Un coup de pouce au SMIC ou au RSA ?

par Guillaume Allègre

Le gouvernement s’est engagé à un coup de pouce exceptionnel et « raisonné » pour le SMIC puis à une indexation fonction de la croissance et non plus seulement du pouvoir d’achat des ouvriers. Dans Les Echos, Martin Hirsch plaide lui pour un coup de pouce au RSA plutôt qu’au SMIC. Il convient de ne pas opposer travailleurs pauvres, auxquels le RSA s’adresse, et bas salaires : les politiques de redistribution doivent s’attaquer aux inégalités tout au long de l’échelle des revenus et pas seulement à la pauvreté.

En termes de réduction des inégalités, il existe plusieurs stratégies ; une première stratégie vise à réduire les inégalités individuelles de salaires ; une autre vise à réduire les inégalités de niveau de vie entre ménages, niveau auquel les individus sont supposés solidaires. Ces deux stratégies ont, chacune, leur légitimité. Le RSA activité et le SMIC ne sont ainsi pas substituables (voir aussi « le SMIC ou le RSA ? »). Contrairement au RSA, la lutte contre la pauvreté n’est pas l’objectif  du SMIC. Le SMIC a pour objectif « d’assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles une participation au développement économique de la nation ». Un SMIC élevé a pour effet de réduire les inégalités dans toute la partie basse de l’échelle des salaires, les hausses du salaire minimum se diffusant jusqu’à deux SMIC. Depuis le développement du chômage, des emplois précaires et à temps partiels, les salariés au SMIC à temps plein ne sont certes pas les plus pauvres, mais ils sont loin d’être aisés. Le SMIC réduit l’écart de revenus entre la classe populaire et la classe moyenne, ce qui est un objectif en soi (même si ceci peut-être mal perçu par une partie de la classe moyenne : par construction, la réduction des inégalités ne contente pas tout le monde). Surtout, il n’est pas équivalent de recevoir un salaire élevé ou de recevoir un salaire faible complété par une prestation sociale ciblée. Les prestations n’ouvrent pas de droits à la retraite ou au chômage. En termes de dignité, le niveau du SMIC représente la valeur qu’une société donne au travail. Les prestations sociales ciblées sur les plus pauvres mettent les individus concernés dans une position d’assistés, ce qui a des conséquences en termes de représentations (individuelles et collectives). Le travail étant effectué par des individus, il n’est pas illégitime de vouloir réduire les inégalités entre salariés et pas seulement entre ménages de salariés.

La proposition de coup de pouce au RSA est ambigüe car le terme RSA désigne à la fois un minimum social qui bénéficie à des chômeurs et inactifs (RSA ‘socle’, anciennement RMI et API) et un complément de revenus pour travailleurs pauvres (RSA ‘activité’). Si la proposition de coup de pouce ne concerne que le RSA activité, elle est incohérente avec l’objectif de cibler les foyers les plus défavorisés. Si, au contraire, elle concerne l’ensemble du RSA, ce qui serait légitime, il convient alors d’être plus explicite et d’assumer qu’elle bénéficiera principalement à des chômeurs et inactifs[1]. En mars 2012, il y avait en effet 1,59 million de bénéficiaires du RSA socle seul, et 689 000 du RSA activité (France entière) : seul un tiers des allocataires du RSA bénéficie de la partie activité.

La mise en place du RSA activité s’est soldée, jusqu’à présent, par deux échecs (« Les échecs du RSA ») : selon le rapport final du Comité national d’évaluation, les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie complément de revenus. Passons rapidement sur le premier point puisque les effets incitatifs du RSA ne sont plus mis en avant. Le problème principal d’un coup de pouce au RSA activité est bien le non-recours : dans le rapport, il est estimé, pour la partie RSA activité seul à 68% en décembre 2010[2]. Et ce n’est pas qu’une question de montée en charge : entre décembre 2010 et mars 2012, le nombre de bénéficiaires du RSA activité seul a très peu augmenté, passant de 446 000 à 447 000 en France métropolitaine. Lier l’éligibilité au RSA activité à la fois aux revenus d’activité et aux charges familiales et mêler dans un même instrument des bénéficiaires d’un minimum social et des travailleurs pauvres, parfois très bien intégrés au marché du travail, pose problème à la fois en termes de mauvaise évaluation de l’éligibilité à la prestation et de stigmatisation. Deux causes de non-recours au RSA activité sont ainsi soulignées: la connaissance insuffisante du dispositif d’une part et le non-recours volontaire d’autre part : 42% des non-recourants qui n’excluent pas d’être éligibles, déclarent qu’ils n’ont pas déposé de demande parce qu’ils « se débrouillent autrement financièrement », 30% n’ont pas déposé de demande parce que ils n’ont « pas envie de dépendre de l’aide sociale, de devoir quelque chose à l’Etat » (p.61). Une meilleure information ne serait donc pas suffisante pour régler le problème du non-recours. Au contraire, l’augmentation du SMIC a le grand avantage de bénéficier automatiquement aux personnes concernées sans crainte de stigmatisation puisqu’il s’agit de revenus du travail.

Contrairement au RSA, l’augmentation du SMIC brut augmente le coût du travail. Toutefois, il existe plusieurs stratégies permettant d’augmenter le SMIC net sans effet sur le coût du travail : l’augmentation peut être compensée par une baisse des cotisations sociales employeurs. On peut aussi alléger les cotisations sociales salariales sur les bas salaires. Mais, cette proposition risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel, qui en 2000 avait retoqué l’exonération de CSG sur les bas salaires au motif que la progressivité de la CSG ne se serait alors pas appuyée sur la faculté contributive des ménages[3]. Enfin, une réforme de plus grande ampleur visant à fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu permettrait de réduire l’imposition sur les bas salaires et d’augmenter ainsi le Smic net. L’intégration de la Prime pour l’emploi permettrait aussi de faire apparaître directement les sommes concernées sur la feuille de paie.

La lutte contre les inégalités ne doit évidemment pas s’arrêter aux inégalités de salaires entre salariés à temps-plein. Il convient de s’attaquer au temps partiel subi, en donnant des droits de passage au temps-plein aux salarié-e-s et/ou en rendant le temps partiel plus coûteux par une réduction du taux d’allégement général de cotisations patronales.

Fondamentalement, il n’y a pas de raison de vouloir faire fluctuer le niveau du RSA socle par rapport au SMIC. Or, du fait de l’indexation du RSA socle  sur les prix, son niveau a beaucoup baissé relativement au SMIC depuis le début des années 1990 (voir Périvier, 2007). Il serait donc légitime de revaloriser significativement le RSA socle (quitte à réduire le taux de cumul du RSA activité) et de l’indexer sur le niveau du SMIC. Ceci résoudrait définitivement la question du coup de pouce au SMIC ou au RSA.


[1] On voit ici que la ‘simplification’, qui a consisté à fusionner deux instruments en un seul, ne facilite pas le débat public

[2] Ce non-recours est partiellement expliqué par le fait que pour une partie des personnes éligibles (environ un tiers), les gains potentiels sont très faibles voire nuls du fait de la déduction des sommes versées au titre du RSA activité de la Prime pour l’emploi due. Mais le non-recours reste élevé même en prenant comme référence les gagnants potentiels (et non toutes les personnes éligibles).

[3] Décision n° 2000−437 DC du 19 décembre 2000 : « Considérant que, s’il est loisible au législateur de modifier l’assiette de la contribution sociale généralisée afin d’alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c’est à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables ; que la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789  »




Quelle réforme de la fiscalité du patrimoine ?

par Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau

Pourquoi et comment taxer le patrimoine ? La fiscalité française sur le patrimoine est-elle équitable et efficiente ? Dans un article, « Réformer la fiscalité du patrimoine ? », publié dans le numéro spécial « Réforme Fiscale » de la Revue de l’OFCE, nous examinons ces questions et proposons des pistes pour réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

Nous montrons que dans la période récente les revenus économiques réels du capital sont très importants. En effet, aux revenus visibles du capital (intérêts, dividendes, loyers reçus, etc.), il faut ajouter des revenus peu visibles (les gains en capital nets de la consommation de capital fixe et de la taxe inflationniste). Ces revenus peu visibles, car seule une partie des plus-values latentes est réalisée, constituent en moyenne une part importante des revenus des individus. Entre 1998 et 2010, malgré deux crises financières, les gains en capital ont augmenté en moyenne de 12 % par an le revenu réel par adulte (33 % en moyenne de 2004 à 2007). Cette progression est en grande partie due à la forte croissance des prix de l’immobilier.

Nous montrons également que l’imposition effective des revenus du patrimoine est faible bien que les taux d’imposition apparents sur les revenus du capital soient souvent élevés et que les taux d’imposition sur les revenus effectivement taxés soient encore plus élevés du fait de la non-prise en compte de la taxe inflationniste dans le calcul de l’impôt[1]. Lorsque l’on tient compte de l’ensemble de la fiscalité assise sur le patrimoine des ménages, qu’elle soit assise sur sa détention (ISF, taxe foncière), sa transmission (droits de mutation) ou ses revenus (Impôt sur le revenu, CSG, etc.), il apparaît que le taux d’imposition effectif sur les revenus économiques du capital[2] est de 11,1 % en moyenne. Cette faiblesse de l’imposition effective des revenus économiques du capital s’explique par le fait qu’une grande partie de ces revenus échappent, totalement ou en partie, à l’impôt : les plus-values immobilières sur la résidence principale sont totalement exonérées et partiellement sur les résidences secondaires ; le service de logement reçu par les propriétaires occupants (« loyers fictifs ») n’est  pas imposable alors que, net des intérêts, il constitue un revenu ; les donations servent à purger les plus-values, même lorsqu’elles ne sont pas imposées (il existe pour les donations en ligne directe un abattement de 159 000 euros par enfant renouvelable tous les dix ans) ; et certains revenus financiers échappent à l’imposition au barème (assurance-vie, livrets exonérés, etc.).

Nous discutons ensuite de pistes de réforme permettant d’imposer l’ensemble des revenus du patrimoine. Nous pensons que le revenu économique du patrimoine (ou revenu augmenté net du patrimoine), devrait être imposé au même titre que les revenus du travail. Une telle règle respecte l’équité (dans le sens où les ménages sont alors imposés selon leur capacité contributive, quelle que soit la source de leurs revenus), et permet de lutter contre l’optimisation fiscale. En effet, dans une économie de plus en plus financiarisée, il existe une porosité entre les revenus du travail et ceux du capital. Imposer différemment les revenus du capital ouvre alors la voie aux montages fiscaux. La priorité d’une réforme de la fiscalité assise sur le patrimoine devrait être d’imposer l’ensemble des plus-values réelles, notamment les plus-values immobilières qui aujourd’hui sont soumises à des règles spécifiques. En outre, parce qu’il s’agit d’un patrimoine immobile, ces règles ne peuvent être justifiées par la concurrence fiscale en Europe. Elles sont parfois défendues par l’argument de prise en compte de l’inflation ainsi que par le caractère spécifique de la résidence principale. Mais la prise en compte de l’inflation ne peut justifier l’exonération totale des plus-values immobilières pour les résidences secondaires après une certaine durée de détention (30 ans actuellement, 22 ans précédemment) : non seulement l’exonération sur les plus-values paraît inéquitable mais, de plus, elle peut inciter certains ménages à conserver des biens, notamment lors de bulles haussières. Et le caractère spécifique des biens immobiliers ne peut être invoqué lors de la sortie définitive du marché. L’imposition des plus-values réelles, nettes de l’inflation, de la consommation de capital fixe et des travaux d’amélioration serait donc préférable aux systèmes d’abattement selon la durée de détention. Elle pourrait avoir lieu lorsque la vente n’est pas suivie d’un rachat – pour ne pas pénaliser la mobilité – et lors des successions (taxation des plus-values latentes, avant le calcul des droits de succession). L’imposition des plus-values immobilières réelles lors de la sortie définitive du marché pourrait remplacer progressivement les droits de mutation à titre onéreux, ce qui serait favorable à la mobilité et à une plus grande équité horizontale.

Au vu de ces arguments, que penser des propositions contenues dans le projet présidentiel de François Hollande à propos de la fiscalité du patrimoine ? Il propose (1) d’imposer les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu au même titre que ceux du travail ; (2) de revenir sur les allégements de l’Impôt sur la fortune et de relever les taux d’imposition des plus hauts revenus ; (3) de ramener l’abattement sur les successions de 159 000 euros par enfant à 100 000 euros (il avait été porté de 50 000 à 150 000 euros en 2007).

(1) Le premier point nécessite en outre de supprimer les prélèvements forfaitaires libératoires et les multiples niches fiscales permettant d’échapper à l’impôt. Il rejoint nos propositions à condition que les revenus imposés au barème prennent en compte la taxe inflationniste et la consommation de capital fixe. Une telle proposition implique d’imposer les loyers fictifs qui constituent un revenu implicite du capital. Cependant, devant la difficulté d’estimation de la base imposable, les loyers fictifs ne sont plus imposés depuis 1965 (voir l’article de Briant et Jacquot). Une solution à cette difficulté est de permettre aux locataires et accédants de déduire de leur revenu imposable leurs loyers ou intérêts d’emprunt, en augmentant le taux moyen de l’impôt sur le revenu en compensation.

(2) Le deuxième point s’écarte de nos propositions, mais l’ISF est une solution pour imposer les gros patrimoines au fil de l’eau, même lorsqu’ils ne procurent pas de revenu imposable (en présence de plus-values latentes et en absence de dividendes ou de loyers perçus par exemple). Dans ces conditions, l’ISF n’a de sens que s’il n’est pas plafonné selon le revenu imposable (ou une notion proche). L’imposition sur la fortune est d’autant plus justifiée que les rendements réels, y compris les plus-values latentes des actifs sont peu hétérogènes (mais elle est alors équivalente à une imposition sur le revenu des actifs) ou que lorsque la supervision des  propriétaires peut améliorer le rendement des actifs (l’imposition assise sur la détention de patrimoine, et non le revenu, est alors une incitation supplémentaire «aux propriétaires à ‘activer’ leur patrimoine », comme le proposait  Maurice Allais). Au contraire, si les rendements des actifs sont hétérogènes et que les incitations à optimiser son patrimoine sont déjà élevées, l’imposition des revenus du patrimoine est préférable du point de vue de l’équité sans nuire à l’efficience économique.

(3) La plus forte imposition des successions paraît légitime du point de vue de l’égalité des chances. Il faudrait, selon nous, aller plus loin, au minimum en supprimant la purge de plus-value, notamment lorsque les biens ont été exonérés de droits de succession.

* Ce texte est issu de l’article « Réformer la fiscalité du patrimoine ? » publié dans le numéro spécial « Réforme fiscale » de la Revue de l’OFCE, disponible sur le site internet de l’OFCE.


[1] Comme le souligne Henri Sterdyniak : « Il est donc erroné de prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement taxés, ils le sont à des taux élevés. »

[2] Défini comme le ratio entre la somme des impôts assis sur le patrimoine et les revenus augmentés du patrimoine nets de la CCF et de la taxe inflationniste.

 




La réforme fiscale, maintenant ou jamais*

par Nicolas Delalande (Centre d’histoire de Sciences Po)

Si la question de l’impôt fut l’un des enjeux économiques majeurs de l’élection présidentielle, il faut rappeler qu’existe bien souvent un écart entre l’attention politique et médiatique reçue par un ensemble de promesses électorales (ce que les politistes appelleraient la « politics ») et leurs implications concrètes en termes de politiques publiques (les « policies »). Aussi peut-on se demander si la réforme fiscale aura bien lieu.

Depuis plus d’un an, les commentateurs et les acteurs politiques n’ont cessé d’affirmer que la question de l’impôt serait l’un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle. Beaucoup y voyaient l’un des véritables sujets de clivage entre la majorité sortante, qui avait parié avec la loi TEPA d’août 2007 sur une stratégie de « choc fiscal » pour libérer la croissance (bouclier fiscal à 50 %, réduction des droits de succession, défiscalisation des heures supplémentaires, etc.), et l’opposition de gauche, prompte à dénoncer l’injustice et l’inefficacité de mesures qui ont affaibli la progressivité de l’impôt sans procurer les bienfaits économiques escomptés, tout en creusant les déficits publics. Les promesses de réforme, voire de « révolution » fiscale, ont figuré en bonne place dans les programmes politiques, en particulier à gauche. Pour autant, l’intensité des conflits et des débats en matière d’impôt ne garantit pas que l’élection de François Hollande soit suivie d’une authentique transformation des structures de la fiscalité française. Il peut très bien exister un écart entre l’attention politique et médiatique reçue par un ensemble de promesses électorales (ce que les politistes appelleraient la « politics ») et leurs implications concrètes en termes de politiques publiques (les « policies »). Bonnes à défendre lors des campagnes, les réformes fiscales seraient en revanche nettement moins populaires une fois venu le temps de leur application, le volontarisme politique devant alors faire face à des résistances multiples et parfois non anticipées.

Un peu partout en Europe, cependant, la nécessité a été affirmée de renforcer la fiscalité sur les plus riches, non pas tant pour résoudre le problème des déficits publics que pour restaurer un semblant de justice et d’effort partagé en ces temps de crise économique. Plusieurs pays se sont engagés dans cette voie (le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu est ainsi de 57 % en Suède, de 50 % en Grande-Bretagne, de 45 % en Allemagne), quoique certains entament déjà une marche arrière (le gouvernement conservateur de David Cameron a proposé de diminuer le taux marginal supérieur pour le ramener à 45 % en 2013). Même des milliardaires, à l’image de Warren Buffet aux États-Unis, ont appelé à relever les impôts des plus aisés pour mettre fin aux inégalités les plus criantes. La réforme ainsi comprise consiste en fait surtout à revenir sur les politiques des quinze ou vingt dernières années, en inversant la tendance à un effritement de la progressivité des prélèvements : il s’agit moins, à proprement parler, d’une réforme que d’une annulation des réformes antérieures. L’augmentation des recettes fiscales ne passe plus comme autrefois par la création de nouveaux instruments de prélèvement mais par la suppression des réductions d’impôt et des exonérations accordées depuis plusieurs années. D’où le débat, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, sur la nature réelle des « hausses d’impôt » : les républicains accusent les démocrates d’augmenter la charge fiscale, quand ceux-ci prétendent seulement revenir sur des exonérations qu’ils jugent indues et inefficaces. La réforme n’est alors rien d’autre que le rétablissement d’un état ex ante. En France, les socialistes se sont par exemple engagés à annuler ce qu’il reste du paquet fiscal de 2007 (après la suppression du bouclier fiscal en 2011), à réduire de manière significative les niches fiscales et à établir une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu : le point de référence de ces propositions reste inscrit dans le système actuel, tel qu’il fonctionnait il y a seulement cinq à dix ans, à l’exception de la promesse, ajoutée en cours de campagne, de créer une tranche exceptionnelle à 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros.

Le chemin d’une réforme de structure plus ambitieuse, telle que la proposent par exemple Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez dans leur ouvrage, relève d’une tout autre dimension. Ouvrir la « boîte noire » de la machine à redistribuer implique en effet d’engager un débat beaucoup plus vaste sur les missions de l’impôt, son organisation administrative et ses liens avec les politiques sociales et familiales. C’est ici que les « coûts » politiques des réformes, à l’instar de l’éventuelle suppression – ou modulation – du quotient familial, peuvent se faire sentir le plus directement. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel n’a jamais été aussi propice à l’ouverture de ces débats, compte tenu de l’érosion de la croyance selon laquelle la seule réforme bonne à mener serait celle de la diminution des prélèvements obligatoires. Les contraintes politiques, sociales et financières de cette nouvelle configuration s’annoncent certes complexes et exigeantes sur le plan démocratique, mais il ne fait guère de doute que le moment 2012 constitue une occasion unique d’engager des réformes ambitieuses, tant sont nombreuses les critiques contre les défaillances du système existant. Réformer l’impôt suppose de s’appuyer sur une coalition politique cohérente, de surmonter les diverses résistances sociales, institutionnelles et techniques susceptibles d’y faire obstacle, et de savoir tirer profit des circonstances favorables dans lesquelles s’érodent les idéologies et les croyances que l’on croyait solidement établies. D’un point de vue historique, il ne paraîtrait pas absurde que la crise économique actuelle, souvent comparée à celle des années 1930, appelle et nécessite une renégociation du pacte fiscal aussi vaste que celle expérimentée par les sociétés européennes et américaine dans le premier tiers du XXe siècle. Mais  le processus de réforme est forcément plus complexe qu’autrefois, dans la mesure où les systèmes de prélèvement et de redistribution, parvenus à un degré inédit de sophistication, reposent sur un empilement de dispositifs apparus à des dates différentes, dans des contextes politiques, économiques et sociaux singuliers,

* Ce texte est issu de l’article « L’économie politique des réformes fiscales : une analyse historique » publié dans le numéro spécial « Réforme fiscale » de la Revue de l’OFCE, disponible sur le site internet de l’OFCE.




Vers une grande réforme fiscale ?

Sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane

Plus que jamais la fiscalité est au centre de la campagne électorale et du débat public. La crise économique et financière, couplée à l’objectif de réduction rapide des déficits, bousculent nécessairement les discours électoraux et nous obligent à nous confronter à la complexité des mécanismes fiscaux. Comment les impôts interagissent-ils entre eux ? Avec quels effets ? Selon quelles mesures ? Quel consentement et quelles contraintes pour la fiscalité ? Comment répartir la charge fiscale entre les acteurs économiques ? Comment financer notre protection sociale ? Doit-on défendre une  « révolution fiscale » ou des réformes incrémentales ?. « Réforme fiscale », le nouvel ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, entend éclairer et approfondir le débat sur la fiscalité.

La première partie de l’ouvrage traite des contraintes et des principes de la fiscalité. Dans un article introductif, Jacques Le Cacheux définit du point de vue de la théorie économique, les grands principes qui devraient inspirer une nécessaire réforme fiscale. Nicolas Delalande, dans une analyse historique, souligne le rôle des ressources politiques, des contraintes institutionnelles et des compromis sociaux dans l’élaboration des politiques fiscales. Dans un cadrage budgétaire, Mathieu Plane revient sur les évolutions passées de la fiscalité et analyse la contrainte qui pèse aujourd’hui sur les finances publiques. Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux proposent la mise en place d’une taxe sur le carbone ajouté qui permettrait d’apporter une réponse fiscale face aux émissions de carbone importées.

Dans une deuxième partie, la question du partage de la charge fiscale entre ménages est posée. Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez répondent à l’article critique d’Henri Sterdyniak concernant la « révolution fiscale » qu’ils préconisent. Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul proposent une réforme globale de la politique familiale. Guillaume Allègre tente d’éclairer le débat sur le quotient familial. Enfin, Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau proposent de réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

La troisième partie concerne la question du financement de la protection sociale. Dans une vaste revue de littérature, Mireille Elbaum revient sur l’évolution du financement de la protection sociale depuis le début des années 1980 et examine les alternatives en débat et leurs limites. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau analysent plus spécifiquement l’impact de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » votée par le Parlement. Frédéric Gannon et Vincent Touzé présentent une estimation du taux de prélèvement marginal implicite du système de retraite français.

 




Taxe carbone aux frontières européennes : attachons nos ceintures !

par Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux

Comment contourner l’impasse actuelle des négociations climatiques internationales ? Par un dosage optimal d’incitations et de contraintes. Dans l’affaire qui l’oppose actuellement aux compagnies aériennes mondiales, l’Union européenne applique de manière justifiée cette combinaison gagnante pour imposer ce qui s’apparente à une taxe carbone à ses frontières. Elle brandit la menace de la contrainte de sanctions financières pour encourager un accord sectoriel qui n’a que trop tardé entre les compagnies aériennes en vue de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le bras de fer engagé par les compagnies aériennes de plusieurs grands pays, avec l’appui plus ou moins ouvert de leurs gouvernements, contre l’application de cette nouvelle réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre des appareils desservant le territoire de l’Union européenne (UE) constitue, dans cette perspective, un test crucial et un enjeu symbolique considérable, car c’est une grande première : toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE sont assujetties à la nouvelle mesure, de quelque nationalité qu’elles soient. Les responsables européens ont, le 9 mars dernier, réaffirmé leur détermination à maintenir cette réglementation, aussi longtemps qu’une solution satisfaisante n’aura pas été proposée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ; or 26 des 36 Etats membres du Conseil de l’OACI, dont la Chine, les Etats-Unis et la Russie, se sont déclarés hostiles aux nouvelles contraintes européennes, enjoignant leurs compagnies aériennes de ne pas s’y soumettre. Et le gouvernement chinois menace à présent de bloquer, voire d’annuler, les commandes de 45 appareils Airbus, dont 10 gros porteurs A380, si la décision européenne n’est pas abrogée.

Des émissions aériennes en forte hausse

Les émissions de GES imputables au transport aérien ne représentent qu’environ 3 % des émissions mondiales et européennes (de l’ordre de 12 % des émissions totales issues des transports dans l’UE). Mais, en dépit des progrès accomplis par les avionneurs en matière d’intensité énergétique, ces émissions, qui sont encore modestes au regard du transport routier, connaissent une croissance explosive depuis 20 ans, beaucoup plus rapide que celle de tous les autres secteurs, y compris le transport maritime (graphique). Il faut donc les maîtriser.

En outre, les carburants utilisés par les compagnies aériennes ne sont, dans la plupart des pays et notamment dans l’UE, pas soumis à la taxation habituelle qui frappe les produits pétroliers, ce qui constitue une évidente distorsion de concurrence par rapport aux autres modes de transport.

Un cadre juridique robuste

Entrée en vigueur le 1er janvier 2012, la nouvelle réglementation européenne oblige toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE à acquérir des permis d’émission pour un montant correspondant à 15 % des émissions de CO2 engendrées par chaque trajet à destination ou en provenance de ces aéroports. Non discriminatoire, puisqu’elle concerne indistinctement toutes les compagnies desservant l’espace européen, quelle qu’en soit la nationalité ou la résidence, cette obligation fondée sur la protection de l’environnement est dès lors parfaitement conforme à la Charte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Elle est également bien entendu conforme aux traités européens mais aussi aux diverses dispositions du droit international en matière d’aviation civile, comme l’a rappelé, dans son arrêt du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne saisie par plusieurs compagnies aériennes américaines qui en contestaient la légalité. Le cadre juridique de cette nouvelle disposition est donc robuste.

Vers la mort du transport aérien ?

Les compagnies aériennes et les gouvernements des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre hostiles à cette mesure justifient leur opposition frontale par son inopportunité, dans la conjoncture actuelle de faiblesse de la croissance et de hausse du coût des carburants, et par son coût excessif : la hausse induite des tarifs aériens passagers serait de nature à déprimer davantage une industrie déjà fragilisée.

En réalité, la mesure est largement symbolique et son coût presque insignifiant. Que l’on en juge : selon le calculateur Air France agréé par l’ADEME, les émissions par passager pour un aller-retour sont d’un peu plus d’une tonne de gaz carbonique pour un Paris-New-York, et d’environ 1,4 tonne pour un Paris-Pékin. Le prix actuel de la tonne de carbone sur l’ETS – le marché européen du carbone sur lequel les compagnies doivent acquérir les permis d’émission – étant d’un peu moins de 8 euros, le surcoût par billet s’établit respectivement à 1,2 euro pour un Paris-New-York et 1,7 euro pour un Paris-Pékin ! (le calculateur de l’OACI donne des estimations encore inférieures).

Vers la guerre commerciale ?

Les menaces d’annulation de commandes d’Airbus ou d’autres représailles commerciales sont évidemment sans commune mesure avec l’incidence économique de la taxe sur le ciel européen en l’état actuel de la législation. Craindre que celle-ci ne déclenche une « guerre commerciale », c’est en outre oublier que cette guerre est déjà déclarée dans l’industrie, en particulier dans le secteur aérien (avec la multiplication des subventions publiques plus ou moins déguisées, y compris en Europe et l’usage du taux de change, véritable arme de politique industrielle). De plus, les accords ou les annulations de commande dans ce secteur sont de toute façon très souvent influencés par le contexte politique, parfois pour des motifs douteux (comme dans le cas de rapprochements diplomatiques avec des régimes peu fréquentables). Ici, le motif est légitime, puisqu’il s’agit de défendre l’intégrité de la politique climatique européenne.

Relayées par les groupes de pression ciblés – en l’occurrence les avionneurs –, les menaces et chantages de tous ordres sont destinés à faire fléchir les gouvernements pour obtenir des gains à courte vue. Ils visent notamment les pays, au premier rang desquels l’Allemagne et la Pologne, qui traînent aujourd’hui des pieds pour accepter la proposition de la Commission d’accélérer le rythme de réduction des émissions européennes, en passant de 20 % à 30 % l’objectif de réduction des émissions en 2020 (par rapport au niveau de 1990). L’Allemagne et la Pologne agissent, comme c’est au demeurant leur droit, sur le dossier climatique, respectivement, conformément à une stratégie de croissance fondée sur les exportations et une stratégie énergétique fondée sur le charbon. Dans les deux cas, il s’agit de choix nationaux qui ne doivent pas prévaloir sur les orientations européennes. Il n’y a donc, du point de vue de l’intérêt européen, aucune raison valable de céder à ces pressions, même relayées par certains Etats membres.

En confirmant sa détermination, l’UE peut administrer la preuve que son leadership par l’exemple sur le plan climatique dépasse l’enjeu de l’exemplarité morale pour aboutir à des changements effectifs de comportements économiques. L’UE peut donner à voir toute l’efficacité d’une stratégie climatique régionale dans un contexte global bloqué. S’il devait se confirmer, le succès de la stratégie européenne, consistant à inciter à des stratégies coopératives sous la menace crédible de sanctions, indiquerait la voie pour sortir de l’impasse des négociations climatiques.

L’Union européenne va, dans les prochaines semaines, traverser une zone de turbulences (une de plus) sur le dossier de sa taxe carbone aux frontières. Il serait juridiquement absurde et politiquement très coûteux de faire machine arrière maintenant : attachons plutôt nos ceintures et attendons tranquillement l’extinction du signal lumineux.

 

 




De l’imposition des revenus et du capital des ménages

par Henri Sterdyniak

L’idée qu’en France les revenus du patrimoine bénéficieraient d’une fiscalité particulièrement faible de sorte qu’il serait possible de rendre le système français plus équitable en augmentant leur imposition est très répandue. Dans une note de l’OFCE, nous comparons la fiscalité portant sur les revenus du travail et celle portant sur les revenus du capital. Nous montrons que la plupart des revenus du capital sont autant imposés que les revenus du travail. Les réformes décidées pour 2012 augmentent encore la taxation des revenus du capital. Les marges de manœuvre sont faibles. Il existe cependant des niches fiscales et quelques exceptions, la plus notable aujourd’hui étant la non-imposition des loyers implicites (ceux dont bénéficie le ménage qui possède son logement).

Le tableau compare les taux d’imposition marginaux des différents types de revenus. Les taux économiques (intégrant IS, cotisations non contributives, CSG, prélèvements sociaux) sont nettement supérieurs aux taux affichés. Les intérêts, les revenus fonciers, les dividendes et les plus-values taxées sont approximativement imposés comme les salaires les plus élevés. Il est donc erroné de prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement taxés, ils le sont à des taux élevés.

Le taux d’imposition affiché des revenus du capital a augmenté de 29 % en 2008 à 31,3 % en 2011 du fait de la hausse de 1,1 point du taux des prélèvements sociaux pour financer le RSA, de 1 point du taux de prélèvement libératoire et de 0,2 point du taux de prélèvement sociaux pour financer les retraites. Le gouvernement a financé l’extension de la politique sociale en taxant les revenus du capital. Ce taux passera à 39,5 % (pour les intérêts), à 36,5% pour les dividendes sur les revenus de 2012.

Faut-il préconiser une réforme radicale : la soumission de tous les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu ? Ceci peut être justifié pour des raisons d’affichage (bien montrer que tous les revenus sont pareillement imposés), mais pas sur le plan purement économique.

En ce qui concerne les revenus d’intérêts, ce serait oublier le taux d’inflation. La tranche de 41 % correspondrait à un prélèvement de 108 % sur le revenu réel d’un placement rémunéré à 4 % pour un taux d’inflation de 2 %. Pour les dividendes, ce serait oublier que les revenus concernés ont déjà payé l’IS ; la tranche de 41 % (en supprimant l’abattement de 40%) correspondrait ainsi à une imposition total de 70 %. Il faut effectuer un choix politique entre deux principes : un même taux de taxation économique pour tous les revenus (qui amènerait paradoxalement à conserver une fiscalité spécifique pour les revenus du capital) et une taxation plus forte des revenus du capital puisque ceux-ci sont surtout reçus par les plus aisés et ne sont pas les fruits de l’effort (qui amènerait paradoxalement à les traiter selon le même barème que les revenus du travail, en oubliant IS et inflation).

Le problème réside surtout dans les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation.  Pendant de longues années, les banques et les sociétés d’assurances avaient réussi à convaincre les pouvoirs publics qu’il fallait détaxer les revenus du capital financier des ménages. Deux arguments étaient utilisés : éviter que les plus riches placent leurs capitaux à l’étranger ; favoriser l’épargne longue et l’épargne à risque. C’est ainsi qu’avaient été exonérés les PEA, le PEP, les OPCVM de capitalisation. Les gouvernements sont progressivement revenus sur la plupart de ces dispositifs. Deux principes devraient  être réaffirmés : d’une part, tous les revenus du capital doivent être soumis à taxation, l’évasion fiscale devant être combattue par les accords européens d’harmonisation de la fiscalité ; d’autre part, c’est aux émetteurs de convaincre les épargnants de l’intérêt des placements qu’ils proposent, l’Etat n’a pas à favoriser fiscalement telle ou telle forme de placement.

Reste la possibilité qu’utilisent les familles aisées d’échapper à la taxation des plus-values par la donation aux enfants (en vie ou au moment du décès) ou par le départ à l’étranger avant leur réalisation. Ainsi, un riche actionnaire peut loger ses titres dans une société ad hoc qui reçoit ses dividendes, utiliser les titres de cette société comme caution pour obtenir des prêts de sa banque qui lui fournissent les sommes dont il a besoin pour vivre et ainsi ne pas déclarer de revenu ; puis léguer les titres de cette société à ses enfants, de sorte que les dividendes et les plus-values dont il a bénéficié ne sont jamais imposées à l’IR.

L’autre trou noir de la fiscalité réside dans la non-imposition des loyers implicites. Il n’est pas juste que deux familles de même revenu payent le même impôt si l’une a hérité d’un appartement et l’autre doit payer un loyer : leur capacité contributive est très différente

Deux mesures apparaissent donc souhaitables. La première consisterait à supprimer tous les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation des plus-values, en particulier faire payer l’impôt sur les plus-values latentes en cas de transmission par donation et héritage ou de départ à l’étranger. La deuxième serait d’introduire progressivement une taxation des loyers implicites, par exemple en faisant payer la CRDS-CSG et les prélèvements sociaux aux propriétaires de leur logement.

Ceci fait, il faudra faire un choix politique :

–         Soit supprimer l’ISF, puisque tous les revenus du capital financier et foncier seraient bien taxés à  60 %.

–         Soit considérer qu’il est normal que les patrimoines élevés contribuent en tant que tels aux frais de fonctionnement de la société, indépendamment des revenus qu’ils procurent. Dans cette optique, il faut maintenir l’ISF et ne pas comparer le montant de l’ISF au revenu du patrimoine dans la mesure où le but de l’ISF est précisément de mettre à contribution les patrimoines eux-mêmes.

 




Remplacer la PPE par un allègement de cotisations sociales salariales sur les bas salaires

Guillaume Allègre

Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remplacer la Prime pour l’emploi (PPE) par un allègement de cotisations sociales salariales sur les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic. L’allègement de cotisations pèserait 4 milliards d’euros et bénéficierait à 7 millions de travailleurs modestes. Le gain annoncé (un peu moins de 1 000 euros par an) serait nécessairement dégressif. La suppression de la PPE (2,8 milliards d’euros selon le Projet de loi de finances 2012, p. 76) serait complétée par une hausse des prélèvements sur les revenus financiers.

Cette proposition ressemble fort à la proposition initiale du gouvernement Jospin en 2000 prévoyant un abattement sur la Cotisation sociale généralisée (CSG) des revenus du travail en dessous de 1,4 Smic. Cette réforme, adoptée par le Parlement, avait été censurée par le Conseil constitutionnel car la baisse de la CSG accordée aux revenus modestes ne dépendait que des salaires individuels et non pas de la situation familiale. La CSG étant assimilé à un impôt, le Conseil avait jugé que sa progressivité devait tenir compte de la faculté contributive du contribuable et donc de ses charges familiales. Afin de répondre à cette censure, le gouvernement Jospin a créé un nouvel instrument, la Prime pour l’emploi, ayant les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais dont le calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle pour enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Par conséquent, la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La Prime pour l’emploi, votée sous le gouvernement Jospin, a été augmentée sous les gouvernements Raffarin et Villepin. En 2008, son poids était de 4,5 milliards d’euros (PLF 2010, p. 53). Un salarié à temps plein au Smic touchait alors 1 040 euros par an. Elle a ensuite été gelée par le gouvernement Fillon et son poids est passé de 4,4 à 2,8 milliards d’euros entre 2008 et 2012, soit une baisse d’1,7 milliards d’euros sous l’effet à la fois du gel et de la déductibilité du RSA-activité des primes versées de PPE. En 2012, un salarié à temps plein au Smic ne touche plus que 825 euros annuels. De plus, l’absence de coup de pouce au Smic a fortement réduit le nombre de foyers éligibles au taux plein (ainsi que le nombre de salariés éligibles au taux plein des allègements de cotisations patronales). Cet effet s’ajoute à l’effet de la hausse du chômage qui réduit le nombre de salariés éligibles. Un dispositif de 4 milliards, dont le gain maximal serait d’un peu moins de 1 000 euros, pèserait un peu moins que la PPE en 2008. Si l’on rajoute le coût du RSA-activité (1,6 milliards en 2012) et que l’on tient compte du coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions), on conclut que ces divers dispositifs de soutien aux salariés modestes pèseraient 5,6 milliards en 2012 contre 5,1 milliards en 2008, soit une augmentation à peine supérieure à l’inflation : les nouvelles politiques proposées depuis 2008 sont essentiellement financées par redéploiement d’instruments bénéficiant aux mêmes publics.

Le remplacement de la Prime pour l’emploi par un allègement de cotisations serait une avancée en termes administratifs puisque les pouvoirs publics cesseraient de prélever une cotisation pour reverser un crédit d’impôt plus faible aux mêmes personnes 6 à 12 mois plus tard. Le bénéfice de l’allègement de cotisations serait immédiat et fortement lié à l’emploi. Le fait que les salariés modestes sont des contributeurs et non des bénéficiaires de l’aide sociale serait clarifié. Les propositions de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu (dont la PPE est un élément) poursuivent exactement le même objectif. Cette réforme pose tout de même plusieurs questions. Comment réagirait le Conseil constitutionnel s’il était saisi ? Les salariés travaillant à temps partiel bénéficient aujourd’hui d’une majoration de Prime pour l’emploi ; serait-elle reconduite ?




Les précautions d’usage pour la lecture des résultats de simulations macroéconomiques: le cas de la TVA sociale

par Eric Heyer

En septembre 2007, l’OFCE avait réalisé des simulations sur les conséquences macroéconomiques de la mise en place d’une TVA sociale à l’aide de son modèle macroéconomique emod.fr. Ces dernières avaient été commentées et publiées en annexe du rapport Besson sur le sujet. Près de 5 ans plus tard, le gouvernement a décidé d’instaurer une TVA sociale et nous avons avec Mathieu Plane et Xavier Timbeau procédé à une nouvelle salve de simulations à l’aide de ce même modèle dont les premiers résultats ont été présentés et commentés lors d’une journée d’étude sur le thème de la fiscalité qui s’est déroulée à Sciences Po Paris le 15 février dernier. Pourquoi  avoir procédé à de nouvelles simulations et peut-on les comparer ?

 

1. Les mesures simulées sont différentes

Il existe de nombreuses différences entre la mesure simulée en 2007 et celle de 2012 :

a. Le choc n’est pas de même ampleur

En 2007, la mesure simulée était celle d’une hausse de 3,4 points du taux de TVA apparent, compensée par une baisse de cotisations employeurs de la même somme ex ante. La mesure proposée par le gouvernement en 2012 correspond à une hausse de 1,6 point de la TVA normal, ce qui correspond à une hausse de 1,1 point du taux apparent (10,6 milliards) et une augmentation de la CSG sur les revenus du capital de 8,2 % à 10,2 % pour un montant de 2,6 milliards d’euros. Ce supplément de recettes de 13,2 milliards permettra de financer la suppression des cotisations sociales patronales « famille ». Comparer les résultats nécessite au minimum de calibrer les chocs afin qu’ils soient de même ampleur. Notre modèle étant linéaire, une simple règle de trois permet alors de réévaluer l’impact de la mesure de 2007 et de la comparer à celle de 2012. Comme l’indique de tableau qui résume les résultats de ce recalibrage, les impacts sur l’emploi sont très proches entre les deux versions.

b. Le choc n’est pas de même nature

Contrairement aux simulations de 2007, outre le fait qu’il y ait une dose de CSG dans  son financement, la réduction des allègements de charges proposée par le gouvernement en 2012 est non uniforme. Elle est particulièrement ciblée sur les entreprises ayant des employés rémunérés entre 1,5 et 2,1 SMIC, ce qui a des impacts sectoriels différents selon la structure des salaires ainsi que des effets sur le coût relatif du travail peu qualifié / qualifié. Ainsi, en le centrant sur des travailleurs qualifiés dont l’élasticité au coût du travail est plus faible, cela diminue l’effet escompté sur l’emploi d’une baisse du coût du travail. Cet effet serait également réduit par une éventuelle substitution d’emplois non qualifiés par des qualifiés plus productifs : si un tel effet est largement documenté dans la littérature économique, notre modèle macro économétrique ne permet pas en l’état de le prendre en compte. Un enrichissement de notre outil est en cours et permettra à terme d’affiner nos résultats.

2. Le modèle utilisé (emod.fr) évolue au gré des ré-estimations

Enfin il est nécessaire de rappeler que les modèles macroéconomiques intègrent un certain nombre de paramètres estimés, auxquels les résultats sont sensibles. C’est le cas, dans la simulation qui nous intéresse, des élasticités des exportations et des importations à leurs prix ainsi que de l’élasticité de substitution capital-travail. Or la valeur estimée de ces paramètres est mise à jour régulièrement de manière à coller au plus près de la réalité telle qu’elle ressort de la comptabilité nationale. C’est ainsi par exemple que l’élasticité des exportations à leurs prix a considérablement évolué au cours des dernières années passant de -0,57 à -0,31 entre la version du modèle utilisée en 2007 et celle de 2012, rendant toute baisse des prix relatifs moins créatrice d’activité donc d’emplois.

Dans le prochain numéro de la Revue de l’OFCE nous présenterons en détails l’ensemble des résultats de nos simulations. Nous indiquerons également l’incidence du changement de valeur des principales élasticités sur nos évaluations afin de permettre aux lecteurs d’appréhender au mieux nos révisions d’impacts.

 

 

 




Faut-il remplacer le quotient familial par un crédit d’impôt ?

par Guillaume Allègre

Faut-il remplacer, à budget constant, le système de quotient familial de l’impôt sur le revenu par un système de crédit d’impôt pour chaque enfant ? Dans une note de l’OFCE (ici), nous faisons le point sur un débat qui oppose ceux qui pensent que le fonctionnement du quotient familial est régressif à ceux qui affirment qu’il est une composante nécessaire de l’impôt progressif. 

Nous montrons que le principe du quotient familial ne peut être considéré comme anti-redistributif, bien que les gains soient croissants lorsque le revenu augmente ! Par contre, son application s’éloigne de l’idée initiale d’imposition selon le niveau de vie. D’autre part, un système de crédit d’impôt serait très favorable aux ménages avec enfants les moins aisés au détriment des ménages avec enfants les plus aisés. Un remplacement du quotient familial par un système de crédit d’impôt impliquerait, selon le Trésor, un transfert de 3,5 milliards d’euros des ménages avec enfants les plus aisés aux ménages avec enfants les moins aisés et bénéficierait, en moyenne, tout autant aux familles nombreuses que le système actuel. Toutefois, un gain similaire de progressivité pourrait être obtenu en modifiant les barèmes des impôts sur le revenu. Au final, ni le système du quotient familial, ni le système du crédit d’impôt ne méritent certains excès d’indignité qui leur sont accordés de part et d’autre.

Les défenseurs de l’imposition selon le niveau de vie devraient approuver une réforme qui consisterait à supprimer les demi-parts supplémentaires à partir du troisième enfant et à attribuer aux enfants des parts équivalentes aux unités de consommation utilisées dans le calcul du niveau de vie (soit 0,3 part pour les enfants de 14 ans et moins, et 0,5 part pour ceux de 15 ans et plus). D’après le Trésor, une telle réforme dégagerait 2,3 milliards d’euros (p.20). Cette réforme devrait être accompagnée d’une réforme du quotient conjugal qui laisserait le choix à tous les conjoints entre l’imposition conjointe avec 1,5 part et l’imposition séparée avec 1 part chacun. A budget pour la politique familiale constant, les économies ainsi effectuées pourraient alors être utilisées pour aider les familles du bas de l’échelle des revenus (notamment sous la forme d’un complément ou d’une allocation familiale dès le premier enfant).

Parallèlement, les défenseurs du crédit d’impôt devraient tenir compte de certains risques. En effet, un des avantages principaux du quotient familial est de fonctionner automatiquement : une fois les règles déterminées, il n’y a pas besoin de renégocier ou d’indexer. La prise en compte de la charge familiale est ainsi protégée des aléas budgétaires (Sterdyniak, 2011). A l’inverse, un système de crédit d’impôt est beaucoup moins protégé : il peut être mis sous condition de ressources, indexé sur les prix et non sur les revenus, voire désindexé. Une règle d’indexation crédible est donc nécessaire pour qu’une réforme soit acceptable du point de vue de la politique familiale.




AAA, AA+ : RAS ?

par Jérôme Creel

La perte du AAA de la France le vendredi 13 janvier 2012 est un événement historique. Elle pose trois questions : fallait-il renforcer l’austérité budgétaire à l’automne 2011 ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle été singularisée ? Que faire désormais ?

La perte du AAA pour les obligations d’Etat françaises n’est pas surprenante, loin s’en faut. La crise des dettes publiques qui secoue la zone euro depuis plus de deux ans – elle a démarré à l’automne 2009 – n’a pas pu être gérée convenablement car elle est survenue en période de récession, à un moment où tous les Etats membres européens avaient les yeux rivés sur leurs propres difficultés économiques. Sans réponse concertée, passant par une solidarité immédiate et des garanties mutuelles octroyées par les Etats membres de la zone euro sur l’ensemble des dettes publiques de la zone, avec le soutien de la Banque centrale européenne (cf. Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, ici), la contagion prévisible a eu lieu. Les erreurs objectives de finances publiques commises par les gouvernements grecs successifs, puis les errements des banques irlandaises ont produit une crise européenne systémique.

En mettant en œuvre, tous en même temps, des politiques d’austérité budgétaire, les gouvernements européens n’ont fait qu’amplifier les difficultés économiques : la stagnation économique, voire la récession, sont désormais au programme de la zone euro (cf. Xavier Timbeau et al., ici). La dégradation des notations souveraines dans la zone euro était donc attendue. Elle pose cependant trois questions.

  1. Fallait-il renforcer l’austérité ? Mathieu Plane (voir ici), dans son commentaire sur le plan d’austérité français supplémentaire de 7 milliards d’euros, annoncé en novembre 2011, pointait déjà du doigt la course perdue au AAA. Les effets sur la croissance de cette austérité étaient objectivement incompatibles avec l’objectif d’assainissement budgétaire annoncé : cet argument ne peut pas avoir été négligé par Standard & Poor’s.
  2. Pourquoi l’agence S&P a-t-elle singularisé l’Allemagne et la Slovaquie, seules économies de la zone euro à n’avoir pas été dégradées vendredi 13 janvier ? Si leurs liens commerciaux sont indéniables (cf. Sandrine Levasseur, 2010, ici), ce qui peut justifier de les associer, ces deux économies, et surtout l’Allemagne, trouvent leurs principaux débouchés dans la zone euro. La décélération de la croissance dans la zone euro, hors Allemagne, ne sera certainement pas sans conséquence outre-Rhin (cf. Sabine Le Bayon, ici). On voit donc mal comment la contagion de la crise pourrait s’arrêter aux frontières de l’Allemagne et de la Slovaquie. On peut même interpréter la récente souscription d’obligations publiques allemandes à 6 mois, à un taux d’intérêt nominal négatif, comme le signe d’une extrême défiance à l’égard des banques commerciales allemandes. La fragilité de cette économie, dans la zone euro, n’est pas moindre que celle de la France.
  3. Que faire désormais, en France par exemple ? La perte du AAA témoigne à la fois de perspectives négatives sur l’état des finances publiques et sur la croissance économique. Si l’Allemagne n’est pas dégradée, peut-être est-ce parce que sa stratégie non coopérative passée a été jugée efficace par S&P. Le principe de fixation d’une TVA sociale peut donc être envisagée comme un moyen de rattrapage de la compétitivité française par rapport à l’Allemagne, comme le souligne Jacques Le Cacheux (ici) : si les Allemands l’ont fait, pourquoi pas nous, désormais ? Cela permettrait d’augmenter les recettes fiscales, en renversant l’avantage de compétitivité au profit des entreprises résidentes françaises. Après qu’une telle mesure aura été prise, si elle l’est, l’Allemagne et la France se retrouveront sur un même pied d’égalité. Ces deux pays, et les autres Etats membres de la zone euro, pourront alors sainement envisager une politique coopérative de relance européenne. Politique industrielle (cf. Sarah Guillou et Lionel Nesta, ici), politique sociale, politique climatique et énergétique ambitieuse (cf. Eloi Laurent, ici), politique financière par l’instauration d’une taxe commune sur les transactions financières dont le produit servirait à éviter désormais que les banques privées soient renflouées par les contribuables, ce qui libérerait des marges de manœuvre pour les trois premières politiques : telles sont quelques options possibles. Leur contour reste certes à définir, mais réclamer qu’elles soient mises en œuvre d’urgence est devenue une nécessité.