La dérive du chômage des seniors se poursuit au mois d’août

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du mois d’août 2015 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après deux mois de relative stabilité, une hausse significative du nombre de personnes inscrites en catégorie A (+20 000), soit 156 000 demandeurs d’emploi de plus sur un an. Si ce chiffre est incontestablement décevant, il faut toutefois rappeler l’incertitude entourant les évolutions mensuelles des inscriptions à Pôle Emploi. Malgré la baisse des inscrits en catégories B et C au cours du dernier mois (- 11 600), le nombre de demandeurs d’emploi ayant fait des actes positifs de recherche d’emploi a cru de près de 332 000 depuis août 2014. 

Ce chiffre nuance la publication du taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) qui donne une image moins négative en apparence du marché du travail français. En effet, cette statistique indique une légère baisse du taux de chômage au 1er semestre (-0,1 point) largement imputable à une baisse de la population active (-0,2 point).

Au-delà du chiffre global, la publication du mois d’août confirme les divergences observées au sein des différentes classes d’âge. Alors que le nombre d’inscrits de 50 ans ou plus en catégorie A à Pôle Emploi était inférieur à celui des moins de 25 ans jusqu’en septembre 2010, les séniors au chômage sont désormais 330 000 de plus que les jeunes au chômage (graphique). Le creusement de cet écart depuis 2010 résulte de plusieurs facteurs.  La montée en charge des réformes de retraite successives (2003, 2010), couplées à la suppression des dispenses de recherche d’emploi pour les séniors, a conduit à un allongement de la durée d’activité et à un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Dans un contexte de faible croissance, la hausse du taux d’emploi des séniors a été insuffisante pour absorber la dynamique de population active de cette classe d’âge, avec pour conséquence une hausse du chômage des plus de 50 ans. En revanche, la faible augmentation du nombre de jeunes au chômage résulte de deux facteurs principaux.  Premièrement les politiques de l’emploi  développées depuis 2013 ciblent particulièrement les jeunes avec la mise en place des emplois d’avenir. Deuxièmement, les faibles créations d’emplois observées dans le secteur marchand se font principalement sous la forme d’emplois temporaires (CDD, intérim), type d’emploi dans lequel les jeunes sont particulièrement représentés (34,2 % des jeunes en emploi sont en CDD ou en intérim contre 8,4 % des autres catégories d’âge).

Enfin, si les séniors sont moins souvent au chômage que les jeunes (4,6 % des 50-64 ans contre 8,6 % pour les 15-24 ans), ils sont cependant plus exposés au chômage de longue durée. 62 % des séniors inscrits à Pole Emploi le sont depuis plus d’un an contre 21 % pour les jeunes.

Ainsi, seule une politique macroéconomique visant à rehausser le niveau global de l’emploi permettra de lutter simultanément contre le chômage des jeunes et des seniors. A défaut, des politiques orientées sur certaines catégories, bien qu’efficaces pour le public ciblé, peuvent induire des effets négatifs sur les autres catégories dans un contexte d’insuffisance de l’emploi.

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Chômage : baisse par intérim

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du chômage du mois de juillet 2015 font apparaître un léger recul de 1900 personnes inscrites en catégorie A. L’incertitude qui entoure les évolutions mensuelles des inscriptions à Pôle Emploi ne permet pas pour le moment de conclure à une amélioration durable de la situation sur le marché du travail. Toutefois la hausse constatée depuis janvier 2015 (+50 900 inscrits en catégorie A) est de moindre ampleur que celles constatées au cours des trois dernières années sur la même période (+128 500 en moyenne sur les sept premiers mois des trois années précédentes). Elle est comparable à celles constatées en 2010-2011 (+44 300 en moyenne sur les sept premiers mois de ces deux années), années de reprise de la croissance.

Cette évolution du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Tout d’abord, le regain de croissance du PIB observé au premier semestre (+0,7 % selon les premiers comptes publiés par l’INSEE) devrait s’accentuer sur les prochains trimestres. Pour l’heure, ce regain se traduit par une hausse de l’emploi salarié du secteur concurrentiel de +26 600 au premier semestre 2015 permettant ainsi de limiter la hausse du chômage sans pour autant le faire reculer, la population active ayant augmenté d’environ 75 000 personnes au premier semestre.

Par ailleurs, la progression des inscriptions en catégories B et C se poursuit[1] de façon plus marquée que pour la seule catégorie A (+145 600 depuis le début de l’année). Elle s’explique en partie par un basculement de certains inscrits en catégorie A vers ces catégories, traduisant une hausse des emplois précaires cohérente avec l’augmentation de l’emploi intérimaire au premier semestre (+11 600) : historiquement, l’amélioration de la situation sur le marché du travail s’enclenche par une hausse des emplois précaires (CDD, intérim). Cela coïncide également avec l’augmentation des offres d’emploi collectées par Pôle Emploi, et avec les sorties de Pôle Emploi pour motif de reprise d’emploi déclarée qui quant à elles reviennent à des niveaux comparables à ceux observés en 2010-2011.

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Enfin, les évolutions par âge sont différenciées : le nombre d’inscrits de moins de 25 ans en catégorie A est inférieur de 4 600 à son niveau en fin d’année 2014. De fait, les jeunes, surreprésentés dans les emplois dits temporaires (34,2 % des jeunes en emploi sont en CDD ou en intérim contre 8,4 % des autres catégories d’âge), bénéficient des créations de ce type d’emplois et de la hausse des emplois aidés particulièrement ciblés sur leur catégorie. A l’inverse, les inscriptions en catégorie A des personnes âgées de 50 ans et plus se poursuivent de façon ininterrompue (+36 100 depuis le début de l’année). 62% des inscrits de 50 ans et plus à Pôle Emploi le sont depuis plus d’un an contre 39% en moyenne pour les autres tranches d’âge.

 


[1] Ces catégories regroupent les personnes ayant exercé une activité réduite au cours du mois, mais restant inscrites à Pôle emploi.




Chiffres du chômage : retour des frimas en avril

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Alors que le ralentissement de la hausse des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi au premier trimestre 2015 pouvait être vu comme la prémisse de l’inversion tant espérée de la courbe du chômage, la publication de ce jour fait à nouveau douter de sa possibilité, tout au moins à court terme. L’inscription de 26 200 personnes supplémentaires à Pôle Emploi en catégorie A durant le mois d’avril ramène la hausse des demandeurs d’emplois à des rythmes élevés, bien supérieurs à ceux enregistrés depuis deux ans (13 400 par mois en moyenne) et très loin de la quasi stabilité du premier trimestre (+ 3 000 par mois).

Alors que les perspectives de reprise s’affirment avec la publication d’une forte croissance du PIB au premier trimestre (+0,6 %), on ne peut qu’être déçu d’un tel chiffre. Rappelons toutefois que l’emploi ne répond pas immédiatement aux stimulations de l’activité; les bénéfices de la bonne croissance du début de l’année sur le marché du travail ne seront engrangés qu’avec retard, quand la solidité de la reprise sera avérée et poussera les employeurs à recruter. Pour le moment, les entreprises digèrent encore les sureffectifs hérités de la période de très faible croissance que l’on a observée entre 2011 et 2014. La baisse du chômage, envisageable avec la reprise, ne peut donc s’amorcer que dans la seconde moitié de 2015. Mais l’accélération des inscriptions en avril donne le signal inverse.

La dégradation est générale parmi toutes les composantes des demandeurs d’emploi : hommes, femmes, et toutes les catégories d’âge. Le nombre de chômeurs âgés de moins de 25 ans repart à la hausse depuis deux mois (9 500 personnes). Mais ces évolutions, habituellement volatiles, sont toutefois à considérer avec prudence : elles viennent en contrepoint d’une diminution équivalente au cours de deux premiers mois de 2015. Sur un an, la hausse n’est que de 11 900, et l’interruption de la montée du chômage des jeunes depuis avril 2013 signe un succès de la politique de l’emploi ciblée sur cette catégorie (cf. graphique). L’annonce du Ministre du Travail de la création de 100 000 emplois aidés supplémentaires témoigne de la volonté du gouvernement, peut-être trop tardive, de renforcer ce dispositif au moment où les perspectives conjoncturelles s’améliorent.

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L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste

par Aurélien Saussay (@aureliensaussay)

Le Bureau of Economic Analysis vient de livrer son estimation de la croissance américaine au premier trimestre 2015 : à 0,2% en rythme annualisé, ce chiffre est très en-deçà du consensus des principaux instituts américains qui s’accordaient sur une prévision légèrement supérieure à 1% – bien loin déjà des 3% encore espérés début mars.

S’il est encore trop tôt pour connaître les raisons exactes de ce coup d’arrêt, un facteur semble devoir émerger : aux États-Unis, la « révolution » du pétrole de schiste semble au bord de l’implosion.  La baisse brutale des cours du brut au deuxième semestre 2014 a provoqué un effondrement de l’activité extractive : le nombre de foreuses pétrolières en activité aux États-Unis a chuté de 56% de novembre 2014 à avril 2015, pour revenir à son niveau d’octobre 2010 (voir graphique). La rapidité de ce ralentissement souligne la fragilité du boom du pétrole de schiste, et sa dépendance à un prix du baril élevé.

 

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Compte tenu de la durée de vie très brève des puits de pétrole de schiste, inférieure à 2 ans, cette baisse brutale du rythme de forage devrait se traduire par une chute tout aussi rapide de la production dans les mois qui viennent : de fait, l’Agence pour l’Information sur l’Energie américaine (US. EIA) a prévu pour le mois de mai une diminution de la production de pétrole de schiste, pour la première fois depuis le début de leur exploitation en 2010.

Cette contraction rapide de l’industrie du pétrole de schiste pourrait avoir des conséquences significatives sur l’économie américaine. Son impact macroéconomique se décline en deux composantes principales : l’activité de forage et de complétion des puits, et les gains de balance commerciale réalisés grâce à la substitution d’une production domestique à du pétrole importé.

En 2013, le secteur de l’extraction d’hydrocarbures et de services miniers associés représentait 2,1% de l’économie américaine, contre 1,6% quatre ans plus tôt. Au premier ordre, la baisse du rythme de forage pourrait donc amputer la croissance américaine de 0,3 point de PIB. L’indicateur manufacturier de la FED illustre déjà ce repli : l’activité de l’industrie américaine y ressort en baisse de 1% en rythme annualisé au premier trimestre 2015, une première depuis le second trimestre 2009. Le secteur minier apparaît comme le premier contributeur à cette contraction, avec une chute d’activité de 4% au cours du trimestre.
Ce chiffre néglige toutefois l’effet d’entraînement du secteur sur le reste de l’économie – qui dépasse le seul impact sur les industries en amont : par exemple, dans les zones concernées, l’exploitation du pétrole de schiste s’est accompagnée d’un boom immobilier, rendu nécessaire par l’afflux de travailleurs sur les gisements. À titre d’illustration, le Texas et le Dakota du Nord, Etats qui concentrent 90% de la production totale de pétrole de schiste, ont contribué à plus de 23% de la croissance américaine de 2010 à 2013, quand ils ne représentaient que 8% de l’économie du pays en 2010. L’impact négatif de l’effondrement de l’industrie pétrolière pourrait donc être plus important que la seule taille du secteur pétrolier pourrait le laisser supposer.

L’augmentation de la production américaine de plus 4 millions de barils par jour a par ailleurs permis en 2014 une amélioration de la balance commerciale, pour une contribution de 0,7 point de croissance additionnel. Si la réduction du nombre de forages est suivie d’une baisse de la production équivalente dès le deuxième semestre, et que le prix du baril reste autour de 60 dollars, la production domestique américaine ne contribuerait plus qu’à hauteur de 0,2 point, soit 0,5 point de PIB de moins qu’en 2014.

Enfin, l’exploitation rapide des gisements de pétrole de schiste a principalement été le fait de producteurs dits indépendants, focalisés sur cette activité, et donc particulièrement vulnérables à la volatilité des cours internationaux. Cette exploitation étant très intensive en capital, les indépendants ont eu recours à la dette obligataire pour financer leurs opérations – pour un montant total de 285 milliards de dollars au 1er mars 2015, dont 119 milliards d’obligations à rendement élevé (high-yield)[1]. L’impact de la chute du prix du baril est particulièrement important sur ce dernier segment : la part des obligations  « junk  bonds » est passée de 1,6% en mars 2014 à 42% en mars 2015[2] – soit 50 milliards de dollars. Il est à noter que cette augmentation résulte principalement de la dégradation des obligations existantes, même si de nouvelles émissions obligataires y ont également contribué. Ce mouvement,  s’il se poursuit, pourrait conduire à une crise sur le segment high-yield du marché obligataire américain, ce qui viendrait dégrader les conditions de financement des entreprises américaines alors même que la Fed souhaite entamer cette année un resserrement de sa politique monétaire.

L’implosion de l’industrie du pétrole de schiste va constituer un test pour la solidité de la reprise aux Etats-Unis : si celle-ci s’avère plus fragile qu’anticipée, le choc du ralentissement brutal de l’exploitation du pétrole de schiste pourrait être suffisant pour ramener l’économie américaine à la quasi-stagnation en 2015.

 


[1] Yozzo & Carroll, 2015, « The New Energy Crisis: Too Much of a Good Thing (Debt, That Is) », American Bankruptcy Institute Journal.

[2] Source: Standard & Poor’s.




La reprise qui s’annonce

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de Eric Heyer et de Xavier Timbeau

Ce texte résume les Perspectives économiques 2015-2016 de l’OFCE pour la zone euro et le reste du monde.

Alors que la zone euro était jusqu’à présent restée à l’écart de la reprise mondiale, la conjonction de facteurs favorables (baisse du prix du pétrole et dépréciation de l’euro) permettront l’enclenchement d’une dynamique de croissance plus soutenue et partagée par l’ensemble des pays de l’Union. Ces facteurs interviennent au moment où la consolidation budgétaire, massive et synchronisée, qui avait poussé la zone euro à nouveau en récession en 2011, s’atténue. Les freins à la croissance se lèvent progressivement si bien qu’en 2015 et 2016 le PIB devrait progresser de respectivement 1,6 % et de 2 %, ce qui permettra une réduction du chômage de 0,5 point par an. La zone euro serait donc cette fois-ci engagée sur la voie de la reprise. Pourtant, avec un taux de chômage de 10,5 % à la fin 2016, la situation sociale resterait précaire et la menace déflationniste serait encore présente.

Le choc de demande attendu

Après l’épisode de soutien à la croissance par des politiques budgétaires expansionnistes pendant la Grande Récession de 2008-2009, les pays de la zone euro ont rapidement inversé l’orientation de la politique budgétaire qui est devenue restrictive. Si les Etats-Unis ont également fait le choix de la réduction des déficits budgétaires, les effets de la consolidation y furent moindres. D’une part, le choc de demande négatif à l’échelle de la zone euro fut amplifié par la synchronisation de l’épisode de consolidation. D’autre part, dans un contexte d’endettement public croissant, l’absence de solidarité budgétaire entre les pays a ouvert la brèche aux attaques spéculatives, ce qui a poussé les taux souverains, puis les taux bancaires ou de marché aux agents non-financiers, à la hausse. La zone euro fut ainsi plongée dans une nouvelle récession à partir de 2011 alors que la dynamique de croissance se poursuivait globalement dans les autres pays avancés (graphique). Cet épisode de consolidation et de tensions financières a pris fin progressivement. En juillet 2012, la BCE prenait l’engagement de soutenir l’euro ; l’austérité budgétaire a été atténuée en 2014 et les Etats membres se sont entendus sur un projet d’Union bancaire qui a officiellement débuté en novembre 2014 avec les nouveaux pouvoirs en matière de supervision bancaire confiés à la BCE. Il ne manquait donc à la zone euro qu’une étincelle qui permettrait l’allumage du moteur de la croissance. Le transfert de pouvoir d’achat aux ménages opéré par la baisse du prix du pétrole – de l’ordre d’un point de PIB si la baisse du prix du pétrole se maintient jusqu’en octobre 2015 – représente ce choc de demande positif, qui plus est sans conséquence budgétaire. Le seul coût induit par ce choc résulte de la baisse de revenu dans les pays producteurs de pétrole qui les conduira à moins importer dans les trimestres à venir.

A ce choc de demande interne, s’ajoutera dans la zone euro un choc de demande externe. L’annonce d’un plan d’assouplissement quantitatif dans la zone euro constitue en effet le deuxième facteur accélérateur de croissance. Ce plan, par lequel la BCE devrait acheter pour plus de 1 000 milliards d’euros de titres, au rythme de 60 milliards par mois jusqu’en septembre 2016, va amplifier la baisse des taux souverains mais surtout provoquer une réallocation des portefeuilles d’actifs et faire (encore) baisser l’euro. Les investisseurs, à la recherche d’un rendement plus élevé, vont se reporter sur les titres émis en dollars et ce d’autant plus que la perspective d’un resserrement monétaire graduel aux Etats-Unis améliore les perspectives de rendement outre-Atlantique. La hausse du dollar entraînera avec elle celle des monnaies des pays asiatiques, ce qui renforcera l’avantage compétitif de la zone euro, au détriment cette fois-ci des Etats-Unis et de certains pays émergents. Il est cependant peu probable que la fragilité induite par le contre-choc pétrolier et par la baisse de l’euro dans ces pays et dans les pays producteurs de pétrole ne remette en cause les effets positifs attendus dans la zone euro. Au contraire, ils seront aussi les vecteurs d’un rééquilibrage de la croissance dont avait besoin la zone euro.

Le bouclage de ce scénario de croissance viendra de l’investissement. L’anticipation d’une demande accrue lèvera les dernières réticences au lancement de projets d’investissement dans un contexte où les conditions de financement sont, dans l’ensemble, très favorables et en très nette amélioration dans les pays où les contraintes de crédit avaient fortement pesé sur la croissance.

Le cercle vertueux de la croissance va donc pouvoir s’enclencher. Tous les signaux devraient passer au vert : amélioration du pouvoir d’achat des ménages par l’effet pétrole, gain de compétitivité par la baisse de l’euro, accélération de l’investissement et in fine de la croissance et de l’emploi.

Une reprise fragile ?

Si les éléments qui soutiennent la croissance de la zone euro ne sont pas de simples hypothèses sur le futur mais résultent bien de facteurs tangibles dont les effets vont se faire sentir progressivement, il n’en demeure pas moins qu’ils sont en partie fragiles. Ainsi, la baisse du prix du baril de pétrole n’est sans doute pas pérenne. Le prix d’équilibre du baril de pétrole se situe plus près de 100 dollars que de 50 dollars et, à terme, il faut s’attendre à une remontée des prix de l’énergie : ce qui joue positivement aujourd’hui pourrait interrompre le mouvement de reprise demain. La baisse de l’euro semble plus durable ; elle devrait se prolonger au moins jusqu’à la fin de l’assouplissement quantitatif de la BCE annoncée au plus tôt en septembre 2016. L’euro ne devrait cependant pas baisser en-deçà de 0,95 dollar pour un euro. Les délais de transmission des variations de taux de change aux volumes échangés permettront toutefois à la zone euro de profiter en 2016 d’un gain de compétitivité.

Il faut également souligner qu’un scénario de sortie de la Grèce de la zone euro pourrait aussi mettre un coup d’arrêt à la reprise naissante. Les pare-feux mis en place au niveau européen pour réduire ce risque devrait limiter la contagion, du moins tant que le risque politique n’a pas pris corps. Il sera difficile en effet à la BCE de soutenir un pays dans lequel un parti plaidant explicitement pour la sortie de la zone euro est aux portes du pouvoir. La contagion que l’on croit éteinte pourrait alors se rallumer et rouvrir la crise des dettes souveraines en zone euro.

Enfin, les contraintes du Pacte de stabilité ont été décalées, de façon à laisser plus de temps aux Etats membres, et en particulier la France, pour revenir vers la cible de 3 %. Elles ne sont donc pas levées et devraient prochainement se renforcer dès lors qu’il s’agira d’évaluer les efforts budgétaires faits par les pays pour réduire leur dette.

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France : la reprise, enfin !

par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Les perspectives 2015-2016 pour l’économie française de l’OFCE sont disponibles.

Jamais depuis le début de la crise des subprime l’économie française n’avait connu un contexte aussi favorable à l’enclenchement d’une reprise. La chute des prix du pétrole, la politique volontariste et innovante de la BCE, le ralentissement de la consolidation budgétaire en France et dans la zone euro, la montée en charge du CICE et la mise en place du Pacte de responsabilité (représentant un transfert fiscal vers les entreprises de 23 milliards d’euros en 2015 et près de 33 en 2016) sont autant d’éléments permettant de l’affirmer. Les principaux freins qui ont pesé sur l’activité française ces quatre dernières années (austérité budgétaire sur-calibrée, euro fort, conditions financières tendues, prix du pétrole élevé) devraient être levés en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée. La politique de l’offre impulsée par le gouvernement, dont les résultats se font attendre sur l’activité, gagnerait en efficacité grâce au choc de demande positif provenant de l’extérieur, permettant un rééquilibrage économique qui faisait défaut jusqu’à présent.

L’année 2015 connaîtrait une hausse du PIB de 1,4 % avec une accélération du rythme de croissance au cours de l’année (2 % en glissement annuel). Le second semestre 2015 marquerait le tournant de la reprise avec la hausse du taux d’investissement des entreprises et le début de la décrue du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 % (après 10 % fin 2014). 2016 serait quant à elle l’année de la reprise avec une croissance du PIB de 2,1 %, une hausse de l’investissement productif de 4 % et la création près de 200 000 emplois marchands permettant au taux de chômage d’atteindre 9,5 % à la fin 2016. Dans ce contexte porteur, le déficit public baisserait significativement et s’établirait à 3,1 % du PIB en 2016 (après 3,7 % en 2015).

Evidemment, le déroulement de ce cercle vertueux ne sera rendu possible que si l’environnement macroéconomique reste porteur (pétrole bas, euro compétitif, pas de nouvelles tensions financières dans la zone euro, …) et si le gouvernement se limite aux économies budgétaires annoncées.




La France, l’homme malade de l’Europe ?

par Mathieu Plane

Risque de sanction par la Commission pour non-conformité du budget français avec les traités européens, dégradation de la note sur la dette publique française par Fitch (après S&P un an plus tôt), pas de signes d’inversion de la courbe du chômage, hausse du déficit public après quatre années de baisse consécutive, seul pays de la zone euro avec un déficit courant significatif : l’année 2014 semble avoir été la pire année économique pour la France depuis la crise de 2008. Bien sûr, la France n’a pas connu en 2014 de récession comme en 2009 (-2,9 %), année où la zone euro avait enregistré un recul historique du PIB (-4,5 %). Mais pour la première fois depuis l’éclatement de la bulle des subprime, la France a enregistré en 2014 une croissance du PIB inférieure à celle de la zone euro dans son ensemble (0,4 % contre 0,8 %). Cette situation d’affaiblissement de la position française alimente l’idée que la France serait le nouvel homme malade de l’Europe, victime du laxisme budgétaire de ses dirigeants et de son incapacité à se réformer. Mais qu’en est-il réellement ?

Il faut d’abord rappeler que le modèle économique et social français a prouvé son efficacité durant la crise. Grâce à des amortisseurs sociaux développés, un niveau d’endettement de l’ensemble des acteurs économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) plus faible que la moyenne de la zone euro, un taux d’épargne des ménages élevé, un faible niveau d’inégalités et un système bancaire relativement solide, la France a mieux résisté à la crise que la plupart de ses partenaires européens. En effet, entre début 2008 et fin 2013, elle a enregistré une hausse du PIB de 1,1 % alors que dans le même temps le PIB de la zone euro se contractait de 2,6 % ; et la France a évité la récession de 2012 et 2013 que la plupart des pays de la zone euro ont connue. Ainsi, au cours de ces six années (2008-13), la performance économique de la France en Europe fut relativement proche de celle de l’Allemagne (+2,7 %), supérieure à celle du Royaume-Uni (-1,3 %) et loin devant l’Espagne (-7,2 %) et l’Italie (-8,9 %). De même, si la France a connu sur la période 2008-13 une contraction de son investissement (-7,7 %) et une hausse de son taux de chômage (+3 points), cela reste une performance moins négative que celle de la moyenne de la zone euro où l’investissement a chuté de de 17 % et le taux de chômage a grimpé de 4,6 points. Enfin, cette meilleure résistance relative de l’économie française pendant la crise n’est pas liée à une plus forte augmentation de l’endettement public par rapport à celui de la moyenne de la zone euro (+28 points de PIB pour la France et la zone euro) ou même du Royaume-Uni (+43 points).

Mais durant l’année 2014, la France a vu sa position au sein de la zone euro se dégrader, ce qui, outre une croissance plus faible que ses partenaires, s’est caractérisé par une hausse de son taux de chômage (celui de la zone euro a entamé une lente décrue), une augmentation de sa dette publique (elle s’est quasiment stabilisée dans la zone euro), un recul de son investissement (il s’améliore légèrement dans la zone euro), un accroissement de son déficit public (celui de la zone euro diminue) et un déficit courant significatif (la zone euro présente un excèdent courant important). Comment expliquer ce renversement ?

Même si la France présente un problème de compétitivité, notons que près de la moitié de son déficit courant est conjoncturel en raison d’importations plus dynamiques que ses principaux partenaires commerciaux qui affichent en moyenne des output gap plus dégradés. En outre, jusqu’en 2013, l’ajustement budgétaire de la France a principalement porté  sur les prélèvements obligatoires plutôt que sur la dépense publique. A l’inverse, celui de 2014 a plus porté sur la dépense publique. Au regard de la position de la France dans le cycle et des choix budgétaires opérés, le multiplicateur budgétaire en 2014 a été plus élevé que les années précédentes. Ensuite, la compétitivité du tissu industriel français est prise en étau dans la zone euro entre, d’un côté, les pays périphériques de la zone euro, notamment l’Espagne, entrés dans un processus de déflation salariale alimenté par un chômage de masse, et les pays au cœur de la zone euro, notamment l’Allemagne, qui ne souhaitent pas renoncer à leurs excédents commerciaux excessifs par une relance soutenue de la demande et plus d’inflation. Face à cette dévaluation généralisée par les salaires dans la zone euro, la France n’a eu d’autres choix que de répondre par une politique visant à améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant le coût du travail. Ainsi, le CICE et le Pacte de Responsabilité représenteront au total un transfert de 41 milliards d’euros vers les entreprises financés principalement par les ménages. Si les effets positifs de ces transferts se feront ressentir à moyen-long terme, leur financement auquel s’ajoutent les efforts de consolidation budgétaire a des effets négatifs immédiats sur le pouvoir d’achat et la faible croissance de 2014 symbolise ce mouvement. Enfin, l’année 2014 a connu une forte baisse de l’investissement en logements (-7 %), la plus forte chute depuis la crise immobilière du début des années 1990 si l’on exclut l’année particulière de 2009.

Cette mauvaise performance française ne devrait pas se reproduire en 2015 pour plusieurs raisons : premièrement, afin d’enrayer la chute de la construction, des mesures d’urgence ont été prises en août 2014 pour débloquer l’investissement en logements, dont les premiers effets se feront sentir au cours de l’année 2015. Deuxièmement, les dispositifs votés pour améliorer la compétitivité des entreprises commenceront à produire pleinement leurs effets à partir de 2015 : le CICE et le Pacte de Responsabilité représenteront une baisse des coûts des entreprises de 17 milliards en 2015, après seulement 6,5 milliards en 2014. Troisièmement, le ralentissement de la consolidation budgétaire de nos partenaires commerciaux et l’instauration d’un SMIC en Allemagne sont des éléments favorables pour les exportations françaises. De plus, la baisse du taux de change de l’euro et la chute et des prix du pétrole sont des leviers puissants pour accompagner le redémarrage de l’économie française en 2015, ces deux facteurs pouvant contribuer à un gain de près de 1 point de PIB en 2015. Et les taux d’intérêts, à un niveau très bas, devraient le rester encore pendant plusieurs semestres favorisés par la politique de Quantitative Easing de la BCE. Enfin, le plan Juncker, bien que timide, et la modification, à la marge, des règles budgétaires européennes favorisent une reprise de l’investissement. Ces vents, propices à la croissance française, permettraient d’absorber le choc négatif de la réduction de la dépense publique pour 2015 et, enfin, d’atteindre un rythme d’activité suffisant pour entrevoir l’inversion de la courbe du chômage, tout en réduisant le déficit public.

Si la France n’est pas l’homme malade de l’Europe, elle reste en revanche dépendante, comme tous les pays de la zone euro, des puissants leviers macroéconomiques européens. Jusqu’à présent, ceux-ci ont pesé négativement sur l’activité, que ce soit par le biais des politiques budgétaires trop restrictives ou d’une politique monétaire insuffisamment expansionniste au regard des pratiques des autres banques centrales. Dans une zone monétaire intégrée, la lutte contre la déflation ne peut se faire à l’échelle nationale. Le choix d’un policy-mix européen plus orienté vers la croissance et l’inflation est une première depuis le début de la crise des dettes souveraines. Soutenus par la baisse des prix du pétrole, espérons que ces leviers seront suffisants pour enrayer la spirale dépressive que connaît la zone euro depuis le début de la crise. La reprise sera donc européenne, avant d’être française, ou ne sera pas.




Austérité et pouvoir d’achat en France

par Mathieu Plane

La France mène-t-elle une politique d’austérité ? Comment la mesurer ? Cette question qui alimente régulièrement le débat public ne semble pas avoir été tranchée. Pour de nombreux observateurs, la relative bonne tenue de la dynamique salariale révèlerait que la France n’a pas pratiqué une politique d’austérité, contrairement à certains voisins du Sud de l’Europe, notamment l’Espagne et la Grèce où les coûts salariaux nominaux ont reculé. Pour d’autres, la France ne peut avoir pratiqué de politique d’austérité puisque les dépenses publiques ont continué à augmenter depuis le début de la crise[1]. Les 50 milliards d’économies sur la période 2015-17 annoncées par le gouvernement seraient donc le début seulement du tournant de la rigueur.

Enfin, si l’on s’en tient aux règles budgétaires issues du Pacte de stabilité et de croissance, le degré de restriction ou d’expansion d’une politique budgétaire peut se mesurer à la variation du solde structurel primaire, appelée également impulsion budgétaire. Cette impulsion englobe d’un côté les efforts réalisés en matière de dépense publique primaire (c’est-à-dire hors charges d’intérêts) au regard de l’évolution du PIB potentiel, et de l’autre côté les variations de prélèvements obligatoires en points de PIB. Ainsi, sur la période 2011-13, le solde structurel primaire de la France s’est-il amélioré de 2,5 points de PIB selon l’OCDE, de 2,7 points selon la Commission européenne et de 3,5 points selon l’OFCE. S’il existe un écart significatif quant à la mesure de l’austérité budgétaire sur cette période, il n’en reste pas moins que celle-ci aurait représenté, selon la méthode de calcul, entre 55 et 75 milliards d’euros sur trois ans[2].

Une toute autre façon de mesurer l’ampleur de l’austérité budgétaire consiste à regarder l’évolution des composantes du pouvoir d’achat des ménages. En effet, le pouvoir d’achat permet d’identifier les canaux de transmission de l’austérité, que ce soit par le biais des revenus du travail ou du capital, des prestations sociales ou des prélèvements pesant sur les ménages[3]. Or, les évolutions des composantes du revenu montrent qu’il y a clairement un avant et un après crise en termes de dynamique du pouvoir d’achat par ménage.

Sur la période 2000-2007, le pouvoir d’achat a augmenté de plus de 4 000 euros par ménage…

Cela correspond à une hausse moyenne d’environ 500 euros par an par ménage[4] (tableau) sur les huit années précédant la crise des subprimes, soit un rythme de progression de 1,1 % par an. Du côté des ressources, soutenus par la création de plus de 2 millions d’emplois en équivalent temps plein sur la période 2000-2007, les revenus réels du travail par ménage (qui comprennent l’excédent brut d’exploitation des indépendants) ont augmenté de 0,9 % en moyenne par an. Mais ce sont surtout les revenus réels du capital par ménage (qui intègre les loyers « fictifs » des ménages occupant le logement dont ils sont propriétaires) qui ont connu une forte hausse sur cette période, augmentant deux fois plus vite (1,7 % en moyenne par an) que les revenus réels du travail. Quant aux prestations sociales en espèces, elles ont augmenté de 1 % en moyenne en réel sur cette période, soit un rythme équivalent à l’ensemble des ressources. Du côté des charges, les prélèvements fiscaux et sociaux de 2000 à 2007 ont contribué à réduire le pouvoir d’achat par ménage de 0,9 point par an, ce qui correspond à environ 100 euros en moyenne par an. La hausse des prélèvements s’explique à 85 % par les cotisations sociales (salariées et indépendants), notamment en raison des hausses des taux de cotisations liées à la réforme des retraites. Les impôts sur le revenu et le patrimoine n’ont en effet contribué qu’à diminuer de 14 euros par an le pouvoir d’achat par ménage, et ce malgré la forte augmentation des revenus du capital et des prix des actifs immobiliers sur la période 2000-2007. Sur cette période, les impôts sur les ménages déflatés des prix à la consommation ont augmenté de moins de 2 % alors que les ressources réelles des ménages ont cru de près de 9 % et les revenus réels du capital de 14 %.  La baisse de l’impôt sur le revenu, qui a débuté sous le gouvernement Jospin, puis a été poursuivie par Jacques Chirac lors de son second mandat, explique en grande partie le fait que les impôts aient très peu pesé sur le pouvoir d’achat au cours de cette période.

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…mais sur la période 2008-2015, le pouvoir d’achat par ménage baisserait de plus de 1 600 euros

La crise marque un tournant brutal par rapport aux tendances passées. En effet, sur la période 2008-2015, le pouvoir d’achat par ménage baisserait, en moyenne, de près de 1 630 euros, soit 230 euros par an.

Sur les huit années depuis le début de crise, nous pouvons distinguer trois sous-périodes :

–          La première de 2008 à 2010, qui fait suite à la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, se caractérise par une relativement forte résistance du pouvoir d’achat par ménage, qui a augmenté de près de 40 euros par an en moyenne, et ce malgré la perte de 250 000 emplois sur cette période et la forte baisse des revenus du capital (200 euros en moyenne par an par ménage). D’une part, la forte baisse des prix du pétrole à partir de la mi-2008 a eu pour effet de soutenir le revenu réel, notamment les salaires réels qui ont augmenté de 0,9 % en moyenne annuelle. D’autre part, le plan de relance et les amortisseurs sociaux du système social français ont joué leur rôle contra-cyclique en préservant le pouvoir d’achat moyen avec une forte hausse des prestations sociales en nature (+340 euros en moyenne par an par ménage) et une contribution légèrement positive des impôts au pouvoir d’achat.

–          La seconde période, de 2011 à 2013, est marquée par une très forte consolidation budgétaire, période durant laquelle les prélèvements obligatoires vont augmenter d’environ 70 milliards d’euros en trois ans avec un impact massif sur le pouvoir d’achat. En effet, la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux ont amputé le pouvoir d’achat de 930 euros par ménage, soit plus de 300 euros en moyenne par an. Par ailleurs, la très faible augmentation de l’emploi (+32 000) et la stagnation des salaires réels ont contribué, sous l’effet de la hausse du nombre de ménages (+0,9 % par an), à réduire les revenus réels du travail par ménage de près de 230 euros par an. De plus, les revenus réels du capital par ménage ont continué à contribuer négativement au pouvoir d’achat de 2011 à 2013 (-105 euros en moyenne par an par ménage). Enfin, bien qu’en ralentissement par rapport à la période précédente, seules les prestations sociales ont contribué positivement au pouvoir d’achat (environ 120 euros par an et par ménage). Au final, le pouvoir d’achat par ménage s’est contracté de 1 630 euros en trois ans.

–          La troisième période, 2014 et 2015, verrait encore une légère baisse du pouvoir d’achat par ménage, celui-ci diminuant d’environ 110 euros sur les deux années. La faiblesse de la dynamique de l’emploi et des salaires réels ne permettrait pas de compenser la hausse du nombre de ménages. Ainsi, les revenus réels du travail par ménage diminueraient légèrement sur les deux années (- 43 euros par an en moyenne). Les revenus réels du capital seraient, quant à eux, à peu près neutre sur la variation du pouvoir d’achat par ménage. Bien qu’en moindre augmentation, les prélèvements fiscaux et sociaux continueraient à peser sur le pouvoir d’achat sous l’effet de la montée en charge de certaines mesures fiscales décidées par le passé (fiscalité écologique, hausse taux de cotisation retraite, fiscalité locale, …). Au total, la hausse des taux de prélèvements pesant sur les ménages en 2014-15 réduirait de 170 euros le pouvoir d’achat par ménage. De plus, les économies attendues sur la dépense publique pèseraient sur la dynamique des prestations sociales par ménage, celles-ci n’augmentant que d’environ 60 euros par an en moyenne, soit un rythme deux fois moins élevé que sur la période pré-crise malgré une situation sociale plus dégradée.

Si cette analyse ne permet pas de connaître la distribution par quantile de la variation du pouvoir d’achat par ménage, elle permet néanmoins d’avoir une vision macroéconomique de l’impact de la politique d’austérité sur le pouvoir d’achat depuis 2011. En effet, sur les 1 750 euros de perte de pouvoir d’achat par ménage sur la période 2011-15 (graphique), 1 100 euros seraient directement liés à la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux. Aux effets directs de l’austérité s’ajoutent ceux plus indirects qui impactent les autres composantes du pouvoir d’achat. De fait, en amputant l’activité par le mécanisme du multiplicateur budgétaire, la politique d’austérité a eu un impact massif sur le marché du travail, que ce soit par la réduction de l’emploi ou le ralentissement des salaires réels. Si son ampleur est difficile à évaluer, il n’en reste pas moins que les revenus réels du travail par ménage ont baissé de 770 euros en cinq ans. Enfin, si jusqu’à présent les prestations sociales ont joué un rôle d’amortisseur majeur du pouvoir d’achat depuis le début de la crise, l’ampleur des économies sur la dépense publique prévues à partir de 2015 (sur les 21 milliards d’économies en 2015, 9,6 milliards sont attendus sur la protection sociale et 2,4 milliards sur les dépenses d’intervention de l’Etat) pèseront mécaniquement sur la dynamique du pouvoir d’achat.

Ainsi, avec un pouvoir d’achat par ménage retombé en 2015 à son niveau d’il y a treize ans et qui, de plus, a accusé un recul historique sur la période 2011-2013 correspondant à la période la plus marquée de la consolidation budgétaire, il semble difficile d’une part de soutenir que la France n’a pas pratiqué de politique d’austérité jusqu’à présent et d’autre part qu’elle n’est confrontée à aucun problème de demande à court terme.

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[1] Depuis 2011, le rythme de croissance de la dépense publique, en volume, est resté positif mais a été divisé par deux par rapport à celui de la décennie 2000-10 (1,1 % en volume sur la période 2011-14 contre 2,2 % sur la période 2000-10). De plus, depuis 4 ans, il a augmenté à un rythme légèrement inférieur à celui du PIB potentiel (1,4 %). D’un point de vue économique, cela correspond à une amélioration du solde structurel liée à l’ajustement sur la dépense publique de 0,5 point de PIB sur la période 2011-14.

[2] Ces différences dans la mesure de l’austérité proviennent d’écarts sur un certain nombre de facteurs d’évaluation comme, par exemple, le niveau et le taux de croissance du PIB potentiel qui sert de référence au calcul de l’ajustement budgétaire structurel.

[3] Il est important de noter que le revenu disponible brut intègre uniquement les revenus liés aux prestations sociales en espèces (pensions de retraite, indemnités chômage, allocations familiales, …) mais pas les transferts sociaux en nature (santé, éducation, …) ou les dépenses publiques collectives qui bénéficient aux ménages (police, justice, défense, …).

[4] Nous retenons ici le concept de pouvoir d’achat moyen par ménage et non celui de pouvoir d’achat par unité de consommation.




Reprise avortée

Christophe Blot

Ce texte renvoie à l’article « Le piège de la déflation : perspectives 2014-2015 pour l’économie mondiale » rédigé par Céline Antonin, Christophe Blot, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Hervé Péléraux, Christine Rifflart et Xavier Timbeau.

Selon le communiqué d’Eurostat publié le 14 novembre 2014, la croissance du PIB de la zone euro s’élève à 0,2 % au troisième trimestre 2014. Dans le même temps, l’inflation s’est stabilisée en octobre au niveau très faible de 0,4 %. Bien que les perspectives d’une nouvelle récession soient écartées pour l’instant, le FMI évalue en effet la probabilité de récession dans la zone euro entre 35 et 40 %. Ces mauvais chiffres reflètent l’absence de reprise dans la zone euro et ne permettent donc pas une décrue rapide du chômage. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? A court terme, l’atonie de l’activité s’explique par trois facteurs qui ont pesé négativement sur la croissance. Tout d’abord, bien que moindre qu’en 2013, la consolidation budgétaire s’est poursuivie en 2014 dans un contexte où les multiplicateurs restent élevés. Ensuite, malgré la baisse des taux d’intérêt publics à long terme du fait de la fin des tensions sur les dettes souveraines, les conditions de financement appliquées aux ménages et aux entreprises de la zone euro se sont dégradées parce que les banques n’ont pas répercuté systématiquement la baisse des taux longs et parce que la moindre inflation induit un durcissement des conditions monétaires réelles. Enfin, l’euro s’est apprécié de plus de 10 % entre juillet 2012 et le début de l’année 2014. Bien que cette appréciation reflète la fin des tensions sur les marchés obligataires de la zone euro, elle a pénalisé les exportations. Au-delà de ces facteurs de court terme, les chiffres récents pourraient être les prémisses d’une longue phase de croissance modérée et d’inflation basse, voire de déflation dans la zone euro.

En effet, après une période de fort accroissement de la dette (graphiques), la situation financière des ménages et des entreprises en zone euro s’est dégradée depuis 2008 du fait des crises successives – crise financière, crise budgétaire, crise bancaire et crise économique. La dégradation de la santé financière des agents non-financiers a réduit leur capacité à demander des crédits. Par ailleurs, les ménages peuvent être contraints de réduire leurs dépenses de consommation, et les entreprises leurs décisions d’investissement et d’emplois afin de réduire leur endettement. S’ajoute à cela la fragilité de certaines banques qui doivent absorber un montant élevé de créances douteuses, ce qui les conduit à restreindre l’offre de crédit, comme en témoigne la dernière enquête SAFE réalisée par la BCE auprès des PME. Dans ce contexte où les agents privés privilégient le désendettement, le rôle de la politique budgétaire devrait être crucial. Il n’en est rien dans la zone euro en raison du souhait de consolider la trajectoire de finances publiques, au détriment de l’objectif de croissance[1]. En outre, alors que de nombreux pays pourraient sortir de la procédure de déficit excessif en 2015[2], la consolidation devrait se poursuivre en raison des règles du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) qui imposent aux pays membres un ajustement budgétaire afin de ramener la dette publique jusqu’au seuil de 60 % en 20 ans[3]. Dans ces conditions, la reprise serait de nouveau retardée et la zone euro pourrait se retrouver enfermée dans le piège de la déflation. L’absence de croissance et le niveau élevé du chômage créent des pressions à la baisse sur les prix et salaires, pressions exacerbées par des dévaluations internes qui sont les seules solutions adoptées pour améliorer la compétitivité et regagner quelques parts de marché. Cette réduction de l’inflation rend encore plus long et plus difficile le processus de désendettement ; elle réduit la demande et renforce le processus déflationniste. L’expérience japonaise des années 1990 montre malheureusement que l’on sort difficilement d’une telle situation.

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[1] Les coûts de cette stratégie ont été évalués dans les deux précédents rapports iAGS (voir ici).

[2] La France et l’Espagne seraient cependant deux exceptions importantes avec un déficit budgétaire qui s’élèverait respectivement à 4 et 4,2 % en 2015.

[3] Voir le post de Raul Sampognaro pour un éclairage concernant le cas précis de l’Italie.




France : croissance hors taxes

par Bruno Ducoudré , Éric Heyer, Hervé Péléraux, Mathieu Plane

Ce texte résume les Perspectives 2014-2015 pour l’économie française

Début 2011, la France était l’un des rares pays développés à avoir retrouvé son niveau de PIB d’avant-crise. La croissance économique dépassait les 2 %, atteignant même les 3 % en glissement annuel au premier trimestre 2011. Depuis, la donne a changé : la dynamique de reprise s’est interrompue et l’activité connaît une croissance, certes positive, mais proche de zéro (graphique 1). Quatre types de chocs rendent compte de l’extinction en 2011 de la phase de reprise post-récession.  Déjà malmenée par l’austérité et la dégradation des conditions de crédit, la croissance a également été freinée par les fluctuations du prix du pétrole et par celles de la compétitivité-prix, en 2012, sous l’effet de la déflation salariale des pays concurrents de la France, et en 2013 sous l’effet de l’appréciation de l’euro (tableau 1).

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En 2014, l’amélioration attendue sur le front de l’activité ne se produira pas : le stimulus lié au relâchement progressif de l’austérité sera compensé par le puissant frein que constitue l’importante appréciation de l’euro observée jusqu’au milieu de l’année ainsi que par l’effondrement de l’investissement en logement des ménages. La croissance devrait, à l’instar des deux années précédentes, s’établir à 0,4 % ne permettant ni au chômage d’inverser sa tendance haussière ni au déficit public de se résorber significativement. Pire, contrairement aux années antérieures et après une baisse régulière de plus de 3 points de PIB depuis 2009, le déficit public devrait à nouveau se creuser légèrement et atteindre 4,5 % du PIB (tableaux 1 et 2).

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En 2015, la croissance retrouvera un peu de vigueur, +1,1 %, grâce à l’atténuation des facteurs négatifs qui ont étouffé la croissance depuis 2010, les conditions de crédit et la politique d’austérité. Par ailleurs, l’effet de la compétitivité-prix, un facteur qui aura joué très négativement en 2014, va s’inverser. En premier lieu, sous l’effet de la dépréciation de l’euro, mais aussi par la montée en puissance du CICE, dont le but premier est d’obtenir des baisses de prix à l’exportation. Mais avec une hausse du PIB de 1,1 % l’année prochaine, le sentier d’expansion restera encore très éloigné de celui qui prévaut habituellement en période de sortie de crise (+2,4 %). L’écart de production ne se refermant pas, cette croissance anticipée ne peut être qualifiée de reprise. Les entreprises profiteront de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettra de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 9,9 % fin 2015. Il s’élèverait à 10,3 % pour la France entière. La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Celui-ci devrait s’établir à 4,3 % du PIB en 2015, s’écartant significativement de sa trajectoire de retour à 3 %.

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Afin de parvenir à respecter les engagements d’efforts structurels et de déficits nominaux, le gouvernement pourrait décider de voter des efforts supplémentaires de 8 milliards d’euros. Ceux-ci pourraient correspondre à une hausse de 1,2 point du taux normal de TVA. Si tel était le cas, le PIB ne croîtrait plus que de 0,8 % l’année prochaine et le déficit ne se réduirait que de 0,2 point de PIB par rapport à notre scénario central (tableau 3).

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