France 2012 : une austérité à 33 milliards d’euros ?

par Mathieu Plane

Le plan de rigueur français annoncé pour 2012, tel qu’il apparaît pour partie de façon implicite à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le projet de loi de finances, est de 33 milliards d’euros, soit 1,6 point de PIB. Il devrait amputer d’autant la croissance française.

Après avoir révisé sa prévision de croissance de 1,75 % en 2012, hypothèse retenue dans le PLF 2012, à 1% désormais, le gouvernement n’avait d’autre choix que de renforcer sa politique d’austérité s’il voulait garder le cap sur un déficit public à 4,5 % du PIB pour 2012. Pour compenser la révision de croissance générant environ 7 milliards d’euros de manque à gagner fiscal pour 2012, le gouvernement a annoncé un nouveau plan de rigueur de 7 milliards d’euros pour 2012, avec une montée en charge à 17,4 milliards en 2017.

Cette démarche suppose que ce nouveau plan de rigueur n’affectera pas la croissance, le 1 % prévu n’étant pas révisé à la baisse en raison du durcissement de l’austérité. Cette hypothèse d’un multiplicateur budgétaire à 0 est loin des évaluations empiriques actuelles (voir le billet d’Eric Heyer sur  blog OFCE et celui de Xavier Timbeau). Avec un multiplicateur budgétaire à 1 à court terme, les mesures d’austérité annoncées devraient se traduire par une réduction du PIB de 0,35 %, ramenant ainsi la croissance prévue à 0,7 %. En raison de cette moindre activité, le déficit public ne se réduirait que de 0,17 % du PIB. Donc pour réduire le déficit public ex post de 0,35 % du PIB, comme l’envisage le gouvernement, il faudrait réaliser 14 milliards d’euros de rigueur, ce qui, par le jeu du multiplicateur budgétaire, ramènerait la croissance à 0,3 % pour 2012.

Par ailleurs, au regard des différents éléments fournis par le gouvernement pour 2012 (taux de croissance du PIB potentiel et du PIB effectif, charges d’intérêts, déficit public,  …), il faudrait que le déficit public structurel primaire de la France diminue de 33 milliards d’euros en 2012 (1,6 point de PIB) afin de compenser la hausse des charges d’intérêt (4 milliards) et le creusement du déficit conjoncturel (7 milliards) (tableau).

 

 

Or, pour 2012, le PLF prévoit des mesures d’économies pour 10,4 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter 2 milliards d’euros décidés dans le cadre du PLF 2011. Si l’on ajoute les 7 milliards d’euros annoncés le 7 novembre, le plan de restriction budgétaire atteint 19,4 milliards d’euros pour 2012. Sur ces 19,4 milliards d’euros d’effort structurel, 16,7 sont des mesures portant sur des recettes nouvelles (notamment la réduction des niches fiscales qui représente environ 9 milliards) et 2,7 sur des dépenses moindres (dont 1,5 sont réalisées sur les dépenses de l’Etat). Pour atteindre 33 milliards d’économies, il faut donc comptablement 14 milliards d’euros de mesures structurelles supplémentaires. Celles-ci sont en partie contenues dans le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (0,5 milliard), les économies sur les dépenses de santé dans le PLFSS 2012 (2,2 milliards) et la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (environ 4 milliards). Plus généralement, celles-ci sont comprises dans l’objectif drastique de tassement de la croissance de la dépense publique primaire contenu dans le PLF pour 2012. En revanche, l’incertitude est grande quant à la décomposition précise de ces 14 milliards d’économies structurelles du côté de la dépense et la possibilité de les réaliser. Au final, le plan de rigueur annoncé pour 2012, qui cumule l’ensemble des mesures d’économies annoncées ou affichées implicitement à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le PLF, est bien de 33 milliards d’euros et se répartit de façon égale entre dépenses publiques et prélèvements obligatoires.

L’ensemble des mesures de restriction annoncées en France pour 2012 diminuerait l’activité de 1,6[1] point de PIB. Les mesures d’austérité de nos partenaires commerciaux amputeraient la croissance française de 0,8 point via le canal des exportations en raison de la moindre demande adressée. Avec un PIB diminué au total de 2,4 points de PIB en raison des plans de restriction budgétaire, une croissance prévue à 1 % par le gouvernement en 2012 suppose implicitement que la croissance spontanée de l’économie française soit très dynamique (3,4 %).


[1] Calcul réalisé en prenant un multiplicateur budgétaire interne de 1 à court terme.

 




La course perdue au AAA : analyse détaillée du plan d’austérité français du 7 novembre 2011

par Mathieu Plane

Ce plan d’austérité est très différent des deux plans d’économies précédents (loi de finances 2011 et PLF 2012) à la fois dans son « timing » et dans son équilibre entre dépenses et recettes, donc dans la répartition de l’effort au sein des ménages.

Premièrement, contrairement aux précédents plans d’ajustements budgétaires dont la plupart des effets sont concentrés sur une année, celui-ci doit monter en charge : les économies réalisées en 2017 devant représenter 2,5 fois plus que celles attendues pour 2012 (tableau 1).

Deuxièmement, à terme, les économies devraient être reparties également entre dépenses et recettes alors que les mesures découlant des plans antérieurs étaient principalement réalisées par le levier de la fiscalité, notamment celui de la réduction des niches fiscales.

Enfin, si ce plan présente l’avantage d’être modeste par son montant à court terme, ce qui par conséquent limite son impact sur la croissance (0,3 point de PIB) (voir le post associé), en revanche, il reporte une grande partie de l’effort budgétaire sur les prochaines années à travers la montée en charge des économies à réaliser du côté de la dépense publique, ces dernières devant être discutées à travers les futurs projets de loi de finances (2013 à 2017).

Rentrons dans le détail des mesures du nouveau plan d’austérité. Pour 2012, les économies budgétaires devraient représenter 7 milliards d’euros et seraient assumées à 85 % par les ménages.  Les 15 % du plan étant à la charge des entreprises correspondent à une majoration exceptionnelle de l’IS pour les grandes entreprises jusqu’en 2013. A partir de 2014, l’ensemble du plan portera intégralement sur les ménages.

Les réductions de déficit prévues proviennent pour 1,7 milliard d’euros de la dépense publique et 5,3 des nouvelles recettes fiscales. Il est prévu que ce plan monte progressivement en charge pour générer à terme (2017) une économie de 17,4 milliards d’euros, avec une répartition égale entre dépenses et recettes (tableau 1).

 

Du côté des dépenses, deux mesures, qui représentent à terme, 40 % des économies du plan de rigueur, passent à la fois par une nouvelle contraction des dépenses de l’Etat (0,5 milliard en 2012) et par une nouvelle réduction du rythme de croissance des dépenses de santé (0,7 milliard en 2012 dont 0,2 lié à un effort d’économie supplémentaire sur les dépenses de gestion des caisses de Sécurité sociale et des fonds de la protection sociale). Au final, selon le gouvernement, si on prend en compte également les mesures adoptées dans la cadre du PLF pour 2012, les dépenses de l’Etat devraient baisser de 1,5 milliard d’euros (hors pensions de retraite et charges d’intérêts) en 2012 et la croissance de l’ONDAM (Objectif national d’ assurance maladie) ne serait que de 2,5 % en valeur. Cela suppose deux impératifs. D’une part, que le gouvernement accélère la réforme de l’Etat. En effet, le PLF 2012 était basé sur un objectif « 0 valeur » des dépenses de l’Etat,  grâce notamment au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, au gel d’indice fonction publique et à la diminution des interventions discrétionnaires, auxquels il faut désormais rajouter 0,5 milliard d’économies supplémentaires (notamment par l’instauration d’une journée de carence pour les fonctionnaires lors d’un arrêt maladie et le rabotage des dépenses d’intervention…). De plus, la montée en charge de ce plan jusqu’en 2017 suppose que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux soit au moins maintenu, voire accéléré jusqu’en 2017, que le gel de l’indice fonction publique va se poursuivre et que des économies supplémentaires seront trouvées. D’autre part, selon le PLFSS 2012, les dépenses de l’ONDAM augmenteraient spontanément (hors mesures d’économies) de 4,1 % en valeur.  Un ONDAM à 2,5 % en valeur suppose de réaliser 2,7 milliards d’économies sur les dépenses de santé (2,2 milliards décidées dans le cadre du PLFSS 2012 auxquelles s’ajoutent 0,5 milliard du plan d’austérité). Ce plan oblige donc le gouvernement à aller au-delà de ce que prévoyait le PLFSS 2012 dont les économies prévues étaient ciblées sur une baisse des prix des médicaments et une hausse des déremboursements ainsi que la mise en réserve de crédits pour environ 0,5 milliard. De plus, la montée en charge du plan d’austérité nécessite de maintenir l’ONDAM à 2,5 % en valeur sur la période 2012-2017, ce qui, compte tenu des effets du vieillissement, impose non pas de pérenniser la réforme actuelle mais de réaliser environ 3 milliards d’euros de nouvelles économies chaque année sur les dépenses de santé. Une partie de ces économies se reportera inévitablement sur le prix des mutuelles.

L’accélération de la réforme des retraites a surtout des effets à moyen terme : elle devrait permettre d’économiser 0,1 milliard en 2012 et 1,3 milliard en 2017.  L’âge d’ouverture des droits devait être repoussé progressivement de 60 ans en 2010 à 62 ans en 2018. Dans le plan d’austérité, la transition serait accélérée de façon à atteindre 62 ans en 2017. Dans une période de sous-emploi, cette mesure, en gonflant la population active des seniors, risque de voir une grande partie du gain budgétaire sur les dépenses de retraite rogné par un supplément lié aux dépenses d’allocations chômage.

Enfin, dans le cadre du plan d’austérité, la non-indexation sur l’inflation des prestations familiales et des aides au logement devrait générer une économie de 0,4 milliard en 2012 (0,5 en 2013). C’est la première fois que des mesures d’économies sur les prestations sociales sont prises depuis le début de la crise. Cette mesure concerne environ 6 millions de bénéficiaires d’aides au logement et 7 millions au titre des allocations familiales et des prestations d’accueil du jeune enfant (PAJE). C’est la première fois depuis le plan Juppé de 1996 que le pouvoir d’achat de ces prestations diminue. Comme une part importante de ces prestations est sous conditions de ressources, cette mesure va amputer le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Rappelons qu’au cours des dix dernières années, les loyers ont augmenté plus vite que l’inflation, précarisant les ménages dépendant des aides au logement pour payer leur loyer. Cette nouvelle mesure ne devrait que renforcer ce phénomène.

Du coté des recettes, le plan d’austérité prévoit une hausse des prélèvements de 5,3 milliards d’euros. La principale mesure est la désindexation en 2012 et 2013 du barème de l’IRPP qui devrait rapporter 1,6 milliard d’euros en 2012 et 3,2 milliards en 2013. La désindexation du barème de l’ISF et des droits de donation et succession rapporterait environ 0,1 milliard d’euros en 2012 et 0,2  en 2013. Cette hausse « masquée » de l’IRPP permet au gouvernement d’augmenter l’assiette fiscale sans augmenter les taux des différentes tranches de l’IRPP. Cette décision tranche avec les mesures fiscales décidées depuis 2000 visant à alléger le poids de cet impôt. Quant à l’ISF, la non revalorisation des tranches entraînerait un gain d’environ 40 millions en 2012 et 80 millions en 2013, ce qui compense à hauteur de 5 % la réforme récente de cet impôt dont le rendement baisserait de 1,7 milliards d’euros. Le gouvernement  prolonge la réduction des dépenses fiscales à hauteur de 1 milliard d’euros en 2013, pour atteindre 2,6 milliards en 2017. Ces mesures sont principalement concentrées dans l’immobilier, avec la réforme du nouveau prêt à taux zéro (PTZ plus) et la suppression des aides à l’investissement locatif qui devraient disparaître en janvier 2013.

Une autre mesure du plan d’austérité concerne la hausse du taux de TVA réduit de 5,5 % à 7 % pour un certain nombre de produits et services (hôtellerie, restauration hors cantines scolaires, travaux de rénovation dans les locaux d’habitation, titres de transports en commun, produits culturels et produits à usage agricole). Cette mesure devrait rapporter 1,8 milliards d’euros en 2012. A l’exception des services de transport, la part de la consommation de ces produits dans le revenu augmente avec le niveau de vie (graphique 1).  En effet, hors services de transports, la part de ces produits dans le revenu des ménages représente 7,5 % du Revenu disponible brut (RDB) du 1er décile contre 16,5 % du RDB pour le dernier décile. En revanche, la part des services de transport représente 2,8 % du RDB du premier décile contre 1,6 % du RDB du dernier décile (il représente seulement 1,2 % du RDB du 8e décile et augmente pour les deux derniers déciles en raison de la hausse de la propension marginale à consommer du transport aérien). Cela pose donc la question de savoir si les services de transport doivent être concernés par la hausse de taux de TVA réduit en raison de son effet anti-redistributif mais aussi pour les avantages écologiques qu’ils procurent.

 

 

Ce plan prévoyait une augmentation du taux de prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % à 24 % sur les dividendes et intérêts, ce qui devrait permettre une hausse des recettes fiscales de 0,6 milliard en 2012. Mais finalement, dans le cadre de la loi de finances rectificative, le gouvernement est revenu sur sa décision portant le taux sur les dividendes à 21 % (contre 24 % prévu initialement). Dans tous les cas, ces deux mesures concernent les contribuables assujettis aux deux dernières tranches  de l’IRPP (30 % et 41 %), qui se situent donc en haut de l’échelle des revenus. Cela permet de rapprocher la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail. En revanche, les plus-values immobilières et mobilières restent taxées à 19 %, ce qui va créer une distorsion fiscale entre les gains en capital et les revenus du capital, les investisseurs étant incités à encaisser des plus-values plutôt que de recevoir un revenu équivalent sous forme de dividendes ou d’intérêts.

Enfin, la seule mesure fiscale du plan d’austérité qui concerne directement les entreprises est la surtaxe temporaire de 5 % sur les bénéfices des sociétés des entreprises dépassant 250 millions de chiffre d’affaires en 2012 et 2013. Cette mesure doit rapporter 1,1 milliard d’euros en 2012 et 2013 aux caisses de l’Etat et concernerait environ 2000 groupes. Or, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les grands groupes (de plus de 2000 salariés) ont un taux implicite de seulement 13 %. La mesure est donc justifiée mais cette surtaxe devrait s’accompagner d’une réforme de l’optimisation fiscale afin d’éviter que la hausse de la taxe ne porte que sur les entreprises qui délocalisent le moins leurs profits par le jeu des prix de transferts.

Désormais, le gouvernement est confronté à des choix budgétaires cornéliens : soit il décide d’aller beaucoup plus loin dans la rigueur de façon à respecter ses engagements budgétaires (pour atteindre 4,5 % du PIB de déficit public en 2012, le gouvernement doit faire encore un effort supplémentaire de rigueur proche de 30 milliards d’euros, ce qui porterait l’austérité budgétaire totale à 63 milliards d’euros pour 2012), ce qui conduirait à plonger automatiquement le pays dans une profonde récession. Soit il renonce à de nouveaux plans d’austérité pour éviter que le pays ne s’enfonce dans la récession mais, dans ce cas, il s’expose à la foudre des marchés financiers.  Dans tous les cas, ces deux stratégies ne garantissent pas de conserver le AAA sur notre dette publique. La raison économique invite donc à choisir  la  politique qui est la mieux adaptée à la situation économique actuelle, c’est-à-dire celle qui consiste à ne pas renforcer la rigueur quand l’économie risque d’entrer en récession. Par ailleurs, seule une remise en cause au niveau européen de la stratégie budgétaire actuelle, de façon à rendre soutenable économiquement et socialement le rééquilibrage des finances publiques à moyen terme, permettrait d’amorcer une perspective de sortie de crise.  Cette stratégie qui vise à renouer avec la croissance est envisageable uniquement si la BCE annonce clairement qu’elle joue le rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro de façon à éviter la spéculation sur les dettes souveraines et stopper le risque de contagion.

 

 




Des politiques budgétaires restrictives à contretemps

par Sabine Le Bayon

La réduction des déficits publics doit-elle être aujourd’hui la priorité des gouvernements ?

La contrainte que font peser le Pacte de stabilité et surtout les marchés financiers sur les pays européens ne leur a guère laissé le choix. Or, si la question de la soutenabilité de la dette publique ne peut être éludée, il faut aussi tenir compte de l’impact récessif des politiques d’austérité sur l’activité, particulièrement en période de reprise. Une large majorité d’études concluent en effet à un multiplicateur positif, c’est-à-dire qu’un point de restriction (expansion) budgétaire  se traduit par une baisse (hausse) de l’activité. De plus, des études ont mis en avant l’importance du timing d’une politique budgétaire pour maximiser son efficacité : son impact sur la croissance et sur le solde public (via sa composante conjoncturelle) dépend en effet de l’accompagnement ou non de la politique monétaire, de la politique budgétaire menée dans les autres pays, de la phase du cycle conjoncturel, …

Une consolidation budgétaire a par exemple moins d’impact sur l’activité quand elle s’accompagne d’une détente de la politique monétaire et d’une dépréciation de la monnaie. Mais quand les taux d’intérêt sont déjà proches de zéro (ou dans le cas d’une trappe à liquidité), l’impact de la restriction budgétaire n’est pas amorti par la baisse des taux directeurs. Comme la Banque centrale ne peut pas contrer la désinflation, les taux d’intérêt réels augmentent, ce qui amplifie la chute de l’activité. Par ailleurs, quand la rigueur est généralisée, le taux de change ne peut pas être un mécanisme de soutien à l’activité pour toutes les zones. Ceci est vrai aussi quand une politique restrictive est menée au sein d’une union monétaire où les pays commercent essentiellement entre eux. Ainsi, selon le FMI, l’impact sur la croissance d’une restriction budgétaire de 1 point de PIB varie entre 0,5 et 2 % selon la synchronisation ou non de l’austérité et la réponse de la politique monétaire (tableau 1). In fine, cet impact sur la croissance se répercute sur la situation des finances publiques. Quand la politique monétaire peut contrecarrer les effets récessifs de la politique budgétaire, une restriction isolée de 1 point de PIB réduit l’activité de 0,5 % après deux ans. La dégradation du solde conjoncturel atteint alors 0,25 point de PIB et le solde s’améliore in fine de 0,75 point. Quand les taux d’intérêt sont proches de zéro, un point d’impulsion budgétaire négative dans un pays réduit la croissance d’un point et dégrade le solde conjoncturel de 0,5 point, induisant une amélioration du solde de 0,5 point de PIB seulement. Enfin, quand on cumule trappe à liquidité (ou taux nuls) et restriction généralisée, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB réduit la croissance de 2 points, car ni la politique monétaire ni le taux de change ne peuvent atténuer l’impact de la rigueur. Ceci creuse le solde conjoncturel d’un point et il n’y a donc pas d’amélioration du solde public malgré un effort structurel d’un point.

 

Par ailleurs, la position de l’économie dans le cycle économique influe sur les multiplicateurs. Ainsi, ces derniers sont amplifiés en bas de cycle : une politique de rigueur accentue les tendances déflationnistes à l’œuvre, ce qui amplifie la baisse de la demande et donc l’impact sur l’activité. En revanche, en haut de cycle, les effets désinflationnistes de l’austérité contrecarrent la tendance inflationniste usuelle à cette phase, ce qui réduit le multiplicateur. Selon Creel, Heyer et Plane, à l’horizon d’un an, et selon les instruments de politique économique utilisés, le multiplicateur est compris entre 1 et 1,3 point quand l’économie est en bas de cycle (on suppose un écart de production de -2%); il est compris entre 0,8 et 1,2 point en milieu de cycle (l’écart de production nul) et en haut de cycle (pour un écart de production de 2 %). A 5 ans, l’effet est plus fort encore : entre 1 et 1,6 point en bas de cycle, entre 0,6 et 1,3 en milieu de cycle et entre 0 et 1,2 en haut de cycle. Ainsi, lorsque l’écart de production est négatif, les politiques de consolidation budgétaire sont peu efficaces, car elles entraînent une baisse du PIB importante par rapport au scénario sans restriction, ce qui limite les gains budgétaires attendus de l’austérité.

Aujourd’hui tous les éléments sont réunis pour que les politiques de rigueur entraînent un ralentissement important de la croissance et que le déficit se résorbe peu, en particulier dans la zone euro. C’est pourquoi nous avons cherché à évaluer l’impact indirect, pour la France et les grands pays développés, de l’austérité mise en place chez leurs partenaires commerciaux, en plus de l’effet direct lié aux plans nationaux. L’impact d’une restriction budgétaire (dans un pays A) sur la demande adressée de ses partenaires (B) dépend de l’élasticité des importations au PIB du pays A mais aussi du degré d’ouverture et de l’orientation géographique des exportations des pays B. Dans le cas de la France, pour un multiplicateur national de 0,5, le multiplicateur total est de 0,7, une fois la restriction des partenaires prise en compte via le commerce extérieur ; pour un multiplicateur national de 1, le multiplicateur total est de 1,5.

En nous appuyant sur les impulsions budgétaires prévues dans les différents pays, nous obtenons un impact des plans étrangers sur l’activité nationale compris entre -0,1 et -0,7 point en 2012 selon le degré d’ouverture des pays et l’orientation de leur commerce (tableau 2). Pour la France, la restriction de ses partenaires commerciaux amputera la croissance de 0,7 point en 2012, soit presque autant que le plan d’économies mis en place par le gouvernement (1 point). En Allemagne, l’impact des plans de restriction étrangers sur le PIB est proche de celui calculé pour la France : même si le pays est plus ouvert, il commerce moins que la France avec le reste de la zone euro, et bénéficie davantage par exemple du plan de relance des Etats-Unis en 2012. Dans les autres pays de la zone euro, les mesures de restrictions étrangères auront un impact du même ordre (0,6 point). Aux États-Unis, les effets du plan de relance seront affaiblis du fait de l’austérité menée ailleurs : alors que l’effet direct de la relance sur le PIB sera de 0,7 point, la demande adressée amputera la croissance de 0,2 point, limitant l’impact expansionniste de la politique budgétaire. Le ralentissement plus fort qu’attendu de la croissance risque de rendre caducs les objectifs de réduction du déficit public. Avec nos hypothèses de multiplicateurs nationaux compris entre 0,6 et 0,9, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB dans l’ensemble des pays de l’Union européenne ne réduit en effet le déficit que de 0,4 à 0,6 point de PIB dans chacun des pays, une fois la restriction des partenaires commerciaux prise en compte.

Ce texte fait référence à l’étude sur la politique budgétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




A quels nouveaux plans de rigueur européens doit-on s’attendre en 2012 ?

par Eric Heyer

Afin de respecter les engagements français vis-à-vis de Bruxelles d’un déficit des APU de 4,5 % du PIB en 2012, le Premier ministre français, François Fillon, vient d’annoncer un nouveau plan de restriction budgétaire de 7 milliards d’euros. Ce plan, annoncé le 7 novembre, sera-t-il suffisant ? Certainement pas ! Alors à quels nouveaux plans de rigueur doit-on s’attendre dans les mois à venir et quelle incidence auront-ils sur la croissance en 2012 ?

Début octobre 2011, nous indiquions dans notre dossier de prévisions , entre autres choses, qu’à projets de lois de finance connus et votés, aucun grands pays européens ne respecterait ses engagements de réduction de déficit.

Cela sera notamment le cas pour l’Italie et le Royaume-Uni qui pourraient être confrontés à un écart compris entre 1,5 et 2 points entre le déficit public final et leur engagement. Dans le cas de la France et de l’Espagne, l’écart serait respectivement de 0,6 et 0,7 point. Seule l’Allemagne serait très proche de ses engagements (tableau 2).

Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît probable : dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette.

Cela nécessitera alors l’adoption de nouveaux plans d’austérité dans les mois à venir. Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité. En effet, comme nous l’avons signalé dans une étude récente , la mise en place dans un contexte de basse conjoncture de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » concourt à la formation d’un multiplicateur fort, proche de l’unité.

A combien de milliards d’euros s’élèveront les prochains plans d’économies budgétaires ? Quelles incidences auront-ils sur la croissance économique ? Plusieurs cas de figure ont été étudiés.

Cas n°1 : Chacun des pays respecte seul son engagement
De manière à isoler l’impact sur la croissance du plan d’économies national et de ceux des partenaires, nous avons supposé que chaque pays respecte, seul, son engagement. Sous cette hypothèse, l’effort serait considérable en Italie et au Royaume-Uni qui présenteraient de nouveaux plans de rigueur de respectivement 3,5 et 2,8 points de leur PIB (soit 56 et 48,7 milliards d’euros). La France et l’Espagne devraient mettre en œuvre un plan de rigueur deux à trois fois inférieur, d’environ 1,2 point de PIB, représentant respectivement 27 et 12,1 milliards d’euros. Enfin le plan d’économies allemand serait le plus faible, avec 0,3 point de PIB (7 milliards d’euros) (tableau 1).

Ces différents plans de rigueur nationaux, pris isolément, auraient un impact non négligeable sur la croissance des pays étudiés. A l’exception de l’Allemagne qui continuerait à avoir une croissance positive en 2012 (0,9 %), une telle stratégie plongerait les autres économies dans une nouvelle récession en 2012, avec un recul de leur PIB allant de -0,1 % pour l’Espagne à -2,9 % pour l’Italie. La France connaîtrait une baisse de son activité de -0,5 % et l’économie britannique de -1,9 %( tableau 2).

Cas n°2 : Tous les pays de l’Union européenne respectent leur engagement

Bien entendu, si l’ensemble des grands pays européens venaient à adopter la même stratégie en même temps, alors l’effort d’économie serait supérieur. Il s’élèverait à près de 64 milliards d’euros en Italie et de 55 milliards d’euros au Royaume-Uni, représentant respectivement 4 et 3,2 points de PIB. Cet effort supplémentaire serait d’environ 2,0 points de PIB pour la France et l’Espagne (respectivement 39,8 et 19,6 milliards d’euros) et de 0,9 point de PIB pour l’Allemagne (22,3 milliards d’euros). Au total sur ces 5 pays étudiés, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 200 milliards d’euros en 2012.

Le choc sur l’activité de ces pays serait alors puissant : il provoquerait en 2012 une récession violente pour certains pays avec une baisse du PIB de 3,9 % en Italie (contre -5,1 % en 2009), de 2,6 % au Royaume-Uni (contre -4,9 % en 2009). La récession serait proche en France (-1,7 %) et en Espagne (-1,5 %) alors que le PIB allemand baisserait légèrement (-0,3 %).

Cas n°3 : Seuls les pays de la zone euro respectent leur engagement

Le Royaume-Uni ayant déjà mis en place un plan de rigueur important, et compte tenu du fait que leur contrainte en termes de déficit est plus souple que celle des pays de la zone euro, nous avons supposé que seuls les grands pays de la zone euro respectaient leurs engagements de déficit public. Dans ces conditions, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 130 milliards d’euros en 2012 dont près de la moitié serait du seul fait de l’Italie (61,7 milliards).

Le choc récessif serait alors concentré sur la zone euro avec une récession dans tous les pays étudiés à l’exception de l’Allemagne (0,1 %). L’économie britannique éviterait un nouvel épisode récessif (0,5 %) mais elle ne remplirait pas son objectif de déficit public fixé à 6,5 points de PIB, puisque ce dernier s’établirait à 8,2 points de PIB.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.




Le Sommet du G20 de Cannes : chronique d’une déception annoncée ?

par Jérôme Creel et Francesco Saraceno

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Trop longue, trop technique, la déclaration finale d’action collective du Sommet du G20 à Cannes montre qu’aucune vision claire et partagée des turbulences économiques et financières qui secouent l’économie mondiale ne s’est dégagée lors du Sommet. Et Sénèque de nous rappeler que la déception aurait été moins pénible si l’on ne s’était pas d’avance promis le succès.

Après les annonces officielles, la déception était palpable à l’issue d’un sommet du G20 au cours duquel aucune avancée significative n’a été réalisée pour les dossiers les plus importants du moment, la relance de la croissance notamment. Les questions agricoles et financières, cruciales elles aussi, n’ont donné lieu qu’à des déclarations d’intention, avec le rappel pour ces dernières des engagements pris… en 2008 ! Cette déception doit être cependant relativisée car le G20 est principalement une instance de discussion plutôt que de décision. Que reste-t-il en effet des engagements pris par le G20 de Londres d’avril 2009 en pleine récession mondiale ? Les politiques budgétaires expansionnistes ? Oubliées, sous l’effet de l’endettement public qu’elles ont produit, endettement qui, soit dit en passant, était parfaitement prévisible. La régulation financière renforcée ? Ressassée, mais point encore mise en œuvre, malgré la détermination affichée à Paris les 14 et 15 octobre 2011. La volonté d’échapper au protectionnisme ? A peine mentionnée, elle n’aura d’ailleurs pas empêché la constitution de 36 cas de différends commerciaux portés auprès de l’OMC, dont 14 impliquant la Chine, l’UE et/ou les Etats-Unis. Il ne reste plus que les politiques monétaires, « expansionnistes aussi longtemps que nécessaire » dans les déclarations préalables au Sommet. Le sort du système monétaire international ne dépend-il que du bon vouloir des banquiers centraux, indépendants de surcroît ?

La réunion a en outre été perturbée par la crise qui secoue la zone euro, qui a quasiment effacé de l’agenda des dossiers importants comme cette réapparition du protectionnisme, reléguée aux paragraphes 65 à 68 d’un document en comportant 95. A Cannes les pays émergents et les Etats-Unis ont été spectateurs d’un drame qui se déroulait entre Paris, Berlin, Rome et Athènes.

Cette crise qui secoue la zone euro découle de l’hétérogénéité des pays qui la constituent, comme la crise financière déclenchée en 2007 fut causée, outre l’absence de réglementation financière, par l’hétérogénéité croissante entre pays mercantiles et pays supposés être les eldorados de l’investissement, d’un côté la Chine et l’Allemagne, de l’autre, les Etats-Unis et l’Irlande. L’hétérogénéité européenne, l’une des quatre déficiences de la zone euro, a conduit les pays disposant d’un excédent de leur balance des comptes courants à financer les pays en situation de déficit. Seule et avec la priorité donnée à la lutte contre l’inflation que le Traité de l’UE lui a imposée, la BCE est impuissante à renforcer la convergence au sein de la zone euro. Cependant, à court terme elle peut mettre fin à la crise de l’euro en acceptant d’apporter une garantie intégrale sur les dettes publiques de la zone euro (voir [1], [2] ou [3]), et en augmentant sensiblement ses acquisitions de titres de dette publique européenne. Ceci préserverait la stabilité financière européenne et engendrerait peut-être des anticipations inflationnistes, contribuant ainsi à sortir l’économie européenne de la trappe à liquidité dans laquelle elle se trouve depuis le début de la crise financière. Notons que malgré son activisme, la Réserve fédérale américaine n’a pas jusque-là réussi à engendrer de telles anticipations et reste engluée dans une même trappe à liquidités.

A plus longue échéance, il convient de revoir la gouvernance économique européenne. L’usage actif des politiques économiques aux Etats-Unis et en Chine contraste avec la prudence affichée par la BCE et avec les réticences européennes à mener des politiques budgétaires expansionnistes, et plus généralement avec le choix de bâtir la gouvernance économique européenne sur le refus des politiques discrétionnaires. Ainsi serait-il souhaitable que, tout en préservant son indépendance, la BCE puisse poursuivre un double mandat d’inflation et de croissance, et que les règles qui disciplinent la politique budgétaire soient plus « intelligentes » et flexibles.

Donner aux autorités de politique économique la possibilité de mener des politiques discrétionnaires ne doit pas faire oublier le risque de manque de concertation, qui peut amener le Congrès américain à menacer unilatéralement de taxes compensatoires les marchandises importées de pays dont la monnaie serait sous-évaluée. Une telle volonté fait resurgir le spectre du protectionnisme, et les pays du G20 devraient envisager un mécanisme pour coordonner les politiques, et éviter ainsi des guerres commerciales plus ou moins explicitement déclarées.

En outre, une guerre des monnaies ne semble pas une façon efficace de protéger nos économies : la sous- ou surévaluation d’une monnaie est un concept complexe à appliquer, et l’incidence de la valeur d’une devise sur les exportations et importations est rendue très incertaine par la fragmentation internationale de la production de marchandises et de services. A une politique défensive, il vaut donc sans aucun doute mieux substituer une politique industrielle active, permettant de tirer profit de nouvelles niches technologiques créatrices d’activités et d’emplois.

Au final, pour que les mots aient un sens concret – pour « engendrer la confiance et la croissance » dans les économies avancées et « soutenir la croissance en contenant les pressions inflationnistes » dans les économies émergentes (Communiqué du G20, Paris, 14-15 octobre 2011) -, il faut remettre en cause la « contagion des contractions budgétaires » qui secoue aujourd’hui la zone euro et, plutôt qu’une phase supplémentaire de rigueur, mettre à l’ordre du jour des plans de relance dans les économies avancées pendant que les taux d’intérêt sont encore bas. Ces plans doivent être ciblés pour engendrer de la croissance et ne pas mettre en péril la solvabilité des finances publiques : il faut donc favoriser les investissements publics. Ils doivent être coordonnés entre eux pour en maximiser l’impact global, mais aussi avec l’action des banques centrales, afin que celles-ci les accompagnent par le maintien de taux d’intérêt bas. Le Sommet de novembre 2011 arrivait à point nommé pour qu’une telle concertation émerge. Il n’en fut malheureusement rien.




Retrouver la confiance dans l’euro : trois urgences

par Jérôme Creel

Dans une communication devant la Commission ECON du Parlement européen, lundi 17 octobre 2011, à propos de la gouvernance économique européenne, trois urgences sont recensées pour sauver l’euro et améliorer sa gestion.

Sauver l’euro sans délai supplémentaire est la priorité : pour cela, il faut doter suffisamment le FESF et requérir de la BCE qu’elle poursuive ses interventions sur les marchés d’obligations publiques, afin que se résorbe l’écart entre les taux longs des pays périphériques et ceux des pays du coeur de la zone euro (Allemagne, France, Pays-Bas), où les seconds baissent, au bénéfice donc de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas, tandis que les premiers augmentent et font peser un lourd fardeau sur les finances publiques de la Grèce, certes, mais aussi du Portugal et de l’Espagne.

Deuxièmement, il faut appliquer au plus vite les nouvelles dispositions législatives  modifiant le Pacte de Stabilité et de Croissance et créant un dispositif symétrique de surveillance des déséquilibres macroéconomiques. Cette seconde priorité est urgente, elle aussi : elle doit permettre à la zone euro d’échapper à l’avenir à une nouvelle crise, du moins de s’en prémunir par des instruments et une surveillance adéquats. Dans ce cadre, le Parlement européen est invité à “contrôler les contrôleurs” afin que la confiance des Européens dans leurs institutions s’améliore sensiblement.

Enfin, il faut s’assurer du bon fonctionnement de la gouvernance européenne. Rien n’est perdu, des règles intelligentes existent : elles  doivent être appliquées après concertation. Le ciblage d’inflation pour le versant monétaire et l’authentique règle d’or des finances publiques pour le versant budgétaire doivent émerger.

Communication devant la Commission ECON, Parlement européen, 17 octobre 2011

Without trust, no thrust: some reflections on the new EU agenda for policy reforms (first version here)

Dear Madame Chair,

Dear Honorable Members,

After almost two years of European turmoil related to the bad management of public finances in a few Eurozone countries, and more than four years after a deep worldwide crisis, time is certainly ripe for reaching European solutions to cure the crisis. Two emergencies are at stake: first, stopping distrust’s contagion vis-à-vis Eurozone members; second, stopping misbehaviors’ contagion among Eurozone members in the future. By the way, this second emergency certainly necessitates a separation between two periods: the short run and the longer run.

1. Short run emergency 1: improving trust in the Euro

In order to cope with the first emergency, Eurozone countries need a more automatic solidarity mechanism. There have been different options discussed and implemented so far at the Eurozone level, from the EFSF (then future ESM) to Eurobonds, or the intervention of the ECB on secondary markets. They all need to be enforced and implemented as soon as possible without limitations, otherwise discrepancies in long-term yields on public bonds will continue to grow across Eurozone members, at the expense of countries with twin deficits and at the benefit of countries which are closer to twin balance. Without strong automatic interventions, Eurozone countries take the risk of feeding distrust in their ability to support the Euro. The consequence might be distrust in the future of the Euro, distrust in the future of the EU project.

2. Short run emergency 2: enforcing the “6-pack” with improvement in its democratic content

In order to cope with the second emergency, the European Commission, the President H. van Rompuy and the European Parliament have dealt with the EU governance of the near future through a “6-pack” of legislative amendments which were adopted on 25 September 2011.

A major step has been made in the good direction: macro imbalances are no longer automatically related to deficits as they may also refer to surpluses; and a macro imbalance can be considered “excessive” only to the extent that it “jeopardizes or risks jeopardizing the proper functioning of the EMU”. This is clear understanding that provided Eurozone countries are primarily partners rather than competitors, their trade links shall not be automatically confounded with risky imbalances for they do not impinge on the common currency, the Euro.

The “6-pack” also deals with the better enforcement of the Stability and Growth Pact, introducing earlier sanctions, and a more comprehensive fiscal surveillance framework. This is certainly necessary to make sure that the risk of moral hazard in the Eurozone is reduced to a minimum. However, the overall ‘6-pack’ must pass beforehand criteria for the effectiveness of a fiscal rule.

There have been different ways to assess reform proposals for economic policies. A well-known and convenient one is a set of criteria first developed by George Kopits and Steven Symansky at a time when both were working at the IMF. According to them, a fiscal rule is effective if it is well-defined, transparent, simple, flexible, adequate relative to goal, enforceable, consistent and efficient. In an amendment by the European Parliament related to macro imbalances, one can read that the indicators in the scoreboard must be relevant, practical, simple, measurable and available; moreover, flexibility is advocated in the assessment of macro imbalances. The Kopits-Symansky criteria are thus still relevant, and only their seventh criterion, consistency, seems to have been forgotten from the list. Does it reveal that through the current reform proposals, no one wishes to deal with monetary policy, which consistency with fiscal policies might well be assessed, and the other way round?

I have written elsewhere my own views on Kopits and Symansky’s set of criteria (Creel, 2003; Creel and Saraceno, 2010), but I think I need to insist on the simplicity one. I fear the existence of a so-called “simplicity” criterion when complex problems are arising. For instance, a strong public deficit may be due to ‘bad times’ (recession, slow GDP growth), interest rates hikes, wrong policies, a non-existing tax system, etc. A simple rule cannot handle the multiplicity of the causes for a deficit. I also fear that such a criterion is simply disrespectful towards the people: well-informed people can certainly approve complex rules if they believe that those who implement them target the common interest.

It leads me to propose that the “simplicity” criterion is changed into a “democratic” criterion. That change would not be substantial as regards Kopits and Symansky’s justification of their criterion: simplicity is required, they say, to enhance the appeal of the rule to the legislature and to the public. Changing “simplicity” into “democratic” would thus be consistent with their view. It would add two advantages. First, there would be no need to target simple or simplistic rules, if more complex ones are required. Second, to enhance their appeal to the public, these rules should be endorsed and monitored by a Parliament: as their members are the representatives of the public, the latter would be fully informed of the nature and properties of the rule.

What would be the main consequences of assessing reform proposals through the lens of democratic content in the current context? First, the now-complex setting of fiscal rules in the EU, under the amendments of 25 September 2011, is well-defined but it is no longer simple. That should not lead us to assume that these rules will not be efficient. Second, if all European authorities, including the European Parliament, approved a stricter surveillance mechanism for fiscal policies, macro imbalances, and employment guidelines, control over the misbehaving countries should be shared with all these authorities, hence also including the European Parliament. The implication of the latter, with that of the European Council, would enhance the appropriation of rules by the public, and the trust of the public in their institutions. Third, another consequence would be that automaticity in sanctions should not be an option for automaticity is contradictory with the essence of a democracy: contradictory debates.

Are the current reform proposals respecting the “democratic” criterion? The implication of the EP in these reforms already calls for a positive answer. Nevertheless, the implication of the EP in “checking the checkers” is necessary to achieve a definite positive answer. This implication might be very productive in reassessing the effectiveness of the policies which are undertaken in a country where suspicion of misbehavior is developing. The implication of the Economic Dialogue and the European Semester should also be used to improve trust in the EU institutions and the Eurozone governments, with due respect to the subsidiarity principle. Sharing information, analyses, data should be viewed by all partners as a way to achieve cooperation, keeping in mind that John Nash showed through his solutions that cooperative equilibria always lead to a win-win situation.

“Checking the checkers”, as I mentioned above, involves an informed assessment of the effectiveness of fiscal policies. Such an assessment is not dealt with in the current Stability and Growth Pact. During the procedure of fiscal surveillance, and before sanctioning a country, it is of the highest priority to gauge the effectiveness of a fiscal policy which has led to higher deficits and debts.

Discussions about fiscal policies are usually very pessimistic nowadays, as far as their effectiveness is concerned, but those endorsing these discussions take the risk that the people have finally no trust in their governments, for they are said to follow the wrong policies, and in the European institutions that are not able to stop these policies.

It may be useful to recall (once again?) that a consensus exists in the economic literature about the sign of the fiscal multiplier: it is positive. And because of that, the Chinese, US, German, French, etc. governments decided to increase their deficits through discretionary policies during the worldwide crisis: these governments were conscious that their policies were helpful. Why shouldn’t they during other ‘bad times’? Why should we all think that a contagion of fiscal restrictions in the EU will help us thrust again? Good policymaking requires that policies are contingent to the economic situation (GDP growth, inflation rate, level of unemployment, etc.).

In my view, at this stage, there are two important prerequisites to a rapid improvement in the EU governance, and I do not think they require a new Treaty. We all know that at the ECB and beyond, some argue that political pressures led this institution to buy public bonds, in contrast, they add, with the EU Treaty. Its independence would have been at stake. For this reason, the first prerequisite is in recalling the independence and mission of the ECB. The ECB is a young institution and it needs confidence in itself, as a teenager does. Once definitely adult, after full confidence is reached, the ECB will not fear coordination or cooperation with governments and the EP that fully respect its independence but may wish to improve the consistency of their policies with its.

The second prerequisite is in recalling the objectives of the EU, growth and stability, and in admitting that there is not a single way to achieve these objectives, for countries are still so different within the EU, even within the Eurozone. The ‘one size fits all’ is no longer an option, hence the necessity to complement fiscal rules with an assessment of macro imbalances and with regular, transparent, and democratically-controlled assessments of the relevance of the underlying analyses by governments on the one hand, and controllers on the other. There is a strong role for the EP in acknowledging and managing this no ‘one size fits all’ way of dealing with fiscal rules.

3. Longer run emergency 2: more intelligent rules?

In the longer run, if improvements by the ECB in cooperating with governments have not materialized, a binding commitment to follow a cooperative behavior could be included in the statutes of the ECB. A change in its statutes might also be considered, with a view to adopting, for instance, a dual mandate similar to that of the Fed. That way, it would be clear that “if 5% inflation would have (Central bankers’) hair on fire, so should 9% unemployment” (Ch. Evans, 2011). Another possibility would be to urge the ECB to implement full inflation targeting. That would require the ECB to make public its forecasts and minutes of decisions, thus enhancing information and potentially influencing the private sector.

Lastly, the most important debate on fiscal policymaking is in wondering what governments are doing with tax and spending, and how they finance them. The European Semester and the monitoring of indicators of macro imbalances certainly go in the good direction, but rather than a global view on the evolution of deficits and debts, Eurozone countries should think about circumscribing the good and bad parts of taxes and spending and make sure they all target the good policy, at their benefit and at the benefit of others. Of course, this is not an easy task, but it is a task that would make the EU fiscal rules ever more “intelligent”.

Having common objectives within Europe 2020, it could be thought of having common tools to reach them: a higher EU budget? Or an authentic but modified golden rule of public finance where some expenditures proved to be productive, with the agreement of all EU member states, would be left out of the scope of binding rules? That is not the hot topic of the day, but had it been before the SGP reform of 2005 that the stability of the Eurozone might not have been at stake the way it has been since the worldwide crisis.

I thank you for your attention.

 




France : austérité consolidée

par Eric Heyer

Les pays européens se sont engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques plus équilibrées (déficit des APU en dessous de 3 points de PIB). Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît plus probable : dans un contexte financier incertain, être le seul Etat à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières (dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains, prime de risque). Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité.

Après avoir revu à la baisse, en août dernier, sa prévision de croissance pour 2012, passant de 2,25 % à 1,75 %, le gouvernement français a décidé de mettre en place un nouveau plan d’austérité afin de pouvoir respecter son engagement d’un déficit de 4,5 points de PIB en 2012. Ce plan de 11 milliards d’euros d’économie vient s’ajouter au plan initial voté il y a un an et devrait amputer directement la croissance de 1 point de PIB l’année prochaine. D’autres pays ont également réajusté à la hausse leur plan de rigueur : c’est le cas notamment de l’Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et de l’Espagne qui s’impose maintenant la plus forte cure d’austérité des grands pays européens (tableau).

 

La prise en compte de ces nouvelles mesures restrictives, qu’elles soient nationales ou appliquées chez nos pays partenaires, nous a conduits à revoir significativement nos prévisions de croissance pour l’économie française en 2012. En se cantonnant aux seuls pays européens, qui sont par ailleurs nos principaux partenaires commerciaux, la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 6 derniers mois nous a conduits à rabaisser de 0,7 point notre prévision de croissance pour 2012 réalisée en avril dernier pour l’économie française.

Cette stratégie de fort désendettement public nécessiterait un relais puissant de la part de la demande privée afin de ne pas briser l’élan de la reprise intervenu en 2010. Mais cet espoir apparaît fragile face aux nombreuses incertitudes pesant sur la dynamique interne.

Au total, l’économie française devrait croître, en moyenne annuelle, de 1,6 % en 2011 et de 0,8 % en 2012. En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation du marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement au cours des six prochains trimestres,  pour s’établir à  9,3 % fin 2011 et à 9,7 % fin 2012, après 9,1 % au deuxième trimestre 2010.

Par ailleurs, le gain budgétaire, attendu par le gouvernement, de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 4,5 % de PIB en 2012 – sera en partie rogné par le manque à gagner du côté des recettes fiscales en lien avec cette faible croissance. Le déficit des administrations publiques devrait s’établir respectivement à 5,8 % du PIB et 5,2 % en 2011 et 2012, après 7,1 % en 2010, portant la dette publique à 85,6 % du PIB en 2011 et à 89 % en 2012, contre 82,3 % en 2010.




Retour en enfer ?

par Xavier Timbeau

A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012

Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.

La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).

Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer.  Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.

Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions  budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.

Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.

Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.




Pourquoi les pays développés doivent renoncer à leur AAA

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Par essence, les Etats à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : en effet, quelle logique y-a-t-il à voir des agences de notation noter un Etat dont le défaut est rendu impossible par sa capacité à créer sa propre monnaie ? Pour éviter la dépendance envers ces agences de notation et mettre fin à la crise qui sévit en Europe, les Etats membres de la zone euro doivent retrouver leur souveraineté monétaire par la garantie conjointe quasi-intégrale des dettes publiques. 

Depuis 1945, aucun pays développé n’a fait défaut sur sa dette publique. Celle-ci était sans risque, puisque les Etats s’endettaient dans leur propre monnaie et pouvaient toujours se financer auprès de leur banque centrale. Les pays développés jouissaient de la « souveraineté monétaire ». C’est toujours le cas aujourd’hui pour le Japon (qui s’endette à 10 ans à 1% malgré une dette de 210% du PIB), les Etats-Unis (qui s’endettent à 2% avec une dette de 98% du PIB), le Royaume-Uni (qui s’endette à 2,5% pour une dette de 86% du PIB).

Les banques et les assurances ne peuvent fonctionner si elles ne disposent pas d’un actif sans risque et si elles doivent se garantir contre la faillite de leur propre État, ce qui est bien sûr impossible : les montants en jeu sont énormes et les titres publics servent de garantie aux activités bancaires et d’assurances. Les banques et les assurances ne peuvent accumuler suffisamment de fonds propres pour résister à la faillite de leur pays ou de plusieurs pays de la zone euro. Cette exigence, on le voit aujourd’hui, avec la crise des dettes publiques de la zone euro, mène à la paralysie générale du système bancaire.

Il est foncièrement absurde que les agences de notation notent un État à souveraineté monétaire, comme si son défaut était une possibilité à envisager. Les États à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : par essence, leur dette est sans risque puisqu’elle est garantie par le pouvoir de création monétaire de leur banque centrale.

Les pays de la zone euro ont perdu leur « souveraineté monétaire » : selon le Traité de l’Union européenne, la BCE n’a pas le droit de financer les États ; les États membres ne sont pas solidaires. Les marchés financiers s’en sont aperçus à la mi-2009. Du coup, une spéculation incontrôlable s’est déclenchée sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Portugal, Irlande, ceux qui avaient connu la plus forte croissance avant la crise, mais qui vont devoir changer leur modèle de croissance ; puis, par effet de domino, sur l’Italie, l’Espagne et même la Belgique. Aujourd’hui, la Belgique doit payer un taux d’intérêt de 3,8 %, l’Espagne de 5,2 % et l’Italie de 5,6 % contre 2,6% pour la France, et même 1,8% pour l’Allemagne. La Grèce, l’Irlande, le Portugal sont ramenés dans la situation des pays en développement de jadis : leurs dettes sont devenues des actifs risqués qui subissent d’importantes primes de risque ; ils doivent passer sous les fourches caudines du FMI.

Ce jeu des marchés financiers risque de paralyser complètement la politique budgétaire. Lorsqu’un pays dispose de la souveraineté monétaire, en période de récession, la banque centrale peut diminuer au maximum son taux d’intérêt et s’engager, si nécessaire, à le maintenir durablement bas ; l’Etat augmente son déficit mais le bas niveau des taux d’intérêt évite que la dette publique ne fasse boule de neige ; il provoque une baisse du taux de change, qui soutient l’activité. La garantie des dettes par la création monétaire fait qu’il n’y a pas de risque de faillite, donc pas de raison de devoir en permanence rassurer les marchés. La banque centrale, en maintenant les taux longs à de bas niveaux en période de récession, garantit l’efficacité de la politique budgétaire. La politique budgétaire n’a pas à se soucier des marchés. C’est toujours la stratégie des États-Unis.

En zone euro, le risque est que demain un pays ne puisse plus augmenter son déficit de crainte que les agences ne dégradent sa notation et que ses taux d’intérêt ne s’envolent. Les pays sont donc condamnés à des concours de vertu pour apparaître aussi sages que l’Allemagne aux yeux des marchés. Ceci rend leur politique budgétaire impuissante, et donc leur conjoncture incontrôlable (voir, par exemple, L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle). La dette publique devient un facteur permanent de risque puisque les États sont à la merci des esprits animaux des marchés. Toute politique économique devrait être évaluée en tenant compte de l’opinion des marchés. Or ceux-ci n’ont pas de compétence macroéconomique particulière. Ils imposent des politiques d’austérité en période de récession, puis se plaignent du manque de croissance. C’est ce qu’ils font aujourd’hui, pour la zone euro en général, pour l’Italie et la Grèce en particulier. Ils favorisent les réformes libérales comme la réduction de la protection sociale ou celle du nombre d’enseignants. Pour que les pays conservent la capacité de réguler leur activité économique, le risque de faillite doit être nul.

La zone euro doit donc choisir entre se dissoudre ou se réformer de façon à garantir les dettes publiques des États membres, qui retrouveraient leur « souveraineté monétaire ». Les dettes publiques européennes doivent redevenir des actifs sans risques, faiblement rémunérés mais totalement garantis (par la solidarité européenne et fondamentalement par la BCE). C’est le seul moyen de maintenir l’autonomie des politiques budgétaires, qui est nécessaire compte tenu des disparités en Europe et de la perte pour chaque pays de l’instrument monétaire et de celui du taux de change.

Le fonctionnement de la zone euro n’a pas été réfléchi au moment de sa création, en particulier l’arbitrage « autonomie des politiques budgétaires/monnaie unique/souveraineté monétaire ». La garantie conjointe crée un problème d’aléa moral puisque chaque pays peut augmenter sa dette sans limite, mais une absence de garantie laisse le champ libre au jeu des marchés financiers, qui seront en permanence à l’affût. La garantie ne peut être réservée aux pays qui respectent les règles automatiques, injustifiables sur le plan économique et non respectables du Pacte de stabilité. Elle doit être automatique et totale. Pour éviter l’aléa moral, le Traité européen doit comporter un dispositif prévoyant le cas extrême où un pays pratiquerait effectivement une politique budgétaire insoutenable ; dans ce cas, la nouvelle dette de ce  pays ne serait plus garantie ; mais ceci ne doit jamais survenir.

N’ayant plus la nécessité de rassurer les marchés, les pays de la zone euro pourraient pratiquer des politiques budgétaires différenciées mais coordonnées, se donnant comme objectif principal le retour à un niveau d’emploi satisfaisant, compatible avec une inflation modérée.