Pourquoi le chômage des jeunes résiste-t-il à des moyens inédits ?

Bruno Coquet

L’emploi des jeunes : une veille histoire

La France est depuis longtemps à la peine en matière d’emploi des jeunes[1]. Les jeunes sont relativement peu nombreux à sortir prématurément du système scolaire, donc à entrer très tôt sur le marché du travail. Mais ceux-là rencontrent de fortes difficultés d’insertion, si bien que leur taux de chômage est très élevé, et cela pèse durablement sur leur trajectoire professionnelle. La comparaison avec les autres pays est brouillée car les indicateurs usuels pour les tranches d’âge jusqu’à 24 ans (taux de chômage, taux d’emploi, etc.) dépendent beaucoup de la stratégie choisie, entre éduquer longtemps (comme en France) ou insérer dans l’emploi très tôt (Pays-Bas, etc.).



Les écarts avec les pays voisins s’amenuisent à mesure que l’on s’élève dans les tranches d’âge. Tous les jeunes finissant par entrer sur le marché du travail, la comparaison de leur situation dans la tranche d’âge 25-29 ans est alors bien plus significative. Ainsi avec 51,7% de diplômés de l’enseignement supérieur parmi les 25-29 ans, en progression de près de 10 points en 20 ans, la France pointe au 7e rang européen[2] ; le taux d’emploi de ces jeunes diplômés est toutefois un peu plus faible que chez nos voisins, notre pays se classant au 11e rang de l’UE. Mais surtout, les non-diplômés de cette tranche d’age demeurent mal insérés : 10 ans après leur sortie du système éducatif, moins d’un sur deux est en emploi, ce qui classe la France au 22e rang européen. Et finalement, le taux d’emploi tous diplômes confondus nous place désormais dans la seconde moitié de l’UE (15e, vs 11e en 2002) dans cette tranche d’âge des 25-29 ans, où la part des jeunes au chômage (9,7%) positionne notre pays au 21e rang de l’UE (15e en 2002).

C’est pourquoi l’UE comme les organisations internationales ont régulièrement pointé la France pour la faible efficacité des politiques d’emploi destinées aux jeunes, et que depuis 20 ans tous les gouvernements lancent régulièrement des plans pour les renforcer.

Le tournant de 2017

Les politiques de l’emploi envers les jeunes ont pris une nouvelle tournure à partir de 2017 : davantage d’accompagnement intensif, plus de cursus professionnalisants en alternance, moins de contrats non-marchands aidés peu propices à favoriser l’insertion en emploi[3]. La France a en cela suivi les recommandations maintes fois réitérées de l’Union européenne, et des organisations internationales, également reprises par la Cour des Comptes[4]. En 2020, le plan #1jeune1solution déployé pour prémunir les jeunes d’éventuelles conséquences de la crise sanitaire[5] a été doté de moyens inégalés, et poursuivi bien au-delà de ce que nécessitait l’objectif initial.

Dès 2020, on peut observer que les dispositifs de soutien à l’emploi des jeunes ont changé à la fois de nature et de dimension, avec des effets très nets sur le nombre de bénéficiaires et les budgets alloués. Si l’on additionne les dispositifs de contrats aidés, d’alternance et d’accompagnement renforcé, 900 000 jeunes bénéficiaient chaque année d’une mesure de soutien public au milieu de la dernière décennie, un peu plus de 1 million de 2017 à 2019, et plus de 1,4 million à partir de 2020 (Graphique 1). Fin 2024, le montant cumulé des dépenses engagées depuis 2020 atteindra environ 100 milliards d’euros.

Les résultats en termes d’emplois sont au rendez-vous : 612 000 créations d’emplois pour les jeunes de 15-24 ans depuis fin 2017, bien au-delà des 84 000 que la conjoncture aurait créées si la part des jeunes dans l’emploi était restée stable. Mais sur ce total, la hausse de 498 000 depuis fin 2019 s’explique presque exclusivement par la hausse du nombre d’apprentis (475 000). L’essentiel des créations d’emplois vient donc du soutien exceptionnel à l’apprentissage[6], avec cependant une forte incertitude quant à la réalité des créations nettes d’emplois car environ la moitié des contrats d’apprentissage se seraient substitués à d’autres formes de contrats, et que la pérennité de l’effet net sur l’emploi est incertaine si les subventions venaient à diminuer.

Des effets décevants

Le tableau est beaucoup plus décevant du côté du chômage : -51 000 chômeurs de 15 à 24 ans au sens du BIT depuis 2017, dont -39 000 depuis fin 2019[7], soit à peine plus que ce que la conjoncture est à même d’expliquer. Et si le taux de chômage (le ratio chômeurs / actifs) a baissé, c’est surtout en raison de la hausse du dénominateur qui enregistre la transformation d’étudiants inactifs en apprentis, qui deviennent de ce fait actifs (cf. ci-dessous). Plus préoccupant : fin 2023 le nombre de NEETs[8] dépasse son niveau de fin 2019 alors que cette population est une priorité des politiques publiques, et le nombre de jeunes dans le halo du chômage augmente (Graphique 2).

Au-delà de la déception, ces résultats interrogent et sont inquiétants en termes d’efficience en regard de l’ampleur inédite des moyens mobilisés, surtout si l’on considère que la conjoncture du marché du travail était particulièrement favorable.

En toile de fond, la reconfiguration des politiques de soutien à l’emploi des jeunes peut être illustrée par la dynamique de trois grands groupes de dispositifs[9] :

  • L’apprentissage s’est développé de façon vertigineuse, au prix d’un coût par apprenti accru de 60 % (22 000€ en 2023) et d’un budget quadruplé depuis 2017. Depuis 2020, ces moyens sont concentrés sur les étudiants du supérieur, dont la probabilité d’insertion en emploi une fois diplômé est déjà excellente. En outre, les chômeurs profitent peu de ce boom, puisqu’ils représentent toujours moins de 6% des nouveaux apprentis en 2023.
  • L’accompagnement renforcé, appuyé d’abord sur la Garantie Jeunes (GJ), puis sur le Contrat d’Engagement Jeunes (CEJ) depuis 2022, ainsi que sur le Parcours PACEA mis en œuvre par les Missions Locales, a soutenu en moyenne 440 000 jeunes par an depuis 2018, là encore un niveau très supérieur à celui atteint au début de la décennie 2010 avec les dispositifs d’alors.
  • Enfin, si l’on excepte la parenthèse de la crise sanitaire, les contrats aidés classiques, destinés à des publics rencontrant d’importantes difficultés d’insertion sont descendus à leur plus bas niveau historique. On peut aussi noter que les deux seules années au cours desquelles le nombre de jeunes chômeurs au sens du BIT diminue significativement (2020 et 2021) sont contemporaines de l’Aide à l’Embauche des Jeunes[10] (Graphique 1).

Cette lecture descriptive ne constitue pas une évaluation de l’efficacité des dispositifs mais elle permet de formuler des hypothèses : d’un côté, les moyens de la politique de l’emploi ont été absorbés pour soutenir des publics très employables qui n’auraient pas pointé au chômage (apprentis de l’enseignement supérieur) surtout dans un marché du travail dynamique ; d’un autre côté, il est plausible que la substitution d’un accompagnement renforcé à des contrats aidés classiques n’ait pas porté les fruits espérés, et que la quasi absence des contrats aidés ait finalement pu être préjudiciable à l’insertion de certains jeunes.

Ces hypothèses permettraient d’expliquer à la fois le dynamisme de l’emploi, la très faible baisse du chômage des jeunes et un taux de NEETs supérieur à celui qui prévalait en 2019.

Une évaluation précise de chacun de ces dispositifs apparaît urgente, afin de pourvoir concentrer les moyens budgétaires qui se raréfient sur les mesures les plus efficientes, d’autant plus que la remontée du chômage risque fort de toucher plus rapidement les jeunes qui entrent sur le marché du travail.


[1] OCDE (2009) Des emplois pour les jeunes : France.

[2] Les données utilisées dans ce paragraphe proviennent d’EUROSTAT, sur la période 2002-2022.

[3] Voir par exemple : Audrey FARGES, Raphaël FROGER (2023) Comment l’insertion en emploi six mois après un contrat aidé non marchand évolue-t-elle depuis 2015 ? » Dares Analyses n°11 ; Damien EUZENAT (2023) « Estimation de l’effet d’aubaine des contrats aidés. Enseignements d’une expérience quasi naturelle en France » Dares, Document d’Études n°269.

[4] COUR DES COMPTES (2022) Rapport Public Annuel.

[5] Dossier du Presse du Plan #1Jeune1solution, p.3 (23 juillet 2020).

[6] Bruno COQUET (2023) « Apprentissage un bilan des années folles », OFCE Policy Brief n°117.

[7] -80 000 DEFM (Demandeurs d’emploi en fin de mois) catégories ABC de moins de 25 ans depuis 2017, dont seulement -30 000 pour la période 2020-2023

[8] Jeunes ni scolarisés, ni en emploi, ni en formation (Not in Education, Employment or Training en anglais).

[9] Les données d’emploi et de chômage portent sur la tranche d’âge 15-24 ans tandis que les données relatives aux dispositifs de politique de l’emploi portent sur la tranche 15-25 ans. De petits écarts comptables sont donc possibles entre les deux périmètres, qui n’influent qu’à la marge sur le diagnostic formulé ici.

[10] Cette aide n’était pas ciblée sur des jeunes en difficulté contrairement aux contrats aidés classiques.




APPRENTISSAGE : UN BILAN DES ANNÉES FOLLES

par Bruno Coquet

Les principaux indicateurs du marché du travail n’ont plus été aussi positifs depuis fort longtemps. Mais quelques indices invitent à rester prudent quant aux ressorts de cette santé retrouvée : d’une part, en niveau comme en dynamique, le marché du travail français reste dans la queue du peloton européen[1], et il a même à nouveau perdu un peu de terrain dans l’après-crise sanitaire ; d’autre part, comme nous l’avons récemment souligné dans un billet de Blog (« La politique de l’emploi prise à revers dans l’étau budgétaire »), les emplois aidés n’ont jamais été aussi nombreux que ces dernières années, constat peu cohérent avec l’évidence selon laquelle un marché du travail qui se porte bien ne devrait pas avoir besoin d’être soutenu par des aides publiques, en particulier avec un tel coût budgétaire.



L’apprentissage est une des clés de cette rémission du marché du travail et la principale composante du soutien apporté au marché du travail par les emplois aidés. Il est également un des leviers majeurs sur lequel mise le gouvernement pour atteindre le plein emploi, grâce à un objectif placé à 1 million de nouveaux contrats par an, soit trois fois plus qu’une très bonne année d’entrées en apprentissage jusqu’à il y a à peine 5 ans (Graphique 1).

Cette politique a toutefois un coût qui demeure assez flou car les dernières données publiées interrogent : le ministère du Travail chiffrait les dépenses publiques en faveur de l’apprentissage à 11 Md€ en 2021, cependant que France Compétences les estimait à 21 Md€ pour cette même année.

Le Policy Brief « Apprentissage : un bilan des années folles » revient sur les raisons du succès spectaculaire de ce dispositif auprès des jeunes, des employeurs, des organismes de formation ; il fournit une évaluation comptable détaillée de son coût et interroge son efficience et sa soutenabilité pour les finances publiques.

Un dispositif assaini et relancé par une bonne réforme en 2018

L’apprentissage est un dispositif très efficace pour l’insertion professionnelle des jeunes, en particulier s’ils sont peu qualifiés, sortis prématurément du système scolaire. C’est pourquoi ces contrats ne sont soumis à aucun prélèvement social (employeur et salarié), ni fiscal (CSG, CRDS, impôt sur le revenu) et qu’en outre, certains publics, ceux rencontrant des difficultés d’insertion dans l’emploi ou des employeurs (petites entreprises) bénéficient d’aides supplémentaires à l’embauche.

Depuis trente ans, les gouvernements ont vainement visé l’objectif devenu symbolique des 500 000 apprentis, accumulant les réformes à intervalles de plus en plus courts. Ces réformes ont eu pour principal effet d’empiler les aides, les exonérations, de multiplier les cibles visées, nourrissant une grande complexité réglementaire et des incitations confuses. Seule la loi de cohésion sociale de 2005 semble avoir eu un effet significatif sur le recours à l’apprentissage, portant la proportion d’apprentis de 2,0% à 2,3% de l’emploi salarié marchand (graphique 1). En contrepoint, la réforme de 2014 fut suivie d’une rechute du recours à l’apprentissage que la nouvelle réforme de 2016 a enrayée, mais sans parvenir à retrouver les niveaux atteints dix ans plus tôt. Globalement, les résultats sont au mieux demeurés mitigés, les entrées en apprentissage ne parvenant jamais à crever durablement le plafond de 300 000 nouveaux contrats par an.

L’envolée récente des entrées en apprentissage, dans le sillage de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a remis à plat le dispositif en 2018, est donc remarquable : 367 000 nouveaux contrats sont comptabilisés dès 2019 – record historique absolu, contre 321 000 en 2018. L’ascension est ensuite vertigineuse ; 532 000 nouveaux contrats en 2020, 736 000 en 2021 et 837 000 en 2022. Même si ce résultat est en partie obtenu aux dépens des Contrats de professionnalisation jeunes, il n’en est pas moins net, bien au-delà de la hausse annuelle de 3% des entrées attendue par le législateur.

Au total, le soutien apporté par ce dispositif à la hausse de l’emploi, en particulier de l’emploi des jeunes, a été considérable : plus d’un tiers des emplois salariés créés depuis 2017 sont des contrats d’apprentissage (et même environ 45% si l’on se restreint à la période 2019-2022).

La hausse des entrées vient principalement des apprentis préparant un diplôme de l’enseignement supérieur : cette tendance de long terme s’est encore notablement accélérée car ceux-ci représentent aujourd’hui 62% des entrées, deux fois plus qu’il y a dix ans, cinq fois plus qu’en 2003. Cette évolution suggère un ciblage contestable du dispositif sur sa partie la plus dynamique, la plus coûteuse, mais qui est aussi celle pour laquelle l’efficience de l’apprentissage sur l’insertion en emploi est moindre, car décroissante à mesure que le niveau de diplôme préparé est élevé.

L’aide exceptionnelle dans le cadre du plan de relance de 2020 : des effets exceptionnels

La réforme de 2018 n’est cependant pas le seul ressort de ces succès : l’aide exceptionnelle très généreuse et non-ciblée créée mi-2020 dans le cadre du Plan de relance, et reconduite sans lien avec les conséquences de la crise sanitaire qui l’avaient initialement justifiée, apparaît depuis sa création comme le principal moteur de la hausse des entrées.

Cette aide, qui s’ajoute aux exonérations sociales et fiscales pratiquement complètes dont peut bénéficier tout contrat d’apprentissage, a permis de couvrir 100% du coût du travail de la plupart des apprentis, y compris ceux préparant un diplôme de l’enseignement supérieur. Jamais auparavant une aide à l’emploi n’avait atteint un tel niveau, notamment pour un public aussi large et en particulier dans le secteur marchand où les effets d’aubaine et de substitution sont très importants en présence de ce type de subventions. En rendant ces emplois d’apprentis pratiquement gratuits la première année, l’aide exceptionnelle ne pouvait que séduire les employeurs.

Fin 2022 on dénombrait 540 000 apprentis[2] de plus qu’en 2018 : nous estimons que la réforme de 2018 aurait contribué à hauteur de 15% à cette hausse (+80 000) mais que l’essentiel des embauches d’apprentis (+460 000) se rattache à l’aide exceptionnelle qui aurait engendré des effets emploi et des effets de substitution extrêmement importants (graphique 2). L’effet emploi postérieur à l’introduction de l’aide exceptionnelle en 2020 est de l’ordre de 250 000, c’est à-dire 250 000 créations d’emplois qui n’auraient pas eu lieu en l’absence de l’aide (cf. Heyer, 2023 ; Labau & Lagouge, 2023). On peut considérer ce soutien du marché du travail, comme artificiel et coûteux, qui plus est dans une période où ce n’était pas nécessaire, en particulier envers des publics diplômés qui s’insèrent très bien en emploi sans subvention spécifique. Les 210 000 autres créations d’emplois sous forme d’apprentissage auraient existé en l’absence de l’aide mais sous un autre statut (en particulier en contrat de professionnalisation, mais aussi des emplois de droit commun) mais auraient éventuellement bénéficié à d’autres profils d’actifs.

Le succès au prix fort

Cette politique se déploie à bourse déliée, sans débat sur son efficience. L’évaluation de son coût allant du simple au double dans les comptes publics, nous reconstituons une comptabilité précise depuis 2017, qui chiffre à près de 16 Md€ en 2021 et 20 Md€ en 2022 les dépenses publiques affectées à l’apprentissage (tableau 1).

Outre la forte hausse du coût unitaire (l’aide est plus élevée qu’à l’origine, les apprentis post-bac sont plus âgés, donc leur salaire et les allégements de cotisations sociales sont plus élevés, et les formations qu’ils suivent plus coûteuses), les dépenses induites par l’aide exceptionnelle posent question : en effet, 5 Md€ auraient pu être économisés en 2021 et près de 8 Md€ en 2022 (40% des dépenses) en retenant un ciblage efficace de l’aide (apprentis de niveau bac ou moins, petites entreprises), sans nuire à l’insertion dans l’emploi.

À ce total, il faudrait ajouter les droits sociaux attachés gratuitement aux contrats d’apprentissage (prime d’activité, assurance chômage, retraites, etc.) dont l’échéance en partie lointaine ne doit pas occulter le coût (12 Md€ pour les seuls droits à la retraite).

La contre-réforme, et la nécessité d’en sortir

L’aide exceptionnelle a formellement disparu en 2023, mais elle a en réalité été fusionnée avec une aide unique revisitée, dans le but d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République : 1 million d’entrées en apprentissage chaque année.

Cette évolution induit une si profonde mutation du dispositif qu’elle s’apparente à une contre-réforme. En effet, l’aide unique instituée par la loi de 2018 qui avait réformé le dispositif, visait les jeunes préparant un diplôme de niveau bac ou moins, les entreprises de moins de 250 salariés, et était étalée sur 3 ans pour favoriser les formations longues. Or les modalités de l’aide unique telle que reformulée par décret en 2023 vont en sens opposé : concentrée sur la première année de contrat, pour les diplômes jusqu’à bac+5, et sans limite de taille de l’entreprise qui embauche (à ce stade jusqu’en fin d’année 2023 seulement, et avec quelques conditions pour les plus grosses).

Finalement, les publics les plus aidés ne sont plus ceux pour lesquels l’apprentissage a la plus grande efficacité pour l’insertion dans l’emploi ; pour ces derniers, l’aide est même en baisse par rapport à son niveau de 2018.

L’inflation des dépenses ayant bénéficié à tous les acteurs, apprentis, employeurs, centres de formation, gouvernement, à l’exception du contribuable, il sera politiquement délicat de sortir d’une telle addiction, même si cela apparaît absolument indispensable. Sur le plan technique la solution est en revanche très simple : restaurer la réforme 2018 dans son esprit et sa lettre, notamment une aide ciblée sur les petites entreprises et les jeunes pour lesquels un passage par la voie de l’apprentissage est le plus efficace. Ce retour à la normale aurait probablement des conséquences inverses de celles engendrées par le soutien exceptionnel que les subventions à l’apprentissage ont apporté ces deux dernières années à l’emploi et à la baisse du chômage, des jeunes en particulier.


[1] La France pointe au 22e rang parmi les 27 pour le taux de chômage et le taux d’emploi des 20-64 ans.

[2] Pour plus de clarté les résultats sont ici arrondi à la dizaine de milliers. Les données précises figurent dans le Policy Brief de l’OFCE, n°117.




Six mesures d’urgence pour l’emploi et contre la pauvreté

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Pierre Madec

En 2021, malgré le
rebond de l’activité attendu et la mise en œuvre de mesures exceptionnelles
pour l’emploi …

Le quatrième trimestre 2020 a été marqué par un recul de l’activité
économique moins marqué qu’attendu (-1,4% par rapport au troisième trimestre
2020). En conséquence l’ajustement de l’emploi a été largement atténué par
rapport aux destructions d’emplois attendues : 400 000 emplois ont
été détruits entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020. Dans
son dernier exercice de prévision, l’OFCE anticipe une croissance du PIB de 5%
en 2021 en moyenne annuelle[1].
Une partie de ce rebond s’explique par la prise en compte des effets du plan de
relance et notamment des mesures pour l’emploi (contrats aidés, insertion par
l’activité, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, mesures pour
l’alternance, Garantie Jeune, service civique, formations). Hors activité
partielle, ces mesures auraient contribué à la sauvegarde ou à la création de
75 000 emplois en 2020 et près de 70 000 emplois en 2021[2]
pour un coût de 6,7 milliards d’euros. L’activité partielle a permis la
préservation de 1,4 million d’emplois ETP en 2020 pour un coût budgétaire de
26,5 milliards d’euros. En 2021, 950 000 emplois ETP seraient encore
préservés en moyenne sur l’année pour un coût de 13,4 milliards d’euros, dans
l’hypothèse d’une baisse des taux de prise en charge à partir du troisième
trimestre 2021.



… nous anticipons une
hausse significative du chômage…

Malgré ce rebond et la prise en compte des mesures exceptionnelles
engagées par le gouvernement, l’emploi est attendu en baisse en 2021 par
plusieurs instituts de conjoncture (UNEDIC, Rexecode) ou stable (Banque France). L’OFCE prévoit une progression de
l’emploi en 2021 (+95 000 emplois en moyenne annuelle), mais une
progression plus rapide de la population active du fait du retour sur le marché
du travail de personnes découragées ou empêchées de chercher un emploi pendant
la crise sanitaire. Cela se traduirait par une hausse du chômage dont le taux
pourrait atteindre 8,7% fin 2021.

… qui induira une
hausse de la pauvreté globale…

Cette hausse du chômage va faire monter la pauvreté. Dans une étude menée en 2010 pour l’ONPES, l’OFCE indiquait qu’une hausse de 100 chômeurs pendant une crise
économique conduirait à une augmentation d’environ 43 pauvres au seuil de
pauvreté à 60%  et d’environ 22 ménages
allocataires du RSA-socle 5 ans plus tard.

… notamment chez les
jeunes 

La crise sanitaire et économique débutée en 2020 touche plus
particulièrement certains groupes, et notamment les jeunes. Le fait que les
jeunes soient plus touchés par le chômage n’est pas une surprise : ils
sont plus souvent en intérim et CDD et dans les crises, ces contrats ne sont
souvent pas renouvelés. Ils peuvent aussi être victimes du manque d’embauches.
La part de jeunes dans le halo du chômage a aussi légèrement augmenté sur 1 an
(de 4,5 à 4,7%).

Une typologie des
jeunes en difficulté
 

La situation des 18-24 ans (on compte 5,2 millions de personnes âgées
de 18 à 24 ans[3])
est particulièrement préoccupante à plusieurs titres :

  1. Soit parce qu’ils éprouvent des difficultés à s’insérer dans l’emploi
    à la sortie des études ;
  2. Soit parce qu’ils sont exposés aux destructions d’emplois, et n’ont
    pas forcément de revenus de remplacement (étudiants qui travaillent pour
    financer leurs études, jeunes actifs qui perdent leur emploi).

Il est possible alors de distinguer 3 catégories de jeunes en
difficulté :

Catégorie 1 : cohorte de jeunes qui
arrivent sur le marché du travail au moment d’une crise économique
(750 000 jeunes chaque année)

Des travaux récents menés à l’OFCE rappellent que les premières années de
vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus
en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très
dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les
trajectoires professionnelles des jeunes sortant du système éducatif. Bien
entendu, une distinction doit être faite entre jeunes diplômés et non diplômés.
Pour la première catégorie, cela se traduit par un accès à l’emploi en CDI plus
tardif et moins fréquent tandis que pour la seconde, cela implique une très
nette dégradation de leur insertion sur le marché du travail.

Catégorie 2 : Jeunes actifs, ayant
terminé leurs études, qui ont perdu leur emploi et sans revenu de remplacement
(de 50 000[4] à 435 000
[5]

Les jeunes actifs en emploi
(930 000) sont particulièrement exposés au choc entraîné par la crise sanitaire :
210 000 sont en CDD ou en contrats saisonniers. Parmi ces contrats
« précaires », 90 000 jeunes (30%) sont employés dans l’un des
secteurs les plus touchés par la crise (hébergement, restauration, culture,
transport, habillement, …). Parmi les « CDI », ce sont plus de
225 000 jeunes qui travaillent dans l’un des secteurs les plus touchés
soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée indéterminée. Enfin, sur le
million d’actifs (en emploi ou non) âgé de 18-24 ans, près de 300 000
jeunes étaient en cours d’étude un an auparavant.

En 2020, l’ajustement de l’emploi salarié s’est concentré sur l’emploi
temporaire (CDD et intérim). Les 15-24 ans sont largement surreprésentés dans
l’emploi temporaire : s’ils comptaient pour 12% de l’emploi salarié en
2018 (hors fonctionnaires et assimilés), 40% des emplois temporaires étaient
occupés par des salariés appartenant à cette tranche d’âge (54% dans le
commerce, 45% dans l’hébergement-restauration).

En 2021, l’ajustement de l’emploi ne serait plus concentré sur les
contrats courts mais aussi sur des contrats à durée indéterminée. Or, d’après
les mouvements de main-d’œuvre au troisième trimestre 2020, ce sont les
salariés de moins de 30 ans qui sont les plus concernés par les licenciements
économiques du fait d’une moindre ancienneté.

Catégorie 3 : Jeunes actifs,
étudiants, en contrat court non renouvelé et sans revenu de remplacement (250 000)
;

Selon l’enquête ENRJ, menée par la DREES en 2014, ce sont 250 000
jeunes qui cumulent études et emploi à temps partiel ou à temps plein. Or, aujourd’hui
la protection sociale couvre très mal la catégorie des 18-24 ans. Ainsi, plus
de 8 jeunes sur 10 au chômage ne perçoivent aucune allocation chômage. Le fait
que les moins de 25 ans ne puissent pas accéder aux minima sociaux fait peser
un risque lourd de très forte précarisation sur cette population du fait de la
crise économique.

 

Face à cette diversité
de situation, nous proposons six mesures d’urgence

Parmi les six mesures, trois sont non ciblées et trois sont ciblées
sur les jeunes

Trois mesures non ciblées sur les jeunes

  1. Reporter la baisse du taux de prise en
    charge de l’activité partielle par l’État et l’Unedic
    à la fin de la crise sanitaire
    permettrait de préserver un maximum d’emplois en 2021. Au cours de l’années
    2020, à l’instar d’un grand nombre de pays européens, la France a utilisé
    l’activité partielle comme principal instrument de sauvegarde de l’emploi face
    à la pandémie de la Covid-19. En préservant le capital humain dans les
    entreprises ainsi que le revenu des salariés et en socialisant son coût, ce
    dispositif était parfaitement adapté à la situation rencontrée l’année dernière
    et favorisera une reprise de l’activité une fois les mesures prophylactiques
    levées. Or il est prévu une baisse des taux de prise en charge de l’activité
    partielle à compter du 1er juillet 2021 (dès le 1er mai
    pour les secteurs non protégés). Nous estimons à 13,5 milliards d’euros le
    montant nécessaire à la prise en charge de l’indemnisation de l’activité
    partielle par l’État et l’Unedic en 2021 si le dispositif est maintenu dans ses
    contours actuels et à prévision d’emploi inchangée. Mais baisser le taux de
    prise en charge alors que les mesures prophylactiques ne sont pas toutes levées
    pourrait se traduire par des destructions d’emplois en 2021. Certes, si ce
    dispositif est parfaitement adapté à une période courte en temps de crise, son
    maintien pendant une période longue et dans tous les secteurs y compris dans
    ceux qui connaissent une nette amélioration de leur conjoncture pourrait
    engendrer des effets plus négatifs (effet d’aubaine, mauvaise réallocation de
    la main-d’œuvre…). En outre, si le dispositif d’aide à la formation du Fonds
    national de l’emploi – FNE-Formation – a été renforcé afin d’accompagner
    les entreprises en activité partielle, le maintien pendant une période longue
    de l’activité partielle peut entraîner une déqualification d’une partie de la
    main-d’œuvre ou ralentir le parcours des salariés désireux de se reconvertir.
    Si le maintien dans l’emploi est assuré par l’activité partielle, ce statut
    peut enrayer l’accès à une formation qualifiante ou la mise en place de mesures
    d’accompagnement par rapport au statut de demandeur d’emploi. Autoriser l’accès
    des salariés en activité partielle à l’accompagnement proposé par Pole Emploi
    pour les demandeurs d’emploi de catégorie D ou E permettrait de répondre en
    partie à cette potentielle demande d’accompagnement.
  2. Mettre en place un moratoire sur la
    réforme de l’Assurance chômage
    tant que la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son
    niveau qui prévalait avant la crise (taux de chômage à 7% ou difficultés de
    recrutement à leur niveau de 2019).
  3. Prévoir une enveloppe de contrats aidés
    additionnels pour les personnes de plus de 25 ans ayant perdu leur emploi en
    2020.
     L’idée que,
    durant cette crise économique, l’État puisse devenir « Employeur en
    dernier ressort » permettrait d’éviter toute augmentation du chômage qui
    laisserait des traces durables dans l’économie. Sur la base de notre dernière
    prévision, cela correspond à la création de 500 000 emplois aidés fin 2021
    à déployer dans le secteur du CARE notamment (soutien scolaire, portage de repas
    à domicile pour les personnes âgées, logistique de la gestion de l’épidémie,
    …). Ces 500 000 contrats aidés à temps plein pris en charge à 50% par l’État
    (soit un coût annuel par contrat de 9 328 euros) représenteraient un coût
    annuel de 4,7 milliards d’euros.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait à près de 18,5 milliards
d’euros annuel (0,8% du PIB).

Trois mesures ciblées pour les jeunes

  1. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 1, nous proposons de renforcer le plan « 1
    jeune 1 solution »
    . Le plan actuel offre 1,3 million de « solutions » ciblées
    sur les jeunes de moins de 26 ans, pour un afflux cumulé de 1,5 million de
    jeunes sur 2020-2021. Pour faire face à cet afflux arrivant sur le marché du
    travail ou tombant dans l’inactivité en 2021, nous proposons une augmentation
    de 200 000 du volume de contrats aidés PEC ciblés sur les moins de 26 ans, pour
    un coût de 2,5 milliards d’euros annuels. Un premier pas a déjà été fait en
    augmentant les entrées prévues dans le dispositif de la Garantie Jeunes en 2021
    et en repoussant la fin des aides à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans,
    mais cela ne garantit pas une solution aux 1,5 million de jeunes arrivant sur
    le marché du travail en 2020 et 2021. Ce plan pourra ainsi faire davantage de
    place aux emplois aidés pour « les jeunes décrocheurs » : en
    France, environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire
    sans formation ni qualification et viennent alourdir le nombre de
    « décrocheurs sans emploi ne suivant ni études ni formation ». Cette
    catégorie, désignée par l’acronyme NEET, représente près de 2 millions de
    jeunes dont la moitié serait sans aucun diplôme: si l’on veut réellement le
    combattre, il est urgent de mettre en place une stratégie dans laquelle les
    emplois aidés ont un rôle important à court terme : ce dispositif des
    emplois aidés doit être ciblé sur les personnes les plus en difficulté (NEET),
    ce qui permettra de réduire les effets d’aubaine, de diminuer les effets
    d’enfermement dans ce type de contrat et d’augmenter les gains d’employabilité.
    Par ailleurs, ces contrats doivent être d’une durée longue (au moins
    2 ans), dans le secteur non marchand, être associés à un volet de
    formation important, ciblés sur un métier d’avenir et peu éloignés des emplois
    auxquels le bénéficiaire est susceptible de postuler ultérieurement. En effet, une étude de
    terrain menée en 2017
    a mis en avant l’intérêt des chefs d’entreprises du secteur privé
    pour des jeunes ayant effectué une formation certifiante dans un contrat aidé
    dans le secteur non marchand.
  2. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 2, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (435 000 jeunes au maximum)
    . Cette aide interviendrait
    en complément des revenus que certains pourraient toucher via les plans
    d’accompagnement vers l’emploi. Elle nous paraît nécessaire au minimum tant que
    la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son niveau qui
    prévalait avant la crise. Le coût maximum de cette mesure s’élèverait ainsi à
    240 millions d’euros par mois au maximum.
  3. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 3, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (250 000 jeunes)
    . Cette aide interviendrait en
    complément des prestations d’allocation chômage dont ils pourraient bénéficier.
    Le coût estimé approche 140 millions d’euros par versement au maximum. Ce
    versement devrait intervenir mensuellement tant que la situation sur le marché
    du travail n’est pas revenue à son niveau qui prévalait avant la crise.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait au maximum à 7 milliards
d’euros annuel (0,3% du PIB).


[1] Cf OFCE Policy Brief n°89 : « Perspectives
économiques 2021-2022 : résumé des prévisions du 14 avril 2021
 », Eric
Heyer, Xavier Timbeau, Christophe Blot, Céline Antonin, Magali Dauvin, Bruno
Ducoudré, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu Christine Rifflart,
Raul Sampognaro, Mathieu Plane, Pierre Madec, Hervé Péléraux, 14 avril 2021.

[2] Hors effet de l’extension de la prime à l’embauche
d’un jeune au-delà du 31 janvier 2021.

[3] Parmi eux, 1,6 million vivent dans un ménage qui n’est
pas celui leurs parents. Parmi eux, 350 000 sont étudiants, 140 000 sont
chômeurs, dont 84 000 ne perçoivent pas d’allocation chômage, 160 000 sont
inactifs, et 930 000 sont en emploi au sens du BIT.

[4] Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie
A, B ou C et âgés de moins de 25 ans a augmenté de 50 000 entre le quatrième
trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020.

[5] Les 435 000 se
décomposent en : 210 000 en CDD ou en contrat saisonniers (8% de
moins d’1 mois, 15% entre 1 et 3 mois, 25% entre 3 et 6 mois et 30% entre 6
mois et 1 ans) ; 225 000 jeunes en CDI qui travaillent dans l’un des
secteurs les plus touchés soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée
indéterminé.




Entrée des jeunes dans la vie active : quelles évolutions de leurs trajectoires professionnelles ces vingt dernières années ?

Par Xavier Joutard

Les premières années de vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les trajectoires professionnelles des jeunes sortant pour la première fois du système éducatif.



Cela peut concerner la « Génération
de 2010 », c’est-à-dire les jeunes sortis du système de formation en 2010.
Ces jeunes sont entrés sur un marché du travail ayant subi la Grande récession
de 2008. Moins de 3 ans après, ils ont été confrontés à une nouvelle crise, celle
des dettes souveraines européennes, et ont ensuite continué à évoluer sur un
marché du travail très dégradé.

De plus, cette génération, davantage
diplômée que les précédentes, se retrouve au cœur de transformations plus
structurelles du marché du travail : évolution des pratiques de recrutement
avec l’explosion des embauches sur contrats courts, nouvelles vagues
d’innovations technologiques liées à la numérisation et l’intelligence
artificielle, tertiarisation croissante des activités économiques, etc. 

Par rapport aux jeunes de la
« génération de 1998 », ayant eu la chance de s’insérer dans une
conjoncture plus favorable, quels résultats peut-on mettre en avant en
comparant leurs trajectoires professionnelles, au cours de leurs premières
années sur le marché du travail ? Peut-on observer des différences selon
le genre et les niveaux de formation ?

Un accès à l’emploi à durée
indéterminée plus tardif et moins fréquent pour les jeunes hommes les moins
diplômés de 2010

À l’aide des enquêtes Génération du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), on a reconstitué et comparé les trajectoires d’insertion de jeunes sur leurs 7 premières années d’activité : ces enquêtes permettent en effet de suivre des jeunes d’une même génération, sortant de formation initiale la même année et interrogés à 3 reprises, (3, 5 et 7 ans après leur sortie).  L’insertion des jeunes sortant du système éducatif sur le marché du travail s’est dégradée en vingt ans. Particulièrement pour les jeunes hommes sortant de formation initiale sans diplôme ou avec un seul diplôme du secondaire. Sept ans après leur entrée sur le marché du travail, seule une minorité des jeunes les moins qualifiés – disposant au mieux du baccalauréat – de la génération 2010 ont un emploi à durée indéterminée à temps complet (47 %, soit 20 points de moins qu’il y a 12 ans, cf. aires bleues des graphiques 1). Et le délai d’accession à un tel emploi s’est fortement rallongé :  il faut près de 5 ans en moyenne pour obtenir un premier CDI à temps complet pour un jeune homme peu ou non qualifié entré sur le marché du travail en 2010. Pour génération 1998, ce délai était de 2 à 3 ans (32 mois, cf. tableau I-1).

Une moindre dégradation de l’insertion des jeunes les plus qualifiés sur le marché du travail

Les jeunes plus qualifiés ayant
obtenu un diplôme du supérieur semblent moins impactés par des conditions
économiques dégradées en début de carrière : les taux d’insertion dans
l’emploi stable – CDI à temps partiel et complet – à horizon de 7 ans restent
toujours élevés pour les sortants de la génération 2010 : 77 % pour
les jeunes hommes et 71 % pour les jeunes femmes (cf. graphiques 3-B et
4-B). En revanche, ils mettent davantage de temps pour accéder au premier
emploi à durée indéterminée : 8 à 10 mois en moyenne de plus que la
génération 1998 (cf. tableau I-2). De plus, ils traversent plus souvent une
période de précarité, qui se traduit par un passage plus fréquent par un
contrat à durée déterminée au cours des 7 premières années de vie active :
68% (56%) des jeunes femmes (hommes) sont passées au moins une fois par un CDD
entre 2010 et 2017, soit une progression de 4 points par rapport à la
génération de 1998.

 Des analyses du Céreq ont également montré que les perspectives d’évolution de carrière et de salaire ont été dégradées pour les jeunes les plus qualifiés : plus grande difficulté à accéder au statut de cadre (Epiphane et al., 2019), progression des taux de déclassement professionnel (Di Paola et Moullet, 2018) et moindre « rentabilité » de leur diplôme avec des salaires inférieurs (Barret et Dupray, 2019).

Des trajectoires professionnelles devenues très proches entre les hommes et les femmes les moins qualifiés

Les trajectoires d’insertion s’étant
fortement dégradées pour les jeunes hommes les moins qualifiés, elles se sont
par conséquent très nettement rapprochées de celles des jeunes femmes les moins
qualifiées. Elles sont même aujourd’hui quasi-identiques selon le genre (cf.
graphiques 1-B et 2-B), alors que les jeunes femmes de la génération 1998
subissaient un taux d’emploi en CDI plus de 20 points inférieurs à celui de
leurs homologues masculins. Une différence subsiste toutefois entre les
genres : la part des CDI à temps partiels chez les jeunes femmes peu ou
non qualifiées (« aire jaune » dans les graphiques) reste largement
supérieure à celle des jeunes hommes.

En revanche, parmi les jeunes
diplômés les plus qualifiés, les écarts hommes-femmes restent marqués. 75 % des
jeunes hommes bénéficient de CDI à temps plein, après 7 ans d’expérience sur le
marché, contre 60 % des jeunes femmes, soit 15 points de plus. De plus, les
durées d’accès à un premier emploi de ce type sont plus longues de 8 mois pour
les jeunes femmes.

Références complémentaires :

Altonji J. G., Kahn L. B. et J. D.
Speer, 2016, « Cashier or Consultant? Entry Labor Market Conditions, Field of Study, and Career
Success », Journal of Labor Economics, 34(1), pp. 361-401.

Barret C.  et A. Dupray, 2019, « Que gagne-t-on à
se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », Céreq
Bref,
n° 372.

Couprie H. et X. Joutard, 2017,
« La place des emplois atypiques dans les trajectoires d’entrée dans la
vie active : évolutions depuis une décennie », Revue Française
d’Economie
, volume XXXII, pp. 59-93.

Couprie H. et X. Joutard, 2020, « Atypical
Employment and Prospects of Young Men and Women on the Labor Market in a Crisis
Context », mimeo.

Di Paola, V. et S. Moullet, 2018,
« Le déclassement, un phénomène enraciné »   dans « 20 ans d’insertion professionnelle
des jeunes, entre permanences et évolutions
 » coordonné par T.
Couppié, A. Dupray, D. Epiphane et V. Mora, Céreq Essentiels.  

Epiphane D., Mazari Z., Olaria M.
et E. Sulzer, 2019, « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une
génération plus diplômée », Céreq Bref, n° 382.