Chine : la course en tête…

par Catherine Mathieu

Le
23 janvier 2020, le gouvernement chinois décidait de confiner la ville de Wuhan
(11 millions d’habitants), où était apparu le premier foyer du coronavirus. Afin
d’endiguer la progression de l’épidémie, des mesures de restriction drastique
des déplacements étaient mises en place dans la foulée, d’abord dans la
province de Hubei puis au-delà (confinement des villes de la province de Hubei,
interdiction des déplacements interurbains, prolongation de la fermeture des
usines à la fin des vacances du nouvel an chinois, fermeture des frontières
extérieures puis quarantaine stricte pour les Chinois rentrant de l’étranger).



Un
an plus tard, la Chine présente un bilan singulier par rapport au reste du
monde sur le plan sanitaire comme sur le plan économique. Les mesures
sanitaires prises en Chine semblent avoir permis de stopper la progression du
virus sur le sol chinois. En un an, le coronavirus n’aurait causé qu’à peine
plus de 4 800 décès en Chine (soit 35 décès pour 1 million d’habitants) contre
plus de 2 millions dans le monde (340 décès pour 1 million d’habitants, pour la
population mondiale hors Chine, selon les statistiques officielles répertoriées
par l’Université John Hopkins). Si les chiffres des victimes de la COVID-19 publiés
par la Chine sont étonnamment bas, les indicateurs économiques suggèrent
eux-aussi que la Chine a été moins fortement atteinte que la plupart des autres
économies.

Première
touchée par la pandémie, l’économie chinoise est la première à en être sortie
dès le deuxième trimestre[1]. La
Chine sera non seulement la seule grande économie mondiale à afficher une
croissance positive en 2020, +2,3 % en moyenne annuelle, selon l’estimation
publiée par l’Institut de statistique chinois (National Bureau of Statistics of China, NBS) le 18 janvier 2021,
mais aussi la seule à avoir déjà rattrapé au quatrième trimestre 2020 le niveau
d’activité qu’elle aurait eu en l’absence du coronavirus, par rapport à nos
prévisions d’octobre 2019 (comme à celles du FMI de janvier 2020). Le rebond de
l’économie chinoise est même un plus rapide que ce que nous, comme la plupart
des analystes, prévoyions à l’automne dernier. Les indicateurs conjoncturels
publiés au cours des derniers jours, montrent tous un redémarrage rapide de l’économie
chinoise en 2020.  

Malgré
la crise sanitaire, la Chine a poursuivi une politique commerciale active dans
les cinq continents qui devrait lui permettre de compenser les mesures prises
par le gouvernement américain. La Chine continue de faire la course en tête.

2020 : après une forte chute du
PIB, un rattrapage rapide

La
Chine est le premier des grands pays à avoir publié une estimation du PIB au
quatrième trimestre 2020[2]. Parmi
les scénarios que nous avions envisagés depuis l’arrivée du coronavirus, c’est celui
d’un rattrapage rapide qui s’est réalisé.  Après avoir chuté de 9,7 % au premier
trimestre 2020, le PIB a rebondi de 11,6 % au deuxième trimestre, puis de 3 % au
troisième trimestre et de 2,6 % au quatrième, portant la croissance à 2,3
% en moyenne sur un an (contre 6 % en 2019). Le PIB chinois a ainsi rattrapé
dès le quatrième trimestre 2020 le niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise
COVID-19 (graphique 1) si la croissance s’était poursuivie en 2020 au rythme de
6 % que nous anticipions dans notre prévision d’octobre 2019.  

La
publication du PIB au quatrième trimestre 2020 comprend des révisions pour les
trimestres précédents, qui relèvent légèrement le niveau du PIB du troisième
trimestre, rapport à l’estimation dont nous disposions lors de notre prévision
d’automne 2020[3].
Mais la dynamique de reprise a été plus soutenue au second semestre que ce que
nous anticipions, avec une croissance annuelle prévue à 1,6 % en 2020, au lieu
de 2,3% publiés par le NBS. Le NBS ne publiant pas les composantes
trimestrielles de la demande associées au chiffre du PIB, on ne peut
précisément savoir quelles composantes ont tiré la demande.  Mais au vu des indicateurs mensuels
disponibles (cf. infra), ce sont sans doute les exportations qui auront été
particulièrement dynamiques au quatrième trimestre, et que nous aurions
sous-estimées, tandis que les importations auraient relativement peu progressé,
au regard des autres composantes de la demande intérieure.

Au quatrième trimestre 2020, dans la plupart des secteurs, la valeur ajoutée était en hausse d’environ 6,5 % en glissement sur un an, comme le PIB lui-même, avec trois exceptions majeures (graphique 2). La valeur ajoutée a fortement progressé dans le secteur des services d’information et de télécommunications (près de 20 % de hausse sur un an) ; à l’opposé, celle du secteur hébergement-restauration était en hausse de 2,7 % seulement sur un an (-13 % en moyenne annuelle), secteur particulièrement frappé par les mesures de confinement en début d’année, mais qui ne représente que 1,8 % de la valeur ajoutée ; enfin la valeur ajoutée était en hausse de 2,2 % sur un an dans le secteur de location, leasing et services aux entreprises (-5,3 % en moyenne annuelle).

Indicateurs mensuels d’activité :
reprise généralisée

Après
avoir chuté de 25 % sur les deux premiers mois de 2020, la production
industrielle avait retrouvé son niveau de décembre 2019 dès le mois de mai et
était 7 % plus élevée en décembre 2020 qu’un an plus tôt (graphique 2).
Quelques secteurs se distinguaient par une hausse nettement plus élevée : production
de médicaments (+16%), production de biens d’équipement (entre 10 et 15 %).

L’investissement
des entreprises avait chuté de plus de 26 % sur les deux premiers mois de
l’année, surtout du fait d’effets d’offre (fermeture des entreprises produisant
des biens d’équipement). L’investissement a redémarré plus
tardivement que la production industrielle, du fait des incertitudes sur la
demande, mais il était, en décembre 2020, 3 %
au-dessus de son niveau de décembre 2019. Sur l’ensemble de l’année, c’est,
comme pour la production, dans le secteur des médicaments que l’investissement
a connu la plus forte hausse (+28 % sur un an). À l’opposé, l’investissement a
baissé de 12 % dans le secteur automobile.

Les
ventes de détail des biens de consommation avaient moins
nettement chuté que la production industrielle et l’investissement au début de
2020 (-11 % sur un mois en janvier), amortissant la chute de la demande. Elles
se sont redressées chaque mois ensuite dépassant de 3 % en décembre 2020 leur
niveau de décembre 2019. Le taux de chômage officiel
(qui sous-estime le niveau du chômage) était de 5,2% en décembre 2019 ; il est
monté à 6,2% en février 2020 pour revenir à 5,2% en décembre. En moyenne sur
l’année 2020, le revenu par tête des ménages a progressé de 2,1 % en volume,
tandis que la consommation par tête était en baisse de 0,7 %, la hausse du taux
d’épargne s’expliquant par les contraintes sur les déplacements et les achats,
particulièrement en début d’année, ainsi que par les incertitudes sur l’avenir.

Selon
les données du CPB World Monitor, les
exportations et les importations de marchandises (en volume), en chute
respectivement de 15 % et 10 % sur les deux premiers mois de 2020, ont ensuite recommencé
à croître et seraient revenues à leur niveau de la fin 2019 à partir de l’été.
Selon les dernières données publiées par les douanes chinoises (en valeur), la
hausse des exportations de marchandises s’est accélérée en fin d’année, pour
atteindre +20 % sur an en décembre, tandis que les importations étaient en
hausse de 6 %.  Les exportateurs chinois
ont bénéficié d’une demande extérieure dynamique dans certains secteurs
spécifiques, liés à la crise du coronavirus, notamment les biens d’équipement informatique
et les équipements médical. Ils ont aussi bénéficié de leur capacité à répondre
à la demande quand ailleurs les entreprises subissaient des contraintes
d’offre.

Ainsi,
la force de la reprise en Chine s’explique essentiellement par la maîtrise de
la pandémie, puis par la capacité de rebond et d’adaptation de ses entreprises.

Janvier 2021 :  le
risque du retour

Alors
que le scénario d’une reprise en V est enclenché en Chine, sa poursuite
pourrait être fragilisée par le retour de l’épidémie de coronavirus. La découverte
de nouveaux cas de coronavirus en janvier 2021, dans la province de Hebei, au
sud de Pékin ; plus au nord dans les provinces de Jilin et de Heilongjiang, et dernièrement à Pékin même, ont conduit les
autorités chinoises à confiner au total une vingtaine de millions de personnes
et à des campagnes de dépistage massif. Les autorités chinoises déclarent depuis
la mi-janvier une centaine de nouveaux cas chaque jour. À l’approche du nouvel
an chinois, qui débutera cette année le 12 février, les autorités incitent les
habitants à limiter leurs déplacements, traditionnellement nombreux lors des
congés du nouvel an (notamment avec le retour des travailleurs migrants dans
leurs familles).

Deux
vaccins ont été élaborés en Chine : Sinopharm et CoronaVac (produit par
l’entreprise Sinovac), mais leur efficacité semble moindre que celles des
vaccins occidentaux, sachant que, dans le cas des vaccins chinois, on ne
dispose que de résultats parcellaires publiés par les fabricants et d’aucune
publication de résultats d’essais de phase 3. L’efficacité serait de 79 %, pour
Sinopharm ; pour CoronaVac, de 90 % pour les essais réalisés en Turquie, mais de
seulement 50 % pour les essais réalisés au Brésil ; contre 95 % pour
Pfizer-BioNtech et 94 % pour Moderna.

La
Chine se lance maintenant dans une campagne de vaccination de masse en
commençant par les actifs en contact avec le public. Au 27 janvier, 1,6 % de la
population avaient été vaccinés (soit 22,8 millions de personnes). On peut
s’étonner de ce démarrage tardif de la vaccination en Chine, mais il faut
rappeler qu’en Chine (comme dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est), dès le
début on s’est appuyé sur une stratégie forte « Tester, Tracer,
Isoler » qui a bien fonctionné en raison de la discipline et du contrôle
social de la population.

…tandis
que l’offensive commerciale se poursuit

La
hausse des exportations chinoises en 2020, plus rapide que celle des
importations, a conduit l’excédent commercial à passer de 420 milliards de
dollars en 2019 (3 % du PIB) à 535 milliards en 2020 (3,6%).

L’arrivée de Joe Biden à la Présidence des États-Unis devrait contribuer à civiliser les relations entre la Chine et les États-Unis, mais elle ne fera pas disparaître les tensions. Le 14 février 2020, la Chine s’était engagée, en signant l’accord commercial « Phase one » avec les États-Unis, à augmenter substantiellement ses importations de produits américains d’ici 2021. Elle n’aurait rempli son engagement qu’à hauteur de 58 % à la fin 2020[4]. En 2020, l’excédent commercial chinois vis-à-vis des États-Unis, qui s’était fortement réduit en début d’année, a recommencé à croître pour retrouver un montant mensuel de 30 milliards de dollars en fin d’année (graphique 4). Certes, la pandémie de Covid-19 a fait des enjeux sanitaires une priorité, mais la question du rééquilibrage des échanges commerciaux de la Chine vis-à-vis des États-Unis se posera de nouveau lors de jours meilleurs.

La crise sanitaire a fait prendre conscience à de nombreux
pays des risques de trop dépendre de la production chinoise. Certains
voudraient retrouver une certaine autonomie économique. Face à ce risque pour
leurs exportations, les leaders chinois, et en particulier Xi Jinping au Davos virtuel de 2021, se font les
partisans résolus de la mondialisation et de l’interdépendance entre les
nations.

En novembre 2020, la Chine a signé le Partenariat
régional économique global (Regional Comprehensive Economic
Partnership,
RCEP)
avec quatorze pays de la zone Asie-Pacifique (les 10 pays de l’ASEAN, ainsi que
le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), soit le plus
grand accord de libre-échange au monde, alors qu’en janvier 2017, Donald Trump
avait retiré les États-Unis du Partenariat Transpacifique,
dont la Chine était par ailleurs exclue.

Malgré
les tensions résultant du traitement des Ouïghours, la Chine a réussi à
négocier un accord d’investissement avec l’UE : elle s’engage à réduire
ses exigences de contreparties pour les investissements européens en Chine
contre des garanties d’ouverture des marchés européens.

Elle
poursuit son offensive en Europe, en particulier en intensifiant ses liens avec
la Hongrie (point d’arrivée de deux futures lignes ferroviaires reliant la
Chine à l’Europe dans le cadre du projet de la nouvelle route de la soie).

La Chine participe à la « diplomatie du vaccin ». Ainsi, a-t-elle proposé ses vaccins à plusieurs pays émergents, parmi lesquels les Émirats arabes unis, la Serbie, le Maroc (pour Sinopharm), la Turquie, le Brésil (pour CoronaVac).

Le
plan quinquennal 2021-2027, qui sera présenté en mars, reprend les grandes
lignes qui ont déjà été annoncées, l’objectif de lutte contre la pauvreté, celui
de l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la production nationale.
Il affirme la volonté de la Chine de contribuer à la reprise de l’économie
mondiale. Surtout, il met l’accent sur la « double circulation »,
visant un rééquilibrage de la croissance via
la demande intérieure ; la Chine doit à la fois développer ses exportations,
améliorer la qualité des produits destinés au marché chinois et s’ouvrir aux
importations. Le thème de l’innovation technologique, central dans le programme
Made in China 2025, semble passer au
second plan, même s’il est toujours question d’autosuffisance technologique.

L’année
2020 apparaît donc comme une nouvelle étape dans la montée en puissance de la
Chine sur la scène économique mondiale.


[1] Mathieu
C. : Premier entré, premier sorti : le retour de la
croissance en Chine au deuxième trimestre
, OFCE Le Blog, 21 juillet 2020.

[2]
Pour une comparaison internationale allant
jusqu’au troisième trimestre 2020, voir Le Bayon S. et Péléraux H., Croissance mondiale confinée en 2020, Policy
Brief OFCE
, janvier 2021). 

[3] Voir OFCE – DAP, Perspectives 2020-2021 pour l’économie
mondiale , Tour
du monde de la situation conjoncturelle
, Revue de l’OFCE, n° 168, octobre
2020.

[4] Voir Bown C. : US-China phase one tracker: China’s
purchases of US goods
as of December 2020, 27 janvier 2021.




Premier entré, premier sorti : le retour de la croissance en Chine au deuxième trimestre

Catherine Mathieu

Le 16 juillet, l’Institut statistique chinois (NBS) a publié la première estimation de la croissance du PIB chinois au deuxième trimestre 2020 : celui-ci est en hausse de 11,5 % par rapport au trimestre précédent, après -10 % au premier trimestre. La Chine, premier pays à avoir été frappé par le Coronavirus, avait mis en place des mesures de confinement d’une partie de sa population et de fermeture des commerces et des usines à partir de la fin janvier. Les indicateurs conjoncturels suggéraient un redémarrage progressif de l’activité à partir de la fin février et le retour à une croissance positive du PIB dès le deuxième trimestre. L’inconnue résidait dans l’ampleur de ce rebond, qui s’avère rapide.



La reprise est enclenchée, particulièrement dans l’industrie (41 % de la valeur ajoutée en 2018) : la production y est en hausse de 4,7 % sur un an au deuxième trimestre. Le taux des capacités d’utilisation dans l’industrie, de 77,5 % au quatrième trimestre 2019, avait chuté de 10 points au premier trimestre 2020 et est revenu à 74,4 % au deuxième trimestre. La production automobile, après une chute record de 80 % sur un an en février, affichait une hausse de 22 % sur un an en juin, indiquant un redémarrage d’un secteur par ailleurs en crise depuis 2018 : la production y reste encore 24 % en deçà de son point haut de la fin 2017. Dans l’agriculture (7 % de la valeur ajoutée), la production est en hausse de 3,3 % sur un an au deuxième trimestre et de 1,9 % seulement dans les services (52 % de la valeur ajoutée). 

Du côté de la demande, on ne dispose pas à ce jour d’informations trimestrielles détaillées. Les dépenses d’investissement étaient en baisse de 3,8 % sur an au premier semestre 2020. Sur le premier semestre 2020, le revenu par tête des ménages est en hausse de 1,5 %, par rapport au premier semestre 2019, tandis que la consommation par tête des ménages est en baisse de 8 % en valeur : les dépenses d’habillement (-19,5 %), de transport et communications (-13 %), d’éducation et d’activités culturelles (-37 %) ont le plus chuté. Les ventes de détail des biens de consommation restaient en baisse de 1 % sur un an en juin, signe d’un certain redémarrage, mais lent, de la consommation des ménages. 

En ce qui concerne le commerce extérieur, la situation semble s’être moins dégradée depuis le début de l’année pour la Chine (et l’Asie émergente) que pour les économies avancées (hors Japon). L’indicateur de commerce mondial du CPB (CPB world trade monitor), dans sa version publiée le 25 juin, indique que le commerce mondial de marchandises en volume a chuté de 16 % entre décembre 2019 et avril 2020, mais que la baisse n’a été que de l’ordre de 8 % pour les exportations, comme pour les importations, de la Chine. Ce sont des évolutions proches de celles des autres pays émergents d’Asie, et nettement plus faibles que dans les pays avancés, hors Japon : la chute des importations a été de 17 % aux États-Unis et de 24 % dans la zone euro. L’Asie du sud-est a été moins fortement touchée par a pandémie que la plupart des zones de l’économie mondiale, ce qui se reflète dans l’évolution des flux de commerce mondial. 

Incertitudes sur la poursuite de la reprise 

Au-delà de la vigueur de la reprise au deuxième trimestre, se pose la question de sa poursuite, qui dépendra avant tout de l’évolution de la pandémie, tant en Chine qu’à l’échelle mondiale. Tous les pays ont pris dès le début de la crise des mesures de confinement, qui ont fait chuter la production, puis des mesures de soutien budgétaire et monétaire massif pour soutenir la production et l’emploi et favoriser la reprise (voir OFCE, Policy Brief 69), mais le virus circule dans beaucoup de zones (Amériques, Inde, …) et une deuxième vague est toujours à craindre en Asie ou en Europe. 

La Chine semble avoir réussi, en ayant pris des mesures fortes, à stopper la propagation du coronavirus à l’intérieur du pays. Mais les autorités chinoises craignent l’arrivée d’une deuxième vague de COVID-19 et restent très vigilantes pour l’éviter. Des cas de COVID-19 continuent d’apparaître localement : en avril à la frontière russe, où parmi les arrivées de Chinois de retour de l’étranger, une cinquantaine de cas de COVID-19 avaient été diagnostiqués, conduisant à la mise en place de mesures de confinement strict dans les villes-frontière. Plus récemment, le 11 juin, à Pékin, un nouveau foyer de coronavirus a été détecté sur un marché conduisant les autorités chinoises à le fermer et à confiner les populations vivant dans les alentours (fermeture des écoles, restrictions de circulation). Sauf disparition spontanée du coronavirus, la liberté de circulation intérieure comme celle avec le reste du monde ne pourra pas être rétablie en l’absence d’un vaccin, qui ne serait dans le meilleur des cas pas disponible avant 2021. Ces mesures pèseront obligatoirement tant sur l’offre que sur la demande, mais les autorités chinoises ont montré qu’elles ont la capacité de réagir avec vigueur et de prendre des mesures fortes pour éviter une deuxième vague généralisée.

Les scénarios publiés par les organisations internationales avant l’été comportaient tous un rebond de l’économie chinoise au deuxième trimestre, plus ou moins rapide, et par la suite une croissance qui serait au plus de l’ordre de celle d’avant la crise, laissant en 2021 le niveau de PIB en deçà de celui qu’il aurait atteint si la croissance s’était maintenue à son rythme d’avant crise. Compte tenu des chiffres du deuxième trimestre, une croissance annuelle de l’ordre de 1 % en 2020, comme l’envisageaient avant l’été le FMI et la Banque mondiale, semble atteignable. Et si la croissance se poursuivait au rythme envisagé par le FMI en 2021, le PIB chinois serait plus bas de 2,6 % à fin 2021 au niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise, si la croissance avait progressé à un rythme annuel de 5,8 %, comme nous l’anticipions dans notre prévision d’octobre 2019 (graphique). 

Dans un scénario en V, où le PIB chinois rejoindrait dès la fin 2020 le niveau qu’il aurait atteint si la croissance s’était poursuivie à un rythme proche de 6 % en 2020 et progresserait ensuite de 1,4 % par trimestre, la croissance du PIB serait de l’ordre de 10 % en 2021 (tableau). Ceci supposerait la poursuite du rattrapage tout au long de 2020 et l’absence d’une deuxième vague de contamination et l’absence de toute séquelle en 2021. Compte tenu de l’incertitude créée par la crise sanitaire pour les ménages et les entreprises, compte tenu aussi de la dégradation induite des dégradations financières et des bilans il apparait aujourd’hui que la crise mettra du temps à se résorber et que l’activité mondiale ne retrouvera pas à l’horizon de fin 2021 le niveau qu’elle aurait eu sans la crise, ce qui affectera les exportations chinoises. 

Une deuxième vague de contamination conduirait à un scénario de reprise en W. C’est ce que l’on pouvait craindre, au vu des précédentes épidémies. C’était le premier des scénarios retenus par l’OCDE dans sa prévision de juin : la croissance chutait de 7,6 % cette année à l’échelle mondiale et de 3,7 % en Chine ; en 2021, la croissance serait de 2,8 % à l’échelle mondiale et de 4,5 % en Chine. Ce scénario était le plus pessimiste publié à l’approche de l’été.  

C’est aussi ce qu’avait par exemple suggéré Hughes (2020), en comparant les impacts économiques des épidémies passées : grippe espagnole (1918-19), SRAS (2003) et Ebola (2014-16). Hughes soulignait que la pandémie du coronavirus se rapprochait davantage de l’épidémie de grippe espagnole que de celle du SRAS. Lors de l’épidémie du SRAS, après une chute brutale, le PIB était revenu à son niveau d’avant le démarrage de l’épidémie en quelques mois : un scénario en V s’était réalisé. Mais, suite à l’épidémie de grippe espagnole, les pays n’ont en général pas retrouvé leur PIB d’avant crise avant trois ans, ce après deux ou trois vagues de contamination.  

Au risque d’une deuxième vague de contamination en Chine, s’ajoute celui d’une chute de la demande extérieure : l’évolution de la pandémie conduit désormais la quasi-totalité des pays à être sévèrement touchés, et le pic ne semble pas près d’être atteint, si l’on en juge notamment l’accélération de cas de COVID-19 aux États-Unis, dans le reste du continent américain et en Inde. La Chine ne pourra guère compter au cours des prochains mois sur une demande extérieure dynamique pour tirer ses exportations et sa croissance. 

Les mesures de soutien budgétaire prises par la Chine, initialement d’une ampleur limitée, ont été progressivement étendues, jusqu’à représenter 4,1 % du PIB selon le FMI (voir Policy tracker). Elles portent principalement sur une hausse des dépenses de santé (prévention et contrôle de l’épidémie), de production d’équipement médical ; des dépenses d’assurance chômage, dont le bénéfice a été élargi aux travailleurs migrants ; des allégements d’impôts et des suppressions de paiements de cotisation sociale ; des investissements publics. Il semble que la Chine souhaite éviter de creuser trop fortement un déficit public, qui était, selon le FMI, de 6,3 % du PIB en 2019 et passerait à 12,1 % cette année selon les prévisions du FMI de juin 2020. La dette publique passerait de 52 % du PIB en 2019 à 64 % du PIB en 2020. 

Du côté de la politique monétaire, les principales mesures ont consisté à injecter des liquidités dans le système bancaire, via des opérations d’open-market, à étendre les capacités de prêts à de bas taux d’intérêt à destination des fabricants de matériel médical, des très petites, petites et moyennes entreprises, ainsi que du secteur agricole. S’y ajoutent une baisse de 30 points de taux directeur de la Banque centrale, et des baisses de taux de 50 à 100 points de base des taux d’intérêt pour une grande partie des entreprises. Il s’agit d’alléger le poids des remboursements des emprunts (notamment pour les PME) et de limiter les mises en faillite des entreprises. La situation est complexe : l’endettement des entreprises non financières chinoises a atteint fin 2019 un niveau record de près de 260 % du PIB. La crise du coronavirus a surgi alors que le gouvernement chinois souhaitait progressivement faire baisser progressivement l’endettement des entreprises, sans créer de choc majeur. Les marges de manœuvre de la politique monétaire sont nettement plus faibles que lors de la crise de 2008-09.

Au-delà de l’évolution de la pandémie, la crise résultant de l’apparition du coronavirus remet en cause la mondialisation, déjà ébranlée par la politique commerciale agressive des États-Unis. La pandémie amènera sans doute beaucoup d’entreprises à repenser la fragmentation de leurs chaînes de production et de nombreux pays à prendre des mesures pour être moins dépendants de fournisseurs étrangers. La Chine, grande gagnante de la mondialisation, risque d’être une des principales victimes de cette crise. Le gouvernement chinois devra tirer les leçons de cette crise pour orienter le modèle de croissance chinois sur un mode plus soutenable. La réorientation de la croissance chinoise vers la demande intérieure, engagée depuis plusieurs années, et la forte réduction de l’excédent extérieur chinois qui en a résulté, vont dans ce sens. Dans une perspective de plus long terme, la définition d’une stratégie tenant compte des contraintes écologiques est nécessaire, en Chine comme à l’échelle de la planète. 

Références

Banque mondiale, 2020 : Global economic prospects, juin. 

FMI, 2020 : Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juin.

Hughes Richard, 2020 : Safeguarding governments’ financial health during coronavirus: What can policymakers learn from past viral outbreaks?, Resolution Foundation, mars.

OCDE, 2020 : Perspectives économiques, juin. 

OFCE, 2020 : « Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy Brief 69, 6 juin. 

OFCE, 2019 : « Perspectives économiques 2019-2021 », Revue de l’OFCE 163, octobre.