France : pourquoi tant de zèle ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans le cadre de celles-ci, la Commission accorde deux années supplémentaires à la France pour atteindre la cible de 3% de déficit public. L’objectif de déficit de 3 % est désormais fixé à 2015 et la Commission européenne préconise pour y arriver des impulsions budgétaires de -1,3 point de PIB en 2013 et -0,8 en 2014 (voir la note « Austérité en Europe: changement de cap? »). Cela allègerait l’effort structurel à fournir, puisque le respect des engagements antérieurs aurait nécessité des impulsions de -2,1 et -1,3 points de PIB pour 2013 et 2014 respectivement.

Pour autant, le gouvernement français a choisi de ne pas relâcher sa politique d’austérité, en maintenant l’ensemble des mesures annoncées lors du projet de loi de finances de l’automne 2012. Cette politique reste restrictive et va bien au-delà des préconisations de la Commission : -1,8 point de PIB d’impulsion budgétaire, dont 1,4 point de hausse des taux de prélèvement obligatoire sur la seule année 2013. Pire, les grandes orientations pour le budget 2014 présentées par le gouvernement au Parlement le 2 juillet 2013 impliquent un effort structurel de 20 milliards d’euros pour 2014, soit 1 point de PIB, là où la Commission n’en exigeait que 0,8. Le gouvernement durcit par ailleurs l’impulsion budgétaire de 0,6 point de PIB qu’il avait lui-même affiché dans le programme pluriannuel de la Loi de finances pour 2013.

Le tableau ci-dessous permet de prendre la mesure de l’effort engagé et de ses conséquences sur l’économie française. On y lit l’évolution de la croissance, du taux de chômage et du solde public en 2013 et 2014, selon trois stratégies budgétaires :

  1. celle retenant l’assouplissement préconisé par la Commission en mai 2013 ;
  2. celle reposant sur le budget voté par le gouvernement pour 2013 et, a priori, 2014 ;
  3. celle reposant sur un scénario alternatif qui prend acte de l’impulsion de -1.8 point de PIB engagée pour l’année 2013, et calcule l’impulsion budgétaire suffisante en 2014 pour respecter l’objectif de déficit public de -3,6 % de la Commission européenne.

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Selon nos estimations réalisées à partir du modèle IAGS[1], le déficit public serait réduit à 3,1 % du PIB en 2014 dans le scénario (2), là où la Commission n’exigeait que 3,6 %. Conséquence de cet excès de zèle, la croissance cumulée pour 2013 et 2014 si le budget voté est appliqué serait de 0,7 point inférieure à celle des deux autres scenarii (0,8 point contre 1,5 point). Le corollaire est une hausse du chômage en 2013 et en 2014 : le taux de chômage, de l’ordre de 9,9 % en 2012, passe ainsi à 11,1 % en 2014, soit une hausse de plus de 350 000 chômeurs sur la période. A l’inverse, le scénario assoupli de la Commission européenne permettrait une quasi-stabilisation du chômage dès 2013, tandis que le scénario alternatif permet une inversion de la courbe du chômage en 2014.

Alors que l’échec de la politique d’austérité des dernières années semble infléchir progressivement la position de la Commission européenne, le gouvernement français persiste dans cette voie. A rebours de l’urgence sociale à laquelle le pays fait face et du changement de paradigme qui semble gagner la plupart des institutions internationales, le gouvernement français choisit d’en rester au fétichisme des 3 %.


[1] IAGS est l’acronyme de “Independent Annual Growth Survey”. Ce modèle propose une modélisation simplifiée des onze principales économies de la zone euro (Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Espagne). Voir plus de détails, voir le document de travail Model for euro area medium term projections.




Austérité en Europe: changement de cap ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union européenne ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans ces recommandations, la Commission préconise un report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro (Espagne, France, Pays-Bas, Portugal), leur laissant davantage de temps pour atteindre la cible de 3 % de déficit public. L’Italie n’est plus en procédure de déficit excessif. Seule la Belgique est sommée d’intensifier ses efforts. Cette nouvelle feuille de route peut-elle être interprétée comme un changement de cap annonçant un assouplissement des politiques d’austérité en Europe ? Peut-on en attendre un retour de la croissance sur le vieux continent ?

Ces questions ne sont pas triviales. La Note de l’OFCE (n°29, 18 juillet 2013) tente d’y répondre en simulant trois scénarii de politique budgétaire à l’aide du modèle iAGS. Il ressort de cette étude que le report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro ne traduit pas un véritable changement de cap de la politique budgétaire en Europe. Certes, le scénario du pire, dans lequel l’Espagne et le Portugal se seraient vu imposer les mêmes recettes que la Grèce, a été évité. La Commission accepte implicitement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques quand la conjoncture se dégrade. Cependant, pour de nombreux pays, les préconisations en termes d’efforts budgétaires vont toujours au-delà de ce qui est imposé par les traités (0,5 point de PIB de réduction annuelle du déficit structurel), avec pour corollaire une hausse de 0,3 point du taux de chômage en zone euro entre 2012 et 2017.

Pourtant, une troisième voie nous semble possible. Il s’agit d’adopter dès 2014 une position de « sérieux budgétaire » qui ne remettrait pas en cause la soutenabilité de la dette publique. Cette stratégie consiste à maintenir constant le taux de prélèvements obligatoires et à laisser les dépenses publiques évoluer au même rythme que la croissance potentielle. Cela revient à une impulsion budgétaire neutre entre 2014 et 2017. Dans ce scénario, le solde public de la zone euro s’améliorerait de 2,4 points de PIB entre 2012 et 2017 et la trajectoire de dette publique s’inverserait dès 2014. A l’horizon 2030, le solde public serait excédentaire (+0,7 %) et la dette approcherait les 60 % du PIB. Surtout, ce scénario permettrait de faire baisser significativement le taux de chômage à l’horizon 2017. Les pays européens devraient peut-être s’inspirer de la sagesse de Jean de La Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »…




Les conteurs d’EDF

par Evens Saliesa

L’enjeu des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas seulement environnemental. Il est aussi de stimuler l’innovation, facteur de croissance économique. La politique d’amélioration de l’efficacité énergétique [1] nécessite de lourds investissements visant à transformer le réseau électrique en un réseau plus intelligent, un smart grid.

A ce titre, les Etats membres ont jusqu’en 2020 pour remplacer les compteurs d’au moins 80 % des clients des secteurs résidentiel et tertiaire par des compteurs plus « intelligents ». En France métropolitaine, ces deux secteurs représentent 99 % des sites raccordés au réseau basse tension (< 36kVA), soit environ 43 % de la consommation d’électricité, et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (sans compter celles émises lors de la production de l’énergie électrique qui alimente ces sites).

Ces nouveaux compteurs possèdent des fonctionnalités qui, comme l’ont montré des recherches, permettent de réduire la consommation électrique. La télérelève des données de consommation toutes les 10 minutes, et leur transmission en temps réel sur un afficheur déporté (l’écran d’un ordinateur, etc.), matérialisent sans délai les efforts d’économie d’électricité ; ce qui était impossible auparavant avec deux relevés par an. La télérelève à haute fréquence permet aussi un élargissement du menu de contrats des fournisseurs à des tarifs mieux adaptés au profil de consommation des clients. Le « pilote » du réseau de transmission peut optimiser plus efficacement l’équilibre entre la demande et une offre plus fragmentée à cause du nombre croissant de petits producteurs indépendants. Pour les distributeurs [2], la télérelève résout le problème d’accessibilité aux compteurs [3].

Ces fonctionnalités sont supposées créer les conditions d’émergence d’un marché de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE) complémentaire de celui de la fourniture. Ce marché offre aux fournisseurs non-historiques la possibilité de se différencier un peu plus, en proposant des services adaptés au besoin de MDE de la clientèle [4]. Le gain en termes d’innovation pourrait être significatif si des sociétés tierces, spécialistes des technologies de l’information et de la communication, développent elles aussi les applications logicielles permises par l’usage du compteur. Pourtant, en France, la politique de déploiement des compteurs évolués ne semble pas aller dans le sens d’une plus grande concurrence. L’innovation pourrait s’arrêter au compteur en raison d’une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) stipulant que :

« Les fonctionnalités des systèmes de comptage évolués doivent relever strictement des missions des [distributeurs] d’électricité, […] Ainsi, les fonctionnalités supplémentaires demandées par certains acteurs [essentiellement les fournisseurs] qui relèvent du domaine concurrentiel (notamment, l’afficheur déporté) ne sont pas retenues. »

A la lecture de ce paragraphe, nous comprenons que les fournisseurs ne sont pas prêts à supporter le coût de développement de ces fonctionnalités. Or, d’après l’Article 4 de cet arrêté, qui précise la liste des fonctionnalités réservées aux distributeurs, aucune ne semble avoir été laissée en exclusivité au secteur concurrentiel. En effet, les ménages équipés d’un ordinateur pourront consulter leurs données de consommation sans passer par leur fournisseur ou une société tierce.

Il est bon de s’interroger sur les bénéfices et les coûts d’une telle approche qui, a priori, ressemble à une monopolisation du marché de la MDE par les distributeurs.

Cette approche permettra d’atteindre rapidement l’objectif des 80 % puisque la CRE a opté pour un service public de la MDE : les distributeurs, qui ont des obligations de service public, déploieront les compteurs communicants. A lui seul, le compteur « Linky » du distributeur d’électricité dominant, ERDF, sera déployé sur 35 millions de sites basse tension, couvrant ainsi 95 % du réseau national de distribution[5]. Ainsi, le risque de sous-investissement dans les capacités d’effacement que les fournisseurs d’électricité devront bientôt détenir est faible. En effet, ces derniers n’ayant pas à supporter les coûts de fabrication et déploiement des compteurs, ils pourront rapidement investir dans le développement de ces capacités. De plus, la péréquation des coûts de sous-traitance pour la fabrication des compteurs et de déploiement sur tout le réseau français de distribution permet des économies d’échelle considérables. Enfin, le faible taux de pénétration des compteurs dans les pays qui ont opté pour une approche décentralisée (le compteur et les services sont alors en partie à la charge des ménages intéressés), plaide en faveur du modèle français. Ce modèle est en effet plus pragmatique puisqu’il supprime l’essentiel des barrières à l’adoption.

Cependant, le niveau de concentration des activités de distribution et de fourniture de l’électricité aux ménages pose question : ERDF est affilié à EDF, en quasi-monopole dans la fourniture aux ménages. En termes d’innovation dans les services de MDE, l’intérêt pour EDF d’aller au-delà du projet Linky de sa filiale paraît faible. D’abord, à cause des coûts déjà engagés par le groupe (au moins cinq milliards). Ensuite parce que la qualité de la solution de base d’information sur les consommations par défaut dans Linky, sera suffisante pour parvenir à créer des coûts de migration vers les services de MDE offerts par la concurrence [6]. Certes, les fournisseurs alternatifs vont pouvoir introduire des tarifs innovants. Mais EDF aussi. Une manière de surmonter cet obstacle serait de mettre en place une plateforme Linky, pour que des applications des sociétés tierces puissent dialoguer avec son système d’exploitation. Moyennant l’accord du ménage et, éventuellement, une charge d’accès aux données, l’activité serait certes régulée, mais l’entrée serait libre. Cela stimulerait l’innovation dans les services de MDE, mais n’augmenterait pas la concurrence puisque ces sociétés ne seront pas fournisseurs d’électricité. Le consommateur a-t-il beaucoup à perdre ? Evidemment, cela dépend du montant de la réduction de sa facture. Etant donnée la hausse probable de 30% des prix de l’électricité d’ici à 2017 (inflation incluse), nous craignons que les efforts des ménages en vue d’optimiser leur consommation ne seront pas récompensés. Le gain net à moyen terme pourrait être négatif.

Finalement, nous pouvons nous demander si, avec Linky, le groupe EDF n’essaie pas de maintenir sa position d’entreprise dominante dans la fourniture d’électricité, affaiblie depuis l’ouverture à la concurrence. Avec un service de MDE installé par défaut sur 95% des sites basse tension, Linky va devenir l’élément d’infrastructure du réseau national que devront emprunter tous les offreurs de service de MDE. Du point de vue des règles de la concurrence, il faut alors se poser la question de savoir si ERDF et ses partenaires ont bien communiqué l’information sur le système d’exploitation de Linky, sans favoritisme pour le groupe EDF et ses filiales (Edelia, Netseenergy). Les conteurs aimeraient nous narrer une belle histoire d’encouragement à l’innovation dans l’énergie et l’économie numérique pour réussir la transition écologique. Sachant que l’actuel PDG de l’entreprise en charge de l’architecture du système d’information de Linky, Atos, était ministre de l’économie et des finances juste avant le lancement du projet Linky en 2007, nous pouvons en douter…


[1] « Amélioration de l’efficacité énergétique » et « économie d’électricité » sont utilisées indifféremment dans ce billet. Voir l’article 2 de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil européens pour des définitions précises.

[2] Les distributeurs sont les gestionnaires des réseaux de lignes moyenne et basse tension. Le plus répandu est ERDF. Réseaux et compteurs font partie des ouvrages concédés, propriété des collectivités locales délégantes.

[3] Cependant, cela impliquera, par exemple pour ERDF, la suppression de 5 000 postes (à rapprocher des 5900 départs à la retraite … ; cf. Sénat, 2012, Rapport n° 667, Tome II, p. 294).

[4] En conformité avec la loi NOME de 2010, les fournisseurs et autres opérateurs devront être capables de baisser ponctuellement la consommation d’électricité de certains clients (couper momentanément l’alimentation d’un chauffage électrique, etc.), ce qui est appelé « effacement de consommation ».

[5] Dans les territoires où ERDF n’est pas concessionnaire, d’autres expérimentations existent, comme celle du distributeur SRD dans la Vienne qui déploie son compteur évolué, i-Ouate, sur 130 000 sites.

[6] Voir DGEC, 2013, Groupe de travail sur les compteurs électriques communicants – Document de concertation, février.

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a L’auteur remercie C. Blot, K. Chakir, S. Levasseur, L. Nesta, F. Saraceno, et plus particulièrement O. Brie, M.-K. Codognet et M. Deschamps. Les opinions défendues dans ce billet n’engagent que son auteur.




La Croatie dans l’Union européenne : une entrée sans fanfare

par Céline Antonin et Sandrine Levasseur

Le 1er juillet 2013, 10 ans après avoir déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne, la Croatie deviendra officiellement le 28e Etat membre de l’UE, et le deuxième pays de l’ex-Yougoslavie à intégrer l’Union. Etant donné la taille du pays (0,33 % du PIB de l’UE-28) et le consensus politique autour de l’adhésion, l’entrée de la Croatie devrait passer relativement inaperçue. Pour autant, cette entrée n’est pas sans enjeux. En effet, à l’heure où l’Union européenne traverse la pire crise de son histoire, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité d’intégrer prématurément la Croatie, alors même que le pays traverse sa cinquième année de récession. La dernière Note de l’OFCE (n°27, 26 juin 2013) revient sur deux des principales faiblesses du pays : d’une part, son manque de compétitivité, et d’autre part, son niveau de corruption encore beaucoup trop élevé pour lui garantir une croissance soutenue et durable.

Forte de 4,3 millions d’habitants, la Croatie a d’abord connu une période de forte croissance économique jusqu’en 2008, fondée sur le dynamisme de son tourisme et une consommation des ménages largement financée à crédit grâce aux capitaux étrangers. La crise a révélé, une fois de plus, les limites de ce modèle de développement et mis en lumière les faiblesses structurelles du pays : une très forte dépendance à l’égard des capitaux étrangers, la vulnérabilité d’un régime de changes (quasi) fixes, un environnement peu propice à l’investissement ou l’ampleur de l’évasion fiscale.

Même si les négociations ont eu le mérite d’aborder certains problèmes, d’autres restent encore irrésolus. Ainsi, en matière économique, l’ouverture du marché intérieur à la concurrence demeure insuffisante et le pays souffre d’un défaut de compétitivité important. Au niveau juridique, les progrès réalisés dans la lutte contre la corruption, l’évasion fiscale ou l’économie souterraine sont très insuffisants, ce qui prive le pays des bases d’une croissance robuste. Après la Roumanie et la Bulgarie, l’entrée de la Croatie risque malheureusement d’entériner l’idée que juguler la corruption n’est pas une condition sine qua non pour entrer dans l’UE. Au regard des crises institutionnelles répétées que vit l’Union européenne depuis 2009 et de l’euroscepticisme ambiant, il est aujourd’hui urgent de se fixer comme tâche prioritaire l’approfondissement plutôt que l’élargissement.

 




Compétitivité : attention danger !

Par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Catherine Mathieu

La crise que traverse la zone euro est la conséquence des déséquilibres macroéconomiques et financiers qui se sont développés au cours des années 2000. Les économies européennes qui ont suscité des doutes sur la soutenabilité de leurs finances publiques (Espagne, Portugal, Grèce et l’Italie[1]) sont celles qui enregistraient les déficits courants les plus élevés avant la crise et celles dont la compétitivité s’était fortement dégradée entre 2000 et 2007. Inversement, l’Allemagne a gagné en compétitivité et accumulé des excédents croissants sur la même période si bien que l’Allemagne sert aujourd’hui de modèle qu’il conviendrait de reproduire dans l’ensemble de la zone euro et particulièrement dans les pays du Sud de l’Europe. Les coûts unitaires du travail ont effectivement baissé en Allemagne à partir de 2003 en même temps que se sont développés des accords de modération salariale entre syndicats et patronat et que le gouvernement de coalition dirigé par Gerhard Schröder promouvait un vaste programme de réformes structurelles visant à rendre le marché du travail[2] plus flexible, à réformer le mode de financement de la protection sociale mais aussi à améliorer la compétitivité. La notion de compétitivité est cependant complexe et s’appuie sur de multiples facteurs (insertion dans la division internationale des processus de production, développement du tissu productif qui favorise les effets de réseau et l’innovation…) dont le rôle est tout aussi primordial.

En outre, comme le souligne une analyse récente d’Eric Heyer, les réformes structurelles allemandes ont été accompagnées par une politique budgétaire qui est restée globalement expansionniste. Aujourd’hui, l’incitation à améliorer la compétitivité, renforcée par la mise en œuvre d’une surveillance élargie des déséquilibres macroéconomiques (voir ici), s’inscrit dans un contexte marqué par la poursuite des ajustements budgétaires et par le maintien d’un niveau de chômage élevé. Dans ces conditions, la mise en œuvre de réformes structurelles conjuguée à une quête de gains de compétitivité risque de plonger la zone euro tout entière dans une situation déflationniste. De fait, la déflation est déjà enclenchée en Espagne ou en Grèce et menace les autres pays du sud de l’Europe comme nous le montrons dans notre dernière prévision. Elle résulte principalement de la profonde récession qui touche ces pays. Mais, le processus est aussi directement alimenté par la baisse des salaires de la fonction publique ainsi que celle du salaire minimum dans le cas de la Grèce.  Par ailleurs, certains pays ont réduit les indemnités de licenciement (Grèce, Espagne, Portugal) et simplifié les procédures de licenciement (Italie, Grèce, Portugal). La réduction de la protection de l’emploi et la simplification des procédures de licenciement augmentent la probabilité d’être au chômage. Or, dans un contexte de sous-emploi et d’insuffisance de la demande, il en résulte de nouvelles pressions à la baisse des salaires qui accentuent le risque déflationniste. Par ailleurs, l’accent a également été mis sur la décentralisation des processus de négociations salariales afin qu’elles soient plus en phase avec la réalité des entreprises. Il en résulte une perte du pouvoir de négociation des syndicats et des salariés qui risque de renforcer à son tour les pressions à la baisse des salaires réels.

Les pays de la zone euro poursuivent une stratégie non-coopérative qui se traduit par des gains de parts de marché principalement au détriment des autres partenaires commerciaux européens.  Ainsi la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande ont amélioré leur compétitivité relativement aux autres pays industrialisés depuis 2008 ou 2009 (graphique). La poursuite de cette stratégie de réduction des coûts salariaux risque de plonger la zone euro dans une spirale déflationniste au fur et à mesure que les pays perdant des parts de marché chercheront à regagner de la compétitivité en réduisant à leur tour leurs coûts salariaux. Or, cette stratégie non-coopérative, initiée par l’Allemagne dans les années 2000, a déjà contribué à  la crise de la zone euro (voir l’encadré p.52 du rapport de l’OIT publié en 2012). Il est sans doute vain d’espérer que sa poursuite apportera une solution à la crise actuelle. Au contraire de nouveaux problèmes vont apparaître puisque la déflation[3] rendra le processus de désendettement public et privé plus coûteux à mesure que les dettes exprimées en termes réels augmenteront sous l’effet des baisses de prix : ceci maintiendra la zone euro en situation récessive.


[1] Le cas irlandais est un peu à part puisque le déficit courant observé en 2007 ne résulte pas des échanges commerciaux mais du solde des revenus.

[2] Ces réformes sont détaillées dans un rapport du Conseil d’analyse économique (n°102). Elles sont résumées dans l’étude spéciale La quête de la compétitivité ouvre la voie de la déflation.

[3] Une description plus complète des mécanismes de déflation par la dette est réalisée ici.

 




Quelle politique budgétaire pour accompagner les réformes structurelles ? Les enseignements du cas allemand

par Eric Heyer

« La France doit copier les réformes allemandes pour prospérer » titre Gerhard Schröder dans une tribune de Financial Times du 5 juin 2013.  De son côté, la Commission européenne (CE), dans ses dernières recommandations annuelles aux Etats membres rendues publiques le 29 mai dernier, semble prendre des distances avec la stratégie de retour rapide et synchronisé à des finances publiques équilibrées, mise en place depuis 2010. La priorité pour l’exécutif européen semble désormais être la mise en place de reformes structurelles des marchés du travail et des services par les pays de la zone euro. Ces derniers devront certes continuer à assainir leurs comptes publics mais la CE leur a laissé un délai de 1 à 2 ans supplémentaire pour y parvenir. C’est le cas notamment pour la France qui devra poursuivre l’assainissement de ses comptes au cours des deux prochaines années (l’effort budgétaire et fiscal demandé par la CE au gouvernement français s’élève à 0,8 point de PIB soit 16 milliards d’euros par an) tout en ayant obtenu un délai de 2 ans pour ramener son déficit sous les 3 % du PIB (2015 au lieu de 2013).

Le changement de cap – ou tout du moins de ton – de la CE, privilégiant la mise en place de reformes à une austérité démesurée, doit être salué. Il convient toutefois d’examiner si le nouvel environnement, notamment budgétaire, est suffisamment  propice à assurer l’efficacité des réformes structurelles.

L’examen du contexte économique dans lequel ont été mises en place les réformes allemandes au début des années 2000, devenues la référence pour les pays « du Sud », fournit assurément quelques clefs.

Si le propos ici n’est pas de détailler ces réformes, il est utile toutefois de rappeler que celles-ci ont été prises alors que l’économie allemande était considérée comme l’ «élève malade » de l’Europe avec notamment un déficit commercial important (-1,8 point de PIB en 2000 contre un excédent de 1,4 pour la France à la même époque). Ces réformes ont eu pour conséquences d’abaisser fortement la part des salaires dans la valeur ajoutée, redonnant des marges aux entreprises outre-Rhin et ont permis de restaurer rapidement la compétitivité de l’économie allemande : en 2005, la balance commerciale allemande est redevenue fortement excédentaire tandis que celle de la France devenait pour la première fois depuis 1991 déficitaire. Le caractère non coopératif au sein de la zone euro (OFCE, 2006) ainsi que la forte augmentation de la pauvreté en Allemagne – (Heyer, 2012) et graphique 1 – et des inégalités de richesse (de Grauwe et Yi, 2013), constituent la face cachée de cette stratégie.

Aujourd’hui, les « élèves malades » de l’Europe sont les pays du Sud et la pression à mettre en place des politiques visant à restaurer la compétitivité s’est déplacée de l’Allemagne vers la France, l’Italie ou l’Espagne.

Si cet élément de contexte est identique, l’environnement économique était-il comparable ? Les graphiques 1 et 2 résument l’environnement économique de l’Allemagne lors de la mise en place de ses réformes structurelles. De ces dernières, deux faits majeurs ressortent :

  1. Ces réformes ont été menées dans un contexte de forte croissance mondiale : au cours des années 2003-2006, le monde connaissait une croissance moyenne de plus de 4,7 % chaque année (graphique 1). A titre de comparaison, la croissance devrait être inférieure à 3 % au cours de deux prochaines années ;
  2. Par ailleurs, la situation budgétaire de l’économie allemande en ce début de décennie 2000 n’était pas bonne : à partir de 2001, le déficit des administrations publiques (APU) allemandes dépassait la barre des 3 % et frôlait celle des 4 % en 2002, année précédant la mise en place de la première réforme Hartz. Dans le même temps, la dette publique dépassait pour la première fois le seuil des 60 % du PIB autorisé par le traité de Maastricht. Malgré ces mauvaises performances budgétaires – la dette publique frôlant les 70 % en 2005 –, il est intéressant de noter que le gouvernement allemand a continué de maintenir une politique budgétaire fortement expansionniste tant que les réformes n’étaient pas achevées : au cours de la période 2003-2006, l’impulsion budgétaire était positive et s’élevait en moyenne à 0,7 point de PIB chaque année (graphique 2). Ainsi donc, au cours de cette période, le gouvernement allemand a accompagné les réformes structurelles par une politique budgétaire très accommodante.

Ainsi, les réformes structurelles sur le marché du travail menées sous Schröder ont non seulement été mises en place dans un contexte conjoncturel très favorable (forte croissance mondiale et stratégie différente des autres pays européens) mais ont aussi été accompagnées par une politique budgétaire particulièrement accommodante compte tenu notamment de l’état dégradé de leurs comptes publics.

Ce contexte est très éloigné de celui d’aujourd’hui :

  1. la croissance mondiale ne devrait pas dépasser les 3 % au cours des deux prochaines années ;
  2. la CE demande à un grand nombre de pays européens de mettre en place de façon simultanée les mêmes réformes structurelles, ce qui, dans une zone euro très intégrée, limite leur efficacité ;
  3. et la politique budgétaire, malgré l’assouplissement accordé sur les déficits, devrait rester très restrictive : comme l’indique le tableau 1, les impulsions budgétaires pour la France ou l’Espagne devront rester fortement négatives (-0,8 point de PIB par an) au moment de la mise en place des réformes structurelles dans ces pays.

Si aujourd’hui la pression à l’amélioration de la compétitivité pour les pays du Sud est similaire à celle de l’Allemagne au début des années 2000, l’environnement extérieur est moins porteur et la pression au désendettement public plus contraignant.

Sur ce dernier point, l’exemple allemand nous apprend qu’il est difficile de mener de front des réformes structurelles visant à accroître la compétitivité de ses entreprises et  à poursuivre le désendettement public.

 




Politique monétaire et boom immobilier : comment gérer l’hétérogénéité dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Fabien Labondance

La transmission de la politique monétaire à l’activité économique et à l’inflation repose sur différents canaux dont le rôle et l’importance dépendent crucialement des caractéristiques structurelles des économies. La dynamique du crédit et des prix immobiliers est au cœur de ce processus. Dans la zone euro, les sources d’hétérogénéité entre pays sont multiplées, ce qui pose la question de l’efficacité de la politique monétaire mais aussi celle des moyens à mettre en œuvre pour atténuer cette hétérogénéité.

Les sources d’hétérogénéité entre les pays peuvent résulter du degré de concentration des systèmes bancaires (i.e. plus ou moins de banques et donc plus ou moins de concurrence), du mode de financement (i.e. à taux fixe ou à taux variable), de la maturité des prêts aux ménages, de leur niveau d’endettement, de la proportion de ménages locataires ainsi que des coûts de transaction sur le marché immobilier. La part des prêts effectués à taux variable reflète parfaitement ces hétérogénéités puisqu’elle s’élève à 91 % en Espagne, 67 % en Irlande et à 15 % en Allemagne. Dans ces conditions, la politique monétaire commune menée par la Banque centrale européenne (BCE) a des effets asymétriques sur les pays de la zone euro, comme en témoigne l’évolution divergente des prix de l’immobilier dans ces pays. Ces asymétries se répercutent ensuite sur l’évolution du PIB, un phénomène que l’on a observé aussi bien « avant » que « depuis » la crise. Ces questions font l’objet d’un article que nous avons publié dans le volume Ville et Logement de la Revue de l’OFCE. Nous évaluons l’hétérogénéité de la transmission de la politique monétaire vers les prix immobiliers dans la zone euro en distinguant explicitement deux étapes du canal de transmission, chaque étape pouvant refléter différentes sources d’hétérogénéité. La première permet de décrire la répercussion du taux d’intérêt contrôlé par la BCE sur les taux appliqués par les banques de chaque pays de la zone euro aux crédits immobiliers. La deuxième étape illustre les effets différenciés de ces taux bancaires sur les prix immobiliers.

Nos résultats confirment l’existence d’une transmission hétérogène de la politique monétaire dans la zone euro. Ainsi, pour un taux directeur constant fixé par la BCE à 2 %, comme cela était le cas entre 2003 et 2005, les estimations réalisées sur la période précédant la crise suggèrent que le taux d’équilibre de long terme appliqué respectivement par les banques espagnoles et irlandaises serait de 3,2 % et 3,3 %. Comparativement, le taux équivalent en Allemagne serait de 4,3 %. En outre, l’inflation plus élevée en Espagne et en Irlande amplifierait cet écart de taux nominal. Nous montrons ensuite que la répercussion des variations du taux directeur de la BCE sur les taux bancaires est, avant la crise, plus forte en Espagne ou en Irlande qu’elle ne l’est en Allemagne (graphique), ce qui renvoie aux différences observées sur la part des prêts effectués à taux variable dans ces différents pays Il faut noter qu’avec la crise, la transmission de la politique monétaire a été fortement perturbée. Les banques n’ont pas forcément ajusté l’offre et la demande de crédit en modifiant les taux mais en durcissant les conditions d’octroi des crédits[1]. Par ailleurs, les estimations portant sur la relation entre les taux appliqués par les banques et les prix immobiliers suggèrent une forte hétérogénéité à l’intérieur de la zone euro. Ces différents résultats permettent donc de comprendre, au moins partiellement, les divergences observées sur les prix immobiliers dans la zone euro. La période au cours de laquelle le taux fixé par la BCE était bas aurait contribué au boom immobilier en Espagne et en Irlande. Puis, le durcissement de la politique monétaire, décidé après 2005, expliquerait également l’ajustement plus rapide des prix immobiliers observé dans ces deux pays. Nos estimations suggèrent également que les prix immobiliers dans ces deux pays sont aussi très sensibles aux évolutions de la croissance économique et démographique. Les cycles immobiliers ne peuvent donc pas se réduire à l’effet de la politique monétaire.

Dans la mesure où la crise récente trouve sa source dans les déséquilibres macroéconomiques qui se sont développés dans la zone euro, il est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Union européenne de réduire les sources d’hétérogénéités entre les Etats membres. Pour autant, ceci n’est pas forcément du ressort de la politique monétaire. D’une part, il n’est pas certain que l’instrument de politique monétaire, le taux d’intérêt de court terme, soit l’outil adapté pour freiner le développement de bulles financières. D’autre part, la BCE conduit la politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro en fixant un taux d’intérêt unique, ce qui ne lui permet pas de tenir compte des hétérogénéités qui caractérisent l’Union. Il  faut plutôt encourager la convergence des systèmes bancaire et financier. A cet égard, bien qu’elle soulève encore de nombreux problèmes (voir Maylis Avaro et Henri Sterdyniak), le projet d’union bancaire peut contribuer à réduire l’hétérogénéité. Un autre moyen efficace de réduire l’asymétrie de la transmission de la politique monétaire réside dans la mise en œuvre d’une politique prudentielle centralisée dont la BCE pourrait être en charge. De cette façon, il serait possible de renforcer la résilience du système financier en adoptant notamment une régulation du crédit bancaire qui pourrait tenir compte de la situation prévalant dans chaque pays afin d’éviter le développement de bulles qui font peser une menace pour les pays et pour la stabilité de l’union monétaire (voir le rapport du CAE n°96 pour plus de détails).


[1] Kremp et Sevestre (2012) mettent en avant le fait que la réduction des volumes de prêts ne provient pas uniquement d’un rationnement de l’offre de crédit mais que le climat récessif a également entraîné une baisse de la demande.

 




Les étranges prévisions de la Commission pour 2014

par Mathieu Plane

Les chiffres de la croissance française pour 2014 publiés par la Commission européenne (CE), dans son dernier rapport de mai 2013, semblent en apparence relativement consensuels. En effet, la Commission table sur une croissance du PIB de 1,1 % en 2014, relativement proche de la prévision réalisée par l’OCDE (1,3 %) ou par le FMI (0,9 %) (tableau 1). Cependant, ces prévisions de croissance relativement similaires masquent des différences profondes. Tout d’abord, pour définir la politique budgétaire à venir, contrairement aux autres instituts, la Commission ne prend en compte que les mesures votées. Si les prévisions de croissance de la Commission pour l’année 2013 intègrent bien les mesures de la Loi de finances pour 2013 (et donc la politique de grande rigueur), les prévisions pour 2014 n’intègrent aucune mesure budgétaire à venir, alors même que le gouvernement prévoit, d’après le programme de stabilité transmis à Bruxelles en avril 2013, une austérité de 20 milliards d’euros en 2014 (soit une impulsion budgétaire de -1 point de PIB). Pour 2014, l’exercice réalisé par la Commission ressemble donc plus un cadrage économique qu’à une prévision car il n’intègre pas la politique budgétaire la plus probable pour 2014. Du coup, le gouvernement n’a aucune raison de se caler sur la prévision de croissance de la Commission pour 2014 car les hypothèses sur la politique budgétaire sont radicalement opposées. Mais au-delà de cette différence, se pose également le problème de cohérence globale du cadre économique réalisé par la Commission pour 2014. Il est en effet difficilement compréhensible que Commission puisse prévoir pour 2014 une hausse du taux de chômage avec un output gap très dégradé et une impulsion budgétaire positive.

Globalement, tous les instituts partagent l’idée que l’output gap de la France est actuellement très creusé, compris en 2013 entre -3,4 points de PIB (pour la CE) et -4,3 (pour l’OCDE) (tableau 1). Tous considèrent donc que le PIB actuel est très éloigné de sa trajectoire de long terme et ce déficit d’activité devrait donc conduire, en dehors de tout choc extérieur et de toute contrainte sur la politique budgétaire et monétaire, à un rattrapage spontané de croissance dans les années à venir. Cela devrait donc se traduire par un taux de croissance du PIB supérieur à celui du potentiel, quelle que soit la valeur de ce dernier. Assez logiquement, si l’impulsion budgétaire est neutre ou positive, la croissance du PIB devrait être donc largement supérieure à son potentiel. Pour le FMI, l’impulsion budgétaire négative (-0,2 point de PIB) est plus que compensée par le rattrapage spontané de l’économie, se traduisant par une légère fermeture de l’output gap (0,2) en 2014. Pour l’OCDE, l’impulsion budgétaire fortement négative (-0,7 point de PIB) ne permet pas de fermeture de l’ouput gap, celui-ci continuant à se creuser (-0,3), mais moins que l’impact négatif de l’impulsion en raison de la dynamique spontanée de rattrapage. Dans les deux cas (OCDE et FMI), cette politique budgétaire restrictive pèse sur la croissance mais permet d’améliorer le solde public en 2014 (0,5 point de PIB pour l’OCDE et 0,3 pour le FMI).

La Commission, quant à elle, intègre dans ses prévisions une impulsion budgétaire positive pour la France pour 2014 (+0,4 point de PIB). Comme nous l’avons vu précédemment, la Commission ne prend en compte que les mesures budgétaires votées ayant un impact en 2014. Or, pour 2014, si aucune nouvelle décision budgétaire n’est prise, les taux de prélèvements obligatoires devraient spontanément diminuer en raison de la baisse entre 2013 et 2014 du rendement de certaines mesures fiscales ou du financement partiel d’autres mesures (comme le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi). Naturellement, cela pourrait se traduire par une impulsion budgétaire positive pour 2014. Mais, malgré cet effet, qui s’apparente à une politique de relance (de faible ampleur), la fermeture de l’output gap est inférieure (0,1 point de PIB) à l’impulsion budgétaire. Cela laisse implicitement penser que la politique budgétaire n’a pas d’effet sur l’activité et surtout qu’il n’y a pas de rattrapage spontané possible pour l’économie française malgré un output gap très dégradé. Mais on ne comprend pas pourquoi. Du coup, le solde public se dégrade en 2014 (-0,3 point de PIB) et le taux de chômage augmente de 0,3 point (ce qui peut paraître paradoxal avec un output gap qui ne se dégrade pas). L’économie française est donc perdante sur tous les tableaux d’après des grands indicateurs macroéconomiques.

Au regard de la croissance potentielle, des output gap et des impulsions budgétaires retenus par la Commission (l’OCDE et le FMI), et en intégrant des hypothèses relativement standards (multiplicateur budgétaire à court terme à 1 et fermeture spontanée de l’output gap en 5 ans), on aurait pu attendre de la Commission une croissance pour la France en 2014 de 2,1 % (1,7 % pour l’OCDE et 1,2 % pour le FMI), et donc une forte baisse du taux de chômage.

Assez paradoxalement, on ne retrouve pas la même logique de la Commission en ce qui concerne la prévision pour l’Allemagne ou la zone euro dans son ensemble (tableau 2). Dans le cas de l’Allemagne, malgré un output gap peu dégradé en 2013 (-1 point de PIB), laissant normalement augurer un faible rattrapage spontané de l’économie allemande en 2014 et une impulsion budgétaire quasiment neutre (0,1 point de PIB), la croissance de l’Allemagne en 2014 serait attendue à 1,8 %, permettant une fermeture de l’output gap de  0,5 point de PIB. Avec pour conséquence une baisse du taux de chômage et une réduction du déficit public en Allemagne pour 2014.

Dans le cas de la zone euro, on retrouve le même scénario : une impulsion budgétaire très légèrement positive (0,2 point de PIB) et une réduction rapide de l’output gap (0,7 point de PIB), ce qui se traduit à la fois par une amélioration des comptes publics malgré une impulsion budgétaire positive et une baisse du taux de chômage (même si on aurait pu s’attendre à une plus forte réduction de ce dernier au regard de l’amélioration de l’output gap).

Au regard de la croissance potentielle, des output gap et des impulsions budgétaires retenus pour chaque pays par la Commission,  la prévision pour 2014 aurait pu conduire à une croissance de 2,1 % pour la France, 1,6 % pour l’Allemagne et 1,3 % pour la zone euro.

Finalement, pourquoi la France, malgré un output gap plus dégradé que l’Allemagne et la zone euro et une impulsion budgétaire positive plus forte, connaît-elle une augmentation de son taux de chômage en 2014 quand les autres pays voient le leur baisser ? Doit-on y voir une difficulté, voire une impossibilité pour la Commission d’inscrire en prévision qu’une politique sans consolidation budgétaire puisse  faire de la croissance et baisser le chômage spontanément en France ?

 




Aux Pays-Bas, le changement, c’est maintenant !

par Christophe Blot

Alors que la France vient de confirmer son engagement à réduire le déficit budgétaire sous la barre des 3 % (voir Eric Heyer) en 2014, les Pays-Bas viennent d’annoncer qu’ils renonceraient à cet objectif jugeant que des mesures d’austérité supplémentaires risquaient de compromettre la croissance.  Le pays est replongé en récession en 2012 (-1 %) et le PIB reculerait encore en 2013 (voir l’analyse du CPB, Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis). Dans ces conditions, la situation sociale s’est rapidement dégradée avec le taux de chômage qui a fait un bond de 2 points en cinq trimestres. Au premier trimestre 2013, il s’élève à 7,8 % de la population active. Au-delà de ses répercussions nationales, ce rejet de l’austérité peut-il (enfin) être le signal d’un infléchissement de la stratégie européenne de consolidation budgétaire ?

Jusqu’ici, le gouvernement de coalition, issu des élections de septembre 2012 et dirigé par le libéral Mark Rutte, avait suivi la stratégie de consolidation prévoyant un retour rapide du déficit sous le seuil de 3 %. Cependant, les précédentes mesures de restriction mises en œuvre conjuguées à l’ajustement du marché immobilier et au recul de l’activité dans la zone euro auront conduit les Pays-Bas sur le chemin d’une nouvelle récession en 2012 et éloigné la perspective d’un respect des engagements budgétaires dès 2013. Pourtant, au regard des prévisions de croissance et de déficit budgétaire faites pour l’année 2013 par la Commission européenne, le gouvernement hollandais semblait en mesure d’atteindre un déficit de 3 % en 2014, mais à l’instar de la France, au prix de mesures supplémentaires. Le déficit budgétaire est en effet attendu à 3,6 % en 2013 par la Commission. Le CPB prévoit même un déficit légèrement inférieur (3,3 %) avec des prévisions de croissance comparables à celles de la Commission. Dans ces conditions, l’effort budgétaire nécessaire aurait été compris entre 3,5 et 7 milliards d’euros pour atteindre les 3 % en 2014. Comparativement, pour la France il faudrait voter pour 2014 un plan d’austérité supplémentaire de 1,4 point de PIB soit un peu moins de 30 milliards d’euros (voir France : tenue de rigueur imposée).

Pourtant, sous la pression des partenaires sociaux, le gouvernement a finalement renoncé au plan, annoncé le 1er mars, qui prévoyait des économies de 4,3 milliards d’euros concentrées principalement sur le gel des salaires dans le secteur public, le gel du barème de l’impôt sur le revenu et la stabilisation des dépenses publiques en volume. Cette pause de l’austérité devrait donner un peu de souffle à l’activité économique sans remise en cause de la soutenabilité budgétaire, puisque les meilleures perspectives de croissance permettront de réduire la part conjoncturelle du déficit budgétaire. Certes, les 3% ne seront pas respectés mais il n’est pas certain que les marchés fassent grand cas de cette entorse à la règle. De fait, l’écart des taux d’intérêt vis-à-vis de l’Allemagne s’est stabilisé depuis l’annonce du rejet du plan alors qu’il avait plutôt tendance à augmenter au cours des semaines précédentes (graphique).

Si cette décision ne devrait bouleverser la stabilité économique et financière ni des Pays-Bas, ni de la zone euro, elle constitue cependant un signal fort contre l’austérité venant d’un pays qui jusque-là avait privilégié la consolidation budgétaire. Il s’agit donc d’une voix supplémentaire contestant l’efficacité d’une telle stratégie et soulignant les risques économiques et sociaux qui lui sont liés (voir ici pour un tour d’horizon de la remise en cause de l’austérité et le rapport iAGS 2013 pour des développements plus précis sur une stratégie européenne alternative). Il s’agit aussi d’une voie dont la France devrait s’inspirer. En effet, la crédibilité ne se gagne pas forcément en sacrifiant un objectif  (la croissance et l’emploi) à un autre (le déficit budgétaire). Il reste qu’il faut attendre la réaction de la Commission européenne dans la mesure où les Pays-Bas, comme la plupart des pays de la zone euro, sont en effet toujours sous le coup d’une procédure de déficit excessif. Si la décision des Pays-Bas n’est pas remise en cause, alors il s’agira d’une inflexion significative de la stratégie macroéconomique européenne.

 




Le calice de l’austérité jusqu’à la lie

Céline Antonin, Christophe Blot et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les prévisions de l’OFCE d’avril 2013

La situation macroéconomique et sociale de la zone euro reste préoccupante. L’année 2012 a été marquée par un nouveau recul du PIB (-0,5 %) et une hausse continue du taux de chômage qui atteignait 11,8 % en décembre. Si l’ampleur de cette nouvelle récession n’est pas comparable à celle de 2009, elle l’est cependant au moins par la durée puisque, au dernier trimestre 2012, le PIB a baissé pour la cinquième fois consécutive. Surtout, pour certains pays (Espagne, Grèce et Portugal) cette récession prolongée marque le commencement d’une déflation qui pourrait rapidement s’étendre aux autres pays de la zone euro (voir Le commencement de la déflation). Enfin, cette performance est la démonstration d’un échec de la stratégie macroéconomique mise en œuvre dans la zone euro depuis 2011. La consolidation budgétaire amplifiée en 2012 n’a pas ramené la confiance des marchés ; les taux d’intérêt n’ont pas baissé sauf à partir du moment où le risque d’éclatement de la zone euro a été atténué grâce à la ratification du TSCG (Traité de stabilité, de coordination et de gouvernance) et à l’annonce de la nouvelle opération OMT permettant à la BCE d’intervenir sur les marchés de la dette souveraine. Pour autant, il n’y a aucune remise en cause du dogme budgétaire, si bien que les pays de la zone euro poursuivront en 2013, et si nécessaire en 2014, leur marche forcée pour réduire leur déficit budgétaire et atteindre le plus rapidement possible le seuil symbolique de 3 %. Le martellement médiatique de la volonté française de tenir cet engagement est le reflet parfait de cette stratégie et de son absurdité (voir France : tenue de rigueur imposée). Ainsi, tant que le calice ne sera pas bu jusqu’à la lie, les pays de la zone euro semblent condamnés à une stratégie qui se traduit par de la récession, du chômage, du désespoir social et des risques de rupture politique. Cette situation représente une plus grande menace pour la pérennité de la zone euro que le manque de crédibilité budgétaire de tel ou tel Etat membre. En 2013 et 2014, l’impulsion budgétaire de la zone euro sera donc de nouveau négative (respectivement de -1,1 % et -0,6 %), ce qui portera la restriction cumulée à 4,7 % du PIB depuis 2011. Au fur et à mesure que les pays auront réduit leur déficit budgétaire à moins de 3 %, ils pourront ralentir le rythme de consolidation (tableau). Si l’Allemagne, déjà à l’équilibre des finances publiques, cessera dans les deux prochaines années de faire des efforts de consolidation, la France devra maintenir le cap pour espérer atteindre 3 % en 2014. Pour l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, l’effort sera moindre que celui qui vient d’être accompli mais il continuera à peser significativement sur l’activité et l’emploi, d’autant plus que l’effet récessif des impulsions passées restera important.

Dans ce contexte, la poursuite de la récession est inévitable. Le PIB reculera de 0,4 % en 2013. Le chômage devrait battre de nouveaux records. Le retour de la croissance n’est pas à attendre avant 2014 ; mais même en 2014, en l’absence d’inflexion du dogme budgétaire, les espoirs risquent à nouveau d’être déçus dans la mesure où cette croissance, attendue à 0,9 %, sera insuffisante pour enclencher une baisse significative du chômage. De plus, ce retour de la croissance sera trop tardif et ne pourra pas effacer le coût social exorbitant d’une stratégie dont on aura insuffisamment et tardivement discuté les alternatives.