Chômage : la baisse fait une (petite) pause

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de mai 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après deux baisses consécutives enregistrées en mars (-60 000) et avril (-19 900), une hausse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 9 200 personnes en France métropolitaine. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois en fin de mois (DEFM) sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 70 700. Elle se monte à 34 400 sur un an, après 22 500 le mois précédent. A noter cependant, la forte augmentation des DEFM en catégorie D au mois de mai (+4,9 % sur un mois, soit 13 800 personnes supplémentaires) liée à la mise en place du dispositif spécifique de formation pour les chômeurs de longue durée. Cela est également visible dans les statistiques de sorties de Pôle Emploi pour « entrée en stage » qui ont augmenté de 18 800 sur le mois.

Focus : les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation

Les chiffres de DEFM observés chaque mois résultent de la différence entre les entrées à Pôle emploi et les sorties. Ces dernières ont plusieurs motifs possibles : reprises d’emploi déclarées, entrées en stage, radiations administratives, arrêts de recherche ou encore cessations d’inscription pour défaut d’actualisation. Or les chiffres de ces derniers mois ont été marqués par une hausse des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation[1]. Leur progression a été particulièrement forte au mois d’avril (+55 700 personnes par rapport au mois de mars), mais cette hausse concerne aussi les mois précédents (+27 300 en moyenne sur les cinq premiers mois de 2016 par rapport à la moyenne en 2015), en rupture avec la relative stabilité observée en 2014 et en 2015 (graphique 1).

Les variations observées peuvent provenir entre autres de changements dans les règles d’actualisation des DEFM – celles-ci ont été modifiées à compter du 1er janvier 2016 – mais aussi de l’accélération des sorties pour reprises d’emplois – qui sont mal mesurées dans les chiffres issus de la publication mensuelle portant sur les DEFM.

Concernant le premier point, avant janvier 2016, le calendrier d’actualisation était fixé selon une règle différente  : l’ouverture de l’actualisation relative au mois m avait lieu le 3e jour ouvré avant la fin du mois m, et la clôture de l’actualisation avait lieu la veille du 12e jour ouvré du mois m+1. A partir de janvier 2016, pour un mois donné, l’actualisation est ouverte le 28 de ce mois (sauf pour les mois de février où l’actualisation est ouverte le 26) et est clôturée le 15 du mois suivant. Le changement de règle, qui paraît mineur mais qui peut avoir des conséquences importantes sur les comportements déclaratifs, implique que certains mois le nombre de jours pour actualiser sa situation est plus faible avec la nouvelle règle (c’était par exemple le cas au mois de janvier 2016). Globalement, la perturbation de la mesure des flux qui résulte de ce changement devrait n’être que transitoire puisqu’avec le temps, les demandeurs d’emploi adapteront leur comportement à la nouvelle règle d’actualisation.

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Mais la hausse des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation peut aussi provenir d’une accélération des sorties pour reprise d’emploi, non déclarées par oubli et par conséquent enregistrées comme défaut d’actualisation. Afin de mieux connaître les motifs de sortie, la Dares et Pôle emploi conduisent chaque trimestre une enquête auprès de demandeurs d’emploi sortant des catégories A, B, C. Celle-ci montre que les reprises d’emploi sont sous-estimées dans la publication mensuelle de Pole Emploi, car souvent non déclarées, ce qui symétriquement conduit à une surestimation des défauts d’actualisation (graphique 2). Et les sorties pour reprise d’emploi selon l’enquête sont logiquement corrélées aux évolutions de l’emploi total, ce qui confirme qu’une partie des défauts d’actualisation mesurés par la statistique mensuelle de Pôle Emploi a en réalité pour origine des reprises d’emploi (graphique 3).

Ces éléments suggèrent qu’une partie des cessations supplémentaires d’inscription pour défaut d’actualisation observées au premier semestre 2016 provient bien d’une accélération des sorties pour reprise d’emploi. En fixant le taux de sortie pour défaut d’actualisation à sa valeur observée dans l’enquête trimestrielle auprès des sortants de septembre 2015, dernières données disponibles, la hausse inexpliquée des défauts d’actualisation s’élèverait ainsi plutôt à 11 000 en moyenne chaque mois contre 27 300 dans la publication mensuelle.

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[1] La cessation d’inscription sur les listes résulte de la constatation d’une situation de fait : le demandeur d’emploi ne remplit plus une (ou plusieurs) condition(s) essentielle(s) pour être inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi, à savoir 1- le non-renouvellement mensuel de l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi ou 2- l’échéance du titre de séjour pour les travailleurs étrangers. Le demandeur d’emploi a la possibilité de se réinscrire à tout moment. Les cessations d’inscription portent sur les DEFM inscrits en catégories A, B, C, et concernent donc pour partie des personnes exerçant une activité réduite, donc en emploi.




Chômage : ça va (un peu) mieux

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la baisse exceptionnelle enregistrée au mois de mars (–60000), une nouvelle baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 900 personnes en France métropolitaine[1]. Ces deux mois de baisse consécutifs interviennent après une séquence d’alternance de baisses et de hausses mensuelles depuis le mois d’août 2015. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 41 500. Elle se monte à 22 500 sur un an, soit la première baisse observée depuis le mois de septembre 2008, mois de la faillite de la banque Lehman Brothers (cf. graphique).

 

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La baisse importante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an (–11 900 sur trois mois), ainsi que celle du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans (-3 100 sur 3 mois) sont autant de signes positifs de l’amélioration en cours sur le marché du travail. Là encore, de telles baisses n’ont pas été observées depuis 2008 pour ces publics les plus éloignés de l’emploi.

Ces évolutions sont la suite logique de l’accélération de la croissance de l’économie française observée depuis l’année 2015 (+1,2% en moyenne annuelle en 2015) et de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité et prime à l’embauche). Cette année-là a ainsi vu une accélération des créations d’emplois totales tirée par le secteur marchand (+122 000), avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois aidés dans le secteur non-marchand. De fait, contrairement aux années précédentes, les créations d’emplois ne sont plus soutenues par les contrats aidés dans le secteur non-marchand.

Perspectives : la baisse devrait s’amplifier

Cette dynamique positive devrait se poursuivre en 2016 et 2017, années pour lesquelles nous prévoyons une croissance de 1,6% de l’activité. Ce retour de la croissance permettrait une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand (177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 en glissement annuel). De plus, la montée en charge du plan de formations[2] dans les prochains mois devrait renforcer la baisse du chômage observée depuis la fin de l’année 2015 [3]. Ainsi, le taux de chômage au sens du BIT devrait baisser de 0,5 point en deux ans, pour atteindre 9,5% de la population active fin 2017 et la baisse des inscrits en catégorie A devrait se poursuivre.

Ce rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons qu’en 2008, le taux de chômage au sens du BIT s’élevait en France métropolitaine à 7,1%. Au rythme actuel, Il faudrait encore une dizaine d’années pour retrouver le niveau de chômage d’avant-crise.

 

[1] Cette baisse est toutefois marquée par une hausse anormale des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation (+50 700 par rapport à la moyenne observée sur les trois premiers mois de l’année), qui semblerait concerner principalement les demandeurs d’emploi inscrits en catégories B et C. Cela n’invaliderait donc pas la baisse observée des inscrits en catégorie A.

[2] Le gouvernement a annoncé 500 000 formations supplémentaires pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi

[3] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie…) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).




L’emploi reprend du service

Par Bruno Ducoudré

La lente amélioration constatée en 2015 sur le front de l’emploi se confirme en 2016. Selon l’Insee, le taux de chômage au sens du BIT [1] s’élève à 9,9% au premier trimestre 2016 en France métropolitaine (10,2% en France hors Mayotte). Il diminue de 0,1 point sur un an, tandis que le taux d’emploi progresse de 0,2 point sur le trimestre et de 0,5 point sur un an. Les dernières statistiques de l’Insee portant sur l’emploi marchand indiquent ainsi 24 400 créations d’emplois salariés dans les secteurs principalement marchands au premier trimestre 2016, et 105 000 en cumul sur les quatre derniers trimestres (cf. graphique 1). Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une poursuite de l’amélioration des intentions d’embauches, le secteur des services marchands restant le principal pourvoyeur d’emplois nouveaux (cf. graphique 2).

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Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’avril 2016, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2016 (+0,3% au deuxième trimestre, puis +0,2% aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois serait suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année. Compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,5 % au deuxième trimestre et de +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres 2016), le taux de chômage atteindrait 9,7% fin 2016 en France métropolitaine (9,5% y compris effet du Plan de formation). Avec une croissance du PIB de 1,6 %, l’année 2016 serait ainsi marquée par une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, permettant une lente baisse du taux de chômage en 2016, baisse qui se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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2012-2014 : l’emploi marchand aux abonnés absents

La période 2012-2014 est marquée par une très faible croissance de l’activité économique qui a lourdement pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-77 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 158 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9% de la population active fin 2011 à 10,1% fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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2015-2017 : le redémarrage

L’année 2015 a vu une accélération des créations d’emplois tirée par la reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+122 000). Elle marque ainsi une transition, avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,2% en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) ont soutenu les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, auraient ainsi permis de créer ou de sauvegarder 45 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois ont été freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[2] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non marchand, la politique de l’emploi a continué de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse du nombre de contrats aidés. L’augmentation est cependant bien moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir (près de 90 000) atteignant un plafond fin 2015. Finalement, l’emploi total a progressé de 166 000 en 2015. Le nombre d’emplois créés étant supérieur à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-53 000 personnes), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 10,0 % de la population active au quatrième trimestre 2015, contre 10,1 % fin 2014.

Pour 2016 et 2017, le retour de la croissance (1,6 % par an) permettrait une fermeture du cycle de productivité [3] et une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, favorisée par les politiques de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité et Prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 pour le seul secteur marchand. A partir de 2016, la politique de l’emploi, hors mesures fiscales, ne soutiendrait plus les créations d’emplois (-9 000 emplois aidés en 2016). Concernant l’année 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. En revanche, le plan de formations (500 000 formations supplémentaires annoncées pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi) monterait en charge au cours de l’année 2016, ce qui freinerait temporairement la hausse de la population active, en transférant une partie des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, et accélèrerait de 0,2 point la baisse du chômage en 2016. Au total, l’accélération des créations d’emplois et les entrées en formation poursuivront la baisse du taux de chômage enclenchée fin 2015. Celui-ci atteindrait 9,5 % de la population active fin 2016 en France métropolitaine et se stabiliserait à ce niveau en 2017, ce qui le ramènerait à son niveau observé au deuxième semestre 2012.

Si l’horizon parait se dégager pour les perspectives d’emploi et de chômage, le rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons que le taux de chômage s’élevait à 7,1% en moyenne en 2008 en France métropolitaine. Avec une baisse de 0,25 point du taux de chômage en moyenne chaque année, il faudrait dès lors attendre l’année 2027 pour retrouver le niveau d’avant-crise. Un retour plus rapide du chômage à ce niveau nécessitera de retrouver des taux de croissance plus élevés à l’avenir, via l’enclenchement d’une dynamique durable et auto-entretenue entre la consommation et l’investissement.

 

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

[2] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.

[3] Il subsisterait 70 000 personnes en sureffectif dans les entreprises fin 2015.




Plan de formation : un effet transitoire sur le chômage en 2016-2017

par Bruno Ducoudré

Lors des vœux présidentiels, François Hollande a annoncé un plan massif de 500 000 formations supplémentaires en 2016 pour les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi (DEFM). Ce sont en fait 350 000 formations supplémentaires qui s’ajoutent au 150 000 déjà annoncées en octobre 2015 lors de la Conférence sociale. Ce Plan s’inscrit dans le Plan d’urgence pour l’emploi, qui comprend notamment une prime à l’embauche pour les entreprises de moins de 250 salariés et des mesures pour l’apprentissage. Dans ce billet, on s’intéresse à l’effet de ce plan de formation sur le chômage au sens du BIT à l’horizon 2017, et non sur les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) inscrits à Pôle emploi[1].

Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Des effets attendus incertains

Le plan de formation peut avoir un effet sur le taux de chômage par deux canaux : un basculement des chômeurs vers l’inactivité et une variation de l’emploi total si les chômeurs formés prennent un emploi vacant.

Les entrées supplémentaires en formation peuvent se traduire par une baisse transitoire du chômage au sens du BIT, les chômeurs en formation étant possiblement temporairement indisponibles pour reprendre un emploi au moment de l’enquête. Ces personnes entrées en formation sont alors considérées comme inactives au sens du BIT. L’effet sur les emplois vacants paraît négligeable à court terme dès lors que les chômeurs qui ne suivent pas de formation sont substituables à ceux en formation.

Par ailleurs, ces formations ciblées sur les demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et de longue durée pourraient avoir un effet positif sur l’emploi total si elles se traduisaient à terme par une baisse des emplois vacants : les taux de retour à l’emploi à 6 mois sont ainsi les plus élevés pour les formations courtes de type « préalables à l’embauche[2] » – Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR) et Préparation Opérationnelle à l’Emploi Individuelle (POEI). A contrario, ces retours à l’emploi plus rapides pourraient se traduire par un retour à l’emploi retardé pour les chômeurs ne bénéficiant pas du dispositif. Plusieurs études sur les trajectoires des personnes sans emploi passées par un dispositif de formation trouvent d’ailleurs peu d’effet de ce passage en formation sur les taux de transition du chômage vers l’emploi[3]. Dans ce cas, l’effet net sur l’emploi total serait nul.

Un impact transitoire et limité sur le chômage

Lorsqu’une personne suit ou a suivi récemment une formation, elle peut être considérée comme inactive au sens du BIT (formation non achevée), comme chômeur (formation en cours d’achèvement et conditions remplies pour être considéré comme chômeur) ou en emploi (la formation s’est achevée et la personne est en emploi). A partir de l’Enquête Emploi en Continu, on peut calculer la probabilité d’être inactif sachant que la personne a déclaré avoir suivi une formation[4] au cours des 3 derniers mois. Parmi les personnes inactives ou au chômage de moins de 50 ans, cette probabilité s’élève à près de 50%[5]. Autrement dit, parmi les chômeurs et les inactifs, 50% de ceux déclarant avoir suivi une formation au cours des trois derniers mois sont considérés comme inactifs au sens du BIT. Si on prend en compte les personnes en emploi, cette probabilité diminue et s’élève à 10% : parmi les personnes inactives, au chômage ou en emploi de moins de 50 ans ayant déclaré avoir suivi une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, 10% sont considérées comme inactives au sens du BIT. Ces proportions donnent ainsi des ordres de grandeur pour l’effet attendu du passage en formation sur l’inactivité et le chômage.

Lors de notre dernier exercice de prévision, nous avons retenu une montée en charge progressive du dispositif à partir du deuxième trimestre 2016, avec 300 000 formations supplémentaires en 2016 et 200 000 en 2017, compte tenu du délai de mise en place des nouvelles formations. La durée des formations est fixée à 2,4 mois, ce qui correspond à la durée moyenne des formations du « Plan 100 000 » en 2014. Une durée moyenne plus élevée se traduirait par une hausse plus marquée du stock de chômeurs en formation, avec un effet plus important sur l’évolution de la population active.

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Nous avons considéré que l’effet du plan de formation sur les emplois vacants serait nul. Si la formation dispensée aux chômeurs de longue durée accroît individuellement leur probabilité de retour à l’emploi, il est à ce stade difficile d’évaluer son impact sur l’emploi macroéconomique car cela suppose de quantifier les emplois non pourvus qui seraient pourvus grâce au plan de formation. Or, compte tenu de la situation générale de l’économie française caractérisée par un output gap négatif et donc un déficit de demande, l’emploi total ne peut augmenter à court terme du simple fait de la formation des chômeurs. L’effort de formation en leur faveur aurait surtout pour conséquence de modifier à court terme leur place dans la file d’attente de l’emploi. Toutefois, un effet négatif se traduirait par une baisse du stock d’emplois vacants et accentuerait la baisse du chômage inscrite en prévision.

Les chômeurs de longue durée entrés en formation en 2016 sortiraient donc provisoirement de la population active pour y être à nouveau comptabilisés en 2017. Compte tenu de ces hypothèses, le nombre de chômeurs en formation passerait ainsi de 257 000 fin 2015 à 363 000 fin 2016 (graphique 1), ce qui correspondrait à une baisse de la population active comprise entre 16 000 et 55 000 personnes en 2016 selon l’impact retenu. Une plus forte concentration des formations sur l’année 2016 se traduirait par une baisse plus rapide du chômage. A contrario, si une partie des formations se substituait aux formations hors « Plan 500 000 », cela réduirait le total des entrées en formation en 2016-2017, et l’effet attendu sur le chômage.

 

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L’effet du Plan de formation sur le taux de chômage atteindrait son maximum au quatrième trimestre 2016, le taux de chômage baissant de 0,05 à 0,15 point. Si l’ensemble des entrées en formation se traduisait par une comptabilisation des personnes en inactivité, l’effet maximum serait porté à –0,5 point de taux de chômage. La fin progressive du Plan de formation ainsi que le retour des personnes en formation au sein de la population active se traduisent par un effet nul du plan de formation sur le chômage dès la fin d’année 2017. Mécaniquement, une montée en charge différente des entrées en formation modifierait le profil de l’impact du Plan de formation sur le taux de chômage, sans pour autant modifier les créations d’emplois.

[1] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).

[2] D’une durée maximale de 400 heures, ces formations préalables à l’embauche sont financées par Pôle emploi. Elles permettent au demandeur d’emploi d’acquérir des compétences nécessaires pour occuper un emploi correspondant à une offre déposée par une entreprise à Pôle emploi. Cf. Enquête « sortants de formation prioritaire 2014, » Pôle Emploi, Éclairages et Synthèses, n°17, septembre 2015.

[3] Crépon Bruno, Marc Ferracci, et Denis Fougère, “Training the Unemployed in France: How Does It Affect Unemployment Duration and Recurrence?”. Annals of Economics and Statistics 107/108 (2012): 175–199.

[4] Formation non formelle hors cours de sport et cours liés à des activités culturelles ou de loisirs.

[5] Il apparaît aussi que parmi les inactifs ayant suivi, au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi, environ 50% déclarent être indisponibles au motif qu’ils achèvent leur formation.




Labour Market Flexibility: More a Source of Macroeconomic Fragility than a Recipe for Growth

par G. Dosi (Scuola Superiore Sant’Anna, gdosi@sssup.it), M. C. Pereira (University of Campinas, marcelocpereira@uol.com.br), A. Roventini (OFCE et Scuola Superiore Sant’Anna, a.roventini@sssup.it), and M. E. Virgillito (Scuola Superiore Sant’Anna, m.virgillito@sssup.it)

During the years of the recent European crisis (and also before), the economic policy debate has been marked by the need of labour market structural reforms to boost productivity and GDP growth. This rhetoric has been particularly vivid in the European Union, especially during the current Euro crisis. And the  call for such reforms  finds support  in the  consensus among “mainstream” macroeconomists on the idea that labour market rigidities are the source of unemployment. The well-known OECD (1994) Jobs Study was among the first to advocate the benefits from labour market liberalization. The report and a series of subsequent papers basically argued that the roots of unemployment rest in social institutions and policies such as unions, unemployment benefits, employment protection legislation.

There is an alternative view, however, which we believe to be well in tune with Keynes himself, according to  which, involuntary  unemployment  is  the  outcome  of systematic  coordination failures – in the  current  economic jargon –, whereby “bad equilibria”, characterized by insufficient  level of aggregate demand, are self-fulfilling  in decentralised economies.  In fact, wages are an element of cost affecting the competitiveness of individual firms.  But the wage bill is also a crucial element of aggregate demand. Hence it could be that more flexible and “fluid” labour markets, while allowing for faster inter-firm reallocation of labour and lowering costs, may also render the whole economic system more fragile, more prone to recession, more volatile. In a recent work (“When more Flexibility Yields more Fragility. The Microfoundation of Keynesian Aggregate Unemployment”, OFCE Working Paper No. 2016-07, we investigate the conditions under which such a conjecture applies, by exploring to what extent labor market flexibility can led to coordination failures trapping the economy in stagnation.

The model we develop is built upon the Agent Based “Keynes meets Schumpeter” family of models (Dosi et al., 2010, Napoletano et al., 2012, Dosi et al., 2013, Dosi et al., 2015), explicitly incorporating different  microfounded labour market regimes, populated by heterogeneous  firms and workers  who behave according to boundedly rational behavioural rules. We comparatively study two archetypical types of decentralised labour markets, which we shall call the Fordist and the Competitive, and variations thereof. Under the Fordist regime wages are insensitive to labour market conditions but indexed to productivity. There is a sort of lifetime employment (firms fire only when their profits are negative) matched by the loyalty of the workers to their employers (employed workers do not seek for alternative occupations). Labour market institutions contemplate a minimum wage indexed on productivity and unemployment benefits.  Such a regime corresponds to the one experienced by France, among other Western industrial countries, during the “Trente Glorieuses”. Conversely under (different shades of ) the Competitive regime, wage changes respond to unemployment.  Also employed worker with some probability search for notionally more rewarding jobs. Firms fire their excess workforce given their planned production. Minimum wages are only partially indexed to productivity, if at all and unemployment benefits might or might not be there. The Competitive regime tries to capture the process of flexibilization of the labor market occurred in most Anglo-Saxon countries and in some continental European countries (e.g. the Netherlands) since the eighties.

First,  we compare  the  Fordist regime with  the  most extreme  version  of the Competitive  one, basically institution-free, with  no employment  protection  and also with  no minimum wage and no unemployment benefits. Note that the latter is the nearest to textbooks “market perfection”. Well, we find that under such perfection the whole system is always near to collapse: the long-term rate of growth is close to zero and the short-run dynamics is equally dismal, with extremely high unemployment rates, higher overall volatility and higher inequality.

Next, we compare the Fordist regime with other milder forms of Competitive regimes, embedded nonetheless into institution of wage and income support. The Competitive set-ups show still an overall fragile and more prone to crises dynamics when compared to the Fordist, even in presence of active welfare policies. In fact, volatility of GDP, unemployment rate, likelihood of crises are significantly higher in the competitive scenarios. Conversely, the Fordist case is in full employment for about 60% of the simulation time. Finally, in the Competitive regimes with milder forms of welfare policies – lower (or zero) indexation of minimum wage on productivity growth and absence of unemployment benefits – productivity growth is significantly lower and inequality even among workers is higher, and the more so the lower the constraints in wage settings.

The  model robustly  shows that  more flexibility  in terms  of variations of monetary wages and labour mobility  is prone to induce  systematic  coordination failures, higher macro volatility,  higher unemployment, and higher frequency of crises. In fact, it is precisely the downward flexibility of wages and employment – as profitable as it might be for individual firms – and the related higher degrees of inequality that lead recurrently to small and big aggregate demand failures. This property, we suggest, is also at the heart of both the 1929 and 2008 crises, no matter what the triggering factors (often to be found at the financial level). Only when flexibility in wages and employment is accompanied by policy measures which mitigates the recurrent downward pressures, such as unemployment subsidies and minimum wage, the system does not collapse. Furthermore, contrary to the argument that higher labour flexibility  fosters productivity  growth, our model clearly  shows the opposite: productivity in the  Competitive  regime grows, at best,  at the  same rate  as in the  Fordist one, but with  higher volatility,  unemployment and incidence of crises. Our results cast serious doubts on the agenda of structural reforms in labor markets advocated by the European Union and pursued by many European countries: more employment  guarantees,  more rigidities  in firing rules, less  wage inequality,  more welfare protection are not only good for the workers’ concern, but also for the economy  as a whole.

 

References:

Dosi, G., G. Fagiolo, M. Napoletano, and A. Roventini (2013), “Income distribution, credit and fiscal policies in an agent-based Keynesian model”, Journal of Economic Dynamics  and Control, 37/8, 1598-1625.

Dosi, G., G. Fagiolo, and A. Roventini (2010), “Schumpeter meeting Keynes: A policy-friendly model of endogenous growth and business cycles”,  Journal of Economic Dynamics  and Control,  34/9, 1748-1767.

Dosi, Giovanni, G. Fagiolo, M. Napoletano, A. Roventini, and T. Treibich (2015), “Fiscal and monetary policies in complex evolving economies”, Journal of Economic Dynamics and Control, 52, 166-189.

Napoletano, Mauro, Giovanni Dosi, Giorgio Fagiolo, and Andrea Roventini (2012), “Wage formation, investment behavior and growth regimes: An agent-based analysis”, Revue de l’OFCE, 5/124, 235-261.

OECD (1994), OECD Jobs Study. Tech. rep., Organization for Economic Cooperation and Development.




Le chômage bâti pour durer

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du mois de février 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître une hausse de 38 400 du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A). Si cette hausse est à première vue très forte, elle est à prendre avec prudence. Pour rappel, le nombre d’inscrits à Pôle Emploi avait reculé fortement en janvier du fait d’un changement des règles administratives de réinscription. Ainsi, une partie de la hausse s’explique par la normalisation du nombre de cessations d’inscription pour défaut d’actualisation qui s’établit désormais à 218 000 en février après avoir atteint 239 000 en janvier. Par rapport au mois de décembre 2015, où les changements administratifs ne brouillent pas le signal, le nombre de chômeurs inscrits dans la catégorie A a augmenté de 10 500 personnes.

En février, la hausse des inscrits en catégorie A reflète en grande partie le transfert des inscrits des catégories B (-3 000 en février) et C (-32 300) vers la catégorie A. Au total le nombre d’inscrits en catégories A, B, C augmente légèrement (+3 100) mais reste à un niveau inférieur de 15 200 à celui atteint au mois de décembre. La forte baisse des inscrits en catégorie C, regroupant les inscrits à Pôle Emploi en activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) constitue un signal négatif, à prendre avec prudence, sur le niveau de l’emploi du mois de février.

Ces évolutions mensuelles doivent être mises en regard des évolutions sur plus longue période. Après huit années de crise qui ont bouleversé l’emploi, les évolutions des demandeurs d’emploi par grands domaines professionnels permettent d’appréhender certaines dimensions de ces transformations. Ainsi, entre début 2008 et fin 2015, le nombre d’inscrits en catégorie A, B et C à Pôle Emploi a augmenté de 2,3 millions, celui des inscrits en catégories A de 1,5 million. Ces demandeurs d’emploi supplémentaires en catégorie A proviennent principalement du secteur des services (+ 1,1 million). Le nombre de demandeurs d’emplois issus des secteurs du BTP (bâtiments et travaux publics) et de l’industrie voient, quant à eux leur nombre augmenter respectivement de 200 000 et 170 000 sur cette même période. Rapportées au nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A, ces évolutions montrent une hausse plus rapide des inscrits dans l’industrie et le BTP au début de la crise. Si cette hausse de la part des inscrits issus de l’industrie s’est avérée temporaire (+ 2 points entre début 2008 et début 2009, puis retour au niveau initial début 2011), elle apparaît bien plus durable dans le BTP (+2,2 points entre début 2008 et fin 2015). Depuis 2011, le nombre d’inscrits en catégorie A par grands domaines professionnels croît au même rythme.

 

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Parmi les 74 familles professionnelles répertoriées par la Dares, au sein desquelles nous avons retenu celles ayant un poids significatif[1], les dix qui ont connu la plus forte augmentation depuis début 2008 sont principalement dans le secteur du BTP. En effet, plus de la moitié des dix professions les plus impactées par le chômage se situent dans ce secteur avec une augmentation comprise entre 126 % pour les conducteurs d’engins du BTP et plus de 200 % pour les ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment. En dehors du BTP, les professions ayant connu la plus forte hausse du nombre d’inscrits à Pôle Emploi depuis début 2008 sont les métiers liés à la restauration et au commerce de bouche (148 % pour les cuisiniers et 130 % pour les bouchers, charcutiers, boulangers), ainsi que les aides à domicile et ménagères (+126 %) ou les professionnels de l’action culturelle, sportive et surveillants (+126 %). Ces dix familles professionnelles qui représentaient moins de 13 % des inscrits en catégorie A au début de l’année 2008 ont contribué à hauteur de près de 23 % à la hausse du chômage depuis le début de la crise.

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[1] Leur famille représente au moins 0,5 % du nombre d’inscrits en catégorie A, ce qui correspond à plus de 15 000 inscrits en catégorie A pour une seule famille professionnelle.




Dette de l’assurance chômage : quel est le problème ?

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

La dette de l’assurance chômage atteint 25,8 Md€ à la fin de 2015. Sous la pression d’un chômage élevé, elle va continuer de s’accroître jusqu’à dépasser 35 Md€ en 2018 (Unedic, 2015b), un niveau inédit qui représentera près de 1,5% du PIB et 100% des recettes annuelles de cotisations.

L’Unedic peut-elle rembourser cette dette ?

La Note de l’OFCE (n°60 du 10 mars 2016) montre que même en faisant l’hypothèse d’une conjoncture très favorable, et compte-tenu de la difficulté d’augmenter le taux de cotisation qui est déjà l’un des plus élevés au monde, les réformes des règles d’indemnisation susceptibles de produire suffisamment d’économies pour rembourser la dette et assainir les comptes au cours du cycle conjoncturel à venir devraient être drastiques. Il faudrait en effet réduire au minimum de 50% les droits potentiels des chômeurs, tout en préservant la paix sociale, ce qui apparaît très improbable.

L’Unedic, ne remboursera donc pas sa dette avec les recettes qu’elle a utilisées par le passé. Le régime qui survivrait ce tsunami paramétrique serait très loin de l’assurance optimale nécessaire au bon fonctionnement du marché du travail et de l’économie.

L’Unedic doit-elle rembourser cette dette ?

L’assurance est facturée bien plus cher qu’elle ne coûte, ce qui a pour conséquence que les allocations de droit commun sont largement financées par les recettes de cotisations. L’activité d’assurance de l’Unedic dégage donc un excédent annuel, dont le cumul se monte à 58 Md€ depuis 1990.

Mais au-delà du paiement des allocations, des charges qui devraient relever du droit conventionnel ou des politiques publiques, tels les régimes spéciaux intermittents et intérimaires, le financement du service public de l’emploi, des dépenses mises à la charge de l’Unedic par l’Etat, etc. ont engendré un besoin de financement total de près de 83 Md€ depuis 1990.

La dette de l’assurance chômage ne peut donc pas être attribuée aux règles de droit commun, et donc a fortiori à leur générosité supposée. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des réformes qui ont réduit les droits pour enrayer l’accumulation de déficits aient échoué au cours des 15 dernières années : le remède n’est pas adapté au mal qu’il est sensé soigner. Non seulement les réformes paramétriques nécessaires à résorber le déficit et la dette de l’Unedic ne résoudraient aucun des problèmes structurels et techniques qui en sont à l’origine ; bien au contraire, ceux-ci seraient exacerbés, au détriment de l’efficacité du régime, de la justice sociale et au profit de la segmentation du marché du travail.

Le droit commun doit-il évoluer et comment ?

Cela ne signifie pas que tout va pour le mieux dans le droit commun. Tant en matière de cotisations que de prestations, certaines règles essentielles sont devenues inadaptées, voire incompatibles avec la mission de l’assureur et l’intérêt des assurés. Une analyse stratégique et une comptabilité précise montrent qu’il existe des pistes simples, certaines, équitables pour refonder l’assurance chômage, et notamment ses règles essentielles.

Une réforme structurelle de l’assurance chômage devrait viser à recentrer son intervention sur des règles de droit commun consolidées et assainies. Cette stratégie devrait reposer sur quatre piliers :

  • La reprise de la dette par l’Etat. La dette n’est pas le fait des règles d’assurance de droit commun, mais elle empêche de réformer celui-ci de manière efficace et économique. L’Etat n’y perd rien, car cette dette est déjà comptabilisée dans la dette publique.
  • La suppression des dépenses non-assurantielles. Les dépenses indûment imputées à l’assurance chômage doivent être financées par d’autres ressources que des taxes sur les chômeurs.
  • Une assurance obligatoire. Tous les employeurs et tous salariés doivent être affiliés, car la solidarité interprofessionnelle, l’équité et l’efficacité justifient que le financement de l’assurance chômage s’appuie sur des ressources larges et diversifiées.
  • Une assurance universelle. L’unicité des règles est un principe intangible. L’assureur doit prioriser l’assurance du risque de chômage et sa mutualisation, ce qui implique de ne plus financer des politiques publiques avec des cotisations d’assurance chômage assises sur le coût du travail marchand.

Les partenaires sociaux n’ont bien entendu pas la latitude de prendre seuls l’ensemble de ces décisions. Mais, si le contexte de la négociation pouvait être ainsi éclairci, les partenaires sociaux pourraient à nouveau se concentrer sur les missions fondamentales et le pilotage de l’Unedic, ainsi que sur les leviers qui importent : objectifs de l’assurance, règles appropriées pour les atteindre, maîtrise des droits et des incitations, taux de cotisation, etc. pour le bénéfice de tous.




Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré

par Céline Antonin

A l’heure où le débat sur la réforme du marché du travail cristallise les passions en France, l’Italie tire quant à elle les premiers enseignements de la réforme mise en place il y a un an. Il faut dire que la réforme du marché du travail, baptisée Jobs Act, faisait partie des promesses de campagne de Matteo Renzi. Le marché du travail italien souffre en effet de faiblesses chroniques, notamment la segmentation, la dualité entre salariés protégés et non protégés, le fort taux de chômage des jeunes, ou encore l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. D’inspiration sociale-libérale, la réforme de Matteo Renzi prône la flexisécurité, avec l’introduction d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminé et à protection croissante, une baisse des charges sociales sur les entreprises, et une meilleure indemnisation et un accompagnement des chômeurs. Le premier bilan est certes positif en termes de chômage et de créations d’emploi. Cela étant, il faut se garder de tout triomphalisme hâtif, car cette réforme intervient dans des circonstances particulièrement favorables avec le retour de la croissance, le policy mix accommodant, ou encore la stagnation de la population active.

Jobs Act à l’italienne : les points-clefs

Le Jobs Act n’est en réalité que le dernier né d’une série de mesures, adoptées depuis la Loi Fornero de 2012, visant à flexibiliser le marché du travail.  L’acte I du Jobs Act, ou décret-loi Poletti (DL 34/2014), a été adopté le 12 mai 2014, mais est passé relativement inaperçu, car il ciblait essentiellement les CDD et l’apprentissage. Il permettait notamment d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, supprimait les périodes de carences et permettait un renouvellement plus important des CDD, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise[1].

Le véritable changement est intervenu avec l’Acte II du Jobs Act, dont la loi d’habilitation a été adoptée par le Sénat italien le 10 décembre 2014. Les huit décrets d’application, adoptés au premier semestre 2015 comportent quatre points-clefs :

– La suppression de l’article 18 du Code du travail qui permettait une réintégration en cas de licenciement manifestement abusif : l’obligation de réintégration est remplacée par une obligation d’indemnisation plafonnée[2], mais la réintégration reste de mise en cas de licenciement discriminatoire ;

– La création d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée et à protection croissante, intermédiaire entre CDD et CDI : le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche et des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté du salarié sont mises en place ;

– La suppression de l’usage abusif des contrats de collaboration[3], contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié, concernant environ 200 000 personnes. Ces contrats devront être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques), sauf pour quelques cas restreints ;

– La réforme de l’assurance chômage, avec une extension des dispositifs d’indemnisation. Ainsi, la durée d’indemnisation est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant). Quant aux dispositifs d’indemnisation du chômage « technique », ils sont notamment étendus aux apprentis et entreprises de 5 à 15 salariés[4]. Une Agence Nationale pour l’Emploi (ANPAL) avec l’introduction d’un guichet unique, permettant d’articuler la formation et l’emploi, a également été créée.

Notons que seules les mesures relatives à l’expérimentation d’un salaire horaire minimum[5], qui figurent dans la loi d’habilitation de décembre 2014, n’ont pas été abordées.

Parallèlement au Jobs Act, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (équivalent de la taxe professionnelle) pour les personnes employées en CDI a été supprimée, réduisant d’un tiers environ le montant de l’IRAP. Surtout, la Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche. Cette mesure devrait coûter 3,5 Mds d’euros d’ici 2018. La mesure a été prolongée en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans.

Une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage

Depuis le début de l’année 2015, on observe une forte progression de l’emploi, en particulier l’emploi à durée indéterminée : entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés a augmenté de 229 000, avec une progression forte du nombre de salariés (+377 000) et un recul du nombre d’indépendants (-148 000).  Parmi les salariés, on note une progression forte du nombre de CDI (+328 000). Ainsi, le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (graphique 1) ; quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée. En revanche, le rythme annuel des créations d’emploi a retrouvé son niveau d’avant-crise, avec une progression de l’ordre de 250 000 par an (graphique 2).

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Outre les nouvelles embauches en CDI, le Jobs Act a conduit à substituer des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, 5,4 millions de nouveaux emplois ont été créés en 2015[6] (+11% par rapport à 2014), principalement à durée indéterminée. Sur les 2,4 millions de CDI créés, on dénombre 1,9 million de nouveaux CDI et 500 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (dont 85 000 contrats d’apprentissage), en forte hausse par rapport à 2014. On constate également une baisse des contrats de collaboration (-45 % entre le troisième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015) et des contrats d’apprentissage (-24,6 %). Signalons également l’augmentation de 4,3 % du nombre de démissions et la réduction de 6,9 % des licenciements.

Cette progression de l’emploi a pour corollaire une baisse marquée du taux de chômage (graphique 3), qui atteint 11,4 % au dernier trimestre 2015 (contre 12,8 % un an auparavant). Cela étant, la baisse du chômage s’explique également par une stagnation de la population active en 2015, à l’inverse des années précédentes marquées par la réforme des retraites.

 

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Des incertitudes demeurent

Matteo Renzi semble avoir gagné son pari. Pourtant, il ne faut pas sur-interpréter cette baisse du chômage. En effet, plusieurs facteurs positifs ont indéniablement contribué à amplifier le phénomène.

On peut tout d’abord relever un effet d’aubaine lié à l’annonce des exonérations de cotisations sociales pour l’embauche en nouveau contrat à durée indéterminée, qui a conduit certaines entreprises à repousser les embauches prévues en 2014 à 2015 (ce qui a eu pour conséquence une hausse du chômage fin 2014). Par ailleurs, une partie de la baisse du chômage est liée à l’effet de substitution des contrats précaires de courte durée par les nouveaux CDI à protection croissante (voir supra). Reste à savoir si les nouvelles flexibilités permises par ces nouveaux contrats seront utilisées dans les trois années qui viennent, et si les ruptures de contrat seront plus nombreuses.

En outre, la stagnation de la population active (graphique 3) a largement amplifié le mouvement de baisse du chômage. Avec l’embellie observée sur le marché de l’emploi, nous anticipons, dans le futur, que la hausse de la population active, amorcée au dernier trimestre de 2015, va se poursuivre en raison d’un effet de flexion[7], qui viendrait amortir l’effet de la création d’emplois en 2016 et 2017.

Par ailleurs, le  Job Act a été adopté dans un contexte de sortie de récession, avec une reprise certes molle (+0,6 % de croissance en 2015), mais néanmoins au-dessus du potentiel de croissance[8]. Le relâchement de la contrainte budgétaire a eu un effet de relance en 2015, qui peut expliquer en partie le reflux du chômage. Quant aux conditions monétaires, elles sont particulièrement favorables, l’Italie étant l’un des principaux bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la BCE.

Ces réserves ayant été émises, il est néanmoins indéniable que la baisse des cotisations a eu un impact positif. Le rapport de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) de février 2016 montre que sur les 2,4 millions de ces nouveaux CDI créés en 2015, 1,4 million ont bénéficié des exonérations de cotisations employeurs, soit quasiment deux nouveaux CDI sur trois. Par ailleurs, la baisse des contrats précaires au profit de contrats à durée indéterminée, même s’ils sont moins protégés qu’avant, est plutôt un signe encourageant pour l’accès à l’emploi pérenne de populations qui en étaient traditionnellement éloignées (indépendants, contrats de collaboration).

Le principal regret que l’on peut avoir face à cette réforme est l’absence d’un volet dédié explicitement à la formation professionnelle, alors que c’est l’un des principaux points faibles du marché du travail italien. Au sein de l’UE, le pays détient le triste record du nombre de jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation. Par ailleurs, la formation de la main-d’œuvre est insuffisante et l’investissement en recherche et développement est faible, ce qui se traduit par une faible productivité. Il est légitime de vouloir agir sur le coût du travail et la dualité du marché du travail, mais cela ne peut suffire à résoudre la question de la productivité et de l’inadéquation de la main-d’œuvre. Par conséquent, Matteo Renzi serait bien inspiré de prévoir un acte III de la réforme de l’emploi pour enfin sortir le pays de la stagnation.

 

[1] voir C. Antonin, Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur, Note de l’OFCE n°48.

[2] L’indemnité économique est déterminée par un barème en fonction de l’ancienneté du salarié. Elle équivaut  à deux mois du dernier salaire par année d’ancienneté, pour un total qui ne peut être inférieur à 4 mois de salaire et plafonné à 24 mensualités.

[3] « Statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l’entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s’agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d’une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d’organisation du travail et de temps de travail)», E. Prouet, Contrat de travail, les réformes italiennes, France Stratégie, La Note d’Analyse, n°30, mai 2015.

[4] D’autres mesures concernant le chômage technique sont également prévues, notamment le fait que le chômage technique d’un salarié ne peut dépasser 80 % du total des heures travaillées. En outre, la durée maximale pendant laquelle une entreprise peut avoir recours au chômage technique est au maximum de 24 mois sur cinq années glissantes.

[5] Il n’y a pas de salaire minimum généralisé en Italie, mais des salaires minima fixés au niveau des branches, comme c’était le cas en Allemagne avant 2015.

[6] Ce chiffre de 5,4 millions représente les créations brutes d’emploi, tous types d’emplois confondus (en cumulant notamment tous les CDD à très court terme), et sans tenir compte des destructions d’emplois. Si l’on considère le chiffre des créations nettes d’emploi, on retient le chiffre de 229 000 entre janvier 2015 et janvier 2016.

[7] Quand le chômage augmente, les personnes en âge de travailler sont découragées de se présenter sur le marché du travail. À l’inverse, lorsque l’emploi redémarre, certains sont incités à revenir sur le marché du travail, ce qui ralentit la baisse du chômage ; c’est ce phénomène que l’on appelle l’effet de flexion.

[8]  « La croissance tendancielle de productivité du travail est faible en Italie ; par conséquent, la croissance de la production permet de créer davantage d’emplois en Italie qu’en France par exemple, où la productivité du travail est plus forte ».




Secteur public : l’assurance chômage qui n’existe pas

Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE et IZA

Une assurance chômage peu solidaire

En France seuls les salariés du secteur privé ont une obligation d’affiliation et de cotisation à l’assurance chômage. Ceux du secteur public étant couverts par une garantie d’emploi ou l’auto-assurance de leur employeur, leur affiliation à l’Unedic n’est pas obligatoire. Néanmoins, l’affiliation à l’Unedic reste possible pour la plupart des employeurs publics qui le désirent, notamment si la précarité importante des contrats de leurs salariés non-titulaires rend le choix de l’auto-assurance trop coûteux pour eux.

Cette réglementation a pour résultat de réduire la solidarité interprofessionnelle organisée par l’Unedic pour prendre en charge le chômage, puisque 30% des salariés n’y participent pas. La France est le seul pays où les employeurs publics ne contribuent pas à l’assurance chômage mutualisée et où, en même temps, la puissance publique ne finance pas l’assurance chômage par des subventions et/ou des dotations d’équilibre, faisant de l’Unedic une assurance chômage financée par le secteur privé pour lui-même.

La situation financière délicate dans laquelle se trouve l’Unedic pourrait constituer le motif d’une diminution des droits et/ou d’une augmentation des contributions à l’assurance chômage ; le contraste est fort avec le financement des garanties d’emploi et de l’auto-assurance des employeurs publics, qui n’est pas un objet de débat alors même qu’il n’est ni explicite ni clair. Ces garanties sont-elles gratuites ? Si oui, pourquoi alors ne pas généraliser ces dispositions bien plus économiques que l’assurance chômage ? Et sinon quel est leur coût, par qui et comment sont-elles financées ?

La Note de l’OFCE (n° 59 du 2 mars 2016) a pour objectif de documenter ces questions, afin de contribuer à la réflexion sur le fonctionnement de l’assurance chômage, notamment en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles celle-ci n’est pas obligatoire ni dotée de règles universelles, et à mesurer les conséquences de ces choix.

Assurer le chômage ou assurer l’emploi ?

Les emplois publics ne sont pas créés au motif de réduire le chômage, mais pour offrir des services publics aux citoyens ou –lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques– d’accroître leur valeur ajoutée. La création d’emplois publics peut néanmoins être vue comme un complément, voire une alternative, à l’assurance chômage dans la mesure où les garanties d’emploi et les dispositions conventionnelles d’auto-assurance en vigueur dans le secteur public ont pour effet de protéger du chômage et de ses conséquences, tout comme l’assurance chômage.

Si créer des emplois publics suffisait à réduire le chômage, une sur-représentation de ces emplois au sein de l’économie pourrait constituer un symptôme de l’utilisation de ces dispositions comme un instrument de réduction du chômage, et donc une contribution de la puissance publique à une forme d’assurance chômage. La combinaison du nombre élevé de ces emplois et de leurs caractéristiques pourrait produire des externalités massives sur le marché du travail dans son ensemble, et en particulier sur le régime d’assurance chômage en raison de la différence qui en découle au regard de l’affiliation et du financement de l’assurance chômage.

La question des dispositions conventionnelles en vigueur dans le secteur public  est en effet distincte de celle de la participation au régime mutualisé d’assurance chômage de droit commun : les garanties d’emploi n’impliquent pas une dispense d’affiliation et de contributions à l’Unedic, ni a fortiori que celle-ci s’étende sous forme d’auto-assurance aux emplois publics non-titulaires, au seul motif que tous sont salariés d’employeurs publics. De plus l’affiliation optionnelle des salariés non-titulaires enfreint les règles prophylactiques les plus élémentaires dont toute assurance chômage doit impérativement être dotée. Incitant à la sélection adverse, cette réglementation complexe va même jusqu’à l’organiser (intermittents, apprentis, emplois aidés, etc.) concourant à transférer des déficits vers l’Unedic et à maintenir des excédents dans les caisses des employeurs publics. Ceux-ci s’adaptent clairement à ces incitations et aux opportunités qui leur sont données de se soustraire à l’assurance chômage mutualisée, ce qui crée des subventions croisées qui vont du secteur privé vers le secteur public.

Des enjeux financiers très importants

Ce transfert implicite du secteur privé affilié à l’assurance chômage vers les secteurs publics qui n’y sont pas affiliés peut être estimé sur la base des recettes de cotisations. En effet, pour compenser le manque à gagner résultant de la dispense de cotisations des emplois publics l’Unedic doit appliquer à ses affiliés un taux de cotisation plus élevé qu’à l’optimum. Sur le périmètre de l’emploi salarié total l’assiette des cotisations Unedic serait 44,3% supérieure à ce qu’elle est actuellement, générant un rendement de 47,0 Md€ au taux de cotisation actuel (6,4 %). Considérant que l’emploi et le chômage seraient inchangés, un taux de cotisation de 4,4 % suffirait donc pour collecter les 32,5 Md€ de recettes perçues par l’Unedic en 2012.

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Mais, même indemnisé, le chômage engendre des coûts importants pour les chômeurs indemnisés mais aussi pour les employeurs et les salariés assurés, qui vont bien au-delà d’une simple exemption de cotisations. Sous l’hypothèse technique d’une probabilité de chômage homogène dans les deux secteurs, ou si le coût des garanties d’emploi était entièrement assumé par les employeurs publics, la simulation d’une assurance chômage obligatoire et universelle met en évidence que la masse salariale des secteurs affiliés à l’Unedic est actuellement réduite de 29,4 Md€. Cette somme représente la « subvention croisée » qui va du secteur privé vers le secteur public pour financer le coût actuel des garanties d’emploi et de l’auto-assurance. C’est aussi le gain brut potentiel associé au passage à une assurance chômage obligatoire et universelle indépendamment de la distribution effective du risque de chômage qui est, elle, liée aux caractéristiques individuelles et aux statuts (principe analogue à celui appliqué en Allemagne par exemple).

Une assurance plus équitable et plus efficace

Les ressources que devraient trouver les employeurs publics pour financer ces dépenses devraient s’appuyer sur des taxes nouvelles ou l’augmentation de taxes existantes. Une réforme de l’assurance chômage se ferait donc à taux de prélèvements obligatoires constant ex-ante, et substituerait un financement fiscal de l’assurance chômage au financement actuellement assis sur le coût du travail marchand. Les nouvelles ressources étant à la fois plus appropriées et équitables, l’assurance chômage serait plus optimale, donc plus efficace et moins coûteuse à moyen terme, ouvrant la possibilité d’une baisse du taux de prélèvements obligatoires ex post. S’agissant de répartir plus équitablement une charge qui pèse aujourd’hui exclusivement sur les salariés, les employeurs et les chômeurs du secteur privé, il est nécessaire et acceptable, qu’une telle réforme fasse des « perdants », car elle accroîtrait le bien-être collectif. Ceux-ci se trouveraient majoritairement parmi les contribuables, car c’est vers eux que se déplacerait le financement d’une assurance chômage devenue obligatoire et universelle.

De la même manière que les dispositions statutaires qui régissent les emplois publics n’impliquent en rien d’exonérer ceux-ci d’affiliation à l’assurance chômage, rendre l’assurance chômage obligatoire et universelle ne nécessite pas de réformer ces dispositions ; ces deux sujets sont disjoints. Dans le secteur public comme dans le secteur privé l’assureur n’a pas besoin de tenir compte des arrangements contractuels, mais il doit vérifier qu’il n’en supporte pas de coût, et de manière plus générale que les règles d’assurance encouragent les dispositions de ce type qui réduisent ses coûts sans affecter ses ressources et découragent celles qui vont en sens opposé.




Chômage : baisse incertaine mais hausse certaine des inscrits de longue durée

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du chômage du mois de janvier 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la hausse enregistrée au mois décembre (+15 800), une baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 27 900 personnes. Si ce chiffre semble encourageant (une baisse d’une telle ampleur n’a pas été observée depuis 2007), il est à relativiser. D’une part, le changement de pratique administrative opéré par Pôle Emploi[1] s’est traduit par une augmentation anormale des sorties pour défaut d’actualisation (239 000 contre 207 000 en moyenne mensuelle en 2015). D’autre part, la forte volatilité des chiffres mensuels au cours des derniers mois est le signe d’un marché du travail dans lequel les créations d’emplois ne sont pas suffisantes pour faire baisser durablement le chômage.

Il est vrai que la hausse du nombre des sorties de Pôle Emploi pour motif de reprise d’emploi déclaré (+5,1% sur trois mois) constitue un signe positif laissant penser que la reprise attendue est en marche. Malgré tout, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas permis d’enrayer la montée continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+9,1% en un an). Ainsi, dans un contexte de croissance quasi-nulle en moyenne depuis 2008 et une dégradation continue du marché du travail,  la part des inscrits depuis un an et plus en catégories A, B, C est en augmentation depuis la mi-2009 (31 % environ), et atteint un niveau historique, représentant 45,4 % de l’ensemble des inscrits en catégories A, B, C (graphique 1). Cette hausse s’explique notamment par la montée du chômage des seniors (+8,9 % sur un an) : la montée en charge des réformes de retraite successives (2003, 2010), couplée à la suppression des dispenses de recherche d’emploi pour les seniors, a conduit à un allongement de la durée d’activité et à un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Dans un contexte de faible croissance, la hausse du taux d’emploi des seniors a été insuffisante pour absorber la dynamique de population active de cette classe d’âge, avec pour conséquence une hausse du chômage des plus de 50 ans (voir La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !).

La relative amélioration du marché du travail attendue dans les mois qui viennent trouverait sa source dans une légère amélioration de la croissance et la montée en charge du plan de formation des chômeurs annoncé par F. Hollande fin décembre 2015. Néanmoins, cette amélioration se diffusera lentement aux demandeurs d’emploi de longue durée. En effet, la transmission aux demandeurs d’emploi de longue durée de la baisse du nombre d’inscrits en catégorie A est relativement longue (graphique 2). Lors de la baisse importante du nombre d’inscrits observée à la fin des années 2000, il avait fallu attendre près d’un an et demi pour que la baisse enregistrée des inscrits en catégorie A se traduise par une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée. Les mécanismes de reprise d’emploi sont ainsi sujets à une inertie importante.

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   Légende : DEFM : Demandeurs d’emploi en fin de mois.

[1] Du fait de ce changement méthodologique, les demandeurs d’emploi ont eu un jour de moins pour effectuer leur actualisation, entraînant de fait une augmentation importante du nombre de radiations pour cause de défaut d’actualisation (+1,5 sur trois mois).