Comment peut-on défendre les 1% ?

par Guillaume Allègre

Dans un article à paraître dans le Journal of Economic Perspectives, Greg Mankiw, professeur à l’Université Harvard et auteur reconnu de manuels universitaires, défend les revenus perçus par les 1 % les plus aisés et critique l’idée d’une imposition des hauts revenus à un taux marginal de 75 %. Pour Mankiw, il est juste que les individus soient rémunérés en proportion de leur contribution. En concurrence pure et parfaire, les individus sont rémunérés selon leur productivité marginale, il n’est donc ni nécessaire ni souhaitable pour un gouvernement de modifier la répartition des revenus. Le gouvernement doit se limiter à corriger les distorsions de marché (externalités, recherche de rente).

Dans la dernière Note de l’OFCE (n° 28, 5 juillet 2013) nous démontrons que l’économie dans laquelle vivent ces « 1 % » s’éloigne de l’équilibre concurrentiel classique par de nombreuses façons non discutées par Mankiw, ce qui nous semble être une limite importante de son argumentation. C’est parce que les « 1 % » n’opèrent pas dans une économie concurrentielle pure et parfaite qu’ils peuvent recevoir des rémunérations astronomiques. Les rémunérations perçues sur le marché par les « 1 % » ne correspondent donc pas à leur contribution sociale marginale. Cela ne signifie pas que leur contribution sociale est nulle mais que le marché est incapable de mesurer cette contribution. Les rémunérations astronomiques ne peuvent donc pas être défendues sur la base du « mérite mesuré par la contribution marginale » proposé par Mankiw.

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Voir dans le blog de l’OFCE  sur le même sujet : “Superstars et équité : Let the sky fall” et “Pigeons : comment imposer le revenu des entrepreneurs ?




L’Inégalité Nuit-elle à la Performance Economique ?

par Francesco Saraceno

La théorie économique a longtemps négligé les effets de la répartition des revenus  sur la performance de l’économie. On apprenait aux étudiants dès la première année d’études qu’il fallait séparer le sujet de l’efficacité de celui de l’équité. L’idée étant qu’il fallait élargir au maximum la taille du gâteau avant de le partager. Il était implicite dans cette dichotomie que l’économiste devait traiter la question de l’efficacité, laissant au politique les choix de distribution (ou redistribution). Dans ce cadre l’économiste devait seulement veiller à ce que les choix de redistribution par le canal de l’impôt et de la dépense publique ne nuisent pas à la croissance en perturbant les incitations des agents. Des échos de cette vision se retrouvent aussi bien dans la discussion sur la taxation des très gros revenus envisagée par le gouvernement français, que dans des auteurs, comme Raghuram Rajan, qui justifient les inégalités en se référant au progrès technique et au commerce international, ce que réfute Paul Krugman.

 

Certes, depuis les travaux de Simon Kuznets dans les années cinquante, quelques économistes se sont demandés si une inégalité excessive ne nuirait pas,  notamment en empêchant l’accumulation de capital humain, à la croissance de l’économie. Mais  cette perception est longtemps restée minoritaire parmi les économistes. A preuve, l’augmentation spectaculaire des inégalités documentée parmi d’autres par Atkinson Piketty et Saez,  mais aussi par des institutions tels quels l’OCDE et le FMI n’a pas donné lieu a une réflexion approfondie sur la relation entre inégalité et la performance économique.

Seule la crise a fait resurgir cette préoccupation. L’inégalité croissante est soupçonnée d’être une des sources de l’augmentation de la dette des ménages et de la formation de bulles spéculatives, menant à l’accumulation de déséquilibres internes et externes qui ont conduit à la crise actuelle. C’est ce que développent des auteurs comme Joseph Stiglitz et James Galbraith.

Aujourd’hui la dichotomie entre efficacité et répartition n’est plus tenable. L’inégalité devient un thème incontournable de l’analyse économique, de court comme de long terme. Pour stimuler la discussion sur ce sujet, l’OFCE et SKEMA Business School organisent un workshop sur “Inequality and Economic Performance”, à Paris, le 16 et 17 octobre 2012.