidence on unemployment hysteresis in the EU proposent des estimations de l’hystérèse du chômage dans les pays de l’UE. En moyenne, une hausse de 1 point du taux de chômage conjoncturel induirait une hausse de 0,8 point du taux de chômage d’équilibre (le NAIRU) un an plus tard. C’est l’hystérèse qui expliquerait la hausse du NAIRU dans les pays européens, et non des changements dans les institutions du marché du travail. Cela milite pour une politique de gestion de la demande plus active, faute de quoi un cercle vicieux pourrait s’enclencher : la baisse de la demande induisant une hausse du NAIRU, donc de la production potentielle. Mais, le concept de NAIRU a-t-il encore un sens dans cette problématique ?

Markku Lehmus (ETLA, Helsinski), dans The long-term unemployment adjusted NAWRU estimates for selected European countries, propose, de n’incorporer les chômeurs de long terme qu’avec un coefficient de 0,5 dans l’estimation du taux de chômage d’équilibre (le NAWRU, ici). Il montre que le taux de chômage d’équilibre ainsi mesuré apparaît plus stable et que son impact sur la hausse des salaires est plus net. En fin de période, le taux de chômage serait nettement plus élevé que son niveau d’équilibre en Finlande, France et Italie.

La politique monétaire : considérations structurelles

José A. Carresco-Gallego (King Juan Carlos University, Madrid), dans Macroprudential policies interactions, construit un modèle DSGE pour analyser la pertinence des instruments de la politique macro-prudentielle, soit un plafond contra-cyclique pour le ratio crédit/valeur de l’actif pour les prêts aux ménages, soit un plafond contra-cyclique pour le ratio crédit/capital au niveau des banques. Ses simulations montrent que, selon le type de chocs, l’introduction de ces instruments peut être stabilisante ou déstabilisante.

Salvatore Capasso, Oreste Napolitano et Anna Laura Viveros (tous trois, Université de Naples – Parthenope), dans “Banks’ lending technology and the transmission of monetary policy ”, étudient empiriquement les relations entre les banques et les emprunteurs. Les auteurs montrent que des relations étroites diminuent la probabilité de rationnement du crédit, ce qui, selon eux, diminuerait l’impact de la politique monétaire.

Ilkka Kiema (Labour Institute for Economic Research, Helsinki) et Esa Jokivuolle (Banque de Finlande), dans Bank stability and the European deposit insurance scheme analysent l’impact du mécanisme de garantie des dépôts, en faisant l’hypothèse que les déposants anticipent que le gouvernement pourrait choisir de trahir sa promesse, en comparant le coût de la garantie à celui de la perte de réputation. Dans cette optique, le Système européen d’assurance des dépôts augmenterait la stabilité du système bancaire en cas de choc n’affectant qu’un pays membre, mais pourrait être déstabilisant en cas de choc affectant l’ensemble du système bancaire (en augmentant la probabilité de défaut volontaire de l’ensemble des États membres).

La politique monétaire : les politiques non-conventionnelles et la normalisation

Maritta Paloviita, Markus Haavio, Pirkka Jalasjoki et Juha Kilponen (tous, Banque de Finlande) dans What does “below, but close to, two per cent” mean? Assessing the ECB’s reaction function with real time data estiment une fonction de réaction de la BCE à partir de données en temps réel et des projections des services de la BCE. Ils montrent que l’on peut hésiter entre deux interprétations : la BCE a un objectif d’inflation symétrique de l’ordre de 1,65% ou la BCE réagit plus à des taux d’inflation supérieur à 2% qu’à des taux inférieurs. Toutefois, la première interprétation rend mieux compte du taux d’intérêt implicite dans la période de taux zéro.

Huub Meijers et Joan Muysken (tous deux, Maastricht University) dans The impact of quantitative easing on a small open euro area economy: the case of the Netherlands, présentent un modèle stock-flux cohérent de l’économie néerlandaise qui rend compte de ses spécificités (le fort excédent extérieur, les taux d’épargne élevés des ménages et des entreprises, les investissements importants à l’étranger, une faible dette publique). Leurs simulations montrent que l’assouplissement quantitatif n’a pas eu d’impact direct sur la sphère réelle, mais qu’il a aggravé l’exposition du secteur financier aux marchés extérieurs.

Adam Elbourne, Kan Ji et Sem Duijndam (tous CPB, La Haye), dans The effects of unconventionnal monetary policy in the euro area, analysent l’impact de la politique monétaire non conventionnelle, mesurée par le taux d’intérêt fantôme (shadow rate) de la BCE, ceci en utilisant un modèle SVAR. La politique non conventionnelle n’aurait eu que des effets faibles sur la production et imperceptibles sur l’inflation. Les effets seraient plus nets dans les pays où le secteur bancaire était en bonne santé.

Jagjit Chadha et Arno Hantzche (tous deux, NIESR, Londres), dans The impact of the ECB’s QE Programme: Core versus periphery, analysent l’impact des trois programmes lancés par la BCE (SMP en Mai 2010, OMT en juillet 2012 et PSPP en septembre 2014) sur les taux d’intérêt longs des pays de la zone euro. Il apparaît que l’impact est plus fort sur les pays de la périphérie que sur ceux du cœur. À l’avenir, la normalisation de la politique monétaire doit éviter d’accentuer les écarts de taux d’intérêt dans la zone euro, ce qui plaide pour maintenir l’OMT et l’accompagner de réformes structurelles.

Marek Dabrowki (CASE, Varsovie), dans Prospects of monetary policy normalization in major currency areas, estime que les pays de la zone euro se rapprochent de leur production potentielle, que les pressions inflationnistes reviennent (en particulier pour les actifs), que le multiplicateur monétaire peut remonter et donc que la BCE doit renoncer aux mesures non conventionnelles et se préparer à normaliser la politique monétaire.




La politique budgétaire de Trump : une hypothèque sur le futur ?

par Christophe Blot

Alors que la dynamique de croissance s’est essoufflée pour certains pays – Allemagne, France et Japon notamment – le PIB aux Etats-Unis continue de croître à un rythme soutenu. Le mouvement pourrait même s’amplifier tout au long de l’année avec la mise en œuvre d’une politique budgétaire fortement expansionniste. Sur 2018 et 2019, le stimulus budgétaire voté par l’administration Trump en décembre 2017 – pour le volet recettes – et février 2018 – pour la partie dépenses – s’élèverait à 2,9 points de PIB.Une telle impulsion serait proche de celle mise en œuvre par Obama pour l’année 2008. Ce choix intervient cependant dans un contexte très différent puisque le taux de chômage aux Etats-Unis est redescendu sous la barre des 4 % en avril 2018 alors qu’il était en forte accélération il y a 10 ans, atteignant un pic à 9,9 % en 2009. L’économie américaine bénéficierait de ce stimulus mais au prix de l’accumulation d’une dette supplémentaire.

Donald Trump avait fait du choc fiscal un des éléments centraux de sa campagne présidentielle. Ce chantier fut donc lancé dès le début de son mandat et s’est concrétisé en décembre 2017 avec le vote d’une grande réforme fiscale (Tax cuts and Jobs Act)[1], prévoyant une réduction de l’impôt sur le revenu des ménages – notamment par la baisse du taux marginal d’imposition maximum – et de l’impôt sur les sociétés, dont le taux effectif passerait de de 21 % à 9 % dès 2018[2]. A ce premier stimulus, s’ajoute une augmentation des dépenses à la suite de l’accord conclu avec les Démocrates en février 2018 et qui devrait se traduire par une hausse des dépenses fédérales de 320 milliards de dollars (1,7 point de PIB) sur deux ans. Ces choix stimuleront la demande intérieure via une amélioration du revenu disponible des ménages et de la profitabilité des entreprises, qui stimuleraient la consommation et l’investissement. L’effet multiplicateur – mesurant l’impact sur le PIB d’une augmentation d’un dollar de dépenses publiques ou d’une baisse d’un dollar des impôts – serait néanmoins relativement faible (0,5) du fait de la position cyclique des Etats-Unis.

Par ailleurs, le déficit public se creuserait fortement et atteindrait un niveau historiquement élevé hors période de crise ou de guerre (graphique). Il s’établirait à 5,8 % du PIB en 2018 et à 7,0 % en 2019 alors que l’écart de croissance deviendrait positif[3]. Si le risque de surchauffe semble limité à court terme, il n’en demeure pas moins que la stratégie budgétaire mise en place pourrait pousser la Réserve fédérale à durcir plus rapidement sa politique monétaire. Or, une hausse trop forte des taux d’intérêt dans un contexte de dette publique élevée provoquerait un effet boule de neige. Surtout, en faisant le choix de relancer à nouveau dans un contexte macroéconomique favorable, le gouvernement prend le risque d’être contraint d’avoir à faire des ajustements plus tard quand la situation économique se dégradera. Cette orientation pro-cyclique de la politique budgétaire risque d’amplifier le cycle en accélérant aujourd’hui la croissance mais en prenant le risque d’accentuer un futur ralentissement. Avec un déficit de 7 % en 2019, les marges de manœuvre de la politique budgétaire vont devenir de fait plus réduites.

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[1] Voir la partie « Politiques budgétaires : accélération sans crise » de notre prévision d’avril 2017 pour plus de détails.

[2] Voir ici pour plus de détails.

[3] L’écart de croissance exprime – en % du PIB potentiel – la différence entre le PIB observé et le PIB potentiel. Rappelons que le PIB potentiel n’est pas observé mais estimé. La méthode de calcul utilisée par le CBO (Congres budget office) est expliquée ici.




Quel rôle pour le bilan des banques centrales dans la conduite de la politique monétaire ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

En ajustant la taille et la composition de leur bilan, les banques centrales ont profondément modifié leur stratégie de politique monétaire. Bien que la mise en œuvre de ces mesures ait été initialement envisagée pour une période de crise, la question se pose désormais de l’utilisation du bilan comme instrument de politique monétaire en dehors des périodes de crise.

La politique d’achats de titres effectués par les banques centrales s’est traduite par une augmentation considérable de la taille de leur bilan. En septembre 2017, les bilans de la Réserve fédérale et de la BCE s’élevaient respectivement à près de 4 500 Mds de dollars (soit 23,3 % du PIB des Etats-Unis) et 4 300 Mds d’euros pour la BCE (38,5 % du PIB de la zone euro), alors qu’ils étaient de 870 Mds de dollars (soit 6,0 % du PIB) et 1 190 Mds d’euros (soit 12,7 % du PIB) en juin 2007. La fin de la crise financière et de la crise économique plaide pour un resserrement progressif de la politique monétaire, déjà entamé aux Etats-Unis et à venir dans la zone euro. Ainsi, la Réserve fédérale a augmenté le taux d’intérêt directeur à cinq reprises depuis décembre 2015 et a commencé à réduire la taille de son bilan en octobre 2017. Toutefois, aucune indication précise n’a été donnée sur la taille du bilan des banques centrales une fois que le processus de normalisation aura été achevé. Au-delà de la taille se pose la question du rôle de ces politiques de bilan pour la conduite de la politique monétaire à venir.

Initialement, les mesures prises pendant la crise devaient être exceptionnelles et temporaires. L’objectif était de satisfaire un large besoin de liquidités et d’agir directement sur les prix de certains actifs ou sur la partie longue de la courbe des taux, lorsque l’instrument standard de politique monétaire – le taux d’intérêt de très court terme – était contraint par le plancher à 0% (ZLB pour Zero lower bound). L’utilisation de ces mesures pendant une période prolongée – depuis dix ans – suggère cependant que les banques centrales pourraient continuer à utiliser leur bilan comme instrument de politique monétaire et de stabilité financière, y compris en période dite « normale », c’est-à-dire lorsqu’il existe des marges de manœuvre pour baisser le taux directeur. Non seulement, ces mesures non conventionnelles ont démontré une certaine efficacité mais, en outre, leurs mécanismes de transmission ne semblent pas spécifiques aux périodes de crise. Leur utilisation pourrait donc à la fois renforcer l’efficacité de la politique monétaire et améliorer la capacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs de stabilité macroéconomique et financière. Nous développons ces arguments dans une publication récente que nous résumons ici.

Dans un article présenté en 2016 lors de la conférence de Jackson Hole, Greenwood, Hanson et Stein suggèrent que les banques centrales puissent utiliser leur bilan pour fournir des liquidités afin de satisfaire un besoin croissant du système financier pour des actifs liquides et sans risque. Les réserves excédentaires ainsi émises augmenteraient le stock d’actifs sûrs mobilisable par les banques commerciales, renforçant la stabilité financière. Les banques centrales pourraient également intervenir plus régulièrement sur les marchés afin de modifier le prix de certains actifs, les primes de risque ou les primes de terme. Ici, il ne s’agit pas forcément d’accroître ou de réduire la taille du bilan, mais de moduler sa composition afin de corriger d’éventuelles distorsions ou de renforcer la transmission de la politique monétaire en intervenant sur l’ensemble des segments de la courbe des taux. Pendant la crise des dettes souveraines, la BCE a lancé un programme d’achats de titres publics (SMP pour Securities Market Programme) qui avait pour but de réduire les primes de risques apparues sur les rendements de plusieurs pays (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne et Italie) et d’améliorer la transmission de la politique monétaire commune vers ces pays. En 2005, le Président de la Réserve fédérale s’étonnait d’une énigme sur les marchés obligataires, constatant que les taux longs ne semblaient pas réagir au resserrement en cours de la politique monétaire américaine. Le recours à des achats ciblés de titres sur des maturités plus longues aurait sans doute permis d’améliorer la transmission de l’orientation de la politique monétaire telle qu’elle était souhaitée à cette époque par la Réserve fédérale.

En pratique, la mise en œuvre d’une telle stratégie en période « normale » soulève plusieurs remarques. D’une part, si les politiques de bilan complètent la politique de taux, les banques centrales devront accompagner leurs décisions d’une communication adaptée précisant à la fois l’orientation globale de la politique monétaire ainsi que les raisons justifiant l’utilisation de tel ou tel instrument et à quelle fin. Il semble qu’elles aient su y parvenir pendant la crise alors qu’elles multipliaient les programmes ; il n’y a donc pas de raison d’imaginer que cette communication devienne subitement plus difficile à mettre en œuvre en période « normale ». Par ailleurs, l’utilisation plus fréquente du bilan comme instrument de politique monétaire se traduirait par une plus large détention d’actifs et potentiellement d’actifs risqués. Il y aurait dans ces conditions un arbitrage à réaliser entre l’efficacité à attendre de la politique monétaire et les risques pris par la banque centrale. Notons aussi que l’utilisation du bilan n’implique pas que la taille de celui-ci croisse en permanence. Les banques centrales pourraient tout aussi bien faire le choix de vendre certains actifs dont le prix serait jugé trop élevé. Cependant, pour être en capacité de moduler effectivement la composition des actifs de la banque centrale, encore faut-il que son bilan soit suffisamment élevé pour faciliter les opérations de portefeuille de la banque centrale.

Il faut reconnaître que les économistes n’ont pas encore complètement analysé les effets potentiels des politiques de bilan sur la stabilité macroéconomique et financière. Mais cette incertitude ne devrait pas empêcher les banques centrales de recourir à des politiques de bilan, car seule l’expérience peut fournir une évaluation complète du pouvoir des politiques de bilan. L’histoire des banques centrales nous rappelle que les objectifs et les instruments utilisés par les banques centrales ont régulièrement évolué[1]. Un nouveau changement de paradigme semble donc possible. Si les politiques de bilan permettent de renforcer l’efficacité de la politique monétaire et d’améliorer la stabilité financière, les banques centrales devraient sérieusement réfléchir à leur utilisation.

Pour en savoir plus : Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, « What should the ECB “new normal” look like? », OFCE policy brief 29, 20 décembre.

[1] Voir Goodhart (2010).




Zone euro : reprise généralisée

Par Christophe Blot

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2017-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

Depuis mi-2013, la zone euro a renoué avec la croissance après avoir traversé deux crises (la crise financière et la crise des dettes souveraines) qui ont entrainé deux récessions : en 2008-2009 et en 2011-2013. Selon Eurostat, la croissance accélère au troisième trimestre 2017 et atteint 2,6 % en glissement annuel (0,6 % en rythme trimestriel), soit son plus haut niveau depuis le premier trimestre 2011 (2,9 %). Au-delà de la performance de l’ensemble de la zone euro, la situation actuelle se caractérise par une généralisation de la reprise à l’ensemble des pays de la zone euro ce qui n’avait pas été le cas lors de la précédente phase de reprise en 2010-2011. Les craintes sur la soutenabilité de la dette des pays dits périphériques se traduisaient déjà par un fort recul du PIB en Grèce et l’entrée progressive en récession du Portugal, de l’Espagne puis un peu plus tard de l’Italie.

Aujourd’hui, si l’Allemagne reste le principal moteur de croissance européenne, c’est bien l’ensemble des pays qui contribue à l’accélération de reprise. Sur le troisième trimestre 2017, la contribution de l’Allemagne à la croissance de la zone euro s’élève à 0,8 point, en accélération par rapport aux deux trimestres précédents, témoignant de la vitalité de l’économie allemande (graphique). Pour autant, cette contribution était encore plus importante au premier trimestre 2011 (1,5 points pour une croissance de 2,9 % en glissement annuel). Le mouvement de rattrapage se poursuit en Espagne avec une croissance trimestrielle de 3,1 % en glissement annuel (0,8 % en rythme trimestriel) au troisième trimestre 2017, soit une contribution de 0,3 point à la croissance de la zone euro. Surtout, l’activité accélère dans les pays restés jusqu’ici un peu à l’écart de la reprise et notamment en France et en Italie qui ont contribué respectivement à hauteur de 0,5 et 0,3 point à la croissance de la zone euro sur le troisième trimestre[1]. Enfin, la reprise se confirme au Portugal et en Grèce. Le dynamisme retrouvé de la conjoncture européenne tient à plusieurs facteurs. La politique monétaire reste très expansionniste ; les achats de titres effectués par l’Eurosystème permet de maintenir l’ensemble des taux d’intérêt à un faible niveau. Les conditions de crédit sont favorables à l’investissement et l’accès au crédit des PME est de moins en moins contraint, en particulier dans les pays qui avaient été le plus touchés par la crise. Enfin, la politique budgétaire est globalement neutre voire légèrement expansionniste.

L’optimisme actuel ne doit cependant pas masquer les cicatrices laissées par la crise. Le taux de chômage de la zone euro est toujours supérieur à son niveau d’avant-crise : 9 % contre 7,3 % fin 2007. Il dépasse encore 10 % de la population active en Italie, 15 % en Espagne et 20 % en Grèce. Les conséquences sociales de la crise sont donc encore bien visibles. Ces conditions justifient encore un soutien à la croissance en particulier dans ces pays.

 

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[1] Voir France : croissance en héritage pour plus détails sur l’économie française.