Coup de froid sur la construction : le gouvernement fait dans le réchauffé

par Pierre Madec

C’est dans un contexte d’atonie du marché de l’immobilier que le gouvernement a annoncé à la fin du mois d’août dernier un « plan de relance de la construction ». Alors qu’en 2013, 318 748 logements sont sortis de terre et 381 609 permis de construire ont été délivrés (des réalisations très éloignées de l’objectif affiché de 500 000 logements construits par an entre 2012 et 2017) et que la baisse de l’investissement-logement pèse sur les performances économiques de la France (INSEE, 2014), quels sont les effets à attendre de ces « mesures d’urgence » ?

Refonte du dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » (renommé pour l’occasion « Pinel »), nouvelle modification du prêt à taux zéro, mesures fiscales visant à favoriser la libération du foncier privé et développer le parc de logements sociaux, ou encore quasi abandon de la promesse de campagne du Président de la République visant à encadrer les loyers à la relocation (seule une « expérimentation » sera menée à Paris) sont autant de mesures annoncées par le gouvernement pour dynamiser le marché de la construction. Nous revenons ici sur les principales mesures de ce plan de relance.

Un marché du neuf déprimé

Entre 2004 et 2007, le rythme annuel moyen d’autorisations de construction s’établissait à 488 000 logements (voir figure 1). Après une baisse importante au début de la crise financière en 2008 et une chute à 329 790 permis de construire délivrés en 2009, le marché s’est quelque peu rétabli en 2010 et 2011, avant de fléchir à nouveau. En moyenne, sur la période 2010-2013, 422 000 permis de construire de logements ont été octroyés par an.

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En 2013, on comptait 100 000 autorisations de construction de moins qu’en 2007 et les données disponibles pour le début de l’année 2014 ne poussent guère à l’optimisme. En effet, entre janvier et juillet 2014, 214 380 permis de construire ont été délivrés, soit 40 000 de moins que sur la même période en 2013 et 65 000 de moins qu’entre les mois de janvier et juillet de 2012.

L’origine de la baisse des opérations immobilières observée en 2012-2013 est complexe. Bien que la durée moyenne des prêts et les taux d’effort observés aient eu tendance à diminuer entre 2012 et 2013, l’importante baisse des taux d’intérêt hypothécaires et l’assouplissement des conditions d’apport sont autant de signes laissant penser que l’érosion des transactions observée sur le marché immobilier neuf trouve en partie son explication ailleurs que dans le durcissement des conditions d’octroi de crédit (Banque de France, 2014).

Tandis qu’en 2013 le financement du logement social se maintenait à des niveaux élevés (117 000 logements financés en 2013[1]) (DGUHC, 2014), les primo-accédants et les investisseurs-bailleurs se faisaient quant à eux plus rares sur le marché immobilier en général. En 2013, les premiers n’ont ainsi représenté que 12% des crédits à l’habitat octroyés contre 19% en 2012. De même, les opérations d’investissement locatif (dans le neuf comme dans l’ancien) ont représenté moins de 20% de la distribution de crédits immobiliers contre plus de 30% au début de l’année 2012 (Banque de France, 2014).

Sur le marché du neuf, les ménages semblent avoir souffert d’une part des restrictions opérées dans la distribution des prêts à taux zéro (PTZ) et d’autre part de la modification de la législation en faveur de l’investissement locatif.

Pour mémoire, le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur une nouvelle version du prêt à taux zéro (PTZ). Cette dernière, plus restrictive que les précédentes, abaissait notamment les plafonds d’éligibilité (Madec, 2013). Résultat, en 2013, seuls 42 327 PTZ ont été accordés dans le neuf contre 51 732 en 2012 et près de 93 000 en 2011.

Dans le même temps, le dispositif d’incitation à l’investissement locatif « Duflot », bien qu’à priori plus avantageux pour les investisseurs (Le Bayon, Madec, Rifflart 2013), n’a pas rencontré le succès de ses prédécesseurs ; les bailleurs ayant semble-t-il été « effrayés » par l’introduction de plafonds de loyers. En 2013, les promoteurs immobiliers, qui représentent historiquement environ 30% des ventes dans le neuf mais la grande majorité des investissements locatifs (plus de 80%), déclaraient avoir écoulé 35 300 « Duflot », soit 40% du total des ventes réalisées. C’est la part la plus faible observée depuis 2001. Si le dispositif précédent, le « Scellier », n’avait pas rencontré un grand succès en 2012 (37 900 logements vendus sous ce statut) rappelons qu’en 2011 près de 60 000 « Scellier » avaient abondé le marché du neuf.

La baisse importante du nombre de primo-accédants et d’investisseurs-bailleurs engendrée par la refonte simultanée de ces deux dispositifs de soutien au marché immobilier neuf semble être l’une des explications de l’écroulement du marché immobilier neuf observé ces derniers mois.

Les mesures prises par le gouvernement, conscient à la fois du problème mais aussi, semble-t-il, de ses causes, suffiront-elles à doper la production ?

Un « Duflot » plus souple est-il une bonne chose ?

A la fin du mois d’août dernier, l’annonce par le Premier ministre de l’entrée en vigueur au 1er septembre du dispositif d’incitation à l’investissement locatif « Pinel », et donc par conséquent la mort de son prédécesseur, le « Duflot », a été (très) favorablement accueillie par les professionnels du secteur immobilier. En effet, et ce bien que le « Pinel » ne diffère du « Duflot » qu’à la marge (plafonds de loyers, de ressources, d’investissement et de défiscalisation inchangés), son arrivée a, semble-t-il, comblé les promoteurs immobiliers et les investisseurs et ce, alors même que les rendements attendus ne devraient pas être supérieurs à ceux de son prédécesseur (voir Le Bayon, Madec, Rifflart, 2013).

En introduisant plus de flexibilité dans la fixation notamment des durées de mises en location (6, 9 ou 12 ans contre 9 ou 12 ans auparavant) et en permettant aux bailleurs de louer, sous les mêmes conditions de ressources et de loyers (voir Madec, 2013), leur logement à leurs ascendants ou descendants, le gouvernement a satisfait une demande ancienne des investisseurs. En contrepartie, le gouvernement réduit la déduction fiscale à 12 % du prix d’achat contre 18 % auparavant. Pour autant, ces aménagements rendent ce « Duflot revisité » assez critiquable. L’objectif de développer un parc de logements intermédiaires, suffisant pour loger des classes moyennes incapables d’assumer dans les zones les plus tendues les loyers du marché locatif privé mais non prioritaires dans le parc social classique, est remis en cause par ces ajustements puisque le propriétaire peut désormais retrouver la pleine possession de son bien après 6 ans, soit l’équivalent de deux baux.

Le PTZ : le marronnier gouvernemental !

Un mois après l’entrée en vigueur du « Pinel », le 1er octobre 2014, le prêt à taux zéro a (de nouveau) fait peau neuve[2]. Alors qu’il a été démontré que les versions antérieures du PTZ étaient sujettes à des effets d’aubaine importants (Gobillon et Le Blanc 2005 ou Madec, 2013) et qu’il était nécessaire de recentrer le dispositif sur les ménages les plus modestes, le gouvernement a décidé de relever les plafonds de ressources nécessaires à l’obtention du prêt, plafonds qu’il avait lui-même abaissé le 1er janvier 2013, afin d’étendre sa diffusion aux classes moyennes.

De même, si la réintroduction du différé de paiement (permettant de commencer le remboursement de son PTZ au bout d’un certain nombre d’années) pouvait déjà apparaître critiquable en 2013, l’allongement de la durée de ce différé l’est tout autant puisqu’il peut contribuer à rendre insolvables une partie des ménages en réduisant la durée de leurs remboursements (Bosvieux et Vorms, 2003).

Bien que l’objectif d’accroître les aides de l’Etat en faveur de l’accès au logement est louable, les mesures prises en faveur de l’augmentation de la distribution du PTZ vont surtout accroître artificiellement la production de prêts au lieu de solvabiliser un plus grand nombre de ménages.

Il en est d’ailleurs de même de la création des multiples abattements fiscaux annoncés par le gouvernement (abattements de 100 000 euros pour les donations, réalisées jusqu’à fin 2016, aux enfants et petits-enfants de logements neufs ou de terrains à bâtir réalisées jusqu’à 2015). Notons aussi qu’en plus d’être prises dans l’urgence et donc n’avoir que peu d’impacts durables, ces mesures vont accroitre les inégalités patrimoniales, mécanisme déjà à l’œuvre depuis plusieurs années sur le marché de l’accession (voir notamment Le Bayon, Levasseur et Madec 2013).

Comment libérer du foncier privé ?

Après les nombreuses mesures en faveur de la libération de foncier public prises depuis 2012 et afin d’accroître significativement l’offre foncière et donc immobilière, le gouvernement a mis en place des mesures fiscales visant à faciliter la libération de foncier privé : alignement de la fiscalité sur les plus-values sur les terrains à bâtir avec celle des immeubles bâtis (exonération totale au bout de 22 ans), abattement exceptionnel de 30% de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux sur les plus-values réalisées en cas de cession de terrains à bâtir pour toute promesse de vente conclue avant le 31 décembre 2015, ou encore abattement exceptionnel de 100 000 euros pour les donations de terrains réalisées jusqu’à fin 2015 à condition qu’ils soient ultérieurement construits.

Que faut-il penser de ces mesures ? Tout d’abord, elles n’ont pas vocation à perdurer, et ce alors même que l’incertitude fiscale qui pèse sur les investisseurs est avancée par ces derniers comme la raison principale du moindre attrait du marché immobilier neuf.

Elles ont pour la plupart été prises afin de créer un choc d’offre sur le marché du foncier privé. Or le foncier, et sa pénurie, dans les zones les plus tendues est un problème de fond, durable et ancien qui ne peut se résoudre par des solutions court-termistes.

La fiscalité des plus-values sur les immeubles bâtis est une fiscalité incitant les propriétaires à détenir leur bien durant une longue période afin de profiter de l’exonération totale de taxation. L’alignement de la fiscalité des terrains à bâtir sur cette mauvaise fiscalité ne peut donc être une solution. Pour favoriser la mobilité résidentielle et libérer à la fois du foncier mais aussi des logements, c’est bien la détention qu’il faut taxer et non les transactions comme c’est actuellement le cas. Le gouvernement en est d’ailleurs conscient puisque c’est lui qui a, en septembre 2013, réduit de 30 ans à 22 ans la durée nécessaire pour bénéficier de l’exonération de taxation des plus-values sur les immeubles bâtis afin de créer (déjà) un choc d’offre. Une solution pérenne pourrait résider en une refonte du système actuel de taxation (mise en place d’une fiscalité progressive et dissociée de toute durée de détention ouvrant droit à exonération) ou en une réforme profonde des taxes de détention actuellement en vigueur telle que la taxe foncière, par exemple.

Un encadrement abandonné, un PLUI (presque) retrouvé

Enfin, de nombreuses autres dispositions ont été prises dans le plan de « relance de la construction » afin de « redonner confiance aux acteurs du marché ». L’abandon programmé de l’encadrement des loyers en fait partie. Sous prétexte des difficultés rencontrées dans la mise en place des observatoires des loyers, le gouvernement a argué l’impossibilité technique de mettre en application l’une des mesures phare de la loi ALUR. Sans mentionner les impacts probablement positifs de la mesure d’encadrement (impacts détaillés dans Le Bayon, Madec, Rifflart 2013 et Madec, Sterdyniak 2013), il est intéressant  de noter que lors de leur mise en place, les observatoires des loyers avaient vocation à se nourrir des informations recueillies auprès des acteurs locaux du marché locatif (professionnels, agents immobiliers, …) ; or ces derniers s’obstinaient à dénoncer le manque de données présentes au sein de ces observatoires.

Enfin, en matière de logement social, qui rappelons-le n’est que peu touché par l’érosion de la construction neuve, le gouvernement a aussi annoncé plusieurs mesures. Parmi elles, le renforcement des pénalités prévues par la loi SRU et surtout la mise en œuvre dès le 1er janvier 2015 de la possibilité pour les préfets de délivrer des permis de construire dans les communes ne remplissant pas leurs obligations de construction de logement sociaux. Cette dernière mesure, visant à dé-municipaliser (et donc dépolitiser) la problématique du logement semble aller dans le bon sens. Rappelons tout de même qu’il existait déjà dans la version initiale de la loi ALUR une disposition allant dans ce sens et qui visait à la mise en place du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI). Ce dernier avait vocation à transférer le pouvoir de décision des maires en matière d’urbanisme, et donc de construction, au niveau de l’intercommunalité. Ce PLUI n’a pu voir le jour dans sa version initiale puisqu’après discussion au Parlement, un amendement offrant un droit de véto aux maires a été intégré, vidant par là même, la mesure de son sens.

 


[1] A titre de comparaison, en 2012, 101 542 logements sociaux avaient été financés, 114 008 en 2011, 128 721 en 2010 et 116 066 en 2009.

[2] Pour rappel, nous en sommes donc à la 5e « version » du PTZ depuis 2011…




Logement locatif : une Clameur inquiétante …

par Pierre Madec

Comme chaque semestre, l’observatoire des loyers Clameur a publié début mars ses chiffres de conjoncture du marché de l’immobilier locatif[1]. Loyers de marché qui ralentissent, demandes de logement et offres locatives en baisse, mobilité résidentielle au plus bas, voici quelques-uns des constats dressés par l’observatoire. Des conclusions qui, selon leurs auteurs, « n’engagent guère à l’optimisme ». Ces résultats sont-ils si « préoccupants »? Pourquoi est-il important de les relativiser ?

Selon Clameur, dont les résultats diffèrent souvent sensiblement de ceux fournis par l’OLAP[2], les loyers de marché ont augmenté en 2013 de 0,6% et de de 0,2% en ce début d’année 2014. L’observatoire pointe du doigt le risque important de baisse généralisée à l’ensemble du marché locatif privé. Pour appuyer leurs propos, les auteurs insistent sur le fait qu’en 2013, les loyers de marché ont augmenté moins vite que l’inflation qui s’établissait selon l’INSEE à 0,7%.

Certes les loyers ont cru moins rapidement que l’ensemble des prix à la consommation, ce qui a conduit à une baisse relative du rendement immobilier de certains propriétaires, mais à contrario leur évolution a été plus rapide que celle par exemple du pouvoir d’achat des ménages qui n’a augmenté par unité de consommation que de 0,5% en 2013 selon l’INSEE…

De même, nous sommes tentés d’opposer aux inquiétudes des auteurs, concernant l’érosion des loyers de marché, nos inquiétudes (anciennes) portant sur l’explosion des taux d’effort des ménages[3]. Entre 2005 et 2011, la dépense nette de logement des ménages locataires du parc privé a augmenté de 18,4% quand le revenu avant impôt n’évoluait que de 7,5%. Sur la période, le taux d’effort des locataires du secteur s’accroissait de 2,5 points pour atteindre 27% (INSEE, 2014).

Au grand dam des professionnels de la location immobilière qui s’alarment du caractère « préoccupant »  de l’érosion apparente des loyers, cette dernière serait a contrario une relativement bonne nouvelle pour les locataires …

De manière plus générale, l’argumentaire tendant à démontrer à quel point le marché locatif privé se trouve dans une spirale récessive inquiétante en étudiant exclusivement le « loyer de marché » et son évolution peut sembler déroutant. Pour étudier les loyers du parc locatif privé, différents indicateurs sont à disposition : l’évolution du loyer de marché certes, mais aussi celle du loyer moyen, des loyers en cours ou au renouvellement de bail, des loyers des premiers baux, ou encore l’évolution des loyers lors de la relocation. Chacun de ces indicateurs apporte des informations différentes et complémentaires sur les mécanismes à l’œuvre sur le marché locatif.

Le loyer de marché représente la valeur moyenne des logements mis en location à une date T. Une hausse (baisse) des loyers de marché ne signifie donc pas que les loyers ont augmenté (baissé) mais que les loyers du stock disponible à la location à la date T ont augmenté (baissé) par rapport à ceux du stock disponible en T-1. Cette précision, bien que pouvant paraître triviale, est importante.

En effet, l’évolution qui conditionne en grande partie à la fois l’augmentation du rendement locatif du propriétaire bailleur et la perte de pouvoir d’achat induite par un déménagement pour le locataire, est en réalité l’évolution des loyers à la relocation. Celle-ci renseigne sur les augmentations de loyers opérés lors d’un changement de locataire. A titre d’exemple, selon l’OLAP, au 1er Janvier 2013 en agglomération parisienne, le loyer avant relocation s’établissait en moyenne à 16,3€/m² et les loyers après relocation était en moyenne de 18,6€/m². A la relocation, les loyers ont donc augmenté de 14%.

De même, les auteurs s’inquiètent de la baisse historique des taux de mobilité résidentielle[4]. Bien que cette baisse tendancielle dans le parc locatif privé pose problème, elle est probablement explicable en partie, et comme le souligne l’observatoire, par une dégradation significative d’un certain nombre d’indicateurs économiques nationaux (augmentation du chômage, dégradation de la confiance des ménages, …) mais aussi par la hausse (excessive) des prix de l’immobilier et des loyers depuis maintenant une décennie.

Une fois l’ajustement des loyers (à la stabilité ou à la baisse) opéré, les locataires retrouveront leur mobilité d’antan … De plus, en encadrant les loyers à la relocation, la loi ALUR (étudiée de nombreuse fois par l’OFCE – ici ou encore ) a justement pour objectif d’augmenter la mobilité des résidents ; les locataires devant quitter leur logement ayant un saut de loyer à la relocation moindre à franchir.

En réalité, le seul risque soulevé par Clameur qui mérite vraiment l’attention est celui concernant l’offre locative. En effet, une baisse durable de l’offre locative (-120 000 logements entre 2011 et 2013) est problématique et ce surtout en zone tendue. Si la loi ALUR a vocation à engendrer un cercle vertueux d’érosion des loyers et des prix de l’immobilier et de maintien des rendements locatifs, cet ajustement sera long et peut entraîner à moyen terme une baisse de l’offre locative compte tenu de la diminution possible, au cours de la période, des rendements locatifs.

Pour soutenir cette offre locative privée, le gouvernement ne peut pas, à l’heure actuelle, compter sur l’investissement locatif neuf qui, malgré l’instauration du dispositif Duflot, est atone. De même, l’augmentation de la vacance locative (+12% depuis 2008) laisse penser que les tensions sur le marché locatif privé sont à même de durer.

Les pouvoirs publics peuvent agir pour enrayer ces phénomènes. Le durcissement récent de la taxation des logements vacants (allongement de la durée d’habitation ouvrant droit à exonération, …) va dans la bonne direction. En parallèle, des actions en faveur du logement social doivent être engagées. Bien que le temps de la construction diffère sensiblement du temps politique, le développement d’une offre locative sociale crédible ne peut que servir un parc privé en proie au blocage et où les déséquilibres entre offre et demande semblent insolubles.

 


 

[1] CLAMEUR, pour Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux, est un observatoire des loyers associant l’ensemble des acteurs professionnels de la location (Crédit Mutuel, Bouygues Immobilier, Century 21, Crédit Foncier, FONCIA, SeLoger.com, …).

[2] L’OLAP pour Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne est une association « loi 1901 » regroupant à parts égales locataires et propriétaires qui publie chaque année un rapport annuel complet de l’évolution des loyers en agglomération parisienne et dans certaines villes de province. Ses méthodes d’évaluation des loyers tendent à être généralisées dans le cadre de la mise en place de la loi ALUR.

[3] Défini comme le rapport entre dépenses de logement (loyer + charges) et revenu.

[4] Défini comme la part de ménages changeant de logement au cours de l’année.




Logement locatif : le CAE veut changer d’ALUR …

Par Pierre Madec et Henri Sterdyniak

Le 24 octobre dernier, le conseil d’analyse économique (CAE) a publié une note proposant une nouvelle politique du logement locatif en France. Cette note remet en question un certain nombre de mesures gouvernementales figurant dans la loi ALUR, actuellement en discussion au Parlement, comme l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers (GUL)[1]. Ces critiques sont-elles justifiées ?

En fait, les auteurs reconnaissent que le marché du logement est spécifique, qu’il faut le réguler, que l’Etat doit construire des logements sociaux et aider les familles pauvres à se loger. Aussi, leurs divergences avec la politique qu’entend suivre le gouvernement actuel ne peuvent-elles être que limitées, et concernent les moyens plutôt que les objectifs. Le libéralisme ne fonctionne pas en matière de logement. Il faut mettre en place des dispositifs d’intervention publique, qui doivent viser, nous le verrons, des objectifs contradictoires, dispositifs dont la structure est obligatoirement ouverte à la discussion.

Le parc locatif privé : cogestion et aléa moral 

Concernant le parc locatif privé, les auteurs proposent essentiellement l’instauration d’un système de flexi-sécurité du logement, inspiré de celui préconisé pour le marché du travail : diversification et libéralisation des baux, nouveaux droits pour le bailleur, plus grande flexibilité des conditions de résiliation de bail, ou encore mise en place d’un système de cogestion du marché locatif privé autour d’une « régie du logement » dont les prérogatives s’étendraient de la fixation des loyers « de référence » à la gestion des baux. Cette « régie », gérée paritairement par les locataires et les propriétaires, jouerait un rôle de médiateur lors des conflits opposant locataires et propriétaires à l’image des prud’hommes pour les conflits du travail.

L’argument principal utilisé par les auteurs pour condamner un dispositif tel que la GUL est qu’elle créerait des problèmes d’aléa moral trop importants, c’est-à-dire que l’assurance inciterait les personnes couvertes à prendre « trop de risques ». En l’espèce, le locataire, assuré de voir ses défauts de paiement pris en charge par le fond, se soucierait moins de verser ses loyers ; il pourrait porter son choix sur un logement plus cher que ses besoins réels. Le propriétaire serait moins soucieux de la sélection de son locataire. Les auteurs utilisent également l’argument de l’aléa moral pour défendre la mise en place de baux flexibles : cela permettrait selon eux de lutter contre la dégradation des logements ou encore les conflits de voisinage.

L’idée du locataire systématiquement « mauvais payeur volontaire » et prêt à dégrader le logement qu’il loue nous paraît excessive et réductrice. Or, cette idée est assez largement développée par les auteurs. Ceux-ci semblent oublier que la GUL couvrira surtout des locataires qui ne peuvent plus payer leurs loyers en raison de difficultés financières (chômage, divorce …).

Cette garantie est avant tout une protection nouvelle pour le propriétaire. Protection financée à part égale entre bailleurs et locataires au travers d’un système de mutualisation. En cas d’impayé de loyer, le propriétaire sera directement remboursé par le fond. Ce dernier examinera ensuite la situation du locataire et procédera soit à un recouvrement forcé soit à une prise en charge personnalisée en cas d’impossibilité de paiement.

La GUL devrait permettre aux propriétaires de louer un logement à des personnes qui se trouvent dans des situations fragiles (travailleurs en contrat précaire, étudiants issus de familles modestes), sans que celles-ci aient à rechercher des cautions. Les propriétaires seraient moins incités à rechercher des locataires sûrs (fonctionnaires, étudiants issus de familles aisées, salariés des grandes entreprises). L’Etat est pleinement dans son rôle en couvrant un risque social, accru par la crise et la précarisation des emplois. Cela ne vaut-il pas le risque fantasmé d’augmentation de l’aléa moral ?

La question du bail pose une question de fond. Faut-il encourager le développement des propriétaires bailleurs individuels qui génère obligatoirement des problèmes délicats entre le souci du propriétaire de disposer librement de son bien et d’avoir le maximum de sureté quant au paiement du loyer, celui des locataires d’avoir une sécurité de maintien dans les lieux et l’exigence de droit au logement ?

Un ménage à revenus faibles ou irréguliers, plus fragile, doit aussi pouvoir se loger dans le parc privé. Aussi, il peut paraître préférable d’inciter soit les investisseurs institutionnels à investir dans ce domaine ou les ménages à utiliser plutôt des instruments de placement collectif dans la pierre et de mettre en place des dispositifs, comme le GUL, qui permettent de traiter collectivement la question des non-paiements de loyer.

Le logement est loin d’être un bien ordinaire. Se loger est, et les auteurs le soulignent, avant tout un besoin essentiel, un droit fondamental. La précarisation massive de ce dernier à travers la mise en place d’un système de baux libéralisés ne peut être la solution. Au contraire, les auteurs se nourrissant du modèle allemand, l’introduction de baux à durée indéterminée (baux de référence en Allemagne) constituerait une avancée majeure en termes de sécurisation du locataire[2].

Encadrement contre loi du marché

Concernant l’encadrement des loyers, les auteurs s’appuient sur un certain nombre d’études visant à démontrer l’existence d’une corrélation entre l’état de dégradation du parc locatif et les mesures d’encadrement des loyers. Or, dans la loi ALUR, des dispositifs destinés à la prise en compte de la réalisation de travaux existent. Certes, un risque de détérioration du parc persiste, mais une fois ce dernier explicité, on doit mentionner l’existence, elle aussi probable, d’une montée en gamme du parc due justement au mécanisme de prise en compte des travaux.

Les auteurs développent également l’idée selon laquelle les mesures d’encadrement conduiraient à une baisse significative de la mobilité résidentielle. Si ce risque est réel pour les dispositifs visant à encadrer les loyers en cours de bail et non lors de la relocation (cause principale du creusement des inégalités de loyers observé en France depuis la loi de 1989), le dispositif d’encadrement présent dans la loi ALUR a, au contraire, pour objectif de conduire à une convergence des loyers[3]. Cette convergence, bien que modeste, compte tenu de l’écart important encore autorisé (plus de 40 %), va plutôt dans le sens d’une meilleure mobilité.

En réalité, le risque le plus important, soulevé par les auteurs, est le risque de diminution du nombre de logements offerts à la location. Bien qu’il semble peu probable que les bailleurs déjà sur le marché retirent massivement leurs biens de la location[4], la mesure d’encadrement peut désinciter les nouveaux investisseurs sur le marché locatif compte tenu de la baisse induite des taux de rendement. Ceci aggraverait encore davantage le déséquilibre offre/demande au sein des zones tendues. Dans les faits, cela paraît peu probable. Même en cas de baisse significative du nombre de nouveaux investisseurs, ceux déjà présents sur le marché de l’ancien, compte tenu des conditions de bail (et au grand dam des auteurs), ne pourront pas vendre facilement leur bien, sauf à le vendre à un nouvel investisseur qui au vu de la baisse des taux de rendement réclamera une baisse du prix. Les dispositifs d’incitation fiscale (type Duflot) actuellement en vigueur sur le marché du logement neuf laissent à penser que les bailleurs qui y investissent ne seront que peu touchés par l’encadrement.

Certains investisseurs pourraient cependant délaisser en effet la construction de logements neufs, ce qui, à court terme, jouerait plutôt en faveur d’une baisse des prix de l’immobilier[5], ce qui encouragerait l’accession à la propriété et la baisse du prix du foncier. Il faudrait cependant que le secteur public soit prêt à prendre la relève des investisseurs privés.

Près d’un ménage sur trois du 1er quartile de revenu (les 25 % les plus pauvres) est locataire du parc privé et subi un taux d’effort médian net des aides au logement de 33 %, en hausse de près de 10 points depuis 1996. Encadrer les loyers est avant tout une protection pour ces ménages modestes, ménages qui compte tenu de l’engorgement du parc social et du durcissement des conditions d’accès à la propriété, n’ont d’autres choix que de se loger dans le parc locatif privé.

La stratégie proposée par la loi Duflot  consistant à « mettre en place un certain encadrement des loyers pour réduire les comportements prédateurs des propriétaires. Ne pas chercher à attirer des investisseurs par des loyers exorbitants et les anticipations de hausse du prix de l’immobilier » ne nous semble pas illégitime, si elle s’accompagne effectivement d’un effort en faveur du logement social.

Les tensions sur le marché du logement (où l’offre et la demande sont rigides) permettent de fortes hausses de loyers, qui aboutissent à des transferts injustifiés entre propriétaires et locataires. Ces transferts pèsent sur le pouvoir d’achat des plus pauvres, sur l’indice des prix, sur la compétitivité… En sens inverse, ces hausses peuvent stimuler la construction de logements neufs via la hausse de la valeur du foncier, mais cet effet est faible et lent (compte tenu des contraintes du foncier). L’encadrement peut contribuer à mettre un coup d’arrêt aux hausses de loyer, même s’il nuit quelque peu à l’incitation à l’investissement privé dans le logement. Il ne peut être écarté a priori.

Logement social malmené

Bien que le constat des auteurs est juste – le logement social ne joue pas son plein rôle, les systèmes de construction et d’attribution sont complexes et inefficaces – les solutions qu’ils proposent, et leur cohérence, nous le semblent moins.

Le débat sur le rôle et la place du logement social en France est ancien. Faut-il le réserver aux ménages pauvres et ainsi renoncer aux objectifs de mixité sociale ? Faut-il pour ce faire diminuer les plafonds d’éligibilité alors qu’aujourd’hui plus de 60 % de la population peut prétendre à un logement social ? Le logement social doit-il être rentable ?  L’offre de logement social est-elle suffisante ?

L’idée défendue par les auteurs, selon laquelle l’Etat, à travers les prêts aidés aux organismes HLM, ne doit prendre en charge que le logement des ménages les plus pauvres, non rentable par nature, et doit laisser à la concurrence (promoteurs et investisseurs privés) le logement des classes populaires et moyennes, est critiquable, notamment en ces temps de crise économique. Il faut au contraire augmenter la part des logements sociaux mais aussi des logements intermédiaires aux loyers « modérés» construits avec financement public pour loger les classes populaires à des loyers raisonnables et faire baisser les tensions dans les zones critiques.

L’idée des auteurs selon laquelle le logement social ne peut être un droit accordé ad vitam aeternam peut paraître justifiée. En 2006, selon l’INSEE, plus d’un locataire du parc social sur 10 appartenait au cinquième quintile de revenu (20 % les plus riches). Sauf à considérer que le parc social doit être, en vertu du principe de mixité sociale, ouvert à tous, les mécanismes visant à inciter ces ménages à quitter le parc social pour les diriger vers le parc privé ou l’accession doivent être renforcés, les surloyers appliqués actuellement n’étant pas suffisamment efficaces. Mais il faut tenir compte de l’âge des occupants et de la disponibilité à proximité des logements à loyers « libres ».

Les auteurs proposent également, pour le logement des classes populaires et moyennes (c’est-à-dire les opérations « rentables ») de mettre en concurrence des structures privées (promoteurs, constructeurs privés, …). Une fois la durée d’amortissement du prêt de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) expirée, le logement ainsi construit pourrait changer de statut et basculer soit dans le parc privé soit être vendu. Cette idée laisse à penser que la pénurie de logements sociaux serait la conséquence d’un manque de fonds disponibles. Or, grâce aux montants déposés sur les livrets A, l’argent ne manque pas. Les freins à la construction de logement se trouvent ailleurs (manque de volonté politique, pénurie de foncier, …).

Bien qu’il soit nécessaire de lutter contre la ségrégation urbaine et que c’est effectivement en « disséminant les ménages défavorisés dans l’ensemble du tissu urbain » que cet objectif peut être rempli, les propositions des auteurs de la note du CAE sont peu réalistes. L’indice de ségrégation spatial proposé (voir encadré 10 du document de travail) amènerait à ne plus construire de logement sociaux là où la concentration de ces derniers est déjà importante. Or, compte tenu des contraintes foncières dans les zones tendues, ceci n’est pas tenable. L’objectif de lutte contre la ségrégation ne peut pas être prioritaire mais complémentaire de l’objectif de construction.

Un financement public conditionné de façon rigide à la valeur d’un ou deux indicateurs, même les plus transparents, comme le proposent les auteurs, serait extrêmement complexe à mettre en œuvre. La loi SRU fixant des objectifs identiques à des communes aux caractéristiques très disparates doit être aménagée. Il faut construire du logement social selon la demande et les besoins. Or, actuellement, il n’y a pas d’adéquation entre offre et demande et ce même dans les zones les moins tendues (logements trop grands ou trop petits, trop vieux, …). Selon l’INSEE, 14 % des locataires du parc social sont ainsi en situation de sur-occupation (soit le double de la proportion observée dans le parc privé). Non seulement l’entrée dans le parc social est difficile mais la mobilité au sein de ce parc l’est tout autant. Il faut donc construire massivement des logements sociaux non seulement pour accueillir des populations nouvelles mais aussi pour loger dans de meilleures conditions les populations y résidant actuellement.

Faut-il dé-municipaliser la question du logement ? Laisser aux seules municipalités le pouvoir de décision (et d’action) sur les politiques de la ville est une erreur, certains pouvant être incités à préférer céder les terrains disponibles à des promoteurs privés qu’à des organismes d’HLM, que ce soit pour des raisons directement financières ou pour choisir d’attirer une population relativement aisée, sans problèmes sociaux. Ainsi, la politique du logement nécessite de fortes incitations à la construction de logements sociaux, comme des aides spécifiques aux communes où ils sont implantés, comme des contraintes légales et une imposition spécifique compensatrice pesant sur les communes qui n’ont pas de logement sociaux. La loi SRU est nécessaire.

Notons que les propositions allant dans ce sens sont difficiles à faire adopter au niveau politique. Ainsi, la mesure visant à offrir aux intercommunalités le pouvoir de décision concernant notamment le Plan local d’urbanisme (PLU), disposition présente dans la loi ALUR, a été en grande partie rejeté par le Sénat, avec l’appui de la ministre du Logement[6]. De même, l’Union sociale pour l’habitat, tout en déplorant le manque de mobilité au sein du parc social, s’oppose régulièrement à toutes modifications importantes des processus d’attribution pouvant aller dans le sens d’un regain de mobilité, chaque organisme voulant garder ses critères propres.

Loyers et aides au logement entre imposition et imputation

Dans la note du CAE, la prise en compte des dépenses de logement par la fiscalité fait l’objet de propositions contestables. Certes, nous sommes d’accord avec le point de départ : il serait souhaitable d’aboutir à une certaine neutralité fiscale entre les revenus du capital financier et les loyers implicites. C’est nécessaire du point de vue de l’efficacité économique (ne pas trop favoriser le placement en logement) comme de la justice sociale (à revenus imposables égaux, un propriétaire et un locataire n’ont pas le même niveau de vie). Mais, selon nous, ceci ne peut se faire qu’en taxant effectivement les loyers implicites. Cette réforme est délicate aujourd’hui, car les impôts ont déjà beaucoup augmenté. On ne peut plus guère introduire un nouvel impôt. Elle devrait donc s’accompagner d’une translation vers le haut des tranches du barème, de sorte que, si les propriétaires payent plus, les locataires payent moins. Par ailleurs, elle risque de détourner certains ménages de la construction de logement ; son produit doit donc être utilisé en partie pour la construction de logement, ce qui est contradictoire avec la proposition précédente de l’utiliser pour réduire les impôts des locataires. Elle ne peut donc être introduite que très progressivement. Il faudrait d’abord revaloriser les bases de la taxe foncière. Puis, utiliser cette base (dont les propriétaires accédant pourraient déduire les charges d’emprunt) pour taxer les valeurs locatives à la CSG ou à l’IR (avec un certain abattement).

Craignant l’impopularité de la mesure, les auteurs proposent que les locataires puissent déduire leur loyer de leur revenu imposable (avec un plafond relativement élevé de l’ordre de 1 000 euros par mois). Cette proposition n’est pas acceptable :

– elle est arbitraire : pourquoi ne pas déduire aussi, toujours avec des plafonds, ses dépenses alimentaires (on ne peut vivre sans manger), ses dépenses de vêtements, de transports, de téléphone portable (devenus indispensables aujourd’hui). C’est sans fin. Le barème de l’IR prend déjà en compte le fait qu’un niveau minimum de revenu est indispensable (pour un couple avec 2 enfants, l’imposition ne commence qu’au-delà d’un revenu salarial de 2 200 euros par mois). La mesure favoriserait les dépenses de logement au détriment des autres dépenses, ce qui n’a guère de justifications ;

– l’économie d’impôt ainsi réalisée serait nulle pour les personnes non-imposables, faible pour les personnes juste à la limite de l’imposition : une famille de deux enfants dont le revenu est de 3 000 euros par mois et 600 euros de charges de loyer paierait 700 euros d’impôt de moins ; une famille aisée imposée au taux marginal de 45 % pourrait économiser 5 400 euros au titre de l’impôt, soit 450 euros par mois, c’est-à-dire plus que les allocations logement de la plupart des familles pauvres ;

– la mesure serait très coûteuse. Les auteurs ne nous donnent pas une estimation précise, mais réduire de 10 000 euros, le revenu imposable de 40 % des 18 millions de ménages imposables en France (la proportion des locataires) pourrait réduire de 14 milliards le produit de l’IR. En fait, ceci devrait obligatoirement être compensé par une translation vers le bas des tranches de l’impôt. Au bilan, là-aussi, si les locataires payaient moins, les propriétaires paieraient plus. Reste que la mesure serait moins efficace du point de vue économique que la taxation des loyers implicites, puisqu’elle introduirait un biais en faveur des dépenses de logement et qu’elle ne tiendrait pas compte de la valeur du logement occupé.

Les auteurs proposent d’intégrer l’allocation-logement dans l’IR et de faire gérer l’ensemble par l’administration fiscale, qui serait chargée de la mise en cohérence de la politique redistributive en direction des bas revenus. Certes, le système actuel d’aides au logement est perfectible, mais une fois encore leur analyse est partielle, n’intègre pas la totalité des aides dont bénéficient les plus pauvres (RSA socle, RSA activité et PPE). Ils oublient que l’aide aux personnes à bas revenus nécessite un suivi personnalisé, en temps réel, sur une base mensuelle ou trimestrielle que l’administration fiscale est incapable d’assurer. En fait, ils aboutissent à un système qui n’est guère simplifié : l’administration fiscale déterminerait l’aide au logement des ménages non-imposés que la CAF (Caisse d’Allocations familiales) verserait mensuellement et qui serait régularisé par l’administration fiscale l’année suivante. Mais il n’est pas dit si la même formule s’appliquerait au RSA. Pour les personnes imposées, l’aide serait gérée par l’administration fiscale. Les auteurs nous disent « l’aide ne pourrait être inférieure à l’allocation-logement actuelle », mais leur proposition augmenterait fortement le nombre de ménages non-imposés pour lequel il faudra comparer le gain en impôt et l’allocation ancienne formule. Ce n’est pas gérable. Certes, il serait souhaitable de simplifier le calcul de l’allocation-logement, de mieux l’intégrer avec le RSA. Ce sera un élément de la réforme nécessaire du RSA que le gouvernement devrait engager (voir rapport Sirugue et sa critique par Guillaume Allègre), mais l’ensemble doit continuer à être gérer par ceux qui savent le faire, les CAF et non l’administration fiscale.

Le lecteur intéressé par les problématiques liées au logement pourra consulter la Revue de l’OFCE « Ville & Logement », n°128, 2013.


[1] Trannoy A. et E. Wasmer, « La politique du logement locatif », Note du CAE, n°10, octobre 2013 et document de travail associé.

[2] Rappelons que le marché allemand est bien différent du marché français (majorité de locataires, peu de tensions démographiques, …) et que ses règles ne peuvent donc y être transposées.

[3] Actuellement, en région parisienne et plus généralement dans l’ensemble des zones dites tendues, les différences de loyers entre ceux ayant emménagé dans l’année et les locataires présents depuis plus de 10 ans dans leur logement est supérieur à 30 % (38 % pour Paris) (OLAP, 2013)

[4] En effet, les investisseurs « anciens » ont potentiellement des taux de rendement supérieurs à ceux des « nouveaux » investisseurs.

[5] D’autant que le nombre de nouveaux ménages a tendance à baisser (Jacquot, 2012, « La demande potentielle de logements à l’horizon 2030 », Observation et statistiques, N°135, Commissariat au Développement Durable).

[6] Un amendement accordant une faible minorité de blocage aux communes lors des modifications de PLU (25 % des communes et 10 % des habitants) a été adopté au Sénat le vendredi 25 octobre. Amendement réduisant de fait le pouvoir des intercommunalités dans ce domaine.




Encadrement des loyers : l’ALUR suffit-elle ?

par Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Le 10 septembre 2013, a débuté au Parlement la discussion du projet de loi “Accès au Logement et un Urbanisme Rénové” (ALUR). Cette loi va se traduire par un interventionnisme plus prononcé sur le marché du logement locatif privé et vient compléter le décret, entré en vigueur à l’été 2012, sur l’encadrement des loyers en zones tendues et qui avait marqué une première étape dans la volonté du gouvernement d’enrayer la hausse des dépenses de logement des locataires[1].

La volonté du gouvernement d’encadrer les dérives du marché locatif privé devrait avoir rapidement un impact pour les ménages qui s’installent dans un nouveau logement. Pour les locataires en place, le processus devrait être plus long. Au final, dans une agglomération comme Paris, on peut s’attendre, si les loyers les plus élevés diminuent au niveau du plafond défini par la loi, à une baisse de 4 à 6% du loyer moyen. Si, par un effet d’entraînement, cela se répercute ensuite sur l’ensemble des loyers, l’impact désinflationniste sera plus fort. En revanche, le risque d’une dérive haussière sur les plus bas loyers n’est pas à écarter, même si le gouvernement s’en défend. Enfin, l’impact de la loi dépendra en grande partie du zonage défini par les observatoires des loyers dont la mise en place est en cours.

Le décret d’encadrement : un effet visible … mais minime

Le dernier rapport annuel de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP)[2] nous donne un premier éclairage de l’impact du décret sur l’encadrement des loyers. Pour rappel, le décret contraint les loyers à la relocation à augmenter au maximum au rythme de l’indice légal de référence (IRL), sauf si des travaux importants ont été réalisés (dans ce cas, la hausse est libre). Ainsi, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013, 51 % des logements parisiens proposés à la relocation ont vu leur loyer augmenter plus vite que l’IRL, et ce sans réalisation de travaux importants. Cette part a été moins élevée qu’en 2011 (58,3 %) et 2010 (59,4 %), mais elle demeure à un niveau proche de ceux observés entre 2005 et 2009 (50%), avant l’existence du décret.

L’impact semble un peu plus concluant à partir des données mensuelles. Ainsi, sur la période d’application du décret d’août à décembre 2012, la part des loyers proposés à la relocation et ayant augmenté plus vite que l’IRL a baissé de 25 % en moyenne sur un an, contre seulement 8 % sur les mois de janvier à juillet 2012, comparés à la même période de 2011.

Un « effet décret » a donc bien eu lieu.  Celui-ci aurait permis de faire baisser la part des hausses de loyers à la relocation supérieures à l’IRL d’environ 18%. Pour autant, si l’on considère, qu’en cas de respect total du décret, aucune hausse supérieure à l’IRL n’aurait dû persister, l’impact reste insuffisant. Plusieurs facteurs déjà identifiés dans un document de travail, peuvent expliquer cela : loyers de référence inexistants, manque d’information tant du propriétaire que du locataire, insuffisance des possibilités de recours, etc. Un an après, il s’avère que ces manquements ont joué négativement sur l’application de la mesure.

Une loi à l’envergure plus large

La grande nouveauté du projet de loi ALUR porte sur l’encadrement des niveaux de loyers dans les zones tendues alors que les précédents décrets ne portaient que sur leur évolution. Désormais, une fourchette de niveaux de loyers autorisés sera fixée par la loi et le décret viendra encadrer les évolutions maximales autorisées[3]. Pour cela, le gouvernement fixe chaque année par arrêté préfectoral un loyer médian de référence au m2, par secteur géographique (quartier, arrondissement, …) et par type de logement (1 pièce, 2 pièces,..). Ainsi,

  • – pour les nouvelles locations ou les relocations, le loyer ne pourra excéder le loyer médian de référence majoré au plus de 20%, sauf à justifier d’un complément de loyer exceptionnel (prestations particulières,…). Ensuite, l’augmentation ne pourra excéder l’IRL conformément au décret d’encadrement dans les zones tendues (sauf travaux) ;
  • – lors du renouvellement de bail, le loyer pourra être réajusté à la hausse ou à la baisse en fonction du loyer médian de référence majoré ou minoré[4]. Ainsi, un locataire (respectivement un bailleur) pourra engager un recours en diminution (resp. en augmentation) de loyer si ce dernier est supérieur (resp. inférieur) au loyer médian majoré (resp. minoré). En cas de hausse de loyer, un mécanisme d’étalement de cette hausse dans le temps est prévu. S’il y a un désaccord entre locataires et bailleurs, un règlement à l’amiable pourra être engagé, préalablement à la saisine d’un juge dans des délais strictement déterminés. A l’intérieur de la fourchette, la hausse est limitée à l’IRL ;
  • – en cours de bail, la révision annuelle du loyer se fait comme actuellement sur la base de l’IRL ;
  • – les locations meublées seront désormais concernées par l’encadrement : le préfet fixera un loyer de référence majoré et la révision sera limitée à l’IRL.

L’introduction de ces loyers médians de référence présente trois avancées majeures. D’une part, ils seront calculés à partir des informations recueillies par les observatoires des loyers sur l’ensemble du stock du parc locatif, et non à partir des seuls logements vacants et disponibles à la location, c’est-à-dire des loyers dits « de marché ». Or, ces loyers de marché sont supérieurs de près de 10 % à la moyenne de l’ensemble des loyers, elle-même supérieure à la médiane des loyers. Ce mode de calcul entraînera donc inéluctablement une baisse des loyers (de marché et moyens).

De même, le choix opéré de la médiane et non de la moyenne comme loyer de référence va dans le sens d’une plus grande stabilité de la mesure. Dans l’hypothèse où l’ensemble des loyers supérieurs de 20% à la médiane (donc au loyer de référence majoré) vient à baisser et où les autres loyers restent inchangés, la médiane reste identique. Dans le cas d’un ajustement de l’ensemble des loyers, la médiane viendrait à baisser mais dans des proportions moindres que la moyenne, par définition plus sensible à l’évolution des valeurs extrêmes.

Enfin, l’obligation d’inscrire dans le bail les loyers médian et médian majoré de référence, le dernier loyer pratiqué et si nécessaire, le montant et la nature des travaux effectués depuis la signature du dernier contrat, accroît la transparence et établit un cadre réglementaire plus strict qui devrait entraîner un plus grand respect de la mesure.

Quelles évolutions sont à attendre ?

En 2012, sur les 390 000 logements mis en location à Paris, 94 000 ont un loyer supérieur au loyer médian majoré (3,7 euros/m² de plus en moyenne) et 32 000 ont un loyer inférieur de plus de 30% au loyer médian de référence (2,4 euros/m² de moins en moyenne). En considérant que seuls les loyers supérieurs au loyer médian majoré seront corrigés, la baisse du loyer moyen pourrait être de 4% à 6% selon les zones et le type de logement. Cette diminution, bien que non négligeable, permettrait au mieux de revenir aux niveaux de loyers observés en 2010, avant la forte inflation des années 2011 et 2012 (+7,5% entre 2010 et 2012). Cet ajustement des loyers pourrait néanmoins prendre du temps. Propriétaires et locataires pourront facilement faire valoir leurs droits au moment d’une relocation[5] , mais les réévaluations lors du renouvellement de bail pourraient être plus lentes à mettre en place. Malgré un accès à l’information et un cadre réglementaire plus favorables au locataire, le risque d’un conflit avec le propriétaire et la concurrence exacerbée sur le marché locatif dans les zones où s’applique la loi, peuvent encore dissuader certains locataires de faire valoir leurs droits.

La question est beaucoup plus complexe pour les 32 000 logements dont les loyers sont inférieurs au loyer de référence minoré. Si la qualité de certains logements peut justifier cet écart (insalubrité, localisation,…), on sait également que la sédentarité des locataires est le principal facteur explicatif de la faiblesse de certains loyers. Ainsi, selon l’OLAP, à Paris, un logement occupé depuis plus de 10 ans par le même locataire a en moyenne un loyer inférieur de 20 % au loyer moyen de l’ensemble des locations. Dès lors, la question de la réévaluation de ces loyers se pose. En effet, la loi permet au propriétaire, en contradiction d’ailleurs avec le décret[6], de réévaluer, lors d’une relocation ou d’un renouvellement de bail, à hauteur du loyer médian minoré. Une fois ce dernier atteint, l’évolution ne pourra excéder l’IRL. A terme, certains logements aux caractéristiques équivalentes seront donc sur le marché à des loyers très disparates, pénalisant ainsi les bailleurs de locataires sédentaires. A contrario, les locataires présents depuis longtemps dans leur logement ont le risque de voir leur loyer fortement réévalué (supérieur à 10%). Les taux d’effort[7] de ces ménages risquent alors d’augmenter, poussant ainsi ceux à la contrainte budgétaire trop forte à émigrer vers des zones moins tendues.

Néanmoins, la possibilité de réajuster le loyer au niveau du loyer de marché, dans le cas d’une sous-évaluation manifeste, existe déjà dans le cadre de la loi actuelle du 6 juillet 1989 (article 17c) au moment du renouvellement de bail. En 2012, à Paris, 3,2 % des propriétaires ont eu recours à cet article. Avec la nouvelle loi, si les réajustements devraient être plus nombreux, l’impact inflationniste devrait être plus faible puisque la référence (le loyer médian minoré) est largement inférieure au loyer de marché.

Dès lors, la question du zonage est centrale. Plus le découpage sera fin, plus les loyers de référence correspondront aux caractéristiques réelles du marché local. Dans l’hypothèse d’un large découpage du territoire, les loyers médians de référence risquent d’être trop élevés pour les quartiers les moins chers et trop bas pour les quartiers les plus chers. Parallèlement, les faibles loyers seraient peu revalorisés dans les quartiers chers et plus franchement dans les quartiers qui le sont moins. Cela pourrait entraîner alors un rapprochement des loyers « inter quartiers » – indépendamment des caractéristiques locales – et non « intra quartiers ». Conséquences néfastes tant pour le propriétaire bailleur que pour le locataire.

La loi en discussion actuellement pourrait avoir d’autant plus d’impact sur les loyers que les prix immobiliers ont entamé une baisse en France en 2012 et que la conjoncture actuelle morose freine déjà les hausses de loyer. Mais, faut-il encore le rappeler, seule la construction de logements dans les zones tendues (y compris via une densification[8]) résoudra les problèmes structurels de ce marché. Les mesures d’encadrement des loyers ne sont qu’un moyen temporaire de limiter la hausse des taux d’effort mais elles ne sont pas à elles seules suffisantes.

 


[1] Pour plus de détails, voir le post “L’encadrement des loyers : quels effets en attendre?“.

[2] Le territoire couvert par ce rapport est composé de Paris, la petite couronne et la grande couronne parisienne.

[3] Le décret d’encadrement des loyers n’ayant pas le même champ d’action que la loi (38 agglomérations contre 28), certains territoires ne seront soumis qu’à l’encadrement des évolutions et non des niveaux.

[4] Si le projet de loi restait flou sur le calcul du loyer de référence minoré, un amendement adopté en juillet par la Commission de l’Assemblée propose que le loyer médian minoré soit inférieur d’au moins 30 % au loyer médian de référence. Un autre amendement précise qu’en cas de réajustement à la hausse, le nouveau loyer ne pourra excéder ce loyer médian minoré.

[5] En 2012, seul 18% des logements du parc locatif privé ont été l’objet d’une relocation.

[6] Lors du renouvellement de bail et de la relocation, le décret d’encadrement permet au propriétaire de réévaluer son loyer de la moitié de l’écart qui le sépare du loyer de marché.

[7] Il s’agit de la part du revenu du ménage consacré au logement.

[8] Sur ce sujet, voir l’article de Xavier Timbeau, “Comment construire (au moins) un million de logements en région parisienne”, Revue de l’OFCE n°128.




Le Livret A noyé sous les critiques

par Pierre Madec

Alors que le gouverneur de la Banque de France et le ministre de l’Economie et des finances annonçaient une nouvelle baisse (probable) du taux du Livret A pour le 1er août prochain, l’agence de notation Standard&Poor’s (S&P) publiait de son côté une étude sur le système bancaire français. L’agence américaine y affirmait que le Livret A, et plus généralement l’épargne réglementée, « pénalise les banques » françaises et est à l’origine d’une « distorsion du marché bancaire». Ce débat, ancien, a fait l’objet de nombreux rapports : Duquesne, 2012 ; Camdessus, 2007 ; ou encore Noyer-Nasse, 2003, … . Certains défendent ardemment cette spécificité française que constitue le Livret A, tandis que d’autres prônent, au contraire, une réforme profonde d’un système qualifié de « perdant-perdant ».

Qu’en est-il ? Le Livret A met-il réellement en péril l’activité bancaire française ? Quelle utilisation est faite de l’épargne des ménages qui y est déposée ? Quels ont été les effets des hausses successives des plafonds sur les montants collectés ? Quelles conséquences aura la (probable) nouvelle baisse de taux envisagée par le ministre de l’Economie et des finances, M. Pierre Moscovici, tant pour les épargnants que pour le financement du logement social ? Nous présentons ici nos éléments de réponse.

Que représente le Livret A ?

Le Livret A, vieux de presque 195 ans, est un placement réglementé donnant droit à un avantage fiscal (défiscalisation totale et exonération de prélèvements sociaux), dont le taux est fixé par l’Etat et les dépôts sont garantis[1].

En 2011, le taux d’épargne des Français atteignait 16 % en moyenne, soit 1,1 point de plus qu’en 2006. Cette augmentation du taux d’épargne s’est faite en grande partie en faveur de l’épargne réglementée, et particulièrement en faveur du Livret A, détenu par près de 63,3 millions de Français et dont l’encours a plus que doublé depuis janvier 2007 pour atteindre 230 milliards d’euros en avril 2013. Trois phénomènes successifs ont favorisé cette augmentation massive de l’encours : la crise financière, qui a redirigé une partie de l’épargne des ménages vers les placements sans risque, la généralisation de la distribution du Livret A à toutes les banques depuis le 1er Janvier 2009, au titre de la Loi de modernisation de l’économie[2]  et enfin l’augmentation de 50 % du plafond du Livret A qui a eu lieu en deux temps (en octobre 2012 puis en janvier 2013). Cet attrait croissant pour le Livret A s’explique aussi par la liquidité totale ainsi que la garantie des dépôts qu’il procure. Liquidité totale et garantie des dépôts que ne permet pas, par exemple, l’assurance vie.

A quoi sert le Livret A ?

L’une des (nombreuses) spécificités du modèle de financement du logement en France porte (entre autres) sur le non-recours des bailleurs sociaux aux marchés obligataires (Levasseur, 2011). Ainsi, les bailleurs sociaux se financent principalement (à hauteur de 73 % en 2012) auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) où est déposée une partie de l’épargne du Livret A des ménages. La CDC, au travers d’un fonds d’épargne, centralise 65% des encours du Livret A, ce qui représentait en avril dernier plus de 150 milliards d’euros (Banque de France). Les dépôts ainsi disponibles sont prioritairement utilisés pour l’octroi de prêts au logement social et à la politique de la ville[3]. Ces emprunts servent en grande partie à la construction, l’acquisition et la réhabilitation de logements locatifs sociaux par des bailleurs HLM mais peuvent aussi financer des opérations d’habitat spécifique et des missions de la politique de la ville tel que le Plan national de rénovation urbaine (PNRU). Afin de sécuriser les dépôts et assurer les ressources nécessaires au fonds d’épargne, le montant des dépôts centralisés au titre du Livret A doit toujours être supérieur ou égal à 125 % de l’encours des prêts au logement social et à la politique de la ville octroyés par la CDC.

Il est clair que l’objectif de financement de 150 000 logements sociaux par an (à comparer aux 105 000 de l’année 2012) va engendrer une augmentation sensible des besoins de financement du secteur. Ainsi, pour satisfaire cet objectif, ce sont 13,7 milliards d’euros de prêt au logement locatif social qui devront être accordés pour la seule année 2013, soit 4 milliards d’euros de plus qu’en 2012.

Enfin, les ressources du Livret A qui ne sont pas centralisées par la CDC (80 milliards d’euros) font l’objet d’une « obligation d’emploi ». Elles doivent être employées par les établissements bancaires « au financement des PME » à hauteur de 80 % ainsi  « qu’au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens » à hauteur de 10 % [4]. De même, un certain nombre de programmes d’investissement des collectivités locales (plan Campus, plan Hôpital 2012, Grenelle de l’environnement) ont bénéficié des encours du Livret A.

Le Livret A met-il en danger le système bancaire français ?

Compte tenu de l’attrait croissant des ménages pour l’épargne réglementée (et notamment celle du Livret A), on pourrait penser (à l’instar de S&P) que ce type de placement met en danger le système bancaire en appauvrissant les liquidités bancaires déjà mises à mal par la crise. Les relèvements de plafond opérés ces derniers mois ont en effet conduit – pour l’essentiel – à un transfert de l’épargne vers les placements défiscalisés dont la part dans l’épargne financière totale des ménages a augmenté de 0,6 point entre 2011 et 2012. On a ainsi pu observer en octobre 2012 une chute importante de l’encours des livrets soumis à l’impôt (-12 milliards d’euros), chute s’expliquant en partie par la hausse des encours sur le Livret A (+6 milliards d’euros)[5] (voir graphique 1).

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Pour autant, il est important de relativiser les déclarations alarmistes de S&P. D’une part, parce qu’excepté ce mois d’octobre 2012, les flux sur les livrets fiscalisés sont relativement stables. D’autre part, parce que l’épargne réglementée, bien qu’en nette progression, ne représentait en 2012 que 9,5 % (dont 6,2% pour le Livret A) de l’épargne financière totale des ménages qui s’élevait à 3 664 milliards d’euros. De plus, en cas de manque réel et durable de liquidité, des ajustements techniques existent ou peuvent être mis en place. Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, le ratio de couverture du fonds d’épargne atteignait au début de l’année 156 % des encours des prêts au logement social et à la politique de la ville au lieu des 125 % réglementaires. Cette sur-couverture représente quelques 50 milliards d’euros qui ne sont affectés ni au financement du logement social ni à la liquidité bancaire. Aujourd’hui réclamés par les banques, ces fonds se doivent d’être rapidement orientés. Le fonds d’épargne disposant de liquidités importantes, tout en laissant inchangé les taux de couverture et de centralisation (fruits d’âpres négociations), on peut imaginer qu’un certain nombre de mécanismes temporaires de transfert entre le fonds d’épargne et le secteur bancaire peuvent annihiler tout risque de crise de liquidité. Enfin, on peut noter que les banques ont aussi bénéficié de la généralisation de la distribution du Livret A, notamment au travers du versement, par le fonds d’épargne, d’un commissionnement sur les sommes centralisées. Ce commissionnement, qui ponctionne directement le financement des logements sociaux, a grevé le fonds d’épargne d’1 milliard d’euros en 2012. Sans conclure sur la suite à donner à ces contreparties, on peut s’interroger sur la mise en place d’un meilleur arbitrage entre taux de centralisation et de couverture, taux de commissionnement et financement pérenne du logement social[6].

Quid de la baisse « probable » des taux ?

Avancée le 23 juin dernier par le ministre de l’Economie, M. Pierre Moscovici, reprenant les déclarations faites quelques jours auparavant par le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, l’idée d’une baisse du taux du Livret A devrait entrer en vigueur le 1er août prochain et découlerait de la baisse du taux d’inflation sur lequel ce dernier est en partie indexé. Quels effets cette baisse de taux peut-elle avoir sur les flux d’épargne déposés sur les Livrets A et donc sur le financement du logement social ?

En mai 2013, le taux d’intérêt du Livret A s’établissait, en termes réels, à 0,5 %, soit un niveau relativement bas. Sur la période 2011-2012, ce dernier était même nul en moyenne (voir graphique 2). Pour autant, les flux d’encours sont restés stables sur la période. Ceci s’explique en partie par les faibles taux proposés par les autres placements,  notamment les livrets fiscalisés de type Compte épargne logement(CEL) dont les taux réels nets sont négatifs depuis fin 2009. Compte tenu des arbitrages effectués par les ménages, notamment les plus aisés, en vue d’atteindre le meilleur rendement de leur épargne, il est assez complexe de mettre en évidence une corrélation stricto sensu entre le taux du Livret A (réel ou nominal) et les évolutions de l’encours. Ainsi, au second semestre 2009, le Livret A a subi une décollecte alors même que son taux réel était élevé ; en 2010 et 2011, en revanche, la collecte a été forte alors que ce n’était plus le cas.

Compte tenu, d’une part, des faibles taux réels nets que proposent les placements comparables et, d’autre part, des incertitudes sociales et économiques actuelles, on peut espérer une certaine stabilité des flux au second semestre 2013 et ce malgré la baisse du taux rémunérateur. Cette stabilité dépendra bien évidemment de l’importance de la baisse. Le taux étant actuellement de 1,75  %, il paraît peu probable de maintenir des flux élevés si le taux était révisé en deçà des 1,25 %. La Commission économique de la nation prévoyant une inflation de 1,2 % pour 2013, toute fixation du taux du Livret A inférieure à ce taux se traduirait par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, baisse allant à l’encontre des engagements gouvernementaux.

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Rappelons tout de même que cette réévaluation du taux n’est pas automatique et reste dépendante des décisions politiques. Dans la seconde moitié de 2009, alors que l’effondrement de l’inflation aurait justifié un recul de 1,5 point pour ramener le taux à 0,25 %, la baisse de taux finalement appliquée n’a été que de 0,5 point, pour s’établir à 1,25 %. C’est ainsi que 2 milliards d’euros supplémentaires ont été redistribués aux ménages. Inversement, en février 2012, au vu du regain d’inflation (même temporaire), le taux aurait dû être revalorisé à 2,75 %. Le manque à gagner engendré pour les ménages de cette non-réévaluation du taux est estimée à 1 milliard d’euros.

A l’image du choix des ménages entre sécurité, liquidité et rendement, l’arbitrage public entre pouvoir d’achat des ménages et conditions d’emprunt des bailleurs sociaux peut s’avérer compliqué. Ainsi, alors qu’une sous-évaluation du taux avantage sensiblement les bénéficiaires de l’affectation des fonds issus du Livret A (essentiellement les bailleurs sociaux) dont les intérêts d’emprunt sont « indexés » sur le taux du livret A, elle devient pénalisante pour l’épargnant.

Bien que les « petits » épargnants soient peu sensibles aux variations des taux, les « gros » épargnants, c’est-à-dire ceux approchant le plafond des dépôts, peuvent rapidement arbitrer en défaveur du Livret A. Or, ces 10 % de déposants les mieux lotis représentent 51 % des dépôts du Livret A. Une réduction massive des taux pourrait donc entraîner une décollecte importante et, par la suite, réduire significativement les capacités de prêts de la CDC au secteur du logement social, secteur aux objectifs de construction ambitieux et aux besoins de financement croissants. A contrario, il paraît clair que le maintien, en période de faible inflation, de taux élevés entraînerait un renchérissement des crédits accordés aux bailleurs sociaux, au moment même où l’Etat et les organismes HLM viennent de s’engager à la construction de 120 000 logements sociaux par an entre 2013 et 2015.

 


[1] Pour plus de précision sur le mode de détermination du taux  d’intérêt, voir Péléraux (2012).

[2] En janvier 2009, l’encours a subi une augmentation historique de 12,5 %. A titre de comparaison, les hausses successives du plafond d’octobre et janvier dernier n’ont engendré que des hausses respectives de 3,1 et 3,5 %.

[3] En 2012,  pour le seul financement de 105 000 logements sociaux, ce sont 9,7 milliards d’euros de prêt qui ont été octroyés par le fonds d’épargne.

[4] A titre d’exemple, Oséo et le fonds stratégique d’investissement (FSI) ont reçu respectivement, en 2012, 5,2 et 0,5 milliards d’euros de ressources issues du Livret A.

[5] Le transfert s’est principalement opéré en faveur du Livret de développement durable (LDD) dont l’encours a progressé de près de 14 milliards d’euros en octobre 2012 à la suite du doublement de son plafond.

[6] Alors que le taux de commissionnement doit converger d’ici 2022 vers 0,50 % pour l’ensemble des établissements distributeurs, il s’élevait en 2011 à 0,37 % pour les nouveaux distributeurs et à 0,53 % pour les distributeurs historiques (CDC, 2012).




Donations financières : quand les inégalités se transmettent aussi …

par Sabine Le Bayon, Sandrine Levasseur et Pierre Madec

En France, les transmissions intergénérationnelles, qu’elles soient sous forme d’héritages ou de donations, sont au cœur d’un débat idéologique ancien. Les défenseurs du droit à transmettre et des solidarités intergénérationnelles se voient opposer les critiques dénonçant là un vecteur important de reproduction des inégalités sociales et patrimoniales. Alors que la part des ménages français percevant un héritage a diminué au cours de la dernière décennie, le nombre de ménages  percevant des donations, notamment sous forme financière[1] a augmenté durant la même période. Ainsi, en 2010, près d’un ménage sur cinq déclarait avoir reçu une donation au cours de sa vie, soit 30 % de plus qu’en 2004. Quels rôles jouent réellement ces transferts financiers dans la transmission des inégalités ? Quels impacts ont-ils sur la constitution du patrimoine ?

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Donations versus aides financières

Les donations (financières) ne doivent pas être confondues avec les aides (financières).Tous deux transferts entre vifs, les donations s’entendent comme un transfert de patrimoine tandis que les aides constituent davantage un transfert de ressources. De ce fait, le montant des aides doit rester modéré et proportionnel soit à l’état de fortune du ménage apportant l’aide, soit à l’état de besoin du ménage la recevant. Les donations quant à elles concernent des montants plus importants, et peuvent être soumises à la fiscalité relative aux successions. Ainsi, bien que les donations en ligne directe (de parents à enfants) inférieures à 100 000 euros ne soient pas fiscalisées, les donations d’un montant supérieur, contrairement aux aides, le sont. Ce « droit  à abattement » est depuis la mi-2012 renouvelable tous les 15 ans contre 10 ans et  un montant de 150 000€ auparavant.

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Pour mesurer le rôle de ces transferts, notamment en termes de transmission des inégalités, de nombreuses études ont analysé le profil des ménages donateurs (voir par exemple : Cordier, Houdré et Ruiz, 2007 ; Arrondel et Masson, 2010, Garbinti, Lamarche et Salambier, 2012). Ainsi, Cordier et al. (2007) montrent que les ménages possédant un patrimoine important (supérieur à 200 000€) et ceux ayant eux-mêmes bénéficié d’un transfert (héritage et/ou donation) de leurs ascendants ont une probabilité plus élevée de transmettre que les autres catégories de ménages.

Ces résultats semblent assez logiques. Avant de transmettre, il faut avoir accumulé assez de patrimoine et c’est le cas des ménages décrits ci-dessus. Pour autant, ces études, si elles répondent à la question « Qui aide ? », ne répondent que très rarement à la question « Qui est aidé ? ». Or, pour conclure à un impact positif des transferts intergénérationnels sur la transmission des inégalités sociales ou patrimoniales, il est important de connaître le profil des « aidants» mais aussi des « aidés ».

Dans un article de la Revue de l’OFCE n° 129, « Ville et Logement » (Le Bayon, Levasseur et Madec, 2013), nous étudions non pas les ménages donateurs mais donataires, c’est-à-dire les ménages qui ont perçu des donations, en nous focalisant spécialement sur ceux ayant reçu une donation financière « récemment » (i.e. entre 2006 et 2009).

Le graphiques 1 présente une partie de nos résultats[2].

Sans surprise, il apparaît tout d’abord une corrélation très négative entre l’âge et la probabilité d’avoir perçu une donation financière ; cette probabilité étant au minimum divisée par deux entre les ménages ayant moins de 30 ans et les autres.

Concernant les catégories socio-professionnelles, une forte inégalité se dessine. Ainsi, en écartant de l’analyse les artisans et commerçants dont les caractéristiques sont assez hétérogènes, il ressort que les ouvriers (respectivement les inactifs[3]) ont deux fois (resp. dix fois) moins de chance d’avoir perçu une donation que les autres catégories étudiées.

L’analyse du niveau de vie des donataires ne fait qu’étayer ce résultat. En effet, il apparaît que les 10 % les plus riches ont deux fois plus de chances d’avoir reçu une donation financière au cours des 5 dernières années que les 25 % les plus pauvres. Le montant des donations reçues est aussi très différent selon que le ménage donataire appartient aux 25 % les plus pauvres ou aux 10 % les plus riches (voir tableau ci-dessous). En moyenne, le quart le plus riche des ménages perçoit des donations financières d’un montant 40 % supérieur à celui reçu par les autres ménages. De même, si l’on s’intéresse à la distribution des montants perçus, les ménages modestes les « mieux lotis », c’est-à-dire ceux percevant les donations les plus importantes, reçoivent en réalité autant (environ 12 000€) que les ménages très aisés (9e décile) les moins bien lotis.

Les donations financières sont donc principalement versées et reçues par des ménages au niveau de vie élevé. Elles constituent de ce fait un vecteur important de transmission des inégalités sociales.

 

Enfin, au vu des résultats fournis dans le graphique sur le statut d’occupation, il semble que celui-ci joue un rôle important sur la probabilité d’avoir perçu une donation financière : un locataire a 9 % de chance d’avoir perçu une donation lorsqu’un acquéreur récent[4] en a 23 %. La causalité entre les deux variables est délicate à établir. En effet, la donation peut soit déclencher l’achat d’un logement soit résulter d’une décision d’achat. Pour autant, indépendamment de toute causalité, ces résultats nous renseignent sur la corrélation positive qui existe, intrinsèquement, entre acquisition et perception d’une donation. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’avoir acquis récemment sa résidence principale multiplie par plus de deux la probabilité d’avoir perçu récemment une donation financière.

A l’inverse, le graphique 2 nous renseigne sur l’impact de la perception d’une donation sur la probabilité d’acquisition. C’est-à-dire qu’une fois établi le fait que les acquéreurs récents ont plus de chance d’avoir reçu une donation que les autres catégories de ménages, on s’interroge ici pour savoir si indépendamment des autres caractéristiques du ménage (âge, type de ménages, localisation, revenu, …) un ménage ayant perçu une donation voit augmenter ses chances d’acquérir sa résidence principale, et si oui, dans quelles proportions .

Clairement, la perception récente, par un ménage, d’une donation financière augmente significativement ses chances d’avoir acquis sa résidence principale, et ce quel que soit le montant de ladite donation. Ainsi, lorsqu’un ménage n’ayant pas perçu de donation a 40 % de chance d’être acquéreur récent, le même ménage voit son pourcentage de chance atteindre au moins 70 % s’il est donataire. Les transmissions intergénérationnelles, financières, par la liquidité immédiate qu’elles procurent à leurs bénéficiaires et parce qu’elles sont mobilisables à la discrétion du donateur et en fonction des besoins du donataire, exercent un impact positif sur l’achat de la résidence principale du donataire.

En outre, notons que les donations financières ne sont pas nécessairement d’un montant très élevé puisque la médiane s’élève à 12 000 euros[5]. Ainsi on devine que, dans certains cas, la donation financière, plutôt que de financer l’achat stricto sensu, permet de constituer un (petit) apport personnel ou, plus simplement, de payer les frais afférents à l’acquisition (frais de notaire ou frais d’agence par exemple). Toujours est-il que même ce « petit coup de pouce » augmente fortement la probabilité d’être acquéreur de sa résidence principale. Ces « petits coups de pouce », et a fortiori les « gros coups de pouce », constituent donc un double vecteur de transmission et de reproduction des inégalités patrimoniales, en facilitant aussi l’acquisition de la résidence principale.


[1] Voir l’encadré pour la définition d’une donation financière.

[2] Les probabilités ci-dessous résultent d’une régression logistique et sont donc à interpréter « toutes choses égales par ailleurs ». Le type de ménage (célibataire, en couple avec/sans enfants …) y est également contrôlé.

[3] Les inactifs sont les ménages dont la personne de référence n’est ni en emploi (au sens du BIT) ni au chômage ni étudiant : retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler,…

[4] Un ménage est dit acquéreur « récent » lorsqu’il a acheté sa résidence principale entre 2006 et 2009, dernière année de données disponibles dans l’enquête Patrimoine que nous utilisons.

[5] C’est-à-dire que 50 % des ménages ayant reçu une donation financière ont reçu une donation inférieure à 12 000 euros, et les 50 % restants ont reçu une donation supérieure à 12 000 euros. Voir aussi le tableau (dans le corps du texte) pour davantage de données chiffrées sur les donations financières.

 

 




“Prêt à taux zéro” : ne prête-t-on qu’aux riches ?

par Pierre Madec

Le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur une nouvelle version du prêt à taux zéro (PTZ). Cette dernière, plus restrictive que les précédentes, abaisse les plafonds d’éligibilité et renforce son ciblage sur les logements neufs (et l’ancien HLM). Nous revenons ici sur les possibles conséquences de cette mesure.

Compte tenu des fortes tensions présentes sur le marché locatif (Le Bayon, Madec et Rifflart, 2013), l’objectif de faciliter l’accès à la propriété des primo-accédants avec peu d’apport est louable. Pour autant certaines questions méritent d’être posées : les ménages les plus modestes en sont-ils les premiers bénéficiaires ? Le PTZ déclenche-t-il l’achat de la première résidence principale (effet incitatif) ou ne fait-il que l’accompagner (effet d’aubaine) ? La mise en place du PTZ et sa pérennisation ont-ils permis de développer significativement l’offre sur le marché immobilier neuf ? Le coût budgétaire qu’engendre une telle mesure est-il efficace au vu de l’ensemble des résultats ?

Mis en place en 1995 pour faciliter l’accès à la propriété des ménages les plus modestes, le prêt à taux zéro a, depuis lors, évolué au gré des contraintes budgétaires et des décisions politiques. En 2005, le dispositif, jusque-là réservé à l’achat d’un logement neuf (ou d’un logement ancien sujet à des travaux importants), a été étendu à l’acquisition de logements anciens sans condition de travaux, afin notamment d’accroître l’accession à la propriété dans les zones en pénurie de foncier (Paris notamment). Cette décision a permis de doubler le nombre de PTZ accordés en 2005. De même, en 2011, la suppression des plafonds d’éligibilité a permis au dispositif de battre un record avec près de 352 000 PTZ accordés. Sur fond de crise budgétaire et immobilière, la réapparition, en 2012, des plafonds de ressources et la disparition des logements anciens (hors HLM) de la liste d’éligibilité du dispositif ont ramené le nombre de PTZ à un niveau historiquement faible (64 000).

Sur le papier, le principe de cette « avance remboursable ne portant pas intérêt » est simple : en contrepartie de l’accord d’un prêt à taux d’intérêt nul, les banques bénéficient d’un crédit d’impôt du montant des intérêts non perçus. Ce prêt, limité à une certaine quotité de financement[1], doit obligatoirement être adossé à un prêt principal et peut alors être assimilé à un apport personnel lors de l’acquisition de la résidence principale et donc lors de l’octroi du prêt principal.

Dans les faits, le calcul du montant du PTZ accordé est complexe puisqu’y interviennent des plafonds de ressources et des montants de transaction, qui dépendent de la zone géographique ainsi que des quotités de financement. De même, les modalités de remboursement (durée et différé de remboursement) sont définies selon l’appartenance à une « tranche de remboursement », tranches calculées en fonction des ressources et de la composition du ménage.

Le PTZ dynamise-t-il l’offre de logement sur le marché immobilier neuf ?

L’un des objectifs affichés lors de la création du dispositif était de soutenir et de dynamiser un marché immobilier neuf atone. Dans les faits, l’impact du PTZ sur le marché de la construction est assez difficile à établir. En observant l’évolution du nombre de logements construits avant et après la mise en place du PTZ (graphique 1), il ne semble pas que les 150 000 PTZ accordés en 1996 aient eu un impact significatif sur le volume de logements neufs construits. De cette rapide observation semble émerger l’idée que même sans dispositif, compte tenu du contexte économique plutôt clément, le marché immobilier aurait été tout aussi dynamique. De même, la croissance observée du marché immobilier neuf sur la période 1999-2007 n’est pas imputable au dispositif d’aide à l’accession[2].

Selon les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012), à l’image des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (Madec 2013, Levasseur 2011), le zonage établi lors de la mise en place du PTZ a bien du mal à diriger les investissements vers les territoires les plus tendus. Ainsi, au 3e trimestre 2012, plus de la moitié des PTZ distribués l’ont été pour des acquisitions en zone C, c’est-à-dire la zone la moins sujette aux tensions du marché (contre 15 % pour la zone A[3]). Ceci s’explique en grande partie par l’extrême rareté (et cherté) du foncier en zone A et B. C’est dans le but d’en finir avec cette forme de discrimination territoriale qu’en 2005 le dispositif a été ouvert à l’ancien. Sur la période 2005-2011, plus d’un million de PTZ ont ainsi été accordés pour l’acquisition d’un logement ancien, trahissant par là-même l’un des objectifs initiaux du dispositif.

Enfin, malgré une volonté affichée de promouvoir les logements à haute qualité environnementale, en proposant notamment des quotités de financement supérieures pour les logements de type BBC[4], le PTZ n’a que peu participé à la construction de logements économes en énergie puisque qu’au 3e trimestre 2012, deux tiers des prêts accordés l’ont été pour l’achat de logement ne respectant pas la norme BBC.

 

 

Le PTZ facilite-t- il l’accession à la propriété des ménages les plus modestes ?

L’une des principales critiques adressée au PTZ est la piètre qualité de son ciblage. Alors que le but d’un tel dispositif était de solvabiliser les ménages les plus en difficulté en finançant, sur des deniers publics, un équivalent d’apport personnel, l’existence de plafonds de ressources particulièrement élevés (quand ces derniers ne sont pas tout bonnement supprimés comme en 2011) a rendu éligibles des ménages n’ayant pas à priori besoin de l’Etat pour accéder à la propriété. A titre d’exemple, le plafond d’éligibilité était en 2012 de 43 500 euros annuel pour une personne seule souhaitant acquérir une résidence principale en zone A. Ce plafond rendait alors 90 % des ménages franciliens éligibles au PTZ (source INSEE)[5].

Par ailleurs, de nombreuses études ont cherché à mesurer l’impact du PTZ sur les capacités de financement des ménages (ANIL 2011, Beaubrun-Diant 2011, Gobillon et Le Blanc 2005, Thomas et Grillon 2001). Gobillon et al. ont ainsi conclu que le PTZ n’était « déclencheur d’achat » que pour 15 % des ménages acquéreurs. Autrement dit, selon la modélisation proposée par les auteurs, 85 % des ménages auraient accédé à la propriété avec ou sans PTZ. De même, les études récentes portant sur le profil des accédants à la propriété (Le Bayon, Levasseur et Madec 2013, Babès Bigot Hoibian 2012, INSEE 2010) mettent en exergue les difficultés croissantes d’accession à la propriété des ménages les plus modestes. Ainsi, selon Le Bayon et al., les ménages appartenant au 1er quartile de niveau de vie, ménage visés par les dispositifs d’aide à l’accession, voient leur probabilité d’acquérir leur résidence principale divisée par deux entre 2004 et 2010. Il semble donc, au vu de ces divers résultats, que le PTZ ait bien du mal, en tout cas dans ces versions précédentes, à jouer son rôle solvabilisateur pour les ménages à faibles revenus. Cette conclusion peut tout de même être en partie relativisée lorsque l’on observe les dernières statistiques fournies par la SGFGAS. Ainsi, selon ces données, les ouvriers et employés ont représenté respectivement 25 % et 33 % des bénéficiaires de PTZ au 3e trimestre 2012. De même, un bénéficiaire sur trois appartenait à la première « tranche de remboursement ». Pour autant, le calcul de ces tranches prenant en compte des plafonds de ressources particulièrement élevés, l’appartenance à la première tranche de remboursement ne peut être assimilée à un «critère de pauvreté ».

Enfin, en augmentant la demande sur un marché immobilier neuf dont l’élasticité de l’offre est faible et en permettant à nombre de ménages d’acquérir des logements plus onéreux, les dispositifs d’aide à l’accession se voient, depuis longtemps, reprocher leurs effets inflationnistes (ANIL, 2002).

 

Le PTZ : combien ça coûte ?

Pour 2012, le coût pour l’Etat du seul PTZ a été de 1,34 milliard d’euros. Compte tenu du nombre de bénéficiaires, ce coût peut paraître élevé, mais il se doit d’être, comme tous les dispositifs d’aides publiques, analysé en termes d’efficacité.

Une évaluation rapide permet de calculer l’impact du PTZ sur l’investissement en logements. Pour estimer l’effet multiplicateur du dispositif PTZ en 2012, nous nous appuyons sur les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012) et sur les hypothèses suivantes[6] :

  • – 50 % des bénéficiaires appartenant à la « Tranche 1 » de remboursement sont des ménages dits « déclenchés » (soit 15 % de l’ensemble des bénéficiaires) ;
  • – Les ménages « non déclenchés » augmentent, grâce au PTZ, le montant de leur achat de 3 % ;

 

 

Au total, les PTZ de l’année 2012 ont donc, selon nos estimations et sous les hypothèses précédentes, créés près de 2 milliards d’euros d’investissement en logement pour un coût fiscal de 1,3 milliard d’euros. Le coefficient multiplicateur du dispositif a donc été de 1,5. Ce dernier est dans la fourchette basse de ceux observés dans d’autres pays avec des dispositifs similaires (1,5 à 2). Surtout, ce multiplicateur pourrait être beaucoup plus élevé si le ciblage des ménages était plus strict. En effet, pour la seule « Tranche 1 » de remboursement, sous les hypothèses précédentes et en considérant que cette tranche représente la moitié de la dépense fiscale (hypothèse généreuse), le multiplicateur atteint 2,6. On est encore loin cependant du multiplicateur théorique optimal à 6, estimé par Gobillon et Le Blanc[7].

 

Quid du PTZ version 2013 ?

Pour répondre à l’ensemble des critiques soulevées précédemment, le gouvernement a, le 1er janvier dernier, tenté d’améliorer les conditions d’accès au dispositif :

  • – réduction des plafonds d’éligibilité de 17 % (en zone A) à 30 % (en zone C) ;
  • – gel des plafonds de coûts d’opération dans le neuf et l’ancien HLM ;
  • – baisse des quotités de financement ;
  • – remise en place d’un différé de paiement pouvant aller jusqu’à 15 ans pour les ménages appartenant à la 1re tranche de remboursement.

Ces mesures vont pour la plupart d’entre elles dans le sens d’un ciblage plus juste des aides à l’accession. Cependant certaines améliorations pourraient encore être apportées. Les plafonds de ressources de la zone A concernent encore en 2013 près de 80 % des franciliens. De plus, la possibilité d’acquisition d’un ancien logement HLM, potentiellement très énergivore, semble en contradiction avec la promotion des logements neufs à haute qualité énergétique. Ne vaudrait-il pas mieux promouvoir, pour les ménages modestes en zones tendues, l’achat de logements non neufs mais récents, possédant des caractéristiques énergétiques plus proches de celle exigées pour le neuf ?

De même, le retour du principe du différé de paiement de 15 ans peut s’avérer assez critiquable. En effet, il peut contribuer à désolvabiliser une partie des ménages en réduisant la durée de leur prêt principal. Les banques, tenant compte du différé, sont incitées à aligner la durée du prêt principal sur la durée du différé pour éviter une hausse future trop importante des mensualités. A l’inverse, ce différé peut augmenter le risque de défaut, les ménages subissant, une fois le différé terminé, un ressaut de leur mensualité (Bosvieux et Vorms, 2003).

Enfin le gel des plafonds de transactions ne pourra être pérennisé compte tenu d’une part de l’écart croissant qui existe entre ces plafonds et les prix de marché, et d’autre part de la hausse continue des coûts de construction consécutive à l’inflation normative subie par le secteur.

Pour conclure, il est important de noter l’existence d’un débat sur la nécessité même de dispositif d’aide à l’accession : l’Etat doit-il inciter, aider ou financer l’accession à la propriété des ménages locataires ? A l’image des incitations fiscales à l’investissement locatif, les contribuables doivent-ils aider les ménages locataires à devenir propriétaires ? Pour les ménages les plus modestes, dans l’impossibilité matérielle de constituer un apport personnel suffisant à l’acquisition, il peut sembler légitime de penser que l’Etat est dans son rôle en aidant les plus fragiles à suivre la trajectoire résidentielle standard : décohabitation parentale, location, accès à la propriété. Pour les autres, on ne peut écarter l’existence d’effets d’aubaine importants comme souligné plus haut. Pour les éviter et améliorer la solvabilité des ménages initialement visés par le dispositif, une refonte profonde des dispositifs d’aide à l’accession (sociale ou non) est indispensable.


[1] C’est-à-dire un pourcentage plafond du montant de la transaction.

[2] Le marché du neuf a été, sur la période considérée, fortement soutenu par les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (voir Le Bayon et al. 2013)

[3] Paris, la petite couronne parisienne et une partie de la grande couronne.

[4] En 2012, pour les acquisitions en zone A, la quotité de financement était de 38 % pour les logements neuf BBC contre 26 % pour les non BBC.

[5] Pour un revenu annuel de 43 500 €, en supposant un taux de 3,2 %, la capacité d’emprunt s’élève en moyenne à 260 000 € (hors PTZ), soit un logement d’au moins 50m² en petite couronne parisienne (hors communes limitrophes à Paris).

[6] Ces hypothèses sont en adéquation avec les résultats de la modélisation proposée par Gobillon et Le Blanc (2005). Ces derniers obtiennent un effet multiplicateur du PTZ de l’ordre de 1,1 à 1,3.

[7] Ce multiplicateur a été estimé en supposant un ciblage parfait du dispositif, c’est-à-dire que l’intégralité des bénéficiaires sont des ménages « déclenchés ».




Augmenter les aides au logement : une fausse bonne idée ?

par Pierre Madec

Inscrite dans le projet de Loi de finances pour 2013, l’augmentation de 500 millions d’euros des aides personnelles au logement (APL, ALS et ALF[1]) a été adoptée par le Parlement et est entrée en vigueur au 1er Janvier 2013. Cette augmentation de 3 % porte le montant prévisionnel consacré aux aides personnelles au logement à 17,3 milliards d’euros pour l’année à venir.

Dans les faits, depuis 2007, les aides personnelles au logement sont indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL). En 2012, ces dernières n’ont été revalorisées que de 1 % (au lieu de 1,9%) à la suite d’un amendement parlementaire au projet de Loi de finances pour 2012. Cette augmentation de 500 millions d’euros n’est donc que le retour à l’indexation prévue par la loi.

 

Principal poste budgétaire de la politique du logement, les aides à la personne sont perçues par 6,4 millions de ménages (CAF 2012) et constituent, compte tenu de leur ciblage sur les ménages modestes, l’une des prestations sociales les plus redistributives. De plus, leur impact sur le taux d’effort des ménages n’est plus à prouver[2]. Selon un récent rapport de l’IGAS (2012), elles permettent à elle seules de réduire de 35,8 % à 19,5 % (hors charges) le taux d’effort médian des allocataires et de faire baisser de 3 points leur taux de pauvreté[3].

Pour autant, cette efficacité s’effrite peu à peu. En 2012, 86,3 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds définis par la loi. Cette dynamique est ancienne et est principalement due aux importantes hausses successives qu’ont connues les loyers du secteur libre depuis maintenant plus de 10 ans (+40 % depuis 2000). Hausses largement déconnectées de l’évolution de l’indice légal sur la période (inférieure à 25 %) et qui, au vu de la faiblesse des plafonds réglementaires de loyers, sont intégralement supportées par les locataires.

Depuis le 1er Août 2012 et l’entrée en vigueur du décret sur l’encadrement des loyers, la loi ne permet plus aux propriétaires-bailleurs, dans les zones les plus tendues[4], de faire évoluer leur loyer d’une proportion supérieure à l’IRL (sauf gros travaux ou sous évaluation manifeste)[5]. Cette mesure en faveur des locataires a pour principal objectif de contenir la progression du taux d’effort des ménages locataires du secteur libre. En 2010, le taux d’effort net médian (hors charges) des locataires du parc privé était de 26,9 % contre 22,8 % en 1996[6].

Pour autant, le décret n’exigeant pas de « blocage » des loyers, les ménages voient tout de même leur loyer et donc leur taux d’effort augmenter, leur revenu (et jusqu’à présent leurs aides) n’étant pas (plus) indexé(s) sur l’IRL.

L’augmentation de 3 % des aides au logement associée à la mesure d’encadrement permettra donc au mieux de ramener le taux d’effort des ménages allocataires à un niveau proche de celui de 2011.

Pour autant, la simple indexation suffira-t-elle à améliorer la situation très dégradée des ménages les plus fragiles ? Pour cela, il faudrait que la hausse des loyers soit inférieure à la hausse de l’indice légal ce qui, compte tenu des « effets secondaires » engendrés par les mesures d’encadrement et de hausse des allocations, est peu probable.

Pour ce qui est de l’encadrement, les propriétaires n’étant plus en capacité d’augmenter librement leur loyer lors de la relocation, et donc de rattraper à ce moment-là les prix du marché, ils seront fortement incités à appliquer à leurs loyers une augmentation annuelle égale à l’IRL et ce aussi bien en cours de bail que lors du renouvellement de bail[7]. De plus, concernant l’augmentation des aides personnelles au logement, de nombreuses études, théoriques et empiriques, menées tant en France (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002) qu’aux Etats-Unis (S. Susin, 2002) ou en Angleterre (S. Gibbons et A. Manning, 2006), ont montré l’important effet inflationniste d’une telle mesure sur les loyers. Bien que difficilement chiffrable, cet effet significatif semble agir à deux niveaux distincts. Les estimations suggèrent dans un premier temps qu’une grande partie (entre 50 et 80 % selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers. Dans un second temps, l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes (étudiants, …) augmente la demande sur le marché locatif et, compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, contribue à l’effet inflationniste. On peut tout de même noter que cet effet peut être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse, et donc une augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale.

A partir de ces observations, deux enseignements peuvent être tirés de la mesure d’augmentation des aides au logement et de leur future ré-indexation sur l’indice de référence des loyers : d’une part cela permettra, associé à la mesure d’encadrement des loyers, de contenir le taux d’effort des ménages les plus modestes à un niveau proche de celui de 2011 ; d’autre part, cette mesure, coûteuse à moyen comme à long terme (l’indexation augmentera automatiquement, chaque année, de l’IRL le montant global des aides), ne permettra en aucun cas d’alléger significativement les dépenses en logements des allocataires les plus fragiles, et ce d’autant plus si cette augmentation, et l’indexation future, ne prennent pas en compte l’évolution des charges locatives.

Une fois ces résultats établis, une question se pose : que faire ? Différentes solutions s’offrent aux pouvoirs publics. La première est de considérer que le taux d’effort des ménages est (une fois cette ré-indexation effectuée) à un niveau supportable, que les loyers maintenant encadrés le sont aussi, et que l’Etat est en capacité de compenser chaque année, à hauteur de 300 millions d’euros[8], la hausse probable des loyers. Compte tenu d’une part des difficultés budgétaires que connaissent les finances publiques et d’autre part des taux d’effort subis par certains des ménages locataires les plus modestes, il est difficile de considérer cette solution comme optimale.

Dans le cas où la volonté du gouvernement est de faire baisser le taux d’effort des ménages modestes, nous avons montré que la simple indexation ne suffirait pas. Une fois de plus, on peut penser qu’au vu de la situation budgétaire, la hausse du budget global consacré aux aides à la personne ne constitue pas, à court terme, une réponse acceptable pour les pouvoirs publics. De même, un encadrement plus strict des loyers  (voire un « blocage » temporaire) serait perçu, à tort ou à raison, de manière très négative par les propriétaires-bailleurs.

Une solution réside donc dans un ciblage plus strict des aides. En effet, à enveloppe budgétaire constante, l’exclusion d’un certain nombre de bénéficiaires du système d’allocation (baisse des plafonds de ressources, modification du calcul de la participation personnelle, …) permettrait d’orienter  plus efficacement les aides vers les ménages les plus fragiles, qui subissaient, en 2010, un taux d’effort net médian de 33,6 %[9]. On peut ainsi penser que, pour les étudiants, un rapprochement des systèmes de bourses d’études et d’allocations logements pourrait être opéré. Actuellement, les seules ressources prises en compte dans le calcul de l’allocation sont celles du futur bénéficiaire. Cette politique à priori très égalitaire (elle rend tous les étudiants-locataires potentiellement indépendants de leurs parents) peut s’avérer assez critiquable. La prise en compte de l’appartenance ou non du bénéficiaire au foyer fiscal parental, comme c’est aujourd’hui le cas pour le système des bourses, pourrait permettre une répartition des aides plus juste socialement. De même, une différentiation des aides en fonction des zones géographiques, et donc des loyers pratiqués, pourrait être envisagée.

 


[1] L’APL désigne l’aide personnalisée au logement, l’ALS l’allocation de logement social et l’ALF l’allocation de logement familiale.

[2] Le taux d’effort est défini comme le rapport entre les dépenses en logement (loyers+charges) et le revenu du ménage. On parle de taux d’effort net lorsque l’on ajoute au revenu les aides au logement perçues.

[3] Cette réduction du taux de pauvreté peut être comparée à la diminution de 2 points engendrée par la perception de minima sociaux ou des autres prestations familiales perçues sans condition de ressources.

[4] C’est-à-dire les zones où l’offre de logement est la plus faible et donc les loyers et les taux d’effort des ménages les plus élevés.

[5] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, blog de l’OFCE, 2012

[6] Source Enquête Loyer et Charge, INSEE

[7] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, à paraître dans la Revue de l’OFCE, n°128, 2013.

[8] Hausse du montant global des aides au logement prévue pour 2014 si l’IRL est d’environ 1,7 % (estimation basse).

[9] Taux d’effort net médian en 2010 des locataires du secteur privé appartenant au 1er quartile de niveau de vie (source INSEE).




Investissement locatif Scellier-Duflot, même combat ?

Par Pierre Madec

Depuis 20 ans, le marché immobilier neuf se trouve sous perfusion publique. La part des investisseurs privés dans les ventes de logements neufs des promoteurs n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2010 près de 70 %[1]. Cette évolution s’explique en grande partie par les augmentations régulières du montant consacré par l’Etat à l’investissement locatif qui est passé de 345 millions d’euros en 1989 à 1 347 millions d’euros en 2011[2].  Successeur du dispositif Scellier et des six autres dispositifs qui l’ont précédé,  le dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » est entré en vigueur au 1er Janvier 2013 pour une durée de 4 ans.

Comme pour toutes les mesures ponctionnant le budget de l’Etat et visant à développer l’offre de logement neuf sur un marché immobilier à forte tendance inflationniste, tant à la vente qu’à la location, plusieurs questions doivent être posées : cette mesure va-t-elle encourager la modération des loyers ? Est-elle attractive pour les investisseurs ? Quel est son coût pour les finances publiques ? Enfin, les effets néfastes du Scellier[3] ont-ils été corrigés (zonage, coût trop élevé, …) ?

 

 

Un dispositif plus attractif pour les locataires que le Scellier classique …

 

Avec l’introduction de plafonds de loyers inférieurs aux plafonds en vigueur pour le Scellier intermédiaire, le Duflot apparaît plus avantageux pour les locataires[4]. De même, la prise en compte de plafonds de ressources équivalents à ceux en vigueur lors de l’attribution de logement sociaux de type PLI[5] témoigne d’une dynamique nouvelle en faveur de ménages plus modestes. L’investisseur privé se transformant alors partiellement en bailleur social de moyen terme.

En supposant un investissement de 240 000 euros dans une commune de la zone Abis destiné à la location, et compte tenu des plafonds de loyers et des prix au m2 pratiqués dans la zone, le loyer payé par le locataire d’un logement Duflot est inférieur à celui appliqué à un logement Scellier classique ou intermédiaire.

 

La faible différence entre les loyers Duflot et les loyers Scellier intermédiaire (-1,6%) s’explique par le choix du gouvernement de privilégier des plafonds relativement proches des loyers pratiqués dans les différentes zones (hors Paris), et cela malgré la promesse de loyers 20 % inférieurs aux loyers de marché. L’écart important qui existe entre Scellier classique et Duflot (-21 %) est quant à lui principalement dû au fait que les plafonds de loyers du dispositif Scellier étaient, pour la plupart d’entre eux, supérieurs aux loyers de marché.

… plus rentable pour l’investisseur que le Scellier intermédiaire 2012

Avec une réduction d’impôt de 18 % du prix de revient du logement étalée sur 9 ans, contre 13 % pour un investissement identique en Scellier BBC ou en Scellier intermédiaire 2012[6], le dispositif Duflot semble bien plus avantageux pour l’investisseur que son prédécesseur. En reprenant l’exemple précédent, on obtient comme réduction d’impôts pour le propriétaire :

 

Cependant, compte tenu de l’existence de plafonds de loyers bien inférieurs, le gain annuel escompté, pour l’investisseur, par le dispositif Duflot reste inférieur à celui du Scellier classique (-11%)[7]. En effet, la réduction d’impôts plus avantageuse ne compense pas entièrement la perte induite par la diminution des plafonds de loyers.

A contrario, il apparaît clairement que le dispositif Duflot est bien plus avantageux que la dernière version du Scellier intermédiaire (+7%), l’Etat faisant plus que compenser la perte provoquée par la baisse des plafonds. Pour autant, ceci n’est vrai qu’en comparant le Duflot avec la dernière génération de Scellier intermédiaire. En effet, avec des taux de réduction d’impôts supérieurs à 20 % et des plafonds de loyers élevés, les Scellier intermédiaires de 2010 et 2011 étaient bien plus attractifs pour les investisseurs.

Le calcul des rendements bruts et nets des différents dispositifs fournit des résultats analogues avec un rendement net du Duflot de l’ordre de 4,7 % pour l’exemple considéré ici contre 4,3 % pour le Scellier intermédiaire[8].

Quel coût pour l’Etat ?

Toute hausse du taux de réduction d’impôts est synonyme pour l’Etat d’une augmentation du manque à gagner fiscal. A l’inverse, la baisse des taux observée pour le dispositif Scellier[9] a engendré chaque année une baisse significative du nombre d’investissements, ce dernier étant divisé par deux entre 2010 et 2012[10]. De prime abord, on peut donc penser que l’augmentation du taux de réduction fiscale aura pour effet une croissance des investissements et du coût fiscal pour l’Etat. Pour autant, la généralisation des plafonds de ressources et de loyers plus bas apparaît comme un frein important au bon fonctionnement du dispositif. En effet, le Scellier Intermédiaire, dispositif relativement proche du Duflot dans ses caractéristiques, bien qu’ayant des plafonds de loyers légèrement supérieurs, n’a jamais réellement pris son envol. Selon les données à notre disposition[11], le coût total du dispositif Scellier intermédiaire, pourtant plus coûteux que le Scellier classique au niveau individuel, n’a jamais dépassé la moitié du coût de ce dernier. Cela signifie que les investissements de type Scellier intermédiaire n’ont jamais représenté plus du tiers de l’ensemble des investissements locatifs[12]. Bien que l’on puisse penser que l’absence d’un dispositif de substitution moins contraignant (de type Scellier classique) reporte une partie des investissements sur le Duflot, la prévision gouvernementale de 40 000 « logements Duflot » construits en 2013 semble particulièrement optimiste. En supposant cet objectif soit réalisable, le coût de la génération Duflot 2013 serait alors de 1,7 milliard d’euros. Clairement, le problème, souvent soulevé, du coût fiscal supporté par l’Etat au temps du dispositif Scellier n’est donc pas réglé[13].

Conclusion

 

Avec la généralisation des plafonds de ressources, des plafonds de loyers inférieurs aux loyers de marché, ainsi que la suppression de la zone C et d’une partie de la zone B2, l’objectif d’orienter l’investissement locatif privé vers les publics prioritaires semble en partie rempli. De même, la hausse de la réduction fiscale accordée, la hauteur des plafonds de loyers, et l’absence de dispositif de substitution permettront sans doute de retenir un certain nombre d’investisseurs. Cependant, l’exemple du Scellier dit « Social » devrait freiner l’optimisme gouvernemental.

Bien que l’investissement locatif privé soit un moteur important d’un marché immobilier aujourd’hui souffrant, l’Etat devrait réfléchir à l’efficience des mécanismes de subvention en faveur des propriétaires-bailleurs, ces derniers étant à nouveau bénéficiaires de l’annonce d’une hausse de 500 millions d’euros des aides aux logements en 2013[14].

La volonté du gouvernement de confier au secteur libre la partie la plus aisée des ménages éligibles au logement intermédiaire subventionné ne peut être une solution de long terme viable. Malgré des délais de livraison plus élevés, le développement de l’offre locative sociale et de l’accession sociale à la propriété sont les leviers publics les plus puissants pour agir efficacement à moindre coût et dans la durée sur l’offre de logements et donc sur les prix.


[1] En 2012, compte tenu de la plus faible attractivité du dispositif Scellier, cette part était de 50 %.

[2] Source loi de finances de 1989 à 2011.

[3] voir S. Levasseur, novembre 2011

[4] Les plafonds de loyers du Duflot sont inférieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLI.

[5] Ceci est vrai pour toutes les zones sauf la zone A bis. Pour cette zone, les plafonds de ressources sont inférieurs aux plafonds des logements de type PLI mais supérieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLS.

[6] C’est-à-dire répondant aux normes BBC.

[7] Nous ne tenons pas compte ici de l’abattement forfaitaire de 30 % applicable au dispositif Scellier intermédiaire.

[8] Voir note de ce blog « Marché locatif privé : état des lieux et évaluations des dernières mesures gouvernementales », OFCE,  S. Le Bayon, P. Madec, C. Rifflart, à paraître

[9] Passage de 27 % à 13 % et de 25 % à 6 %.

[10] Le nombre d’investissement Scellier était supérieur à 70 000 en 2010 et ne devrait pas dépasser 30 000 en 2012.

[11] Les PLF de 2009, de 2010, de 2011, de 2012 et de 2013 sont les seules données officielles disponibles sur le sujet.

[12] On peut ainsi estimer la production de Scellier intermédiaire au plus à 17 000 logements en 2009, 24 000 en 2010, 20 000 en 2011 et 10 000 en 2012 pour des coûts respectifs de 782, 1 104, 640 et 310 millions d’euros.

[13] Rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de fiances, n°3631, Commission des finances de l’Assemblée Nationale, 2011

[14] De nombreuses études théoriques et empiriques ont en effet montré que les propriétaires-bailleurs bénéficiaient dans une proportion comprise entre 50 et 80 % de toute hausse des aides au logement, et ce au détriment des ménages locataires (« Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? », G. Fack, 2005)

 




L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ?

Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Publié au Journal officiel le 21 juillet dernier, le décret sur l’encadrement des loyers dans les zones  où la hausse et le niveau des loyers sont particulièrement élevés[1], entre en vigueur le 1er août 2012 pour une durée d’un an. La mesure avait été annoncée lors de la campagne présidentielle de François Hollande en janvier 2012. La voilà adoptée, en attendant la grande réforme sur les rapports locatifs entre bailleurs et propriétaires prévue en 2013.

La difficulté de se loger et la dégradation des conditions de vie pour une partie croissante de la population soulignent la montée des inégalités face au logement. Ces inégalités fragilisent une cohésion sociale déjà affectée par la crise économique. Pour beaucoup, l’accès à la propriété est rendu difficile avec l’envolée des prix d’achat, les demandes d’attribution d’un logement social restent en attente, faute de place et le marché locatif privé devient de plus en plus cher dans les grandes villes, du fait de l’envolée du prix des biens. Dès lors, l’encadrement des loyers dans ces agglomérations apparaît comme une mesure d’urgence pour freiner ces hausses. La difficulté est malgré tout de maintenir les investisseurs sur le marché locatif privé, déjà marqué par l’insuffisance de l’offre de logement et un rendement locatif très bas (1,3 % à Paris après dépréciation du capital).

Le décret a pour objectif une baisse significative des loyers de marché[2], tirés à la hausse par les loyers à la relocation, c’est-à-dire lors d’un changement de locataire. Contrairement aux loyers en cours de bail ou lors du renouvellement de bail qui sont indexés sur l’Indice de référence des loyers, les loyers des nouveaux locataires étaient jusqu’au 31 juillet 2012, fixés librement. En 2010, cela concernait près de 50 % des relocations dans l’agglomération parisienne (60 % à Paris).  Désormais, en l’absence de gros travaux, ils seront encadrés. Seuls les loyers des logements neufs mis en première location ou ou  des logements rénovés (dont les travaux représentent plus d’un an de loyer) resteront libres (tableau 1).

 

En utilisant les données de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, et sous les hypothèses décrites dans la Note de l’OFCE (n° 23 du 26 juillet 2012), « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », nous avons évalué l’impact de ce décret s’il avait été mis en place au 1er janvier 2007 et pérennisé jusqu’en 2010. D’après nos calculs, ce décret aurait eu pour conséquences non seulement de ralentir assez fortement les hausses des loyers à la relocation dès la première année d’application (+1,3 % dans l’agglomération parisienne, contre +6,4 % observés), mais aussi de les stabiliser, voire de les baisser au moment de la relocation suivante, soit 3 ans après dans notre exemple (0 % à Paris, -0,6 % dans l’agglomération parisienne en 2010). Au final, en 2010, les loyers seraient inférieurs de 12,4 % à Paris et 10,7 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne à ce qu’ils auraient été sans la mesure. A Paris, le loyer se situerait à 20,1 €/m2 au lieu de 22,6 €/m2 effectivement observé (tableau 2). Pour une surface moyenne des logements reloués à Paris de 46 m2, le loyer mensuel aurait été ainsi de 924 € au lieu de 1039 €, soit un gain pour le locataire de 115 € par mois. Dans l’ensemble de l’agglomération parisienne, et selon les mêmes hypothèses, le loyer à la relocation aurait baissé en moyenne à 15,9 €/m2, au lieu de 17,8 €/m2 observé. Pour une surface moyenne de 50 m2 mise en relocation, le gain est de 95 € par mois !

A plus long terme, le décret permettrait d’atténuer l’écart entre les loyers des locataires en place depuis plus de 10 ans et ceux des nouveaux locataires (écart qui se situe en 2010 à 30 % dans l’agglomération parisienne et 38 % à Paris) et d’améliorer la fluidité du marché.

Actuellement, quelle est la possibilité de déménager si le seul fait de s’agrandir pour un couple qui vient d’avoir des enfants accroît le prix du m2 de plus de 15 % dans l’agglomération parisienne ? De même, l’incitation financière à déménager pour un couple habitant dans un logement de 4 pièces de 80 m2 et dont les enfants ont quitté le domicile familial est nulle puisque le loyer d’un logement de 3 pièces de 60 m2 est équivalent. Cette prime à la sédentarité accroît les tensions sur le marché de la location et conduit les ménages à occuper des logements inadaptés à leur besoins, voire à freiner la mobilité sur le marché du travail.

Cette mesure peut-elle favoriser la mobilité et redonner du pouvoir d’achat aux ménages? A court terme, elle va certes bénéficier aux ménages les plus mobiles en limitant la hausse de la part des dépenses de logement dans leur budget[3]. Or ces ménages sont ceux pour lesquels la contrainte de revenus joue le moins, c’est-à-dire ceux qui ont des revenus élevés ou un taux d’effort relativement faible. Elle va également bénéficier aux ménages qui sont dans l’obligation de déménager ou de ceux qui sont à la limite de leur contrainte financière. Pour tous ceux là, la hausse du taux d’effort sera moindre que ce qu’elle aurait été sans le décret. En revanche pour les ménages ayant déjà un taux d’effort élevé et un faible revenu[4], le décret ne devrait rien changer puisqu’ils peuvent difficilement supporter le surcoût d’une relocation.

 

Quels sont les risques ?

Si les bénéfices attendus pourraient être réels, encore faut-il que l’application de ce décret, –ou en tous cas de la prochaine loi – les permette. Outre la difficulté de mise en application de ce décret (absence d’observatoires des loyers fiables dans les zones concernées et de cadre juridique permettant aux locataires de faire valoir leurs nouveaux droits), l’impact de cette mesure ne sera positif pour les locataires que si l’offre locative ne se réduit pas (maintien des investisseurs actuels sur le marché, poursuite des nouveaux investissements) et que les bailleurs ne cherchent pas à compenser l’encadrement des loyers futurs par un loyer plus élevé lors la première mise en location du bien.

De même, la réalisation de travaux d’amélioration dans la perspective du Grenelle 2 de l’environnement ou simplement de travaux d’entretien pourrait s’en trouver abandonnée du fait de l’allongement de la durée d’amortissement pour les propriétaires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’alors. A l’inverse, certains propriétaires pourraient être incités à faire de gros travaux (montant supérieur à 1 an de loyer) et à « monter le logement en gamme » pour fixer librement le loyer. Une marge de sécurité serait ainsi prise par le bailleur pour compenser le manque à gagner ultérieur. Ces hausses, si elles avaient lieu, pénaliseraient les locataires les moins solvables et favoriseraient le phénomène de gentrification déjà à l’œuvre dans les zones les plus tendues. On pourrait donc constater des écarts divergents entre les loyers de marché des logements « dégradés » et des logements remis à neuf.

Ce décret devrait à court terme limiter l’ampleur des disparités dans les zones les plus tendues avec un coût nul pour le gouvernement. Mais il ne résoudra pas le problème de taux d’effort des ménages les plus modestes : pour cela, il faudrait augmenter le parc de logement social, améliorer sa fluidité et revaloriser fortement les aides au logement[5], ce qui suppose des moyens financiers importants. Le problème fondamental demeure celui de l’insuffisance de l’offre, notamment dans les zones urbaines, où par définition le foncier disponible est rare et cher, la hausse des loyers ne faisant que répercuter celles des prix de l’immobilier. Or une détente des prix passe par une plus grande disponibilité du foncier, une augmentation de la densité là où c’est possible, le développement des transports pour faciliter les déplacements entre le logement et le lieu de travail sur grande distance, …  C’est sur ces leviers qu’il faut agir pour améliorer les conditions de logement des plus modestes.

 


[1] Le décret s’applique dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et le loyer de marché au m2 dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Ile-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer).

[2] On distingue deux types de loyers : le loyer moyen est le loyer de l’ensemble des logements en location, qu’ils soient vacants ou occupés ; le loyer de marché est le loyer de l’ensemble des logements disponibles sur le marché pour la location, donc des nouveaux logements mis en location et des relocations. Il est très proche du loyer des relocations, les logements mis en location pour la première fois ne représentant qu’une faible part de l’offre disponible.

[3] Part qui a progressé depuis 15 ans pour les ménages du parc locatif privé et notamment les plus modestes.

[4] En 2010, plus de la moitié des locataires du secteur privé a un taux d’effort (net des aides au logement) supérieur à 26,9 %, mais surtout, pour les 25 % des ménages les plus modestes, le taux d’effort moyen atteint 33,6 %.

[5] Selon le rapport « Evaluation des aides personnelles au logement » de l’IGAS, en 2010, 86,3 % des loyers dans le secteur libre des allocataires étaient supérieurs au loyer plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement. Toute augmentation de loyer est donc intégralement supportée par le locataire.