Taux d’activité et durée du travail : des impacts différenciés sur le taux de chômage

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment du temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité.

En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, les pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait entre autres des réformes des retraites menées. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 2,3 points en France, de 3,1 points en Italie et de 2 points au Royaume-Uni (graphique). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3,2 points à celui observé fin 2017. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage alors même que son taux d’activité croissait. À taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 0,9%. Il reste que les évolutions des taux d’activité résultent aussi de facteurs démographiques structurels si bien que l’hypothèse d’un retour vers les taux de 2007 est arbitraire. Pour les États-Unis, une partie de la baisse du taux d’activité s’explique par l’évolution de la structure de la population. Aussi, le chiffre de sous-emploi peut être considéré comme surévalué.

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,7 points en Allemagne et de 2,9 points en Italie. En France, en Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le temps de travail n’a que faiblement baissé depuis la crise. A durée du travail identique à celle de 2007, le taux de chômage aurait été très légèrement supérieur dans l’ensemble de ces pays.

Notons que les évolutions à la baisse de la durée du travail ont largement précédé la crise économique de 2007 (tableau). Si l’Allemagne a prolongé la dynamique à l’œuvre avant la crise et si l’Italie l’a largement accentuée, la France, l’Espagne et les États-Unis ont continué à réduire leur durée du travail mais de façon moins marquée. Le Royaume-Uni a quant à lui interrompu la baisse du temps de travail entamé avant 2007.

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Les soubresauts du taux de chômage

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du chômage publiés par l’Insee pour le premier trimestre 2018 indiquent une remontée du taux de chômage de 0,3 point (0,2 point en France métropolitaine). Dans notre dernier exercice de prévision, nous avions anticipé un taux de chômage stable, tout en soulignant les risques à la hausse du chômage en ce début d’année (graphique 1).

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Comment expliquer la hausse du chômage sur un trimestre ? Le taux de chômage peut augmenter concomitamment à une hausse ou une baisse de l’emploi, en fonction des comportements d’activité : lorsque l’emploi augmente, le chômage baisse si la population active augmente moins vite que l’emploi. Par contre, il augmente si la population active augmente plus vite, ou dans le cas de destructions d’emploi si celles-ci ne s’accompagnent pas d’une baisse de la population active plus importante.

La hausse du chômage au premier trimestre 2018 fait suite à une forte baisse au quatrième trimestre 2017 (-0,7 point), et s’explique principalement par des mouvements importants de population active à court terme, et non par une baisse de l’emploi : sur un trimestre, le taux d’emploi des 15-64 ans est stable, tandis que la part de chômage augmente de 0,2 point, tirée par la hausse du chômage des femmes (leur part augmente de 0,4 point, ce qui s’explique par une augmentation de leur taux d’activité de 0,4 point alors que leur taux d’emploi est stable, cf. tableau). Cette hausse du chômage des femmes fait suite à une baisse plus forte encore au trimestre précédent (-0,5 point) et apparaît ainsi comme une correction partielle de la forte baisse observée au troisième trimestre 2017.

Tabe_post24-05Sur un an, les évolutions indiquées par l’Enquête emploi sont en phase avec l’évolution de la conjoncture économique. Le taux d’emploi augmente fortement (+1 point) en lien avec la croissance économique et les créations d’emploi dynamiques dans le secteur privé. Le taux d’activité augmente également, après deux années de baisse plus forte qu’attendu (cf. graphique 2).

IMG2_post24-05La hausse du chômage constatée en ce début d’année ne devrait pas interrompre la tendance à la baisse enclenchée mi-2015. Nous prévoyons ainsi une poursuite de la baisse du chômage au cours des deux prochaines années. Cette baisse serait tirée par la poursuite des créations d’emplois marchands du fait d’une croissance soutenue de l’activité économique (2,0% en 2018, 2,1% en 2019 après 2,2% en 2017). L’emploi total serait relativement dynamique en 2018 (+194 000) et en 2019 (+254 000), soit un rythme suffisant pour faire baisser le chômage. Ce dernier baisserait de 0,2 point fin 2018 par rapport au T4 2017, puis de 0,5 point fin 2019 par rapport au T4 2018. La forte baisse des contrats aidés dans le secteur non-marchand, le moindre enrichissement de la croissance en emplois (fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité, fin de la prime à l’embauche) et la croissance de la population active freineraient toutefois la baisse du chômage en 2018 après la forte baisse de 2017.




Zone euro : reprise généralisée

Par Christophe Blot

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2017-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

Depuis mi-2013, la zone euro a renoué avec la croissance après avoir traversé deux crises (la crise financière et la crise des dettes souveraines) qui ont entrainé deux récessions : en 2008-2009 et en 2011-2013. Selon Eurostat, la croissance accélère au troisième trimestre 2017 et atteint 2,6 % en glissement annuel (0,6 % en rythme trimestriel), soit son plus haut niveau depuis le premier trimestre 2011 (2,9 %). Au-delà de la performance de l’ensemble de la zone euro, la situation actuelle se caractérise par une généralisation de la reprise à l’ensemble des pays de la zone euro ce qui n’avait pas été le cas lors de la précédente phase de reprise en 2010-2011. Les craintes sur la soutenabilité de la dette des pays dits périphériques se traduisaient déjà par un fort recul du PIB en Grèce et l’entrée progressive en récession du Portugal, de l’Espagne puis un peu plus tard de l’Italie.

Aujourd’hui, si l’Allemagne reste le principal moteur de croissance européenne, c’est bien l’ensemble des pays qui contribue à l’accélération de reprise. Sur le troisième trimestre 2017, la contribution de l’Allemagne à la croissance de la zone euro s’élève à 0,8 point, en accélération par rapport aux deux trimestres précédents, témoignant de la vitalité de l’économie allemande (graphique). Pour autant, cette contribution était encore plus importante au premier trimestre 2011 (1,5 points pour une croissance de 2,9 % en glissement annuel). Le mouvement de rattrapage se poursuit en Espagne avec une croissance trimestrielle de 3,1 % en glissement annuel (0,8 % en rythme trimestriel) au troisième trimestre 2017, soit une contribution de 0,3 point à la croissance de la zone euro. Surtout, l’activité accélère dans les pays restés jusqu’ici un peu à l’écart de la reprise et notamment en France et en Italie qui ont contribué respectivement à hauteur de 0,5 et 0,3 point à la croissance de la zone euro sur le troisième trimestre[1]. Enfin, la reprise se confirme au Portugal et en Grèce. Le dynamisme retrouvé de la conjoncture européenne tient à plusieurs facteurs. La politique monétaire reste très expansionniste ; les achats de titres effectués par l’Eurosystème permet de maintenir l’ensemble des taux d’intérêt à un faible niveau. Les conditions de crédit sont favorables à l’investissement et l’accès au crédit des PME est de moins en moins contraint, en particulier dans les pays qui avaient été le plus touchés par la crise. Enfin, la politique budgétaire est globalement neutre voire légèrement expansionniste.

L’optimisme actuel ne doit cependant pas masquer les cicatrices laissées par la crise. Le taux de chômage de la zone euro est toujours supérieur à son niveau d’avant-crise : 9 % contre 7,3 % fin 2007. Il dépasse encore 10 % de la population active en Italie, 15 % en Espagne et 20 % en Grèce. Les conséquences sociales de la crise sont donc encore bien visibles. Ces conditions justifient encore un soutien à la croissance en particulier dans ces pays.

 

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[1] Voir France : croissance en héritage pour plus détails sur l’économie française.




2018 : baisse du chômage non garantie

par Bruno Ducoudré

Contre toute attente, le taux de chômage au sens du BIT pour le troisième trimestre 2017 a augmenté de 0,2 point. Dans notre dernier exercice de prévisions pour l’économie française, nous avions prévu une stabilité du taux de chômage, en soulignant toutefois les risques qui pèsent sur son évolution au deuxième semestre 2017 et pour l’année 2018. Dans ce billet, nous revenons sur notre prévision d’emploi et de chômage pour 2017-2019 et sur les risques d’observer un coup d’arrêt à la baisse du taux de chômage en 2018.

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L’emploi marchand ralentira en 2018…

Après trois années de destructions d’emplois salariés dans le secteur marchand            (-130 000 emplois entre fin 2011 et fin 2014), la reprise des créations d’emplois s’est amorcée en 2015 (+113 000 emplois) et celles-ci ont accéléré en 2016 (+229 000 emplois salariés marchands). Les créations d’emplois ont été soutenues par le rebond, certes faible, de la croissance à partir de 2014, et par les mesures de baisse de coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, Prime à l’embauche). Les créations nettes d’emplois étant supérieures à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-187 000 depuis fin 2014), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 9,4 % de la population active au troisième trimestre 2017, contre 10,1 % fin 2014 (tableau 1).

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À l’horizon 2019, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand seraient soutenues par la croissance de l’activité économique. Le rythme des créations d’emplois ralentirait toutefois par rapport à 2017, sous le coup de la fin de la Prime à l’embauche au deuxième semestre 2017 et de la fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité.

Concernant la politique de l’emploi, celle-ci ne soutiendrait plus, hors mesures fiscales, les créations d’emplois à partir du deuxième semestre 2017 (-46 000 contrats aidés dans le secteur non-marchand en 2017), en raison d’un nombre prévu de contrats aidés au deuxième semestre insuffisant pour maintenir le stock existant. Pour 2018, le gouvernement a annoncé 200 000 contrats aidés non-marchands (contre 310 000 attendus pour 2017), ainsi que l’arrêt des emplois d’avenir. Le stock de contrats aidés devrait donc continuer de baisser rapidement. Pour 2019 nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands (hors baisse des emplois d’avenir), qui pourrait toutefois s’avérer optimiste compte tenu de la volonté du gouvernement de réorienter la politique de l’emploi vers la formation des jeunes éloignés du marché du travail et des chômeurs de longue durée. L’emploi public hors emplois aidés diminuerait quant à lui de 24 000 postes, en cohérence avec l’annonce de la suppression de 120 000 emplois publics sur l’ensemble du quinquennat[1].

Au total, et compte tenu des créations d’emplois non-salariés et de la réduction attendue des effectifs dans le secteur non-marchand, 251 000 emplois seraient créés en 2017, 123 000 en 2018, puis 196 000 en 2019.

… et le chômage devrait baisser…

Après sept années de hausse du taux de chômage, 2015 a été l’année de l’inversion de la courbe du chômage, celui-ci entamant une baisse quasi-ininterrompue depuis lors. Le dynamisme des créations d’emplois salariés dans le secteur marchand (483 000 entre la fin d’année 2014 et le deuxième trimestre 2017) explique une part importante de cette baisse. La population active observée est aussi bien moins dynamique depuis 2015 (+110 000 actifs par an en moyenne) qu’entre 2008 et 2014 (+166 000 actifs par an en moyenne).

En prévision et sur la base des dernières projections de population active de l’Insee[2], la population active tendancielle croîtrait ainsi de 80 000 personnes en moyenne sur la période 2017-2019, contre 160 000 personnes en moyenne chaque année sur la période 2008-2016. Le dynamisme des créations d’emplois aurait également un effet positif sur la population active via un effet de flexion, des personnes inactives étant incitées à revenir sur le marché du travail du fait de l’amélioration des conditions sur ce dernier.

Par ailleurs, le Plan d’investissement des compétences (2 millions de formations supplémentaires annoncées pour 2018-2022 dans le cadre du Grand plan d’investissement) doit débuter en 2018 et monterait en charge progressivement, ce qui freinera légèrement la hausse de la population active, en transférant temporairement des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, sans toutefois modifier significativement la trajectoire prévue du taux de chômage.

En 2017-2019, l’emploi total resterait relativement dynamique (+251 000 en 2017, +123 000 en 2018 et +196 000 en 2019), soit un rythme suffisant pour faire baisser le chômage. Le taux de chômage en France métropolitaine devrait baisser de 0,2 point en 2018, et poursuivrait sa baisse en 2019 à un rythme plus rapide (-0,4 point, tableau 1). Cette baisse serait soutenue principalement par une croissance de l’activité plus dynamique en 2019 par rapport à 2018.

… si les contrats aidés ne pèsent pas trop sur l’emploi

La forte baisse des contrats aidés dans le secteur non-marchand, le moindre enrichissement de la croissance en emplois et la croissance de l’activité un peu moins dynamique en 2018 par rapport à 2017 freineraient la baisse du chômage en 2018 après la baisse significative de 2016 (-60 000 chômeurs prévus en 2018 en glissement annuel). La baisse attendue du chômage en 2018 pourrait toutefois ne pas se réaliser en cas d’effet plus fort de la baisse des contrats aidés sur l’emploi non-marchand et en cas de baisse de l’emploi non-salarié. Plus précisément, la croissance à elle seule ne garantit pas la baisse du chômage en 2018, la reprise étant molle par rapport aux reprises observées par le passé (croissance supérieure à 2%). Le gouvernement prend donc un risque avec la réduction des contrats aidés en raison des incertitudes qui entourent les prévisions d’emploi (effets d’aubaine, cycle de productivité, emplois non-salariés, …).

Le premier risque concerne l’effet des contrats aidés sur l’emploi non-marchand, qui pourrait être plus important compte tenu de la diminution conjointe du taux de prise en charge par l’État. À cela pourrait s’ajouter une baisse de l’emploi non-salarié. Afin d’illustrer l’incidence de ces incertitudes sur notre prévision de taux de chômage, nous avons utilisé la méthode de simulation de Monte-Carlo. Le choix des sources d’incertitudes porte sur le taux de croissance de l’emploi non-salarié, celui de l’emploi salarié marchand, mais aussi sur l’impact de la baisse des contrats aidés sur l’emploi non-marchand et sur l’incertitude relative au défaut de bouclage[3]. Le tableau ci-dessous résume les principales hypothèses concernant les densités de probabilités de chacun de ces facteurs d’entrée porteurs d’incertitudes qui seront propagées pour obtenir la densité de probabilité du taux de chômage à l’horizon de notre prévision. Cela nous permet d’associer à notre prévision un intervalle de confiance. Compte-tenu de l’impact de l’incertitude entourant le défaut de bouclage, nous donnons les intervalles de confiance avec et sans l’incertitude liée au défaut de bouclage.

En lien avec nos hypothèses de croissance, l’emploi salarié marchand augmenterait de façon quasi-certaine à l’horizon de notre prévision, tandis que l’emploi non-marchand diminuerait. Hors défaut de bouclage, le taux de chômage baisserait à l’horizon 2019. En revanche il resterait stable ou augmenterait au deuxième semestre 2017 (respectivement fin 2018) avec une probabilité de 40 % (3 %). La prise en compte du défaut de bouclage augmente considérablement l’incertitude sur l’évolution du taux de chômage, qui pourrait rester stable ou augmenter d’ici la fin d’année 2018 avec une probabilité de 30 %. Celui-ci baisserait toutefois fin 2019 avec une probabilité de 87 % en prenant en compte le défaut de bouclage. Pour conclure, la baisse du taux de chômage attendue pour l’année 2018 est entourée d’une incertitude telle qu’il ne faut pas exclure l’arrêt de la baisse du taux de chômage en 2018.

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[1] La baisse des emplois aidés dans le secteur non marchand en 2019 s’explique par la fin des emplois d’avenir. Les emplois non aidés non marchands diminuent de 6 000, intégrant la baisse de 24 000 postes de fonctionnaires, compensée pour partie par une hausse des autres emplois non aidés (une partie des contrats aidés étant remplacée par des contrats non aidés).

[2] Cf. Koubi M., & Marrakchi A., 2017, « Projections de la population active à l’horizon 2070 », Insee, Document de travail, n° F1702.

[3] Le défaut de bouclage provient de l’utilisation de sources différentes pour décomposer la population active entre emploi (source comptabilité nationale) et chômage (source enquête emploi). Ce défaut de bouclage est nul en moyenne sur la période 2002-2016.




Une (ré) assurance chômage européenne

par Léo Aparisi de Lannoy et Xavier Ragot

Le retour de la croissance ne peut faire oublier la mauvaise gestion de la crise au niveau européen sous son aspect économique, mais aussi social et politique. Les divergences des taux de chômage, des balances courantes et des dettes publiques entre les pays de la zone euro sont inédites depuis des décennies. Les évolutions de la gouvernance européenne doivent viser la plus grande efficacité économique pour la réduction du chômage et des inégalités tout en explicitant et en justifiant leurs enjeux financiers et politiques afin de les rendre compatibles avec des choix politiques nationaux. La constitution d’une assurance chômage européenne remplit ces critères.

L’idée d’un mécanisme européen d’indemnisation des chômeurs est une vielle idée dont les premières traces remontent au moins à 1975. Cette idée est aujourd’hui très débattue en Europe avec des propositions émanant d’économistes ou d’administrations italiennes, françaises, des études menées par des instituts allemands, dont le dernier Policy Brief de l’OFCE propose une synthèse. Cette possibilité est même évoquée dans des communications de la Commission européenne. Cette note présente les débats européens, ainsi que le système en place aux États-Unis.

Le mécanisme de réassurance chômage européen présenté dans cette note vise à financer les indemnités chômage des pays en cas de récession sévère et s’inspire pour cela de l’expérience des États-Unis. Ce mécanisme constitue un second niveau européen en plus de niveaux nationaux d’assurance chômage différents. Il permet de soutenir les chômeurs dans les pays touchés par une récession importante, ce qui contribue à soutenir la demande agrégée et l’activité tout en réduisant les inégalités dans les pays bénéficiaires, et est compatible avec une réduction des dettes publiques. Ce mécanisme n’engendre ni transferts permanents vers les pays qui ne se réformeraient pas, ni de distorsions de concurrence, ni le transfert de pouvoirs politiques relevant aujourd’hui de la subsidiarité. Il est en effet, comme c’est le cas aux États-Unis, compatible avec une hétérogénéité de systèmes nationaux.

Pour donner des ordres de grandeur, un système de réassurance, équilibré sur le cycle économique européen et sans transferts permanents entre les pays, aurait augmenté la croissance de 1,6% du PIB en Espagne au cœur de la crise, et l’Allemagne aurait reçu une aide européenne de 1996 à 1998 et de 2003 à 2005. La France aurait connu une augmentation du PIB de 0,8% en 2013 grâce à un tel système, comme le montrent des simulations présentées par des équipes européennes.

Pour accéder à l’étude complète, consulter ici le Policy Brief de l’OFCE, n°28 du 30 novembre 2017.




Assurance chômage des démissionnaires : un pari pascalien

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE

Le projet d’indemnisation des salariés démissionnaires par l’assurance chômage vise à favoriser la mobilité pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, stimuler l’emploi et la croissance. Cette réforme fait le pari que l’indemnisation des démissionnaires peut lever des contraintes d’offre qui pèsent sur l’emploi. Si elle n’y parvient pas, qu’elle n’attire pas de candidats, son coût sera nul. Si elle y parvient, ce projet serait rentable pour l’Unedic.

Aujourd’hui déjà, beaucoup de salariés démissionnaires sont indemnisés par l’Unedic. Ceux qui ont démissionné pour un motif jugé « légitime » par l’Unedic, mais aussi ceux qui ayant démissionné pour réaliser un projet qui n’a pas abouti se sont alors inscrits à Pôle Emploi, ont recherché un emploi sans succès et sont de ce fait chômeurs involontaires.

Ce projet d’extension des motifs légitimes d’indemnisation des salariés démissionnaires se situe donc aux marges de l’assurance chômage. Toutefois, notre travail montre que les craintes et les chiffrages alarmistes de la sélection adverse que susciteraient ces nouvelles règles sont extravagants, d’abord parce que les emplois libérés par les démissions seraient pour l’essentiel remplacés, mais aussi parce que l’Unedic et Pôle Emploi ont le savoir-faire nécessaire pour contrôler le comportement de ce type de chômeurs.

Même s’il est en terrain connu, il n’en reste pas moins que l’assureur devra encadrer ce dispositif avec soin, comme il le fait toujours pour contrôler les risques de sélection adverse et d’aléa moral, mais également afin de ne pas sortir de son rôle, qui est de fournir une assurance-revenu et non de financer des investissements ou de financer des reconversions professionnelles.

Les chômeurs éligibles devront avoir un projet de création d’entreprise ou de formation, et les moyens de le financer, l’assurance étant seulement là pour subvenir aux besoins de consommation de leur vie courante. Le salarié étant le seul décideur de sa démission, l’assureur devra réduire les asymétries d’information (inscription anticipée à Pôle Emploi, documentation du projet et des démarches, etc.) pour contrôler l’aléa moral, et aussi partager une partie des coûts avec le bénéficiaire (délai de carence, etc.) afin de limiter les risques de sélection adverse sans restreindre l’accès au dispositif.

Une modalité pratique raisonnable consisterait à créer un motif d’éligibilité aux allocations chômage plus précis, qui s’apparenterait à une « démission pour reconversion professionnelle ». Les nouveaux droits s’inséreraient ainsi dans le droit commun (éligibilité, taux de remplacement, durée des droits, etc.) sans nécessiter la création d’une « annexe » dédiée ou de droits au rabais.

Le principal défi pour cette réforme est d’atteindre les objectifs ambitieux qu’elle se fixe en matière d’emploi. Si les salariés prêts à rompre leur CDI pour initier un projet sont rares, ou échouent, peu d’emplois seront créés, si bien que les entrées dans ce dispositif d’indemnisation des démissionnaires s’assècheraient rapidement. Si un dispositif maîtrisé favorise la mobilité du travail, les démissions susciteraient au moins partiellement des embauches dans l’entreprise de départ, et au moins certains projets de création d’entreprise et de reconversion professionnelle réussiraient.

Dans ces conditions, on peut – sous des hypothèses raisonnables – estimer que le dispositif attirerait environ 35 000 bénéficiaires par an, pour un coût de l’ordre de 250 millions d’euros la première année, et un gain net total de 590 millions d’euros pour l’assurance chômage sur les cinq premières années. La première année se solde par un déficit supplémentaire de 255 Mo€, car même si une majorité des emplois libérés sont pourvus, ils le seraient pour moitié seulement par des chômeurs indemnisés, tandis que tous les démissionnaires deviennent chômeurs indemnisés ; les années suivantes, les projets débouchent sur des emplois supplémentaires, si bien que le chômage indemnisé diminue, tandis que les cotisations augmentent. Le coût de l’accompagnement n’influerait qu’à la marge sur cet équilibre.

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Le coût potentiel de la réforme n’est clairement pas un obstacle à sa mise en œuvre. Si le dispositif n’attire pas, il ne coûtera rien. Si en revanche la majorité des projets des salariés démissionnaires débouchent sur un emploi durable, des bénéfices sont garantis à brève échéance, si bien que l’extension de l’assurance chômage aux démissionnaires peut être financée à ressources constantes, sans amputer le droit commun. Pour convaincre les sceptiques, l’Etat pourrait même, sans grand risque, amorcer le dispositif en avançant à l’assureur le montant des dépenses engagées la première année.

 

Pour en savoir plus : Bruno Coquet, « L’assurance chômage pour les démissionnaires. Un pari sur l’emploi, une bonne affaire pour l’Unedic ? », OFCE Policy brief, n° 27, 28 novembre.




Une reprise à durée déterminée

par Bruno Ducoudré et Xavier Timbeau

La ministre du Travail, Madame Muriel Pénicaud, a décidé de ne plus commenter mensuellement le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois mais de consacrer un point presse chaque trimestre à un tour d’horizon plus général de la situation du marché du travail et, espérons, un bilan des mesures engagées par le gouvernement pour améliorer le marché du travail. Curieusement, en effet, chaque mois les différents ministres du Travail avaient pris l’habitude de commenter, par un communiqué de presse, l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois, alors que d’autres statistiques, comme les créations d’emplois ou encore la publication par l’INSEE du taux chômage au sens du BIT à partir de l’enquête Emploi, ne faisait pas l’objet d’une attention égale du ministre et rencontrait dans l’espace médiatique une couverture moindre. En faisant du chômage un objectif central de la politique économique – François Hollande l’avait érigé en condition de sa candidature à sa réélection – les différents gouvernements ont encore accentué la centralité de toute information sur le chômage. La coexistence de deux sources – les demandes d’emploi en fin de mois collectées par Pôle Emploi et le taux de chômage au sens du BIT établi à partir de l’enquête Emploi – a ajouté à la confusion. Or la méthodologie « au sens du BIT » vise à résoudre les faiblesses de la source « administrative », les demandeurs d’emploi en fin de mois. Cette dernière échantillonne mal (puisque sont comptabilisés les chômeurs qui se déclarent comme chômeurs) et est très sensible aux « comportements » de l’administration (accueil des chômeurs, radiations, etc.). Vouloir élargir l’analyse du marché du travail au-delà des informations apportées par le chiffre mensuel de Pôle Emploi est louable. Nous faisons ici, à cette occasion, un rapide panorama de la situation du marché du travail, jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2017, c’est-à-dire avant l’élection d’Emmanuel Macron, pour comprendre dans quel contexte et avec quelles perspectives les politiques de l’emploi du gouvernement Philippe s’inscrivent.

Le premier point est que depuis presque deux années, en matière de chômage, les indicateurs indiquent une amélioration franche de la situation économique de l’emploi et du marché du travail. Ainsi, le taux de croissance de l’économie française, à 0,5% lors des trois derniers trimestres, a atteint un rythme qui induit une fermeture de l’écart de production (la différence entre la production potentielle et la production observée) et une décrue nette du taux de chômage. Le rebond de l’activité, couplé aux dispositifs de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), s’est traduit par un enrichissement de la croissance en emplois : les créations d’emplois salariés ont accéléré pour atteindre 149 400 dans le secteur privé au premier semestre de l’année 2017 et près de 300 000 depuis un an.

Le second point est la baisse du taux de chômage, de 0,5 point en un an et de 1 point depuis son point haut atteint au deuxième trimestre 2015. L’inversion de la courbe du chômage a donc débuté il y a deux ans maintenant. Si la baisse ne s’observe pas aussi franchement du côté des inscrits à Pôle emploi, cette amélioration notable sur le front du chômage s’est accompagnée d’une progression des taux d’activité et d’emploi pour toutes les classes d’âge (cf. graphique 1). Certes le taux d’activité des seniors a le plus progressé (+1,9 point depuis le T2 2015) du fait de la montée en charge des réformes successives visant à retarder l’âge de départ à la retraite, mais celui des 15-49 ans a progressé également de 0,2 point depuis le point haut atteint du taux de chômage en 2015. La baisse du chômage s’est donc faite par une progression de l’emploi et non par des sorties massives du marché du travail, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis.

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Ces chiffres positifs ne doivent toutefois pas masquer une situation toujours dégradée. Le taux de chômage reste à un niveau élevé, de 2,3 points supérieur à son point bas atteint au premier trimestre 2008. Au rythme de baisse du chômage au cours des derniers trimestres, il faudra trois à cinq années pour revenir à la situation d’avant la crise de 2008. De plus, l’amélioration de l’emploi ne garantit pas l’amélioration des conditions d’emploi ou de la qualité des emplois. Ainsi, le taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) a baissé de plus d’un point depuis 2008 alors que l’emploi en contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, a priori plus précaire, a progressé de 0,8 point sur la même période (graphique 2). Depuis 2015, le taux d’emploi en CDI est stable et l’amélioration du taux d’emploi général s’est faite uniquement par les CDD ou l’intérim. La part de l’emploi à temps partiel pour l’ensemble de la population s’est stabilisée depuis 2015, elle a fortement progressé chez les jeunes (+1,4 point) et les seniors (+0,4 point).

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Alors que la croissance est encore très modeste, de fortes créations d’emplois peuvent indiquer (aux révisions près de la croissance du PIB dans les trimestres à venir) un ralentissement de la productivité. Ce ralentissement pourrait être un symptôme supplémentaire de la précarisation du marché du travail, de la déformation structurelle et des mesures d’enrichissement de la croissance en emplois (notamment les baisses de charges sur les non-qualifiés dans le cadre du Pacte de responsabilité). La productivité apparente dans le secteur marchand non-agricole a ainsi progressé de 0,1% au deuxième trimestre 2017 en glissement annuel, quand notre estimation du taux de croissance tendanciel de la productivité situe celui-ci à 0,8%. Les évolutions de salaires semblent déterminées par la volatilité des prix à la consommation, dont l’origine est liée aux prix du pétrole. Elles sont en apparence plus dynamiques que la productivité, mais la prise en compte du CICE dans le coût du travail (anticipant sa transformation en baisse de cotisations attendue pour janvier 2019) tempère largement le diagnostic et permet de retrouver le rétablissement des marges ou des profits pour les entreprises non financières.

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Le mouvement conjoncturel amorcé depuis quelques trimestres est enclenché de façon robuste. Il a été stimulé par la fin de la crise des dettes souveraines en zone euro, une politique monétaire expansive, une baisse du prix du pétrole et un euro plutôt déprécié par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux. La pause dans la consolidation budgétaire, tout comme le redressement des marges des entreprises, expliquent également l’amorce de la fermeture de l’écart de croissance. Certains de ces facteurs positifs devraient s’estomper dans les trimestres qui viennent. La remontée de l’euro, la reprise de la consolidation budgétaire, voire la normalisation de la politique monétaire, pourraient ralentir la reprise. À cela peuvent s’ajouter les effets de court terme de la réforme du marché du travail ou la réduction du nombre des emplois aidés. À plus long terme, la précarisation sensible du marché du travail français pourrait également s’accentuer.

Le gouvernement a ainsi annoncé 310 000 contrats aidés signés en 2017 après 459 000 en 2016, ce qui se traduira mécaniquement par une baisse du nombre de personnes en emploi aidé, notamment dans le secteur non marchand : les contrats les plus fréquents, les CUI-CAE (Contrat unique d’insertion-Contrat d’accompagnement dans l’emploi) avaient une durée moyenne à la signature de 11,6 mois en 2015, ce qui signifie qu’une grande partie des contrats signés au deuxième semestre 2016 arrivent à échéance au deuxième semestre 2017. Le baisse du nombre de contrats aidés ne permettra pas de les renouveler, ce qui pourrait se traduire par une baisse de 50 000 du stock d’emplois aidés non marchands entre fin juin et fin décembre 2017. L’effet d’aubaine étant plus faible pour ces contrats que pour les contrats aidés dans le secteur marchand, la mesure se traduirait par 0,1 point de chômage supplémentaire fin 2017 par rapport à un scénario où les emplois aidés auraient été maintenus à un niveau constant.




Début de quinquennat : emploi dynamique, chômage élevé

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2017, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-37 700 personnes en France). Cette baisse fait suite à une forte hausse au mois de mars, après deux mois de relative stabilité. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle d’avril indique une hausse des demandeurs d’emploi de 30 900 personnes.

Cette publication combinée aux derniers chiffres publiés récemment par l’Insee (taux de chômage au sens du BIT, créations d’emplois marchands, enquêtes de conjoncture) pose la question de l’état du marché du travail. La situation de l’économie française peut apparaître meilleure aujourd’hui qu’au début du quinquennat de F. Hollande : le déficit public est plus faible, les marges des entreprises se sont redressées, … En revanche, le diagnostic du marché du travail apparaît moins tranché : le chômage reste élevé mais sa tendance est à la baisse et les créations d’emplois sont relativement dynamiques. Afin d’apprécier la situation actuelle sur le marché du travail, par rapport à celle qui prévalait au début du quinquennat précédent, nous comparons plusieurs indicateurs d’emploi et de chômage issus de sources différentes (nombres d’inscrits à Pôle emploi, enquête Emploi pour le chômage au sens du BIT, enquêtes de conjoncture).

Chômage : une situation moins bonne aujourd’hui qu’il y a cinq ans…

En mai 2012, la France comptait 3,159 millions de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à Pôle emploi (5,3 millions toutes catégories confondues). Sur l’ensemble du quinquennat de F. Hollande, le nombre de DEFM a fortement augmenté : les inscriptions toutes catégories confondues ont progressé de 1,329 million, dont 567 900 pour la seule catégorie A, soit un rythme d’augmentation annuel moyen de respectivement 265 900 personnes toutes catégories confondues et 113 600 personnes en catégorie A. De ce point de vue, la situation s’est dégradée, même si une partie de cette dégradation s’explique par la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (augmentation de l’âge minimum de liquidation des droits à la retraite) et la suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi.

Les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi. Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE ne sont pas affectés par des problèmes de cette nature et constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage[1]. Ils indiquent que le taux de chômage est revenu à son niveau observé au deuxième trimestre 2012 (cf. graphique 1).

Mais cet indicateur de chômage reste restrictif. En effet, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. En intégrant ces personnes dans un indicateur élargi du chômage, on constate une légère amélioration sur cinq ans (baisse de 0,3 point, cf. graphique 1).

Il ne prend pas non plus en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. En intégrant ces personnes dans un indicateur encore plus élargi du chômage, la situation reste moins bonne qu’il y a cinq ans, ce qui est cohérent avec les chiffres de Pôle emploi.

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…mais des indicateurs d’emploi mieux orientés

Depuis avril 2017, l’INSEE a complété sa batterie d’indicateurs conjoncturels issus des enquêtes de conjoncture (climats des affaires, indicateurs de retournement) par un indicateur de climat de l’emploi en France. Cette information de nature qualitative, synthétisant par une série unique l’information contenue dans les soldes d’opinions sectoriels sur l’évolution passée et prévue de l’emploi, apparaît très corrélée avec les évolutions annuelles de l’emploi marchand (graphique 2).

 

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Mis en parallèle avec les données quantitatives sur les effectifs disponibles par ailleurs, l’indicateur s’insère quasi-parfaitement dans les cycles de l’emploi, la reprise de 2003 interrompue par la Grande Crise qui a débuté en 2008, le rebond post-récession de 2008/09, puis ensuite le tassement lié à la mise en place des politiques d’austérité et enfin le redémarrage du marché du travail à la mi-2015.

Le début du quinquennat de F. Hollande s’inscrivait dans une dynamique négative de destruction d’emplois et de dégradation du climat de l’emploi, dégradation qui avait démarré début 2011 avec la crise de la zone euro. Le point bas a été atteint début 2013, mais l’économie française ne s’est remise à créer des emplois salariés dans le secteur marchand non agricole qu’à partir de la mi-2015. L’accélération a été notable par la suite.

Au vu du comportement de l’indicateur entre mars et mai 2017, rien ne laisse présager d’un changement de régime des créations d’emploi : ces dernières devraient se maintenir à un rythme voisin de celui enregistré au tournant de 2016 et de 2017, soit environ 200 000 par rapport à la même période de l’année précédente. Pour conclure, si les différents indicateurs de chômage font état d’une situation encore dégradée sur le marché du travail par rapport au deuxième trimestre 2012, la dynamique de l’emploi, quant à elle, est bien plus positive qu’à l’époque.

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

– être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;

– être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;

– avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.




Au-delà du taux de chômage. Comparaison internationale depuis la crise

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

En France, selon les chiffres de l’INSEE publié le 12 mai 2017, l’emploi marchand non agricole a augmenté (+0,3%) au premier trimestre 2017 pour le huitième trimestre consécutif. Sur une année, l’emploi marchant a cru de 198 300 postes. Malgré l’amélioration observée depuis 2015 sur le front de l’emploi, les effets de la crise se font encore ressentir.

Depuis 2008, les évolutions de l’emploi au sein des pays de l’OCDE ont été très différentes. Les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont retrouvé des taux de chômage proches de ceux observés avant le début de la crise, tandis que les taux de chômage français, italien et plus encore espagnol sont encore au-dessus des niveaux d’avant-crise. L’évolution du chômage résulte de l’écart entre l’évolution de la population active et l’évolution de l’emploi. Une amélioration sur le front du chômage peut dès lors masquer des évolutions moins favorables sur le marché du travail, en termes de comportements d’activité (évolution du taux d’activité et du « halo du chômage »), ou de progression de l’emploi précaire (temps partiel subi, …). Dans ce billet, nous revenons sur la contribution de l’évolution des taux d’activité et des durées du travail à l’évolution des taux de chômage, et sur une mesure élargie du taux de chômage qui englobe le « halo du chômage » et le temps partiel subi.

Des taux d’emploi marqués par la crise et les réformes

Excepté aux Etats-Unis, les taux d’emploi ont beaucoup évolué depuis 2008. En France, en Italie et en Espagne, le taux d’emploi des 15-24 ans et, plus largement, des moins de 55 ans a fortement reculé (graphique 1). Entre le premier trimestre 2008 et le dernier trimestre 2016, le taux d’emploi des 18-24 ans a baissé de 19 points en Espagne, de plus de 8 points en Italie, et de près de 4 points en France quand, dans le même temps, les taux de chômage de ces pays augmentaient respectivement de 9, 5 et 3 points. La faiblesse de l’activité économique dans ces pays, accompagnée par des destructions ou de faibles créations d’emplois, a fortement impacté les jeunes arrivant sur le marché du travail. A contrario, sur cette même période, le taux d’emploi des individus âgés de 55 à 64 ans croissait dans l’ensemble des pays mentionnés. En France, du fait notamment des réformes des retraites successives et de la suppression de la dispense de recherche d’emploi, le taux d’emploi des seniors a augmenté de 12,3 points en l’espace de 9 années pour atteindre 50 % au quatrième trimestre 2016. En Italie, malgré la dégradation du marché du travail, le taux d’emploi des 55-64 ans a cru de près de 18 points.

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Un fort effet du taux d’activité sur le chômage, compensé par une baisse de la durée du travail

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, de réduction des heures supplémentaires ou de recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain (tableau 1) s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité des personnes âgées de 15 à 64 ans (tableau 2). Ce dernier s’établissait au dernier trimestre 2016 à 73,1 %, soit 2,4 points de moins que début 2007.

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En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse de 1 point du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait entre autres des réformes des retraites menées. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,7 point en France, de 2,8 points en Italie et de 1,8 point au Royaume-Uni (tableau 3). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 2,3 points à celui observé en 2016. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-5,1 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,8 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 1,3 % (graphique 2).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,4 points en Allemagne, de 3,1 points en Italie et d’1,5 point en France. En Espagne et au Royaume-Uni, le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays. Enfin, sans ajustement de la durée du travail, le taux de chômage aux Etats-Unis serait 1 point inférieur.

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Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,5 % par an. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire (-0,6% par an) sur la période. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 5 % en Allemagne, de 6% en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne.

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Au-delà du « taux de chômage »

En plus d’occulter les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail, la définition stricte du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) ne prend pas en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage.

Les bases de données de l’OCDE permettent d’intégrer dans le chômage les individus qui en sont exclus du fait de la définition du BIT. Le graphique 3 présente pour les années 2008, 2011 et 2016 le taux de chômage observé auquel viennent s’additionner d’une part les individus, actifs occupés, déclarant vouloir travailler davantage et d’autre part les individus, inactifs, mais souhaitant travailler et étant disponibles pour le faire. En Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats Unis, les évolutions de ces différentes mesures semblent aller dans le même sens, celui d’une amélioration franche de la situation sur le marché du travail. A contrario, la France et l’Italie ont connu entre 2008 et 2011, mais surtout entre 2011 et 2016, une hausse de leur taux de chômage tant au sens strict, celui du BIT, qu’au sens large. En Italie, le taux de chômage au sens du BIT a augmenté entre 2011 et 2016 de 3,4 points. Dans le même temps, le sous-emploi a augmenté de 3,2 points et la proportion d’individus entretenant un « lien marginal » vis-à-vis de l’emploi de 1 point. Au final, en Italie, le taux de chômage intégrant une partie des demandeurs d’emploi exclus de la définition du BIT atteignait, en 2016, 26,5%, soit plus du double du taux de chômage BIT. En France, du fait d’un niveau de chômage plus faible, ces différences sont moins importantes. Malgré tout, entre 2011 et 2016, le sous-emploi a augmenté de 2,4 points quand le chômage au sens strict ne croissait « que » de 1 point. En Espagne, si l’amélioration en termes de chômage BIT est notable sur la période (-3 points entre 2011 et 2016), le sous-emploi a lui continué à croître fortement (+1,5 point). En 2016, le taux de chômage BIT était en Espagne de 7 points supérieur à son niveau de 2008. En intégrant les demandeurs d’emplois exclus de la mesure du BIT, cet écart atteint 11,0 points.

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Chômage : fin de quinquennat chahutée

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de mars 2017, publiés par Pôle Emploi, font apparaître une hausse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (+43 700 personnes en France métropolitaine) qui fait suite à deux mois de relative stabilité. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A[1] ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle de mars indique une baisse de 11 400 personnes.

Cette publication, la dernière avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, permet de dresser un bilan quasi-exhaustif du quinquennat de François Hollande quant à l’évolution des demandeurs d’emploi depuis mai 2012.

Sur l’ensemble du quinquennat, le nombre de DEFM a fortement augmenté : les inscriptions toutes catégories confondues ont progressé de 1,31 million, dont 606 000 pour la seule catégorie A, soit un rythme d’augmentation annuel moyen de respectivement 270 000 personnes toutes catégories confondues et 125 000 personnes en catégorie A (cf. Tableau).

Le quinquennat a toutefois été marqué par deux sous-périodes. La première, allant de mai 2012 à octobre 2015, se caractérise par une hausse forte et continue des inscrits en catégorie A (+682 000 personnes). L’absence de croissance jusqu’à la fin 2014 a conduit à des destructions d’emplois salariés qui, couplées à l’augmentation de la population active, ont conduit à un accroissement net du chômage, et ce malgré des créations d’emplois dans le secteur non marchand. Durant cette période, la montée en charge des emplois d’avenir a toutefois permis de contenir la montée du chômage des jeunes (le nombre de DEFM de moins de 25 ans s’accroît de 5,5% contre 22,5% toutes classes d’âge confondues).

La deuxième période, débutée en octobre 2015, marque le début du fléchissement du chômage, avec une baisse de 76 000 DEFM inscrits en catégorie A. L’accélération de la croissance à partir de 2015 (1,2% de croissance du PIB en 2015, 1,1% en 2016), combinée à la montée en puissance des politiques d’enrichissement de la croissance en emplois (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), a permis au secteur marchand de renouer avec les créations d’emplois (+134 000 emplois salariés et non-salariés en 2015, puis +190 000 emplois en 2016), contribuant à la baisse, bien que timide, du nombre d’inscrits en catégorie A.

Au sein des inscrits en catégorie A, les hommes ont plus bénéficié que les femmes de la baisse du chômage à partir de la fin 2015, mais ils avaient aussi été plus durement touchés auparavant. De même, les évolutions diffèrent selon les catégories d’âge considérées. Alors que les moins de 50 ans ont profité de l’amélioration du marché du travail, les seniors connaissent toujours une situation très dégradée. La progression pour cette catégorie a malgré tout très fortement ralenti par rapport à la période allant de mai 2012 à octobre 2015. Par ailleurs, une partie de la hausse des DEFM de 50 ans et plus s’explique par la suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi (DRE)[2] à partir de 2009 mais dont les effets se sont fait sentir jusque récemment.

En intégrant aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), le nombre d’inscrits continue d’augmenter après octobre 2015 (+62 000 personnes) mais à un rythme annuel moyen sensiblement plus lent. La reprise du marché du travail s’est d’abord traduite par une reprise de l’emploi précaire (intérim, CDD, temps partiel subi, …). Ainsi, le nombre d’inscrits en catégorie C a fortement progressé depuis octobre 2015 (+136 000 personnes). Cette précarité rend floue la frontière entre emploi et chômage et retarde de fait la sortie définitive des inscrits des listes de Pôle emploi.

L’inversion de la courbe du chômage, à partir d’octobre 2015, pour les DEFM en catégorie A, B, C a concerné ceux inscrits depuis plus d’un an et moins de trois ans. Ceux-ci ont pu bénéficier de la montée en charge du plan « 500 000 formations », qui s’est traduit par une forte progression du nombre d’inscrits en catégorie D (+65 400 personnes en 2016 ; +32 000 personnes depuis octobre 2015). En revanche les DEFM en catégories A, B, C inscrits depuis moins d’un an ont poursuivi leur hausse, et ce malgré la baisse des catégories A, du fait de l’augmentation de l’activité réduite. Enfin, la relative amélioration de la situation économique ne bénéficie pas encore aux DEFM inscrits depuis plus de trois ans.

Au final, l’amélioration constatée depuis la fin 2015 n’a pas permis pour le moment d’effacer la dégradation enregistrée lors des trois premières années du quinquennat du Président Hollande.

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[1] – catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi ;

– catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite courte (de 78 heures ou moins dans le mois) ;

– catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite longue (de plus de 78 heures au cours du mois) ;

– catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi ;

– catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés, créateurs d’entreprise).

[2] Jusqu’en 2008, les plus de 50 ans pouvaient en effet être dispensés de recherche d’emploi. Cette dispense leur évitait d’avoir à actualiser mensuellement leur inscription à l’ANPE (puis à Pôle emploi) lorsqu’ils étaient, en pratique, en attente de leur départ en retraite. La possibilité d’être dispensé de recherche d’emploi a toutefois été supprimée au motif de ce qu’elle pouvait être incitative à la sortie prématurée de l’activité.