Augmenter les taxes sur le tabac pour financer les retraites : choix économique ou provocation politique ?

par Vincent Touzé

Hasard de calendrier ! Alors que la journée mondiale sans tabac a eu lieu le 31 mai 2023, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a examiné le même jour une proposition de loi portée par le groupe parlementaire LIOT visant :

  • à abroger la réforme des retraites à 64 ans (article 1) ;
  • à organiser une conférence de financement avant le 31 décembre 2023 (article 2) ;
  • à compenser les pertes financière « à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs » (article 3).

Après un vote au sein de la Commission des affaires sociales qui a conduit à la suppression de l’article premier, le texte se trouve donc vidé de sa principale substance. Ce texte, dans sa version issue des travaux de la Commission, sera débattu dans l’hémicycle le 8 juin prochain. Les députés pourront ajouter des amendements, y compris la réintroduction de l’article 1. Reste à savoir si ces amendements auront l’aval de la Présidente de l’Assemblée nationale qui a la possibilité de mobiliser l’article 40 de la Constitution pour juger de leur recevabilité. En effet, cet article prévoit que les propositions de lois sont irrecevables dès lors que « leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».



L’équilibre financier du système de retraite repose en général sur le recours à trois instruments (Touzé, 2023) :

  1. Les paramètres de calcul de la pension moyenne : le législateur peut agir sur les pensions futures en modifiant les règles de calcul afin de réduire les droits ou sur les pensions déjà liquidées en sous-indexant par rapport à l’évolution de l’inflation ;
  2. La cotisation moyenne par travailleur : le législateur peut également augmenter le taux de cotisation sur les revenus du travail de façon à apporter de nouvelles ressources aux régimes de retraite ;
  3. La durée moyenne d’activité : le législateur peut encourager par un système de majoration ou de minoration de la pension ou obliger via une augmentation de l’âge minimum, le recul de l’âge de liquidation de la retraite.

Sans entrer dans les détails (Gannon, Le Garrec et Touzé, 2018), tous ces leviers ont été utilisés avec différentes intensités dans les réformes passées. Toutefois, il existe une quatrième voie possible qui est celle de l’affectation de ressources du budget général pour financer une partie des pensions versées. Cette voie de la solidarité nationale via le budget général peut trouver un fondement économique tout particulier concernant les pensions non contributives.

C’est un peu cette quatrième voie que le groupe de députés du LIOT souhaite employer dans le cadre d’une proposition de loi déposée le 25 avril 2023 et qui a pour objet principal d’abroger la dernière réforme des retraites promulguée le 14 avril 2023 à l’issue d’un recours au 49.3[1] et une validation partielle du Conseil constitutionnel.

Une lecture économique simplifiée de la proposition parlementaire de l’article 3 est que la fiscalité sur le tabac serait augmentée de façon à combler les besoins de financement du système des retraites dès lors que la conférence sociale résultant de l’article 2 échouerait et ne permettrait pas de déboucher sur l’adoption d’une loi de financement alternative à celle du passage à la retraite à 64 ans. Une lecture politique de l’article 3 est que ce dernier a été ajouté en raison de l’article 40 et que le choix de la taxation du tabac de la proposition du groupe LIOT reprend une proposition du groupe « Renaissance » concernant des « mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France ».

Le fondement économique de la fiscalité sur le tabac repose sur le concept de taxation « comportementale » des produits à risque pour la santé (Dufernez et Lapègue, 2013). La fiscalité sur le tabac est donc une taxe sur les addictions et s’assigne de facto un objectif de santé publique visant à décourager le tabagisme (Kopp, 2006). À défaut de prohiber le tabac, un prix élevé peut réduire la consommation (Besson, 2006) et la ramener à un niveau socialement acceptable tout en procurant des ressources fiscales supplémentaires pour financer le coût social notamment en soins de santé lié principalement au risque accru de mortalité et de morbidité.

La fiscalité sur le tabac comprend trois composantes : une accise sur les produits du tabac (55% du prix au détail + 0,68€ par cigarette) ; une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dite « en dedans » (environ 16,67% du prix de vente) et une remise brute versée aux débitants de tabac (rémunération d’environ 10% du prix de vente). Le prix hors taxes représente environ 4% du prix au détail.

Bien que louable du point de vue de la santé publique, la solution alternative de financer les retraites par une hausse de la fiscalité sur le tabac se heurte à plusieurs limites :

  1. À trop vouloir taxer, on peut voir la recette fiscale se réduire traduisant le fait que l’assiette fiscale diminuerait à un rythme plus rapide que le taux de prélèvement. Des taux de taxation trop élevés sur le tabac peuvent également encourager la fraude et la contrebande organisée (Dufernez et Lapègue, 2013). L’État perdrait alors des recettes fiscales tout en renonçant à sa politique de santé publique de baisse de la consommation ;
  2. L’espérance de vie des fumeurs est plus courte, ce qui signifie qu’ils bénéficient en moyenne moins longtemps de leur pension. Il en découle qu’ils coûtent moins chers aux régimes de retraite[2] ;
  3. La fiscalité du tabac est dégressive : elle frappe en proportion plus lourdement les pauvres (Ruiz et Trannoy, 2008). Les hausses devraient donc inclure également des mesures financières de compensation en faveur des bas revenus ;
  4. La masse de besoins financiers du système de retraite avant la dernière réforme est estimée à environ 15 milliards d’ici 2032, soit un montant proche des recettes fiscales actuelles sur le tabac. Cela nécessiterait donc de doubler les recettes fiscales en moins de dix ans. Est-ce réaliste ? En supposant une élasticité de la demande au prix comprise entre -0,3 et -0,5 (Dufernez et Lapègue, 2014), ce doublement de la masse de recettes impliquerait de multiplier le taux de prélèvement[3] d’un facteur compris entre 2,7 (quasi triplement du prix du tabac) et 4 (quadruplement). De telles hausses interrogent sur la capacité des douanes à contrôler les tentations de consommation des produits de contrebande dont la qualité n’est pas contrôlable, ce qui peut présenter un risque supplémentaire de santé  à acheter au-delà des frontières nationales.

En conclusion, l’article 3 qui prévoit le recours à une fiscalisation accrue du tabac pour financer les retraites, à défaut d’autres leviers, semble sur le plan économique pour le moins hasardeux quant à la capacité réelle à prélever plus d’impôt en raison d’un risque très élevé de fraude et de baisse des volumes consommés. Les taxes sur le tabac n’ont, en effet, pas un objectif de rendement fiscal mais de santé publique. L’affectation de ces recettes, par nature, limitées devrait être réservée au financement des coûts indirects du tabagisme sur la santé dès lors qu’ils sont supportés par la collectivité ainsi qu’à des politiques publiques de prévention, de sensibilisation et de sevrage. Le financement des retraites par la fiscalité de la consommation du tabac n’apparaît donc pas comme une solution économique crédible. Par voie de conséquence, cet article relève plutôt de la provocation politique pour réintroduire un débat sociétal élargi (« conférence ») sur le financement des retraites (article 2).


[1] La loi a été promulguée après le passage au Sénat. Techniquement le 49.3 a été engagé sur un texte issu d’une Commission mixte paritaire. C’est ce texte qui a été approuvé par le Sénat

[2] Un argument opposable à celui-ci est un coût global d’un fumeur pour la société très élevé au regard du bénéfice pour le régime de retraite. Kopp (2019) donne une évaluation exhaustive du coût social net et l’estime, pour l’année 2010, à environ 9 000 euros par fumeur.

[3] En notant t le taux de taxe, P le prix du tabac et Q la quantité consommée, la recette fiscale est égale à t x P x Q. On suppose également que l’élasticité de la demande Q est égale à e. Partant d’un niveau initial t0 de recettes fiscales : on a t0 x P x Qref x ((1+t0x P)-eQref est le niveau de la demande pour un prix au détail unitaire. Sachant que t0/1+t0 est proche de 1 (96% actuellement), on peut approximer 1+t0 par t0. Il en découle une recette fiscale égale à t0 x P x Qref x (t0 x P)-e. Un doublement des recettes fiscales nécessite un nouveau taux de prélèvement t1 soit tel que (t1/t0)1-e = 2. Si e = 0,3, le taux de prélèvement augmente d’un facteur égal à 21/0,7 »2,7 (hausse de 170% des prix). Si e = 0,5, le taux de prélèvement augmente d’un facteur égal à 21/0,5 = 4 (quadruplement et donc hausse de 300% des prix).




Heurs et malheurs du système universel de retraite

par André Masson (CNRS, PSE, EHESS, Chaire TDTE) et Vincent Touzé

L’année 2020 aurait dû voir
naître un système universel de retraite (SUR) à la suite de l’adoption des
projets de loi par l’Assemblée nationale le 5 mars 2020.

Le nouveau système prévu est
universel, ce qui signifie qu’il a pour vocation de remplacer les 42 régimes
actuels de retraite. Le principe de la répartition est préservé : les
cotisations prélevées sur les revenus des travailleurs financent les pensions
des retraités. Le système prévoit un socle contributif de pension à points
(chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits) et un socle solidaire avec une
garantie d’une pension minimum fixée à 85 % du SMIC net pour une carrière
complète.



Cette nouvelle organisation devait
être mise en place progressivement dès 2025. Il n’en sera rien. Le 16 mars
2020, en raison de la crise économique et sanitaire consécutive de la pandémie
de la Covid-19, le Président Macron a annoncé que la réforme était désormais
suspendue.

Pour comprendre l’avenir de cette
réforme en suspens, nous proposons de revenir sur les « heurs » et « malheurs »
de cet ambitieux projet présenté dans le Policy
brief
de l’OFCE n° 83 (https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2021/OFCEpbrief83.pdf).

Dans un premier temps, la réforme
a reçu un accueil plutôt favorable en raison d’attentes sociales fortes pour
une plus grande égalité et simplicité dans le mode d’attribution de droits à la
retraite. En 2017, la formule de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron « un
euro cotisé offre les mêmes droits quel que soit le statut » a contribué à la
popularité du projet. La consultation citoyenne lancée en 2018, en parallèle à
celle des partenaires sociaux, devait consolider le soutien des Français.

Dans un second temps,
l’élaboration pratique de la réforme s’est heurtée à une difficulté majeure :
celle de dégager une large adhésion sur un projet aussi ambitieux. Plusieurs
facteurs expliquent cette difficulté :

– L’instauration d’un système «
super-universel » a été confrontée, simultanément, au problème posé par les
problèmes de financement du système actuel en cas de croissance faible ;

– Le problème des transitions a
été sous-estimé et s’est heurté à la question inéluctable des gagnants et
perdants ;

– Les propositions de réforme
bénéficient rarement, par nature, d’un large consensus initial dans la mesure
où elles engendrent des oppositions idéologiques ; de plus, il subsiste des
désaccords profonds au sein même de ses partisans.




Augmenter les cotisations retraites est-il sans effet sur l’emploi ?

par Xavier Timbeau

Dans un
post récent et éclairant sur le site de Médiapart
, Clément Carbonnier,
chercheur et enseignant en économie,  discute des inégalités qui découleraient du
nouveau système de retraite et de la difficulté à en anticiper l’ampleur. Analysant
les pistes de financement pour les retraites, il déploie un argument choc :
la hausse des taux de cotisations retraite n’aurait pas d’effet sur l’emploi.
C’est un résultat fort puisqu’il implique que les efforts consentis pour
abaisser le coût du travail, une demande ancienne et constante des employeurs,
auraient été produits en vain. CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et
l’emploi), pacte de responsabilité, allègements généraux de cotisations
sociales sont autant de dispositifs dont Clément Carbonnier suggère que seuls
les volets bas salaires auraient produit des effets mais qui au total sont très
peu efficaces pour l’emploi.



À la base de son argument, plusieurs autorités sont
mobilisées. Des études réalisées par deux laboratoires, le TEPP[1]
et le LIEPP[2], sous le
pilotage de France Stratégie, concluent à des effets presque nuls sur l’emploi
(rapport
du Comité de Suivi du CICE, 2017
). La divergence relative entre les
résultats des deux équipes a été arbitrée par l’INSEE et exposée dans le rapport
2018 du Comité de suivi du CICE
. Les conclusions de ces études et de la
synthèse de l’INSEE sont riches d’enseignements et procèdent d’une méthodologie
maîtrisée, employée couramment dans l’évaluation des politiques
publiques : l’évaluation ex-post en utilisant un groupe de
bénéficiaires et un groupe de contrôle[3]
et comparer le destin de ces deux groupes pour identifier l’effet de la
réforme.

A quelques détails
près.
Premièrement, le CICE n’a pas été mis en place en faisant en sorte
qu’il y ait un groupe de bénéficiaires d’un côté et de l’autre un groupe
témoin. Cela aurait été la configuration idéale (ou presque, voir infra) pour
mesurer l’effet du CICE, si les deux groupes avaient été tirés au sort. On
parle de Randomized Controlled Trial (RCT), largement appliqué en médecine
et en pharmacologie. Cette méthode a valu le prix en sciences économiques en
mémoire à Alfred Nobel à Esther Duflo
pour ses applications fructueuses à
de nombreuses questions de politiques publiques, notamment dans le cadre de
l’économie du développement[4].
Même lorsque les deux groupes sont tirés rigoureusement au sort, la méthode repose
sur quelques hypothèses fortes puisqu’on n’observe jamais ce qui se serait
passé pour le groupe des bénéficiaires en l’absence de politique. On l’infère à
partir de ce qui se passe pour le groupe témoin, ce qui suppose qu’il n’y ait d’effet
de la mesure que sur les individus (ou les entreprises) traités.

Pour pallier cette absence d’assignation aléatoire, on raisonne
par ce qu’on appelle une expérience naturelle : le tirage au sort n’est
pas intentionnel, mais le traitement a été pris de façon suffisamment diverse
pour qu’on puisse reconstruire des groupes aléatoires. Par exemple, un
médicament est interdit en dessous d’un certain âge et en séparant les
individus juste au-dessus et juste au-dessous de cet âge limite, on peut
espérer construire des groupes pseudo-aléatoires. Malheureusement pour le CICE
(et c’est le deuxième point), cette approche est impossible : toutes les
entreprises (soumise à l’impôt sur les sociétés) étaient éligibles au CICE et
prendre comme groupe de contrôle les associations à but non lucratif ou les
administrations publiques n’aurait aucun sens. Sans cette option, il faut
essayer de contourner l’obstacle.

La méthode d’évaluation ex post du CICE utilisée est une
forme encore plus dégradée de la méthode d’indentification par RCT. Ne
disposant ni d’un groupe de contrôle choisi aléatoirement, ni de la possibilité
de le reconstruire à partir des observations, c’est l’intensité de traitement
qui est employée pour mesurer les effets du CICE. Certaines entreprises
reçoivent un montant de CICE plus élevé que d’autres et c’est sur la base de
ces différences que l’on espère pouvoir identifier un effet du CICE. Si le CICE
était un médicament et les entreprises des patients traités par ce médicament,
on chercherait à mesurer les effets du médicament non pas en séparant d’un côté
ceux qui ont pris le médicament et de l’autre ceux qui ne l’ont pas pris (en
s’arrangeant pour que la décision de prise du médicament soit
« aléatoire »), mais en différenciant ceux qui ont pris une dose de
ceux qui en ont pris davantage. Cette approche ne peut fonctionner que si on
est sûr que l’effet du traitement est proportionnel à la dose prise et c’est
une hypothèse analogue qui a été retenue pour l’évaluation du CICE.

Cet empilement d’hypothèses affaiblit la capacité de la
méthode à produire un résultat utilisable. Mais la première est centrale :
il est difficile de penser que dans un environnement concurrentiel ce qui
arrive à une entreprise n’a pas d’impact sur les autres[5].
Baisser les coûts d’une entreprise réduira l’activité chez ses concurrentes si
elles ne bénéficient pas elles-mêmes de la même mesure ; Clément
Carbonnier oublie un peu vite une étude
pourtant pas si ancienne de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo
sur une
population très particulière qui concluait à un effet tellement massif des
baisses de charges sur les bas salaires qu’il impliquerait un effet important
pour un dispositif qui n’est pas concentré. Utilisant le dispositif « zéro
charge » pour les entreprises de moins de 10 salariés, les auteurs
montraient un très fort effet pour les entreprises juste en deçà de 10 salariés
par rapport à celles juste au-dessus. L’effet exhibé est un effet différentiel,
potentiellement différent de l’effet agrégé sur l’ensemble de la population des
entreprises. Supposer que les entreprises sont comme des individus néglige les
interactions entre les entreprises, essence même d’une économie de marché.

Toujours sous la houlette de France Stratégie, d’autres
analyses ont été conduites[6],
employant la même méthode – en cherchant à exploiter l’intensité de traitement
au CICE pour en identifier les effets, mais sur des données de branche. Si l’on
perd beaucoup d’observations, passant de plusieurs dizaines de milliers à
quelques dizaines, et donc de puissance statistique, on gagne sur un
plan : au lieu de considérer des « atomes » insaisissables dont
la taille varie au gré du traitement et des interactions avec les
« atomes » concurrents, on peut considérer avec un peu plus
d’assurance que les secteurs agrègent la plupart de ces dynamiques et sont un
objet d’étude plus robuste. Ces analyses concluent à un effet du CICE sur
l’emploi, significativement différent de 0. Le résultat n’est pas très précis,
mais il est probable que le changement dans le niveau d’observation suffise à améliorer
la capacité de la méthode à identifier un effet du CICE.

Toujours est-il que ne pas mesurer un effet ne veut pas dire
que cet effet est inexistant. Considérer que l’absence de résultats tranchés à
des méthodes qui reposent sur des hypothèses qui sont intuitivement très loin
d’être satisfaites ressemble un peu à un jeune enfant qui se cache en fermant
les yeux : si je ne vois rien, personne ne me voit. Appuyer cette naïveté
déconcertante par des arguments d’autorité ne la rend pas plus convaincante,
bien au contraire.

Conclure ainsi de l’échec de la mesure des effets du CICE à
l’échec du CICE et de cet échec au fait qu’augmenter les cotisations retraites
n’aurait pas d’effet sur l’emploi ou toute autre variable d’intérêt est en opposition
avec une kyrielle d’analyses[7].
Argument d’autorité n’est pas autorité de l’argument.


[1]
Fédération de recherche CNRS « Travail, emploi et politiques publiques » (FR
CNRS n° 3435).

[2]
Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, Science
Po Paris, à laquelle Clément Carbonnier est rattaché.

[3] Le groupe
de bénéficiaires reçoit la mesure (on parle de traitement) alors que le groupe
de contrôle, dont les individus sont « proches » de ceux du groupe de
bénéficiaires, ne reçoit pas la mesure (ou le traitement).

[4] Il y a
néanmoins des limites notables aux RCT (voir ici).

[5] Un autre
canal de « contagion » passe par le financement de la mesure. Si
cette contagion par le financement n’est pas corrélée au traitement, elle
n’empêche pas la mesure du traitement. Cette hypothèse s’ajoute aux autres.

[6] Par
l’OFCE, ces résultats seront publiés dans le rapport du Comité de suivi 2020.

[7]La
question de savoir ce qui se passe en cas de hausse de cotisations sociales de
façon générale (dans la plupart des pays, la notion de cotisations sociales
employeurs n’existe pas) est assez complexe (voir Melguizo et
Gonzalez-Paramo (2012)
pour
une méta analyse, et les travaux récents de Bozio, Breda,
Grenet (2017)
ou Alvaredo,
Breda, Roantree et Saez (2017)
pour un focus sur le cadre institutionnel
français.




Cotisations sociales des salariés et des non-salariés : vers la divergence ?

par Henri Sterdyniak

Dans le cadre de la
réforme des retraites, le gouvernement envisage de réduire l’assiette de la
CSG-CRDS payé par les non-salariés, à la fois pour compenser la hausse des
cotisations retraites et pour faire converger l’imposition des salariés et des
non-salariés. Ces deux objectifs sont-ils compatibles ? Nous montrerons
ici que non.



La comparaison des taux de
cotisations sociales entre salariés et non-salariés est particulièrement
délicate : les taux affichés diffèrent, mais aussi l’assiette (le salaire
brut versus le revenu professionnel).
Les barèmes de réduction des cotisations se font à des niveaux différents
(tableau 1). Enfin les droits à prestations ne sont pas les mêmes. La
comparaison a été rendue encore plus délicate par le remplacement de
cotisations salariés, chômage et maladie de remplacement, par la CSG.

Actuellement, les
cotisations sont basées sur le salaire brut pour les salariés, sur le revenu
moins les cotisations (dit revenu professionnel) pour les non-salariés. La
distinction cotisations salariales / cotisations patronales n’a guère de sens
économique à long terme et repose sur des évolutions historiques. Les seules
notions pertinentes sont celles de salaire extra-brut et de salaire net. Pour
les non-salariés, cette distinction n’existe pas ; on calcule un revenu
professionnel en soustrayant les cotisations et la CSG déductible du revenu
global, ce qui a le défaut d’introduire une certaine circularité. La CSG-CRDS
est basée sur le salaire brut pour les salariés, tandis qu’elle l’est sur le
revenu global pour les non-salariés, incluant donc les cotisations. Le
gouvernement envisage de réduire l’assiette de la CSG-CRDS pour les
non-salariés pour compenser la hausse de leur cotisation retraite (article 21
du Projet de loi de réforme des retraites). 
Les cotisations des non-salariés comme leur CSG-CRDS seraient basées sur
leur revenu après un abattement de 30 %. Ceci va-t-il dans le sens de la
convergence des prélèvements ? 

Nous allons comparer les
cotisations portant sur un salarié et un membre d’une profession libérale, en
assimilant le salaire extra-brut (y compris cotisations employeurs) des
salariés et le revenu des professionnel (avant cotisations), ceci pour deux
niveaux de revenu, moyen et supérieur : un salaire brut de 2 500 euros
correspondant à un revenu de 42 000 euros pour le professionnel ; un
salaire brut de 6 000 euros correspondant à un revenu de 100 000 euros
pour le professionnel.

On peut d’abord constater
que le rapport entre revenu professionnel et revenu, salaire brut et salaire
extra-brut est proche de 70 %, actuellement, pour les deux niveaux de
revenus, de sorte que la simplification envisagée par le gouvernement de fixer
le revenu professionnel à 70 % du revenu pour les non-salariés n’induit
pas d’effets majeurs.

Les tableaux 2 et 3
montrent qu’effectivement les non-salariés paient actuellement plus de CSG-CRDS
que les salariés. Introduire un abattement de 30 % apparaît donc
justifiable. Par contre, les cotisations non-contributives (maladie, famille,
dépendance, logement, transport) sont nettement plus fortes pour les salariés.
De sorte que globalement, les impositions ne rapportant pas de droits
spécifiques ont un poids identique pour les salariés et les non-salariés (voir
ligne 5 des tableaux) au niveau d’un revenu extra-brut de 42 000 euros (2 500
euros de salaire brut mensuel) et ont un poids plus élevé pour le salarié au
niveau du revenu extra-brut de 100 000 euros (6 000 euros de salaire
brut mensuel).

Les salariés paient
actuellement plus de cotisations contributives que les non-salariés. Ceci est
justifié puisqu’ils bénéficient de prestations chômage et accident du travail
que n’ont pas les non-salariés ; ils bénéficient aussi de prestations
retraites plus généreuses.

La réforme des retraites
n’augmente guère les cotisations des salariés (la hausse est de 0,35 point en
dessous du Pass, de 1,12 point au-dessus). Par contre, elle augmente fortement
les cotisations des non-salariés (de 24,75 à 28,12 % en dessous du Pass,
de 8,6 à 12,94 %, au-dessus). Comme le montrent les tableaux 2 et 3, la baisse envisagée
de la CSG-CRDS, permet finalement de réduire le poids des cotisations sur les
non-salariés (de 0,62 point pour le revenu moyen, de 1,1 point pour le revenu
supérieur).

Ainsi, la hausse des
cotisations contributives des non-salariés est compensée par une baisse de
leurs impositions non-contributives (via
la baisse de la CSG-CRDS, mais aussi la baisse de l’assiette des cotisations
pour les plus hauts revenus), de sorte que l’écart se creuse avec les salariés.
Or, les cotisations contributives ouvrent des droits dépendant des cotisations,
tandis que la CSG-CRDS comme les cotisations non-contributives sont des
prélèvements qui n’ouvrent aucun droit et qui doivent donc être les mêmes entre
contribuables à revenu donné. En fait, les écarts de taux d’imposition se
creusent :  de 5,46 à 8,8 points
(revenu moyen) ; de 3,43 à 10,16 points (haut revenu). Cela ne va pas dans
le sens de la convergence.

Par ailleurs, la mesure de
rééquilibrage se traduit par une baisse des ressources de la CSG-CRDS au
détriment de l’équilibre financier des branches de la Sécurité sociale, autres
que la retraite.

Au total, le souci de ne pas augmenter des cotisations des non-salariés écarte de l’objectif d’équité entre non-salariés et salariés. On peut estimer qu’il est nécessaire de soutenir les non-salariés, dont l’activité est souvent fragile.  On peut estimer, en sens inverse, que la baisse de la CSG sur les non-salariés devrait s’accompagner, dans un souci de neutralité, d’une hausse de leurs cotisations maladie et famille, en particulier pour les hauts revenus.