La BCE est-elle impuissante ?

Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

En juin 2014, la BCE annonçait un ensemble de nouvelles mesures (dont la description détaillée est proposée dans une étude spéciale intitulée « Comment lutter contre la fragmentation du système bancaire de la zone euro ? », Revue de l’OFCE, n°136), afin d’enrayer la baisse de l’inflation et soutenir la croissance. Mario Draghi avait ensuite précisé les objectifs de sa politique monétaire indiquant que la BCE souhaitait augmenter son bilan de 1 000 milliards d’euros pour retrouver un niveau proche de celui observé au cours de l’été 2012. Parmi les mesures mises en œuvre, beaucoup était attendu de la nouvelle opération de refinancement (TLTRO pour targeted long-term refinancing operation) qui doit permettre aux banques de la zone euro d’accéder au refinancement de la BCE sur une maturité de 4 ans en contrepartie de l’octroi de crédits au secteur privé (hors prêts immobiliers). Pourtant, après les deux premières allocations (24 septembre 2014 et 11 décembre 2014), le bilan est plus que mitigé, les montants alloués étant bien inférieurs aux attentes. Cette situation témoigne de la difficulté de la BCE à lutter efficacement contre le risque déflationniste.

En effet, après avoir alloué 82,6 milliards d’euros en septembre (contre un montant anticipé compris entre 130 et 150 milliards), la BCE n’a octroyé « que » 130 milliards le 11 décembre, soit un chiffre à nouveau inférieur à ce qui avait été anticipé. On est donc bien loin du montant maximum de 400 milliards d’euros qui avaient été évoqué par Mario Draghi en juin 2014 pour ces deux opérations. De plus, ces deux premières allocations sont clairement insuffisantes pour doper significativement le bilan de la BCE (graphique 1), et ce d’autant plus que les banques continuent à rembourser les prêts à trois ans qu’elles avaient obtenus fin 2011 et début 2012 dans le cadre du programme VLTRO (very long term refinancing operation)[1]. Comment expliquer la réticence des banques à recourir à cette opération qui leur permet pourtant de refinancer les crédits octroyés à un taux très bas et pour une durée de 4 ans ?

La première tient au fait que les banques ont déjà un accès très large et très avantageux aux liquidités de la BCE dans le cadre des opérations de politique monétaire déjà mises en œuvre par la BCE[2]. Ces opérations sont même actuellement assorties d’un taux d’intérêt plus faible que celui du TLTRO (0,05 % contre 0,15 %). De même, le TLTRO n’est pas plus attractif que certains financements de marché à long terme, surtout que de nombreuses banques n’ont pas de contraintes de financement. L’intérêt du TLTRO est donc marginal, lié à la maturité de l’opération, et plus contraignant car conditionnel à la distribution de crédit. Pour les deux premières opérations menées en septembre et décembre 2014, l’allocation ne pouvait dépasser 7 % de l’encours de prêts au secteur privé non-financier de la zone euro, à l’exclusion des prêts au logement, au 30 avril 2014. De nouvelles séries de TLTRO seront menées entre mars 2015 et juin 2016, sur un rythme trimestriel. Le montant maximum pouvant être alloué aux banques dépendra cette fois-ci de la croissance de l’encours de prêts au secteur privé non-financier de la zone euro, à l’exclusion des prêts au logement, entre la date du 30 avril 2014 et celle de l’adjudication considérée.

La deuxième raison tient au fait que la faiblesse du crédit dans la zone euro ne résulte pas uniquement des facteurs d’offre mais aussi de la demande. Le peu d’activité et l’objectif de désendettement des agents privés limitent la demande de crédit.

Troisièmement, au-delà de la capacité des banques à se refinancer, il est possible que les banques cherchent à réduire leur exposition au risque. Le problème est alors lié à leurs actifs. Or, les prêts non-performants se situent toujours à un niveau très élevé, notamment en Espagne et en Italie (graphique 2). En outre, bien que l’AQR (Asset Quality Review) menée par la BCE ait révélé que les risques d’insolvabilité étaient limités dans la zone euro, le rapport souligne également que certaines banques ont des niveaux de leviers élevés et qu’elles ont surtout utilisé les liquidités pour acheter des titres obligataires publics, afin de satisfaire leurs exigences de fonds propres. Elles réduisent alors le risque de leur bilan en limitant les crédits octroyés au secteur privé.

Enfin, deux éléments d’incertitude viennent réduire la participation des banques au TLTRO. Le premier concerne la stigmatisation liée à la conditionnalité du TLTRO et au fait que les banques qui ne respecteraient pas leurs engagements de distribution de crédit seront tenues de rembourser les financements obtenus auprès de la BCE après deux années. Les banques ayant des perspectives incertaines sur leur capacité à augmenter leurs prêts peuvent ainsi souhaiter éviter la perspective d’avoir à rembourser ces fonds plus tôt. Le second est lié aux incertitudes concernant les programmes d’achats d’ABS et de Covered Bonds[3]. Les banques pourraient également privilégier ces programmes pour obtenir des liquidités en contrepartie de la cession d’actifs dont elles souhaiteraient se débarrasser.

La politique monétaire est-elle devenue totalement inefficace ? La réponse est très certainement non, puisqu’en offrant aux banques la garantie qu’elles pourront refinancer leur activité via différents programmes (TLTRO, ABS, Covered Bonds, etc.), la BCE réduit les risques de rationnement du crédit liés aux passifs dégradés de certaines banques. La politique monétaire permet ainsi de rendre plus opérant le canal du crédit. Mais ses effets demeurent néanmoins limités, comme le suggèrent Bech, Gambacorta et Kharroubi (2012) qui montrent que la politique monétaire est moins efficace dans les périodes de reprise qui suivent une crise financière. Peut-on sortir de cette impasse ? Ce constat sur l’efficacité de la politique monétaire montre qu’il ne faut pas trop et tout attendre de la BCE. Il reste donc essentiel de compléter le soutien à l’activité par une politique budgétaire expansionniste à l’échelle de la zone euro. C’est aussi ce qu’affirmait le Président de la BCE pendant l’été lors de la conférence de Jackson Hole déclarant que « Les politiques de demande sont non seulement justifiées par la composante cyclique du chômage mais également parce que dans un contexte d’incertitude, elles permettent de se prémunir contre le risque d’effet d’hystérèse[4] ».

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[1] Voir dans la Revue de l’OFCE n°136, l’étude spéciale « Comment lutter contre la fragmentation du système bancaire de la zone euro ? » pour un exposé des différentes mesures de politique monétaire mises en place par la BCE depuis le début de la crise financière et une estimation de leur impact sur la sphère réelle.

[2] Cela inclut les opérations standards de politique monétaire ainsi que l’opération VLTRO par laquelle la BCE avait octroyé des liquidités pour une durée exceptionnelle de 3 ans en décembre 2011 et février 2012.

[3] Il s’agit ici de programmes d’achat de titres sur les marchés et non de liquidités octroyées directement aux banques. Les Covered bonds et les ABS sont des titres gagés sur des actifs et dont la rémunération dépend de celle de l’actif sous-jacent qui est nécessairement un crédit hypothécaire dans le cas des Covered bonds et qui peut inclure d’autres types de crédits (cartes de crédit, crédits de trésorerie aux entreprises, …) dans le cas des ABS.

[4] “Demand side policies are not only justified by the significant cyclical component in unemployment. They are also relevant because, given prevailing uncertainty, they help insure against the risk that a weak economy is contributing to hysteresis effects.”




L’introduction officielle de l’euro en Lituanie : cela ne change vraiment rien ?

Sandrine Levasseur

Le 1er janvier 2015, la Lituanie adoptera officiellement l’euro et deviendra ainsi le 19ème membre de la zone euro. Il s’agit bien d’une adoption officielle car, dans les faits, l’euro est déjà (très) présent en Lituanie. Par exemple, plus de 75 % des prêts aux entreprises et ménages lituaniens sont libellés en euros tandis que 25 % de leurs dépôts bancaires sont constitués d’euros.

L’utilisation de l’euro en Lituanie, conjointement à la monnaie nationale, comme monnaie de libellé des prêts, comme support d’épargne ou encore comme monnaie de facturation, n’est ni une anomalie ni une anecdote : elle concerne ou a concerné un certain nombre de pays de l’ancien bloc communiste. Cette « euroïsation »[1] est le résultat d’évènements économiques et politiques qui, à un moment ou l’autre de leur histoire, ont amené les pays à utiliser l’euro en sus de leur propre monnaie. Dans un tel contexte, l’introduction officielle de l’euro en Lituanie ne changerait donc rien ? Pas exactement. Des changements, certes mineurs, sont à attendre en Lituanie mais aussi au sein des instances décisionnelles de la BCE.

L’euroïsation des prêts et dépôts : le cas lituanien, ni une anomalie, ni une anecdote…

Si on exclut les principautés, îles et Etats qui ont négocié l’adoption de l’euro avec les instances européennes mais sans pour autant adhérer à l’Union européenne (Andorre, Saint Marin, Vatican etc.) ou les pays qui ont adopté l’euro de manière unilatérale (Kosovo et Monténégro), il reste tout un ensemble de pays qui utilise l’euro conjointement à leur propre monnaie. Ces pays sont très majoritairement des pays d’Europe centrale ou orientale, des Balkans ou encore de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Ainsi, en 2009, soit avant que l’Estonie et la Lettonie n’intègrent officiellement la zone euro (respectivement en 2011 et 2013), les emprunts des agents privés dans les trois Etats baltes étaient surtout libellés en euro, atteignant près de 90 % en Lettonie (Graphique 1). Des pays tels que la Croatie, la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie ou la Macédoine n’étaient pas non plus en reste, avec une part des prêts libellés en euros supérieure à 50 %. Du côté des dépôts en euros, les chiffres sont un peu moins saisissants (Graphique 2), mais interpellent quant à l’attrait que l’euro exerce dans certains pays en tant que monnaie de paiement, de réserve ou de précaution.

Source : Haiss et Rainer (2011).
Source : Haiss et Rainer (2011).

Source : Arregui et Bi (2012, p.15).
Source : Arregui et Bi (2012, p.15).

 

La conjonction de plusieurs facteurs explique l’utilisation de l’euro dans ces pays en sus de leur monnaie nationale :

– l’existence de changes fixes (ou relativement fixes) par rapport à l’euro, ce qui protège les emprunteurs contre le risque de renchérissement de leur dette libellée en euros (puisque la probabilité de dévaluation/dépréciation de la monnaie nationale est estimée comme étant faible) ;

– un taux d’intérêt sur les prêts libellés en euros plus faible que lorsqu’ils sont libellés en monnaie nationale ;

– une forte présence de multinationales (notamment dans le secteur bancaire) qui disposent non seulement de fonds en euros mais aussi de la « technologie » pour prêter/emprunter en euros ;

– pour les prêts en euros, l’existence ex ante de dépôts bancaires en euros, elle-même liée à de multiples facteurs (e.g. crédibilité des autorités monétaires, forte présence des multinationales, revenus de migration en provenance des pays de la zone euro).

Ces facteurs ont joué à des degrés plus ou moins importants selon les pays. En Lituanie, l’existence d’un régime de Currency Board [2] vis-à-vis de l’euro depuis 2002 a largement contribué à « l’euroïsation » de l’économie. Doté d’une grande crédibilité, ce régime de changes fixes a incité les entreprises et ménages lituaniens à s’endetter en euros et ce, d’autant plus qu’ils bénéficiaient de taux d’intérêt très avantageux (Graphique 3). La présence d’entreprises multinationales dans un certain nombre de secteurs a renforcé l’usage de l’euro comme monnaie de référence dans différentes fonctions (facturation, dépôt et épargne). Pour autant, l’importance en Lituanie de banques originaires de la zone euro ne doit pas être surestimée : les trois plus grandes banques opérant en Lituanie sont d’origine suédoise ou norvégienne. Le risque associé aux opérations de prêts en euros impliquait donc, au-delà du risque associé à la valeur du litas, un risque associé à la valeur d’une tierce monnaie… Ce dernier risque, bien évidemment, ne disparaît pas avec l’adoption officielle de l’euro par la Lituanie.

 

Source: Banque centrale de Lituanie.
Source: Banque centrale de Lituanie.

Au 1er janvier 2015, qu’est-ce qui changera ?

Quatre changements peuvent être mis en avant :

(1) L’euro circulera en Lituanie sous forme de billets et de pièces alors qu’auparavant, l’euro y existait essentiellement sous forme de monnaie scripturale (dépôts bancaires et prêts libellés en euros) ; l’euro deviendra la monnaie légale et sera utilisé pour toutes les transactions ; le litas lituanien disparaîtra à l’issue de quinze jours de circulation duale.

(2) Le changement d’étiquetage du prix des biens se traduira par un supplément d’inflation du fait d’arrondis réalisés plus souvent … à la hausse qu’à la baisse. Cependant, ce phénomène, observé dans tous les pays au moment du passage (officiel) à l’euro, ne devrait avoir qu’un impact mineur. L’expérience montre qu’en général l’inflation perçue est supérieure à l’inflation effective.

(3) La Lituanie adhère de facto à l’Union bancaire, ce qui peut procurer des bénéfices à son secteur financier (e.g. opportunités de collaboration supplémentaires dans un espace monétaire et bancaire commun, existence d’un mécanisme de résolution ordonnée en cas de difficultés d’un établissement bancaire).

(4) Le gouverneur de la banque centrale de Lituanie deviendra membre du Conseil des gouverneurs de la BCE et, de ce fait, participera aux décisions de politique monétaire de la zone euro alors qu’auparavant, du fait de son régime de Currency Board [3], la banque centrale de Lituanie n’avait d’autres choix que de « suivre » les décisions prises par la BCE de façon à maintenir la parité par rapport à l’euro. D’aucuns pourront arguer que, de toute façon, la Lituanie ne pèsera pas dans les choix de politique monétaire de la BCE du fait de la taille de son économie. Il faut toutefois remarquer que l’entrée de la Lituanie dans la zone euro fait évoluer le mode décisionnel au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE. Le principe « un pays, un vote » qui prévalait jusqu’à maintenant est en effet abandonné, conformément aux Traités, du fait de l’entrée d’un 19ème membre dans la zone euro. Dorénavant, les cinq « grands » pays de la zone euro (définis par le poids de leur PIB et de leur système financier) disposeront de quatre droits de vote tandis que les quatorze autres pays disposeront de onze voix. Le vote dans chacun des groupes s’établira selon un principe de rotation, ce qui mécontentent les allemands mais pas seulement. Dans les faits, cependant, il n’est pas certain que ce changement dans le système des votes modifie beaucoup les décisions. Par exemple, si le gouverneur de la banque centrale allemande ne dispose plus que de 80 % de son droit de vote, il dispose toujours de 100 % de son droit de paroles… En ne votant pas un mois sur cinq, peut-on supposer qu’il perde son pouvoir de persuasion ?

Le 1er janvier 2015, l’adoption officielle de l’euro par la Lituanie n’aura donc rien d’un Big Bang. En revanche, elle sera lourde de symboles pour la Lituanie qui affichera encore un peu plus son ancrage à l’Europe mais aussi pour la zone euro qui (dé-)montrera une fois de plus que, malgré ses turbulences, elle a encore des sympathisants. Le fait le plus marquant de l’adhésion de la Lituanie à la zone euro restera sans doute le changement dans l’organisation des droits de vote au sein de la BCE : là encore, la portée symbolique est forte puisque cela sonne le glas du principe « un pays, un vote ».

 

 

Le lecteur intéressé par la problématique d’euroïsation pourra lire :

Mathilde Desecures et Cyril Pouvelle (2007), Les enjeux de l’euroïsation dans les régions voisines de la zone euro, Bulletin de la Banque de France, N° 160, Avril 2007.

Sandrine Levasseur (2004), Why not euroization ? Revue de l’OFCE, Special Issue « The New European Union Enlargement », April 2004.

Le lecteur intéressé par le système de rotation des droits de vote à la BCE pourra consulter :

Alan Lemangnen (2014), La BCE vers un système de rotation des droits de vote : ne varietur, Special Report Natixis, 18 février 2014.

Silvia Merler (2014), Lithuania changes the ECB’s voting system, Blog of Bruegel, 25th July 2014.

 


[1] Stricto sensu, l’euroïsation fait référence à l’adoption de l’euro comme monnaie légale par un pays sans qu’il en ait reçu l’autorisation par l’institution émettrice (i.e. la Banque centrale européenne) et les autorités décisionnaires (i.e. les chefs d’Etat des pays membres de l’Union européenne). L’euroïsation est alors dite unilatérale. Elle se distingue du phénomène dont il est question ici : l’euro est utilisé conjointement à la monnaie nationale mais seule la monnaie nationale a cours légal.

[2] Un Currency board (ou « caisse d’émission monétaire ») est un régime de changes fixes dans lequel la banque centrale se contente de convertir les entrées et sorties de devises en monnaie locale à la parité pré-définie. La banque centrale qui adopte ce régime renonce à conduire une politique monétaire autonome : son rôle est réduit à celui de « caisse ».

[3] Voir note 2.




Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur

Par Céline Antonin

Alors que Matteo Renzi avait bénéficié d’un relatif « état de grâce » depuis son élection en février 2014, le vote de la réforme contestée sur le marché du travail (le Jobs Act) par le Sénat, début décembre, a donné lieu à un mouvement de grève générale, une première depuis son arrivée au pouvoir. Est-ce la fin de la lune de miel entre Matteo Renzi et le peuple italien ? Certes, alors que son arrivée au pouvoir avait suscité une vague d’espoir, le premier bilan est décevant. Les réformes passent mal alors même que l’Italie connaît sa troisième année consécutive de récession (-0,2 % de croissance prévue pour 2014) et qu’elle doit affronter les critiques de la Commission européenne sur son incapacité à réduire son déficit structurel. Cette réforme, d’inspiration libérale, vise à introduire un régime de flexi-sécurité. La mesure qui cristallise toutes les passions est la suppression de l’article 18 du Code du travail, permettant la réintégration en cas de licenciement abusif.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n° 48, 16 décembre 2014) nous étudions la réforme du marché du travail en cours en Italie, un enjeu de taille en raison de la segmentation du marché du travail, du taux de chômage des jeunes élevé et de l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. Pour légitime qu’elle soit, la réforme du Jobs Act semble trop partielle pour pouvoir produire de véritables effets. A court terme, la priorité de l’Italie doit être mise sur l’investissement. Seule la poursuite d’une politique monétaire expansionniste, la poursuite de l’Union bancaire et une politique d’investissement public ambitieuse pourront permettre au pays de normaliser l’accès au financement bancaire et de retrouver de la croissance. Une fois ces conditions réunies se pose la question d’une réforme structurelle du marché du travail ; cette réforme doit être couplée avec celle du marché des produits pour permettre à l’Italie de restaurer sa productivité et d’améliorer durablement sa croissance potentielle.




iAGS 2015 : Une Europe divisée et à bout de souffle

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Xavier Timbeau

L’Europe se trouve dans une situation critique qui nécessite un changement de politique économique. Toutes les possibilités doivent être envisagées. Des mesures non-conventionnelles ou extra-ordinaires doivent être prises pour éviter un nouvel échec et échapper à la menace de stagnation séculaire. C’est précisément l’objet du troisième rapport indépendant sur la croissance annuelle (résumé dans la dernière Note de l’OFCE n° 47 du 15 décembre 2014 – en réponse au Rapport sur la croissance annuelle publié par la Commission européenne – de faire une analyse critique de la stratégie macroéconomique européenne et de proposer des solutions alternatives.

L’incapacité à sortir durablement de la crise laisse de nombreuses séquelles sur le plan économique, social et politique. Le chômage reste à un niveau historique, ce qui accroît les inégalités et interrompt le processus de convergence entre les régions européennes. Les pressions à la baisse sur les salaires et le besoin de réduire les déséquilibres intra-zone euro nourrissent la déflation. Le désendettement public ou privé n’est pas achevé et la perspective d’une baisse des prix crée un cercle vicieux par lequel la stagnation va se prolonger. Le projet européen d’une économie prospère et intégrée ne saurait progresser si la reprise échoue une nouvelle fois.

La politique monétaire ne peut résoudre à elle seule l’ensemble des problèmes de la zone euro. La coordination des politiques budgétaires est encore déficiente et biaisée en faveur d’une réduction rapide des déficits budgétaires et de la dette publique. Ces biais doivent être corrigés. La gravité de la situation économique impose plus qu’une simple atténuation de la consolidation budgétaire. Il faut à la fois maintenir les avancées fragiles de la discipline budgétaire et de la solidarité financière naissante entre les Etats membres, mais aussi pouvoir produire le stimulus nécessaire à la sortie de la crise. Il faut profiter de l’opportunité offerte par des taux d’intérêt souverains bas : les multiplicateurs d’investissement public sont très élevés, évalués à 3 par le FMI, et les besoins d’investissements sont nombreux après leur diminution notable au cours des  précédentes années et la nécessaire transition vers une économie à bas carbone.

Le Plan Juncker pourrait être un premier pas en ce sens puisqu’il envisagerait d’exclure les contributions des Etats membres de la définition du déficit ou de la dette utilisée pour le respect des règles en vigueur (principe de neutralisation). Ce premier pas, jouant sur des montants de financement clairement insuffisants, ouvre cependant la voie pour mettre en œuvre une politique budgétaire expansionniste au niveau agrégé tout en maintenant les contraintes sur les politiques budgétaires nationales. Les réformes structurelles ne peuvent être des substituts au besoin de relance, notamment parce que leurs effets à court terme sur les prix et l’activité peuvent être négatifs et que leurs effets positifs sont longs à se produire.

 




Europe bancaire : l’Union fait-elle la force ?

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Depuis le 4 novembre 2014, la Banque centrale européenne est devenue le superviseur unique des banques de la zone euro. Il s’agit de la première étape de l’Union bancaire.

La crise économique et financière, qui a débuté en 2007, a révélé des fragilités européennes :

–           Les marchés bancaires nationaux, en apparence compartimentés, se sont révélés fortement interdépendants, en témoigne un niveau élevé de propagation-contamination ;

–           Les réponses nationales de soutien aux banques ont souvent manqué de coordination ;

–           Le soutien des Etats au système bancaire, dans un contexte d’endettement public élevé, a conduit à une forte corrélation entre risque bancaire et risque souverain ;

–           L’absence de mécanismes de transfert budgétaire a fortement limité la solidarité européenne.

En 2012, l’idée de l’Union bancaire est née d’une triple nécessité : briser le lien entre crise bancaire et dette souveraine en permettant une recapitalisation directe des banques en difficulté par le Mécanisme européen de stabilité ; prévenir les paniques bancaires ; éviter la fragmentation des marchés bancaires en zone euro.

L’Union bancaire s’organise autour de trois piliers : un mécanisme de supervision unique (MSU), un mécanisme de résolution unique (MRU) avec un fonds de résolution et une logique de renflouement interne des banques (bail-in), ainsi qu’un système unique de garantie des dépôts avec un fonds de garantie.

L’Union bancaire offre des solutions nouvelles. Toutefois, elle laisse des zones d’ombre et la solidarité européenne née de l’Union bancaire pourrait être insuffisante pour répondre à des chocs majeurs.

La dernière Note de l’OFCE (n° 46 du 18 novembre 2014) retrace le contexte qui a présidé à la mise en place de cette Union bancaire et dresse un bilan des avantages et limites d’une telle avancée de l’Europe bancaire.  Cette note a été réalisée dans le cadre de l’étude spéciale intitulée « Comment lutter contre la fragmentation du système bancaire de la zone euro ? », Revue de l’OFCE, n° 136 (2014).

 




Reprise avortée

Christophe Blot

Ce texte renvoie à l’article « Le piège de la déflation : perspectives 2014-2015 pour l’économie mondiale » rédigé par Céline Antonin, Christophe Blot, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Hervé Péléraux, Christine Rifflart et Xavier Timbeau.

Selon le communiqué d’Eurostat publié le 14 novembre 2014, la croissance du PIB de la zone euro s’élève à 0,2 % au troisième trimestre 2014. Dans le même temps, l’inflation s’est stabilisée en octobre au niveau très faible de 0,4 %. Bien que les perspectives d’une nouvelle récession soient écartées pour l’instant, le FMI évalue en effet la probabilité de récession dans la zone euro entre 35 et 40 %. Ces mauvais chiffres reflètent l’absence de reprise dans la zone euro et ne permettent donc pas une décrue rapide du chômage. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? A court terme, l’atonie de l’activité s’explique par trois facteurs qui ont pesé négativement sur la croissance. Tout d’abord, bien que moindre qu’en 2013, la consolidation budgétaire s’est poursuivie en 2014 dans un contexte où les multiplicateurs restent élevés. Ensuite, malgré la baisse des taux d’intérêt publics à long terme du fait de la fin des tensions sur les dettes souveraines, les conditions de financement appliquées aux ménages et aux entreprises de la zone euro se sont dégradées parce que les banques n’ont pas répercuté systématiquement la baisse des taux longs et parce que la moindre inflation induit un durcissement des conditions monétaires réelles. Enfin, l’euro s’est apprécié de plus de 10 % entre juillet 2012 et le début de l’année 2014. Bien que cette appréciation reflète la fin des tensions sur les marchés obligataires de la zone euro, elle a pénalisé les exportations. Au-delà de ces facteurs de court terme, les chiffres récents pourraient être les prémisses d’une longue phase de croissance modérée et d’inflation basse, voire de déflation dans la zone euro.

En effet, après une période de fort accroissement de la dette (graphiques), la situation financière des ménages et des entreprises en zone euro s’est dégradée depuis 2008 du fait des crises successives – crise financière, crise budgétaire, crise bancaire et crise économique. La dégradation de la santé financière des agents non-financiers a réduit leur capacité à demander des crédits. Par ailleurs, les ménages peuvent être contraints de réduire leurs dépenses de consommation, et les entreprises leurs décisions d’investissement et d’emplois afin de réduire leur endettement. S’ajoute à cela la fragilité de certaines banques qui doivent absorber un montant élevé de créances douteuses, ce qui les conduit à restreindre l’offre de crédit, comme en témoigne la dernière enquête SAFE réalisée par la BCE auprès des PME. Dans ce contexte où les agents privés privilégient le désendettement, le rôle de la politique budgétaire devrait être crucial. Il n’en est rien dans la zone euro en raison du souhait de consolider la trajectoire de finances publiques, au détriment de l’objectif de croissance[1]. En outre, alors que de nombreux pays pourraient sortir de la procédure de déficit excessif en 2015[2], la consolidation devrait se poursuivre en raison des règles du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) qui imposent aux pays membres un ajustement budgétaire afin de ramener la dette publique jusqu’au seuil de 60 % en 20 ans[3]. Dans ces conditions, la reprise serait de nouveau retardée et la zone euro pourrait se retrouver enfermée dans le piège de la déflation. L’absence de croissance et le niveau élevé du chômage créent des pressions à la baisse sur les prix et salaires, pressions exacerbées par des dévaluations internes qui sont les seules solutions adoptées pour améliorer la compétitivité et regagner quelques parts de marché. Cette réduction de l’inflation rend encore plus long et plus difficile le processus de désendettement ; elle réduit la demande et renforce le processus déflationniste. L’expérience japonaise des années 1990 montre malheureusement que l’on sort difficilement d’une telle situation.

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[1] Les coûts de cette stratégie ont été évalués dans les deux précédents rapports iAGS (voir ici).

[2] La France et l’Espagne seraient cependant deux exceptions importantes avec un déficit budgétaire qui s’élèverait respectivement à 4 et 4,2 % en 2015.

[3] Voir le post de Raul Sampognaro pour un éclairage concernant le cas précis de l’Italie.




L’austérité sans fin ou comment l’Italie se retrouve piégée par les règles européennes ?

par Raul Sampognaro

Si le budget présenté par la France est en net décalage vis-à-vis des règles de la gouvernance budgétaire de la zone euro (voir sur ce sujet les posts récents d’Henri Sterdyniak et de Xavier Timbeau), l’Italie est aussi sur la sellette. Toutefois, les situations française et italienne ne sont pas directement comparables et le cas de l’Italie pourrait s’avérer autrement plus contraignant que celui de la France, reflétant à nouveau les effets pervers de la nouvelle gouvernance européenne. Si, contrairement à la France, l’Italie n’est plus en PDE (Procédure de déficit excessif) puisque, depuis 2012, son déficit budgétaire se situe au seuil de 3 %, elle reste, dans le cadre du volet préventif du Pacte, sous surveillance renforcée au regard du critère de la dette. Sa dette de 127 points de PIB est très largement au-dessus du niveau de 60 % retenu par les règles européennes et, selon son Objectif de Moyen Terme (OMT), l’Italie doit revenir à un déficit proche de l’équilibre.

Alors que le déficit budgétaire français pour 2015 serait le plus élevé de l’ensemble de la zone euro (hors pays sous programme[1]), depuis les dernières annonces du 28 octobre, l’Italie affiche un déficit de 2,6 %, ce qui ne devrait pas déclencher une nouvelle procédure de déficit excessif (PDE). Toutefois, le volet préventif du Pacte contraint l’Italie sur l’évolution de son solde structurel :

–          (i) au titre de la convergence vers l’OMT, l’Italie doit assurer un ajustement structurel de 0,5 point par an pendant 3 ans (i. e. réduire son déficit structurel de 0,5 point par an)

–          (ii) si le déficit structurel défini dans l’OMT n’est pas suffisant pour atteindre un niveau de dette publique de 60 % à horizon de 20 ans, le pays doit fournir un effort supplémentaire au titre du critère de dette. Or, selon les dernières prévisions de la Commission, l’Italie doit fournir un effort structurel moyen annuel de 0,7 point en 2014 et 2015.

Or, le gouvernement table sur une dégradation du solde structurel de 0,3 point en 2014 qui serait suivie d’une amélioration de 0,4 point pour l’année 2015.

 

Ainsi, alors que selon la Commission les traités demandent à l’Italie un effort cumulé de 1,4 point au cours des années 2014 et 2015 (le gouvernement italien estime quant à lui que cet effort devrait plutôt être de 0,9 point), l’Italie annonce une amélioration de son solde structurel de 0,1 point pendant la période, soit un écart de 1,3 point avec celui demandé par la Commission. De ce point de vue, l’Italie s’écarte donc encore plus des exigences européennes que la France et devra se justifier sur l’absence d’ajustement structurel. Par ailleurs, l’Italie ne devrait pas atteindre son OMT en 2015 alors que le Conseil avait recommandé, à l’issue du semestre européen en juillet 2014, de conserver la cible de 2015.

L’Italie est le premier pays à être contraint par le critère de dette et sert de laboratoire à l’application des règles, en démontrant certains de leurs effets pervers. En effet, l’ajustement requis au titre du critère de dette évolue en fonction de plusieurs paramètres, dont certains n’étaient pas prévus par le législateur lui-même. Par exemple, le montant de l’ajustement dépend d’une prévision du ratio Dette nominale/PIB nominal à l’issue de la phase de transition. Or, la baisse des prix actuellement en cours en Italie réduit la prévision de PIB nominal pour les trois prochaines années, sans aucun changement de politique budgétaire. Ainsi, le critère de dette se durcit mécaniquement sans aucune action du gouvernement, augmentant sans fin le besoin d’ajustement structurel au fur et à mesure que les nouveaux ajustements induisent plus de déflation. De plus, les procédures pour constater les déviations par rapport au critère de dette sont plus lentes car le contrôle s’effectue essentiellement ex-post sur la base des déviations cumulées observées sur deux ans. Toutefois, l’ampleur de la déviation annoncée par le gouvernement italien pourrait déclencher des procédures dès le contrôle ex ante. Rappelons cependant que, contrairement à la France, l’Italie n’est pas actuellement en procédure. Celle-ci devrait donc être ouverte avant d’envisager que des sanctions soient requises à l’encontre de l’Italie. Cette étape préalable et nécessaire donne du temps au gouvernement italien pour prendre les mesures adéquates ou pour justifier les dérives à l’OMT.

Par ailleurs, le volet préventif prévoit plus de possibilités de dérive que le volet correctif de la PDE. En plus de la clause de situation économique exceptionnellement défavorable, l’Italie peut arguer de réformes structurelles majeures qui permettraient d’améliorer la soutenabilité future de la dette. Ce dernier argument qui est aussi mobilisé par le gouvernement français n’est pas prévu dans le texte de la PDE (la Commission pourrait accepter un peu de flexibilité). Ici, cependant, le gouvernement Renzi capitalise sa réputation de réformateur bien supérieure à celle du gouvernement français.

Les deux gouvernements ont demandé l’application de la clause de situation économique défavorable pour pouvoir rompre leurs engagements. La Commission pourrait être plus sensible à la demande italienne parce que sa situation économique est dégradée : l’Italie cumule trois ans de baisse de son PIB, et celle-ci s’est poursuivie au 1er semestre 2014. Le PIB reste 9 points en dessous de son pic d’avant-crise alors qu’en France il est supérieur d’un point. Les derniers indicateurs d’enquêtes, comme de production industrielle ne laissent pas augurer d’une reprise à court terme. Enfin, l’Italie est en déflation.

En résumant, si l’écart italien semble plus important que celui de la France, le cas italien pourrait bénéficier d’une plus grande indulgence. Les procédures appliquées à chacun des deux pays diffèrent et donnent plus de temps à l’Italie avant que d’éventuelles sanctions puissent être appliquées. La volonté réformatrice italienne pourrait être mieux appréciée par la Commission que celle de la France. Enfin, ce qui est le plus important dans la discussion, la situation économique italienne est nettement plus grave, en récession ininterrompue depuis l’été 2011 et avec des prix en baisse.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, le pacte renforcé, qu’il soit correctif ou préventif implique des ajustements structurels sans fin. L’Italie nous montre que la sortie de la procédure de déficit excessif demande de continuer encore les efforts, au nom du critère de dette. Si la France sort en 2017 de la PDE, sa dette sera selon les prévisions du gouvernement de l’ordre de 100 % du PIB. Elle devra alors continuer un ajustement toujours supérieur à 0,5 %. La confirmation de la déflation rendra les règles du pacte encore plus récessives et absurdes. Parce qu’au final, le pacte budgétaire qui devait préserver l’euro en chassant les passagers clandestins pourrait aboutir à le faire éclater par la récession à durée indéterminée.

 


[1] La Grèce, l’Irlande et le Portugal ont bénéficié d’une aide européenne et ont à ce titre fait l’objet d’une surveillance conjointe de la BCE, du FMI et de l’Union européenne. L’Irlande et le Portugal sont désormais sortis de leur plan de sauvetage.




Evolution de la fiscalité en Europe entre 2000 et 2012 : Quelques éléments d’analyse

par Céline Antonin, Félix de Liège et Vincent Touzé

 

L’Europe fiscale se caractérise par une très grande diversité reflétant les choix d’Etats souverains aux destins différenciés. Depuis le traité de Rome, les Etats-membres ont toujours refusé le transfert de compétences nationales en matière fiscale, à l’exception d’une coordination a minima sur la TVA. Le risque est donc grand en Europe que se développent des stratégies fiscales non coopératives, chacun cherchant à améliorer sa performance économique aux dépens des autres. Deux logiques concourent à de telles stratégies agressives : une logique de compétitivité (ou de dévaluation fiscale) visant à réduire la pression fiscale sur les entreprises pour améliorer leur compétitivité-prix d’une part ; une logique d’attractivité fiscale, visant à attirer sur le territoire national les facteurs de production les plus rares d’autre part. Sur un plan macroéconomique, mettre en évidence séparément ces deux logiques est un exercice difficile. Toutefois, une manière de comprendre comment les Etats européens ont amélioré leur position peut consister à observer la façon dont la pression fiscale sur les entreprises a évolué, par rapport à celle portant sur les ménages.

La note de l’OFCE n°44 dresse un portrait de l’évolution des taux de prélèvements obligatoires (TPO) en Europe. Elle s’appuie sur les statistiques Tendances de la fiscalité, publiées conjointement par Eurostat et la direction Fiscalité et union douanière de la Commission européenne. Ces statistiques ont l’avantage d’offrir des données harmonisées sur les taux de prélèvement, avec une ventilation selon l’assiette fiscale (capital, travail, consommation) et selon le type d’agent payeur (ménage, entreprise, entrepreneur individuel). Nous étudions la période 2000-2012 : il est certes toujours difficile de séparer l’évolution tendancielle de la fiscalité des ajustements conjoncturels, en particulier lorsque la contrainte budgétaire est plus serrée. Néanmoins, on peut supposer que la période 2000-2012 est suffisamment longue pour dégager des changements de nature structurelle.

A partir de ces données, nous mettons d’abord en évidence une évolution contrastée de la pression fiscale au sein de l’Union européenne, qui peut se décomposer en quatre phases : deux phases haussières (entre 2004 et 2006 et depuis 2010), et deux phases baissières (avant 2004 et de 2006 à 2010), notamment en lien avec les facteurs conjoncturels. Au-delà de cette tendance commune, nous observons au sein des pays d’Europe des stratégies d’ajustement non-convergentes entre la fiscalité des ménages et celle frappant les entreprises (voir graphique). Nous nous intéressons ensuite aux éventuelles substitutions fiscales entre charges patronales et consommation, et entre charges patronales et charges salariales.

Sur la période 2000-2012, il paraît difficile de parler de concurrence fiscale à un niveau global même si on observe une légère baisse du TPO moyen au sein de l’Union européenne et des évolutions très singulières dans ce sens pour certains pays. S’il est sûr que des pays ont réduit le poids de la fiscalité sur les entreprises (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, Irlande, Suède, etc.), d’autres l’ont sans conteste alourdi (Autriche Belgique, France, Italie, etc.). Toutefois, à long terme, il paraît peu vraisemblable qu’une telle diversité fiscale soit tenable. A l’heure où l’intégration européenne se renforce, une plus grande harmonisation fiscale semble plus que jamais nécessaire.

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Quelles réformes pour l’Europe ?

par Christophe Blot [1], Olivier Rozenberg [2], Francesco Saraceno [3] et Imola Streho [4]

Du 22 au 25 mai prochain, les Européens se rendront aux urnes pour élire les 751 députés du Parlement européen. Ces élections vont se dérouler dans un climat de forte défiance à l’égard des institutions européennes. Si cette crise de confiance n’est pas propre à l’Europe, elle se conjugue à une crise économique, la plus grave depuis la Grande Dépression, et à une crise politique que traduit la difficulté des institutions européennes à légiférer. Les enjeux des prochaines élections recoupent donc de multiples aspects qui doivent être abordés sous un angle pluridisciplinaire. Le numéro 134 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE (publié en français et en anglais)  réunit des chercheurs – économistes, juristes ou politistes – spécialistes des questions européennes, qui partant des développements et des débats propres à leur discipline, partagent leur vision des réformes nécessaires pour améliorer le fonctionnement de l’Europe. L’objectif est ainsi d’alimenter le débat public, en amont des élections européennes et au-delà, au travers d’articles courts synthétisant les débats et proposant quelques recommandations à l’attention des candidats à l’élection, bien entendu, mais aussi au-delà des partis politiques, des syndicats, des entreprises, des associations et surtout de l’ensemble des citoyens intéressés par les questions européennes.

Dans le contexte de crise que nous traversons, le débat qui se dessine autour des prochaines élections européennes semble être pris en otage entre deux visions. La première s’apparente à un déni de la situation dans laquelle se trouve la zone euro et l’Europe. Il faudrait se satisfaire de la stabilité de l’euro malgré la crise. Les institutions se sont adaptées de telle sorte que l’Europe aurait finalement su mettre en œuvre les compromis nécessaires pour sortir de la crise et faire face aux difficultés futures. A l’opposé, la vision eurosceptique insiste sur le fait que la crise serait fondamentalement une crise de la construction européenne. La seule issue possible serait le retour aux monnaies nationales. Les différentes contributions rassemblées dans cet ouvrage tentent de dépasser ce clivage. La crise récente a mis en lumière les carences du fonctionnement des institutions et l’insuffisance d’une stratégie de politique économique fondée sur la seule discipline budgétaire. Si des réformes ont bien été mises en œuvre, elles s’avèrent insuffisantes, voire insatisfaisantes. Pour autant, nous refusons le simple constat d’échec du projet européen, l’idée que toute réforme serait impossible, que le projet européen ne saurait se poursuivre car voué à l’échec.

Le débat sur le futur de l’Europe et sur les réformes nécessaires pour une meilleure expression de la démocratie et de la citoyenneté européenne, pour une gouvernance plus efficace et pour l’élaboration de politiques publiques adaptées, doit donc se poursuivre. Pour autant, le lecteur ne trouvera pas dans cet ouvrage un projet commun et cohérent mais plutôt des visions éclectiques et parfois même contradictoires. Il s’agit plutôt de présenter les termes du débat politique afin de donner aux candidats et aux électeurs les clés permettant de comprendre les enjeux de cette élection et de se prononcer sur l’orientation qu’ils souhaitent donner au projet européen.

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[1] OFCE, Sciences Po

[2] Sciences Po, Centre d’études européennes

[3] OFCE, Sciences Po, (@fsaraceno)

[4] Sciences Po, Ecole de droit et Centre d’études européennes




Zone euro : Reprise ou déflation ?

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro

La zone euro va-t-elle s’engager sur la voie de la reprise ou s’enfoncera-t-elle dans une spirale déflationniste ? Les derniers indicateurs macroéconomiques émettent des signaux contradictoires à ce sujet. Le retour de la croissance se confirme avec trois trimestres consécutifs de progression du PIB. Cependant, le niveau du chômage dans la zone euro se maintient à un niveau historiquement élevé (11,9 % pour le mois de février 2014), ce qui alimente des pressions déflationnistes, confirmées par les derniers chiffres d’inflation (0,5 % en glissement annuel pour le mois de mars 2014). Si ce recul de l’inflation tient en partie à l’évolution des prix de l’énergie, il reste que l’inflation sous-jacente a glissé sous le seuil de 1 % (graphique 1). Dans ces conditions, un retournement des anticipations d’inflation ne peut être exclu, ce qui ne manquerait pas de pousser la zone euro en déflation. La BCE s’inquiète de cette situation depuis plusieurs semaines et se dit prête à agir (voir ici). Cependant, aucune piste concrète quant à la façon d’assouplir la politique monétaire et d’éviter l’ancrage des anticipations sur une trajectoire déflationniste n’a été définie.

Après un recul du PIB de 0,4 % en 2013, la croissance redeviendra positive dans la zone euro : 1,3 % en 2014 puis 1,6 % 2015. Pour autant, à ce rythme de croissance, la plupart des pays de la zone euro garderont un écart de production ouvert, reflétant l’idée que la zone euro se trouve sur une trajectoire de sortie de crise ralentie. En effet, bien que les efforts de réduction des déficits vont s’atténuer, les politiques budgétaires seront encore pro-cycliques. En outre, les conditions de financement vont continuer à s’améliorer. La fin de la crise des dettes souveraines, notamment grâce aux annonces de la BCE de juillet et de septembre 2012[1], a permis de réduire les primes de risques sur le marché des obligations d’Etat. L’impact de cette réduction des taux longs de marché s’est en partie répercuté sur les taux d’intérêt bancaires et les conditions d’offre de crédits sont globalement moins restrictives qu’elles ne l’étaient entre le début de l’année 2012 et la mi-2013. Mais il reste que cette croissance sera insuffisante pour enclencher une véritable dynamique de reprise débouchant sur une réduction rapide et significative du chômage. Il ne baisserait en effet que très modérément passant de 11,9 % au premier trimestre 2014 à 11,3 % en fin d’année 2015. Alors que l’Allemagne serait dans une situation de quasi plein-emploi,  le chômage de masse en Espagne et dans les autres pays du sud de l’Europe perdurerait (graphique 2). Le chômage se stabiliserait en Italie et continuerait d’augmenter en France.

Or, cette situation de sous-emploi est la source du risque déflationniste. Elle pèse sur la dynamique des salaires et contribue à la faiblesse de l’inflation sous-jacente. Celle-ci est en effet nulle en Espagne en mars 2013 et négative en Grèce et au Portugal. Pour l’ensemble de la zone euro, nous n’anticipons pas à court terme de déflation, mais la faiblesse de la croissance accroît la probabilité que les anticipations des agents privés ne s’ancrent sur un tel scénario.

La situation de la zone euro rappelle celle du Japon au cours des années 2000. Le pays est entré en déflation en 1999[2] après la récession liée à la crise asiatique. Ensuite, malgré une croissance moyenne de 1,4 % entre 2000 et 2006, les prix ne sont pas repartis à la hausse et la Banque centrale n’a pas trouvé les moyens de sortir de ce piège malgré des politiques monétaires expansionnistes. C’est précisément cette dynamique qui menace la zone euro aujourd’hui et tous les moyens qui permettront de l’éviter (politique monétaire, politique budgétaire et coordination des politiques salariales[3]) doivent être mobilisés.

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[1] En juillet, le Président de la BCE, Mario Draghi, déclarait en effet que la BCE sauverait l’euro « quoi qu’il en coûte ». En septembre, la BCE annonçait la création d’une nouvelle opération (l’OMT, voir le post de Jérôme Creel et de Xavier Timbeau) lui donnant la possibilité d’acheter sans limite des titres de dette souveraine.

[2] Il faut mentionner un premier passage en déflation en 1995 après trois années de croissance atone.

[3] Tous ces éléments sont détaillés dans le précédent rapport iAGS (2014).