L’indicateur avancé : baisse de régime de l’économie française

par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE pour la France, bâti sur les enquêtes de conjoncture publiées par l’INSEE le 24 mai, la croissance de l’économie française serait voisine de +0,4 % au deuxième et au troisième trimestre 2018. Après la nette embellie de 2017, et la retombée de la croissance au premier trimestre (+0,3 %) marquée par le calendrier des mesures fiscales (voir « Économie française : ralentissement durable ou passager ? »), les perspectives trimestrielles apparaissent moins favorables en 2018 qu’en 2017.

Graphe1_post25-5Tabe_post25-5Les publications successives des enquêtes de conjoncture confirment depuis le début de l’année le repli de l’opinion des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE. Le climat des affaires reste certes à un niveau élevé, mais sa trajectoire récente laisse penser qu’il a atteint un pic au tournant de 2017 et de 2018.

Graphe2_post25-5Les indicateurs de confiance restent néanmoins largement supérieurs à leur moyenne de longue période dans toutes les branches, ce qui laisse entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance tendancielle. Par conséquent, même si la croissance devrait ralentir dans le courant de l’année 2018, ce passage en creux ne serait aucunement le signal d’une inversion du cycle de croissance en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Un tel signal serait donné par le passage du taux de croissance du PIB sous le taux de croissance tendanciel (que l’on peut assimiler au taux de croissance potentiel de l’économie), évalué par l’estimation de l’indicateur à +0,3 % par trimestre, seuil auquel les prévisions actuelles sont supérieures.

Le passage à vide actuel peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèse, au premier semestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, 15 janvier 2018). L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique ont retenti négativement sur le pouvoir d’achat et la consommation des ménages. Ce choc de demande négatif ne serait toutefois que ponctuel et devrait jouer en sens inverse au second semestre, avec la montée en charge de certaines mesures visant à soutenir le pouvoir d’achat. Mais cet horizon est à l’heure actuelle trop lointain pour être inscrit dans les enquêtes de conjoncture.

 




La fin d’un cycle ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2018-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

La croissance mondiale est restée bien orientée en 2017 permettant la poursuite de la reprise et la réduction du chômage, notamment dans les pays avancés où la croissance a atteint 2,3 % contre 1,6 % l’année précédente. Même s’il reste quelques pays où le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, cette embellie permet d’effacer progressivement les stigmates de la Grande Récession qui a frappé l’économie il y a 10 ans. Surtout, l’activité semblait accélérer en fin d’année puisqu’à l’exception du Royaume-Uni, le glissement annuel du PIB continuait de progresser (graphique 1). Pourtant, le retour progressif du taux de chômage vers son niveau d’avant-crise et la fermeture des écarts de croissance, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, qui s’étaient creusés pendant la crise pourraient laisser augurer d’un essoufflement prochain de la croissance. Les premières estimations disponibles de la croissance au premier trimestre 2018 semblent donner du crédit à cette hypothèse.

Après une période d’embellie, la croissance de la zone euro a marqué le pas au premier trimestre 2018, passant de 2,8 % en glissement annuel au quatrième trimestre 2017 à 2,5 %. Si le ralentissement est plus significatif en Allemagne et en France, il est aussi observé en Italie, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure, en Espagne (graphique 2). Du côté du Royaume-Uni, le ralentissement se confirme en lien avec la perspective du Brexit mais aussi avec une politique budgétaire plus restrictive que celle des autres pays européens. Au Japon, plus qu’un ralentissement, le PIB – en croissance trimestrielle – a reculé au premier trimestre. Finalement, parmi les principales économiques avancées, seuls les Etats-Unis semblent encore jouir d’une accélération de la croissance avec un PIB en hausse de 2,9 % en glissement annuel au premier trimestre 2018. Le ralentissement témoigne-t-il de la fin du cycle de croissance ? En effet, la fermeture progressive des écarts entre le PIB potentiel et le PIB effectif conduirait progressivement les pays vers leur sentier de croissance de long terme, dont les estimations convergent pour indiquer un niveau plus faible. L’Allemagne ou des Etats-Unis seraient à cet égard représentatifs de cette situation puisque, dans ces pays, le taux de chômage est inférieur à son niveau d’avant-crise. Dans ces conditions, leur croissance serait amenée à ralentir. Force est de constater qu’il n’en n’a rien été aux Etats-Unis. Il faut donc se garder de toute conclusion généralisée. En effet, malgré la baisse du chômage, d’autres indicateurs – le taux d’emploi – apportent un diagnostic plus nuancé sur l’amélioration de la situation sur le marché du travail aux États-Unis. Par ailleurs, dans le cas de la France, cette performance est surtout la conséquence du calendrier fiscal qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat des ménages au premier trimestre et donc un ralentissement de la consommation[1]. Il s’agirait donc plus d’un trou d’air que le signe d’un ralentissement durable de la croissance française.

Surtout, les facteurs qui avaient soutenu la croissance ne vont globalement pas se retourner. La politique monétaire restera effectivement expansionniste même si la normalisation est en cours aux Etats-Unis et devrait être amorcée en 2019 dans la zone euro. Du côté de la politique budgétaire, l’orientation est plus souvent neutre et deviendrait très expansionniste pour les Etats-Unis, ce qui pousserait la croissance au-delà de son potentiel. Enfin, de nombreuses incertitudes entourent les estimations de l’écart de croissance si bien que les marges de manœuvre ne seraient pas forcément épuisées à court terme. De fait, la reprise économique ne s’accompagne toujours pas d’un retour de tensions inflationnistes ou de fortes accélérations des salaires, qui témoigneraient alors d’une surchauffe sur le marché du travail. Nous anticipons le maintien de la croissance dans les pays industrialisés en 2018 et une accélération dans les pays émergents, ce qui porterait la croissance mondiale à 3,7 % en 2018. La croissance atteindrait alors un pic et ralentirait ensuite très légèrement en 2019, revenant à 3,5 %. A court terme, le cycle de croissance ne devrait donc pas s’achever.

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[1] Voir « Economie française : ralentissement durable ou passager ? ».




Economie française : ralentissement durable ou passager ?

Par l’équipe France de l’OFCE

Ce vendredi 27 avril, l’Insee publiait les comptes nationaux pour le premier trimestre 2018. Avec une croissance de 0,3 %, l’économie française semble marquer le pas alors même qu’après cinq années atones (0,8 % en moyenne sur la période 2012-16), la reprise s’était enfin matérialisée en 2017 avec une hausse du PIB de 2 %.

Si le profil trimestriel de la croissance du PIB de 2018 devrait être marqué par le calendrier des mesures fiscales qui vont affecter le pouvoir d’achat (hausse de la fiscalité indirecte et de la CSG) et donc la trajectoire de la consommation des ménages, cet effet, anticipé dans nos prévisions de printemps (Tableau), ne devrait être que provisoire. Le pouvoir d’achat des ménages devrait s’accroître au cours des trimestres suivants avec une forte accélération en fin d’année sous l’impulsion de la baisse de la taxe d’habitation et de la seconde tranche de baisse de cotisations sociales.

Ainsi, la dynamique de consommation, faible au premier semestre et forte au second, conduira à une accélération de la croissance tout au long de l’année, de 0,3 % au premier trimestre à 0,7 % en fin d’année. En 2019, sous l’effet de la montée en charge des mesures fiscales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, ce dernier augmenterait de 2,4 % (après 1,6 % en 2018) dynamisant la consommation sur l’ensemble de l’année (2,2 % en 2019 après 1,5 % en 2018), et ce malgré une nouvelle hausse de la fiscalité indirecte.

La croissance de l’investissement des entreprises devrait rester robuste en 2018 et en 2019, soutenue par l’amélioration continue du taux de profit, un coût du capital toujours bas et une demande dynamique qui maintient le taux d’utilisation à un niveau élevé. Après plusieurs années de contraction, l’investissement des administrations publiques repartirait à la hausse en 2018 et 2019, avec le déploiement progressif du Grand Plan d’Investissement et l’objectif de préserver l’investissement des collectivités locales. L’investissement des ménages ralentirait comme l’indique le retournement des enquêtes de demande de logement et des perspectives de mises en chantier, en lien probablement avec la réduction des moyens budgétaires alloués au logement et avec l’attentisme sur le marché de la construction à la suite des discussions à attendre autour du projet de loi ELAN.

Le regain des exportations, confirmé par l’orientation favorable des enquêtes, les niveaux records des taux de marges des exportateurs et la vigueur de l’investissement productif se traduiraient par une hausse des parts de marché à l’exportation. Au sein d’un environnement économique porteur en zone euro, le commerce extérieur ne serait plus un frein à la croissance de la France en 2018 et 2019.

Avec une croissance robuste en 2018 et en 2019, les créations d’emplois, portées par le secteur marchand, resteraient dynamiques (194 000 en 2018 et 254 000 en 2019), ce qui permettrait de réduire le taux de chômage à 8,4 % fin 2018 et terminer l’année 2019 à 7,9 % (contre 8,6 % au quatrième trimestre 2017). En revanche, la forte baisse des nouveaux contrats aidés en 2018 pèserait sur la vitesse de réduction du chômage malgré la montée en charge du Plan Formation et de la Garantie jeunes.

La réduction du déficit public sera lente (2,4 % du PIB en 2018 et 2,5 % en 2019 après 2,6 % en 2017), mais ceci masque la forte amélioration du solde public, qui atteindrait 1,6 % en 2019 hors mesure ponctuelle liée à la transformation du CICE en baisses de cotisations sociales. Toutefois, la réduction du déficit serait suffisante pour assurer la sortie du bras correctif du Pacte de stabilité et entamer une décrue de la dette publique (de 97 % du PIB en 2017 à 95,4 % en 2019).

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L’indicateur avancé : pas de retournement du cycle de croissance

par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE pour la France, bâti sur les enquêtes de conjoncture publiées par l’INSEE le 24 avril, la croissance de l’économie française aurait été de +0,5 % au premier trimestre 2018, en repli de 0,2 point par rapport au quatrième trimestre 2017 (+0,7 %). Pour le deuxième trimestre, la croissance devrait revenir au voisinage de +0,4 %, révisée en baisse d’un peu moins de 0,1 point par rapport à l’évaluation du mois dernier.

IMG1_post25-4Tabe_post25-4Les publications successives des enquêtes confirment depuis quelques mois le tassement de l’opinion des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE. Les climats des affaires restent certes à un niveau élevé, mais leur évolution récente laisse penser qu’ils ont atteint leur pic conjoncturel au tournant de 2017 et de 2018.

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Au stade actuel, il convient d’être prudent quant à l’interprétation de ces signaux. D’abord, les séries d’enquêtes ne sont pas exemptes de volatilité à l’échelon mensuel et cette volatilité se manifeste aussi sur les hauts de cycle, comme on l’a vu en 2007, avec des mouvements ponctuels contraires à l’orientation générale des données. Ensuite, la confiance reste largement supérieure à sa moyenne de longue période dans toutes les branches, laissant entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance de moyen terme. Par conséquent, même si la croissance va probablement ralentir au premier semestre 2018, ce passage à vide ne serait aucunement le signal d’une inversion du cycle de croissance en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Un tel signal serait donné par le passage du taux de croissance du PIB sous le taux de croissance de long terme (que l’on peut assimiler au taux de croissance potentiel de l’économie), évalué par l’estimation de l’indicateur à +0,3 % par trimestre, seuil dont les prévisions actuelles sont encore éloignées.

Le passage à vide peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèsera, au premier semestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief N°30, 15 janvier 2018). L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique devrait retentir négativement sur la consommation des ménages. Cet effet négatif de la fiscalité serait toutefois ponctuel et devrait jouer en sens inverse au second semestre, avec la montée en charge de certaines mesures visant à soutenir le pouvoir d’achat. Les données quantitatives disponibles jusqu’en février, l’indice de production industrielle et la consommation des ménages en biens confirment ces inquiétudes, avec des acquis de croissance négatifs au premier trimestre, respectivement -1 et -0,2 %. En revanche, l’indice de production dans les services affiche un dynamisme non démenti, avec une progression de +1,6 % en janvier, portant son acquis de croissance pour le premier trimestre à +1,8 %.

 




L’indicateur avancé : trou d’air au premier semestre

par Hervé Péléraux

La publication le 22 mars dernier des enquêtes de conjoncture dans les différentes branches de production confirme le tassement de l’opinion des chefs d’entreprises interrogés par l’INSEE en mars. Les climats des affaires restent certes au voisinage de leurs pics précédents (2007 et 2011), mais depuis décembre plus aucune branche n’affiche de progression. La confiance des ménages, quant à elle, est en net recul en février depuis son sommet de juin 2017.

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Au stade actuel, il convient d’être prudent quant à l’interprétation de ces signaux. D’abord, les séries d’enquêtes ne sont pas exemptes de volatilité à l’échelon mensuel et cette volatilité se manifeste aussi sur les hauts de cycle, comme on l’a vu en 2007, avec des mouvements ponctuels contraires à l’orientation générale des données. Ensuite, la confiance reste largement supérieure à sa moyenne de longue période dans toutes les branches, laissant entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance de moyen terme. Par conséquent, même si la croissance devait probablement ralentir au début de l’année 2018, ce passage à vide ne serait aucunement le signal d’une inversion du cycle en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Le hoquet actuel des enquêtes de conjoncture peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèsera, au premier trimestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief N°30, 15 janvier 2018).  L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique devraient retentir négativement sur la consommation des ménages. Les données quantitatives disponibles jusqu’en janvier, l’indice de production industrielle et la consommation des ménages en biens, confirment ces inquiétudes pour le début de l’année, avec des acquis de croissance très négatifs pour le premier trimestre, respectivement -1,9 et -1,7 %. Cet effet négatif de la fiscalité serait toutefois ponctuel et pourrait jouer en sens inverse au second semestre avec la montée en charge de certaines mesures visant à soutenir le pouvoir d’achat.

 Par rapport au mois dernier, les anticipations de l’indicateur avancé répercutent à nouveau à la baisse le tassement des enquêtes : estimée à +0,6 % en février, la croissance pour le premier trimestre 2018 est en repli à +0,5 % selon l’estimation de mars. Pour le deuxième trimestre, l’estimation de février à +0,5 % est révisée en mars à +0,4 %, rythme qui demeure toutefois très largement supérieur à la croissance moyenne du PIB estimée à 1,1 % en rythme annuel depuis la mi-2011.

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L’indicateur avancé : l’amarre est haute

Par Hervé Péléraux

La publication ce jour des enquêtes de conjoncture dans les différentes branches confirme l’optimisme des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE en février (graphique 1). Le climat général des affaires reste dans une zone comprise entre son niveau de la fin 2007 et son pic de rebond de début 2011. Depuis deux mois consécutifs, le climat est toutefois en repli, sous l’effet en particulier d’un optimisme moindre dans les services.
HP_Indicateur_graphiqueOn ne saurait, au stade actuel, voir dans ce tassement les prémisses d’un retournement conjoncturel, à l’image de celui de la première moitié de 2011 quand la fin du stimulus budgétaire mis en place pour contrer la récession de 2008/09, puis la période de forte consolidation budgétaire conduite face à la crise des dettes souveraines, ont brutalement interrompu la reprise. L’expérience montre qu’historiquement les séries d’enquête ne sont pas exempte de volatilité à l’échelon mensuel et que cette volatilité se manifeste aussi sur les hauts de cycle, comme entre 1987 et 1990, en 2000 ou entre 2004 et 2007.

Il n’en demeure pas moins que le hoquet actuel des enquêtes de conjoncture peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèsera, au premier trimestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief N°30, 15 janvier 2018).  L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, la hausse du tabac et la fiscalité écologique devraient retentir négativement sur la consommation des ménages, et de ce fait avoir un impact plus négatif sur le climat des services, secteur abrité  plus dépendant de la consommation nationale.

Par rapport au mois dernier, les anticipations de l’indicateur avancé répercutent à la baisse le repli des enquêtes : estimée à +0,6 % en janvier, la croissance pour le premier trimestre 2018 est en léger repli selon l’estimation de février (-0,05 point), et la première évaluation pour le deuxième trimestre ressort à +0,5 % (graphique 2).

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La croissance française en 2018-2019 : ce qu’en disent les prévisionnistes …

Par Sabine Le Bayon et Christine Rifflart

Alors que l’INSEE vient de publier la première version des comptes du quatrième trimestre 2017 et donc une première estimation de la croissance annuelle, nous nous interrogeons sur les perspectives 2018 et 2019 à travers une analyse comparative des prévisions réalisées sur la France par 18 instituts (publics et privés, dont l’OFCE), entre septembre et décembre 2017. Ce billet de blog présente les points saillants de cette analyse, détaillée dans le Policy brief de l’OFCE (n° 32 du 8 février 2018), intitulé « Une comparaison des prévisions macroéconomiques sur la France », et le document de travail (n° 06-2018) associé (où figurent les tableaux des prévisions par institut).

Après la profonde récession de 2008-2009 et la crise de la zone euro de 2011, la croissance française avait amorcé en 2013 un timide mouvement de récupération qui s’est accéléré fin 2016. L’année 2017 est donc une année de reprise, avec une croissance légèrement plus dynamique que ce qu’anticipaient récemment la plupart des prévisionnistes : 1,9 % selon la première estimation de l’INSEE contre 1,8 % prévue en moyenne. En 2018 et 2019 cette dynamique devrait se poursuivre puisque la moyenne des prévisions atteint 1,8 % et 1,7 % respectivement. Les écarts-types sont faibles (0,1 point en 2018 et 0,2 en 2019), les prévisions restant assez proches pour 2018 et divergeant plus nettement en 2019 (1,4 % pour la prévision plus basse à 2,2 % pour la plus haute) (graphique 1). En 2019, 5 instituts sur 15 prévoient une accélération de la croissance et 8 prévoient un ralentissement.

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Globalement, tous les instituts, sauf 4, prévoient un rééquilibrage des moteurs de la croissance sur la période avec un commerce extérieur moins pénalisant que par le passé et une demande intérieure toujours dynamique (graphique 2). Pour autant, le redressement du commerce extérieur fait débat face aux pertes chroniques des parts de marché enregistrées depuis le début des années 2000. Il semble en effet que l’accélération anticipée des exportations en 2018 soit davantage le fruit du rebond de la demande étrangère adressée à la France et du dégonflement des stocks accumulés en 2016 et 2017 dans certains secteurs (matériel de transport, aéronautique notamment) et destinés à être exportés, qu’à un regain de compétitivité. Pour 2019 des avis diffèrent concernant l’impact des politiques d’offre mises en place depuis 2013 sur la compétitivité prix et hors prix des entreprises françaises. Certains instituts inscrivent une amélioration des performances à l’exportation et donc un redressement des parts de marché à l’horizon 2019, tandis que d’autres maintiennent des baisses du fait d’investissements jugés insuffisants dans les secteurs à forte valeur ajoutée, et d’un coût du travail encore trop pénalisant pour les entreprises.

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Un autre débat porte sur les prévisions d’emplois et de salaires et notamment sur l’impact de la baisse des emplois aidés, l’effet des politiques de baisse des coûts du travail en 2019 (transformation du CICE en baisse des cotisations sociales patronales), et la productivité (tendance et cycle). En moyenne, le taux de chômage devrait passer de 9,5 % en 2017 à 8,8 % en 2019 allant de 8,1 % pour les plus optimistes à 9,2 % pour les plus pessimistes. L’appréciation du degré de tensions sur le marché du travail et aussi l’impact sur les salaires de la décentralisation des négociations collectives mise en place en 2017 sont des éléments d’explication sur les écarts de prévisions sur les salaires. De 1,8 % en 2017, le salaire progresserait en moyenne de 1,9 % en 2018 et 2 % en 2019 (avec 1,3 % pour les plus bas et 2,6 % pour les plus élevés).

Dans ce contexte, la croissance progressera beaucoup plus vite que la croissance potentielle estimée par la plupart des instituts autour de 1,25 % (certains instituts prévoient une accélération du fait de l’impact positif des réformes structurelles et des investissements réalisés, d’autres inscrivent une croissance potentielle plus faible). Si en 2017, l’écart de croissance – mesurant la différence entre le PIB observé et le PIB potentiel – est franchement négatif (entre –2,2 et –0,7 point de PIB potentiel), il se réduirait en 2019. Pour une majorité des instituts (parmi ceux qui nous ont fourni des données chiffrées ou des informations qualitatives), l’output gap se refermerait (proche de 0 ou clairement positif) et des tensions inflationnistes pourraient apparaître. Pour 4 instituts, l’output gap serait aux alentours de –0,7 point.

Enfin, le déficit budgétaire devrait repasser sous le seuil des 3 % du PIB dès 2017 pour la totalité des instituts. La France sortirait de la Procédure de déficit excessif en 2018. Mais malgré la vigueur de la croissance, et en l’absence d’une consolidation budgétaire plus stricte, le déficit public resterait élevé sur la période pour une majorité d’instituts.




La reprise de – et par – l’investissement

par Hervé Péléraux

Les comptes nationaux du quatrième trimestre, publiés le 30 janvier dernier, confirment la reprise de l’investissement en France en 2017, avec une hausse des dépenses de +5,3 % en valeur et de +4,3 % en volume sur l’ensemble de l’année, après des résultats déjà largement positifs en 2016. Ce résultat pouvait être anticipé, au moins de manière qualitative, par l’analyse de l’enquête sur les investissements dans l’industrie qui est un des indicateurs conjoncturels infra-annuels produit par l’INSEE. Selon ses résultats préliminaires pour 2018, elle laisse augurer la poursuite de ce mouvement cette année.

L’information fournie par cette enquête auprès des entreprises est une prévision périodique, ou une réalisation pour l’année précédente, du taux de croissance en valeur de l’investissement dans l’industrie, qui représente 25 % de l’investissement productif en France. Pour une même année, on dispose de 8 évaluations : une première en octobre de l’année précédente, puis en janvier, en avril, en juillet et en octobre de l’année en cours, puis enfin des réalisations constatées en janvier, en avril et en juillet de l’année suivante et qui peuvent différer des données de comptabilité nationale. Les entreprises ne sont questionnées en juillet que depuis 2003. Le graphique présente la chronologie, depuis 1992, de ces évaluations périodiques pour une même année, avec en parallèle les données de comptabilité nationale sur le champ spécifique « industrie » et sur le champ « sociétés non financières » (SNF).

D’une manière générale, ces évaluations sont assez instables, avec presque toujours des révisions en hausse entre octobre de l’année précédente et janvier de l’année en cours (25 années sur 27) : les seules années de révision en baisse sont les années de récession, 1993 (-2,3 points), et 2009 (-7,1 points), ce qui pouvait, à un stade précoce, révéler la sévérité de la dégradation des projets d’investissement. Par la suite, les révisions s’effectuent toujours à la baisse entre l’enquête de janvier de l’année en cours et la réalisation constatée en avril de l’année suivante (25 années sur 25). On peut déduire de ces observations que les industriels sous-estiment leur investissement en octobre de l’année précédente, le surestiment en janvier de l’année en cours et corrigent par la suite ce biais de surestimation jusqu’à la réalisation constatée en avril de l’année suivante.

IMG_post07-02Derrière ces comportements de réponse instables se pose la question de savoir à quel stade des évaluations est atteint un niveau d’information satisfaisant sur l’évolution de l’investissement. Le calcul des corrélations entre les évaluations issues de l’enquête selon le degré d’avancement dans l’année et les estimations faites par la comptabilité nationale montre que la première évaluation faite en octobre de l’année précédente est pauvre en information (corrélation de 0,47), que l’enquête de janvier fait faire un saut qualitatif important (corrélation de 0,73), l’enquête d’avril un saut marginal et que l’information maximale est obtenue à l’enquête de juillet (corrélation de 0,85) et n’évolue plus par la suite (tableau). Ce calcul montre aussi qu’il n’y a pas de différences notables des corrélations liées à la différence des champs, le champ industrie sur lequel porte spécifiquement l’enquête, et le champ SNF.

Même si les résultats de l’enquête ne sont pas directement transposables pour anticiper sans erreur l’évolution de l’investissement mesurée par les comptes nationaux, il n’en demeure pas moins que, qualitativement, les déclarations des industriels fournissent une information précieuse sur l’orientation des dépenses.

Tabe_post07-02Les prévisions pour l’année 2017 n’ont pas dérogé au schéma général, avec une révision en hausse de 4,8 points entre la première évaluation faite en octobre 2016 et la deuxième faite en janvier. Par contre, le processus de révision en hausse s’est poursuivi entre janvier 2017 et juillet 2017 (+1,6 point), sous l’effet probablement du suramortissement fiscal, ciblant les investissements industriels, institué en avril 2015 pour un an et finalement prolongé jusqu’en avril 2017. Par la suite, la révision en baisse de +6,7 % en juillet 2017 à +2,1 % en janvier 2018 s’inscrit dans le schéma saisonnier habituel.

Pour 2018, la première évaluation faite en octobre 2017 à -0,4 % a été révisée en hausse à +3,8 %, ce qui ne déroge pas non plus au profil saisonnier de l’enquête. Cette révision, du même ordre que celle de 2017, est de bon augure pour la trajectoire de l’investissement, même si elle sera affinée par les publications ultérieures, car elle montre que les industriels répondent en même temps qu’ils y participent à la reprise économique effective en France depuis la fin 2016.

 




Quel nouveau sentier de croissance de la productivité du travail ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Les pays industrialisés connaissent un ralentissement apparent et persistant des gains de productivité du travail depuis le second choc pétrolier. Celui-ci a fait l’objet d’un grand nombre d’analyses dans la littérature économique[1] s’interrogeant sur la disparition possible du potentiel de croissance de ces économies développées et donc sur leur incapacité à renouer avec un niveau d’activité conforme à la trajectoire d’avant-crise. Autrement dit, les pays industrialisés seraient entrés dans une phase de « stagnation séculaire » rendant plus difficile la résorption de l’endettement public et privé. Mais cet épuisement des gains de productivité modifie également le diagnostic que l’on pose sur leur situation conjoncturelle et tout particulièrement sur celui de leur marché du travail.

Les gains de productivité tendanciels sont par nature inobservables ; il est donc nécessaire de décomposer la productivité observée entre une tendance et une composante cyclique, liée à l’ajustement plus ou moins rapide de l’emploi à l’évolution de l’activité économique (le cycle de productivité). Dans une étude récente parue dans la Revue de l’OFCE, nous cherchons à mettre en évidence le ralentissement des gains de productivité tendanciels et le cycle de productivité dans six grands pays développés (Allemagne, Espagne, États-Unis, France, Italie et Royaume-Uni) à partir d’une méthode économétrique – le filtre de Kalman – permettant l’estimation d’une équation de demande de travail aux fondements théoriques explicités et l’estimation des gains de productivité tendancielle.

Après être revenus sur les différentes explications possibles à ce ralentissement évoquées dans la littérature économique, nous présentons la modélisation théorique de l’équation de demande de travail et notre stratégie d’estimation empirique. Cette équation, dérivée d’une fonction de production de type CES [2] repose sur l’hypothèse de maximisation du profit des entreprises en concurrence monopolistique, et sur l’hypothèse de stabilité du ratio capital/output dans le long terme. Elle permet une décomposition tendance/cycle en une étape, mais fait reposer les gains de productivité uniquement sur le travail[3].

Les études empiriques existantes s’appuient traditionnellement sur une estimation log-linéaire de la tendance de productivité, et introduisent des ruptures de tendances à date fixe[4]. Nous proposons une méthode alternative consistant à écrire l’équation d’emploi sous la forme d’un modèle espace-état représentant la tendance de productivité sous-jacente. Ce modèle a pour avantage de permettre une évolution moins heurtée des gains tendanciels de productivité puisqu’il ne repose pas sur des dates de rupture ad-hoc.

Nous évaluons ensuite le nouveau sentier de croissance de la productivité du travail, et le cycle de productivité pour les six pays considérés. Nos résultats confirment le ralentissement des gains tendanciels de productivité (graphique 1).

IMG1_post02-02Le taux de croissance de la productivité tendancielle présente pour cinq pays (France, Allemagne, Italie, États-Unis et Royaume-Uni) une lente baisse depuis les années 1990. La tendance de productivité, estimée à 1,5% aux États-Unis dans les années 1980, augmente au cours des années 1990 avec la vague de nouvelles technologies, puis diminue progressivement pour atteindre 0,9% en fin de période. Pour la France, l’Italie et l’Allemagne le rattrapage s’interrompt au cours des années 1990 (au cours des années 2000 pour l’Espagne) bien que le ralentissement des gains de productivité tendanciels s’interrompe brièvement entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000. Excepté l’Italie, dont les gains tendanciels de productivité estimés sont nuls en fin de période, les taux de croissance tendanciels convergent vers un intervalle compris entre 0,8% et 1% de gains annuels de productivité tendancielle.

Les cycles de productivité estimés sont représentés dans le graphique 2. Ils présentent le plus de fluctuations pour la France, l’Italie et l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le calcul des délais moyens d’ajustement de l’emploi à la demande indique un délai d’ajustement de 4 à 5 trimestres pour ces pays. Le cycle fluctue beaucoup moins pour les États-Unis et l’Espagne, indiquant une vitesse d’ajustement de l’emploi à l’activité économique plus rapide pour ces deux pays, ce que confirment les délais moyens d’ajustement à la demande (respectivement 2 et 3 trimestres). Enfin, les estimations indiquent globalement que le cycle de productivité se serait refermé pour chacun des pays considérés au deuxième trimestre 2017.

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[1] Voir par exemple A. Bergeaud, G. Cette et R. Lecat, 2016, « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », The Review of Income Wealth, (62: 420-444) ou encore N. Crafts et K. H. O’Rourke, 2013, « Twentieth Century Growth », CEPR Discussion Papers.

[2] Voir C. Allard-Prigent, C. Audenis, K. Berger, N. Carnot, S. Duchêne et F. Pesin, 2002, « Présentation du modèle MESANGE », Ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie, Dir. la Prévision, MINEFI, Document de travail.

[3] L’équation de demande de travail repose sur une fonction de production et une hypothèse de progrès technique neutre au sens de Harrod.

[4] Voir M. Cochard, G. Cornilleau et E. Heyer, 2010, « Les marchés du travail dans la crise », Économie et Statistique, (438: 181-204) et B. Ducoudré et M. Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE (142: 21-53).




L’indicateur avancé : la reprise sur de bons rails

par Hervé Péléraux

La publication ce jour des indicateurs de confiance dans les différentes branches confirme l’optimisme des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE en janvier. Quoiqu’en léger repli ce mois, le climat général des affaires reste proche de son sommet de fin 2007, au-dessus de son pic de rebond de début 2011.

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À partir de cette information qualitative, l’indicateur avancé anticipe une croissance de +0,6 % successivement au quatrième trimestre 2017 et au premier trimestre 2018. Si ces prévisions se réalisaient, l’économie française aurait alors aligné 6 trimestres consécutifs de croissance supérieure à +0,5 % depuis la fin 2016. Selon l’indicateur, la croissance sur l’ensemble de l’année 2017 atteindrait +1,9 % et l’année 2018 démarrerait avec un acquis de croissance de +1,5 %. Notons cependant qu’une inconnue subsiste au premier trimestre 2018 avec un alourdissement transitoire des prélèvements liés à la bascule cotisations sociales / CSG et à la hausse de la fiscalité écologique et du tabac, alors que les mesures de soutien au pouvoir d’achat joueront plutôt dans la seconde moitié de l’année. Ces facteurs, auxquels on peut ajouter les conditions climatiques exceptionnelles de l’hiver 2017/2018 avec des températures clémentes qui limitent les dépenses en chauffage, pourraient donner à l’activité un profil trimestriel un peu plus heurté que celui déduit des enquêtes de conjoncture qui décrivent plutôt une trajectoire sous-jacente comme ce fut le cas ces dernières années.

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