Equilibrer le solde public doit-il être l’objectif central de la politique économique ?

par Henri Sterdyniak

La crise financière de 2007-2012 a provoqué une forte hausse des déficits et dettes publics puisque les États ont dû intervenir pour sauver les systèmes financiers, pour soutenir l’activité et surtout ont enregistré une forte baisse de leurs recettes fiscales en raison de la chute du PIB. Début 2012, alors qu’ils sont loin d’être rétablis des effets de la crise (qui leur a coûté en moyenne 8 points d’activité par rapport à la tendance d’avant-crise), ils sont confrontés à un choix délicat : faut-il continuer à soutenir l’activité ou tout faire pour réduire les dettes et les déficits publics ?

Une note détaillée développe neuf points d’analyse :

– La croissance des dettes et des déficits n’est pas une spécificité française ; elle a eu lieu dans tous les pays développés.

– Les administrations publiques françaises sont certes endettées mais elles possèdent aussi des actifs physiques. Globalement, la richesse nette des administrations représentait 26,7 % du PIB fin 2010, soit 8 000 euros par Français.  Par ailleurs, il faut considérer l’ensemble de la richesse nationale (actifs physiques moins endettement à l’étranger) : le nouveau-né français est riche en moyenne, à sa naissance, de 202 000 euros (la richesse nationale divisée par le nombre d’habitants).

– En 2010, la charge nette de la dette était de 2,3 % du PIB ; soit un taux d’intérêt moyen sur la dette de 3,0 %, nettement en dessous du taux de croissance nominal potentiel. A ce niveau, le vrai coût de la dette, c’est-à-dire l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette, est nul, voire légèrement négatif.

– La vraie « règle d’or » des finances publiques stipule qu’il est légitime de financer les investissements publics par l’endettement public. Le déficit structurel doit donc être égal à l’investissement public net. Cette règle autorise pour la France un déficit de l’ordre de 2,4 % du PIB. Il n’y a aucune raison de fixer une norme d’équilibre des finances publiques. L’État n’est pas un ménage. Immortel, il peut avoir une dette en permanence ; il n’a pas à la rembourser mais seulement à garantir qu’il pourra toujours en servir la charge.

– Le déficit public est nocif pour les générations futures quand il s’agit d’un déficit déséquilibrant provoqué par des hausses excessives de dépenses publiques ou des baisses excessives des impôts ; il provoque alors une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt et nuit à l’investissement et à la croissance. Ce n’est pas le cas du déficit actuel ; celui-ci est un déficit de régulation, nécessaire pour soutenir l’activité, en situation de bas taux d’intérêt, en raison d’un fort taux d’épargne des ménages et d’un refus des entreprises d’investir davantage.

– Pour certains, les 8 points de PIB perdus pendant la crise sont perdus à tout jamais ; il faut se résigner à un chômage durablement élevé, celui-ci étant structurel. Comme l’objectif doit être d’équilibrer le solde public structurel, la France doit encore faire un effort important de l’ordre de 4 points de PIB de son déficit public. Pour nous, le déficit soutenable est de l’ordre de 2,4 points de PIB. Le déficit structurel de 2011 est déjà en dessous de ce chiffre. C’est la croissance qui doit permettre de résorber le déficit conjoncturel. Il n’est pas nécessaire de faire d’effort budgétaire supplémentaire.

– Le 9 décembre 2011, les pays de la zone euro se sont accordés sur un nouveau Pacte budgétaire : le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de l’UEM. Ce pacte contraindrait fortement les politiques budgétaires à l’avenir. Le déficit structurel de chaque pays membre devra être inférieur à 0,5% du PIB. Un mécanisme de correction automatique devra se déclencher si le déficit est excessif. Cette contrainte et ce mécanisme devront obligatoirement être intégrés de façon contraignante et permanente dans les procédures budgétaires de chaque pays. Les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB devront faire diminuer leur ratio de dette d’au moins un vingtième par an de l’écart avec 60 %.

Ce projet est dangereux sur le plan économique. Il impose des objectifs de moyen terme (un solde budgétaire équilibré, une dette revenant en dessous de 60 % du PIB) qui sont arbitraires et ne sont pas compatibles a priori avec les nécessités de l’équilibre économique. De même, il impose une politique budgétaire incompatible avec les nécessités de la régulation conjoncturelle. Il interdit toute politique budgétaire discrétionnaire. Il prive les gouvernements de tout instrument de politique budgétaire.

– Si la croissance des dettes et des déficits publics dans les pays développés a été la réponse au creusement des déséquilibres mondiaux, on ne peut réduire les dettes et les déficits sans s’attaquer aux causes de ces déséquilibres. Sinon, la mise en œuvre simultanée de politiques budgétaires restrictives dans l’ensemble des pays de l’OCDE se traduira par une stagnation de la production, une baisse des recettes fiscales, une dégradation des ratios d’endettement sans parvenir à rassurer les marchés financiers.

– Une économie mondiale plus équilibrée nécessiterait des pays excédentaires qu’ils basent leur croissance sur leur demande intérieure et que leurs capitaux prennent le risque de l’investissement direct. Dans les pays anglo-saxons, de plus fortes progressions des revenus salariaux et sociaux comme la réduction des inégalités de revenus rendraient moins nécessaire le gonflement des bulles financières, des dettes des ménages et des dettes publiques. La zone euro a besoin de retrouver les 8 points de PIB perdus du fait de la crise. Au lieu de se polariser sur les soldes publics, les instances européennes devraient présenter une stratégie de sortie de crise, basée sur la reprise de la demande, tout particulièrement sur les investissements préparant la transition écologique. Cette stratégie doit comporter le maintien de bas taux d’intérêt et des déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité.

 




On the taxation of household income and capital

By Henri Sterdyniak

The idea is very widespread that in France unearned income benefits from an especially low level of taxation and that the French system could be made fairer by simply raising this level. In an OFCE Note, we compare the taxation on capital income with that on labour income, and show that most of it is taxed just as highly. The reforms adopted in 2012 further increase the taxation of capital income. So there is little room for manoeuvre. However, there are tax loopholes and a few exceptions, the most notable being the current non-taxation of imputed rent (which benefits households that own their own residence).

The table below compares the marginal tax rates for different types of income. The effective economic tax rates (including the “IS” corporate income tax, non-contributory social charges, the CSG wealth tax, social security taxes) are well above the posted rates. The interest, rental income, dividends and capital gains that are taxed are taxed at approximately the same level as the highest salaries. It is therefore wrong to claim that capital income is taxed at reduced rates. When it is actually taxed, this is at high levels.

The official tax rate on capital income increased from 29% in 2008 to 31.3% in 2011 due to a 1.1 percentage point increase in payroll taxes to finance the RSA benefit, a 1 point increase in withholding tax and a 0.2 point increase to fund pensions. The government has financed the expansion of social policy by taxing capital income. This rate will increase to 39.5% (for interest) and to 36.5% for dividends on 2012 income.

Should we advocate a radical reform: submission of all capital income to the tax schedule on personal income? This might be justified for the public image (to show clearly that all income is taxed similarly), but not on purely economic grounds.

With respect to interest income, this would mean ignoring the inflation rate. The 41% bracket would correspond to a levy of 108% on the real income of an investment remunerated at 4% with an inflation rate of 2%. For dividends, one must not forget that the income in question has already paid the “IS” tax; the 41% bracket (by eliminating the 40% allowance) would correspond to a total tax of 70%. We must make a policy choice between two principles: a single economic tax rate for all income (which paradoxically would lead to preserving a special tax on capital income) or higher taxation on capital income, since this goes mostly to the better-off and is not the fruit of effort (which paradoxically would lead to subjecting it to the same tax schedule as labour income, while forgetting the IS tax and inflation).

The problem lies above all in schemes that allow tax avoidance. For many years, the banks and insurance companies managed to convince the public authorities that it was necessary to make income from household financial capital tax exempt. Two arguments were advanced: to prevent the wealthy from moving their capital abroad; and to promote long-term savings and high-risk savings. Exemptions were thus made for PEA funds, PEP funds, and UCITS mutual funds. Governments are gradually pulling back from these exemptions. Two principles should be reaffirmed: first, all capital income should be subject to taxation, and tax evasion should be combated by European  agreements on harmonizing tax systems; and second, it is the responsibility of issuers to convince investors of the value of the investments they offer – the State should not fiscally favour any particular type of investment.

There remains the possibility that wealthy families will succeed in avoiding taxes on capital gains through donations to children (alive or upon their death) or by moving abroad before taxation takes place. Thus, a wealthy shareholder can hold his securities in an ad hoc company that receives his dividends and use the company securities as collateral for loans from the bank, which then provides him the money needed to live. The shareholder thus does not declare this income and then passes on the company securities to his children, meaning that the dividends and capital gains he has received are never subjected to income tax.

The other black hole in the tax system lies in the non-taxation of imputed rent. It is not fair that two families with the same income pay the same tax if one has inherited an apartment while the other must pay rent: their ability to pay is very different.

Two measures thus appear desirable. One is to eliminate all schemes that help people avoid the taxation of capital gains, and in particular to ensure the payment of tax on any unrealized capital gains in the case of transmission by inheritance or donation or when moving abroad. The second would be gradually to introduce a tax on imputed rent, for example by charging CSG / CRDS tax and social security contributions to homeowners.

Having done this, a policy choice would be needed:

–         Either to eliminate the ISF wealth tax, as all income from financial and property capital would clearly be taxed at 60%.

–         Or to consider that it is normal for large estates to contribute as such to the running costs of society, regardless of the income the estates provide. With this in mind, the ISF tax would be retained, without comparing the amount of the ISF to the income from the estate, since the purpose of the ISF would be precisely to demand a contribution from the assets themselves.

 

 




De l’imposition des revenus et du capital des ménages

par Henri Sterdyniak

L’idée qu’en France les revenus du patrimoine bénéficieraient d’une fiscalité particulièrement faible de sorte qu’il serait possible de rendre le système français plus équitable en augmentant leur imposition est très répandue. Dans une note de l’OFCE, nous comparons la fiscalité portant sur les revenus du travail et celle portant sur les revenus du capital. Nous montrons que la plupart des revenus du capital sont autant imposés que les revenus du travail. Les réformes décidées pour 2012 augmentent encore la taxation des revenus du capital. Les marges de manœuvre sont faibles. Il existe cependant des niches fiscales et quelques exceptions, la plus notable aujourd’hui étant la non-imposition des loyers implicites (ceux dont bénéficie le ménage qui possède son logement).

Le tableau compare les taux d’imposition marginaux des différents types de revenus. Les taux économiques (intégrant IS, cotisations non contributives, CSG, prélèvements sociaux) sont nettement supérieurs aux taux affichés. Les intérêts, les revenus fonciers, les dividendes et les plus-values taxées sont approximativement imposés comme les salaires les plus élevés. Il est donc erroné de prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement taxés, ils le sont à des taux élevés.

Le taux d’imposition affiché des revenus du capital a augmenté de 29 % en 2008 à 31,3 % en 2011 du fait de la hausse de 1,1 point du taux des prélèvements sociaux pour financer le RSA, de 1 point du taux de prélèvement libératoire et de 0,2 point du taux de prélèvement sociaux pour financer les retraites. Le gouvernement a financé l’extension de la politique sociale en taxant les revenus du capital. Ce taux passera à 39,5 % (pour les intérêts), à 36,5% pour les dividendes sur les revenus de 2012.

Faut-il préconiser une réforme radicale : la soumission de tous les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu ? Ceci peut être justifié pour des raisons d’affichage (bien montrer que tous les revenus sont pareillement imposés), mais pas sur le plan purement économique.

En ce qui concerne les revenus d’intérêts, ce serait oublier le taux d’inflation. La tranche de 41 % correspondrait à un prélèvement de 108 % sur le revenu réel d’un placement rémunéré à 4 % pour un taux d’inflation de 2 %. Pour les dividendes, ce serait oublier que les revenus concernés ont déjà payé l’IS ; la tranche de 41 % (en supprimant l’abattement de 40%) correspondrait ainsi à une imposition total de 70 %. Il faut effectuer un choix politique entre deux principes : un même taux de taxation économique pour tous les revenus (qui amènerait paradoxalement à conserver une fiscalité spécifique pour les revenus du capital) et une taxation plus forte des revenus du capital puisque ceux-ci sont surtout reçus par les plus aisés et ne sont pas les fruits de l’effort (qui amènerait paradoxalement à les traiter selon le même barème que les revenus du travail, en oubliant IS et inflation).

Le problème réside surtout dans les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation.  Pendant de longues années, les banques et les sociétés d’assurances avaient réussi à convaincre les pouvoirs publics qu’il fallait détaxer les revenus du capital financier des ménages. Deux arguments étaient utilisés : éviter que les plus riches placent leurs capitaux à l’étranger ; favoriser l’épargne longue et l’épargne à risque. C’est ainsi qu’avaient été exonérés les PEA, le PEP, les OPCVM de capitalisation. Les gouvernements sont progressivement revenus sur la plupart de ces dispositifs. Deux principes devraient  être réaffirmés : d’une part, tous les revenus du capital doivent être soumis à taxation, l’évasion fiscale devant être combattue par les accords européens d’harmonisation de la fiscalité ; d’autre part, c’est aux émetteurs de convaincre les épargnants de l’intérêt des placements qu’ils proposent, l’Etat n’a pas à favoriser fiscalement telle ou telle forme de placement.

Reste la possibilité qu’utilisent les familles aisées d’échapper à la taxation des plus-values par la donation aux enfants (en vie ou au moment du décès) ou par le départ à l’étranger avant leur réalisation. Ainsi, un riche actionnaire peut loger ses titres dans une société ad hoc qui reçoit ses dividendes, utiliser les titres de cette société comme caution pour obtenir des prêts de sa banque qui lui fournissent les sommes dont il a besoin pour vivre et ainsi ne pas déclarer de revenu ; puis léguer les titres de cette société à ses enfants, de sorte que les dividendes et les plus-values dont il a bénéficié ne sont jamais imposées à l’IR.

L’autre trou noir de la fiscalité réside dans la non-imposition des loyers implicites. Il n’est pas juste que deux familles de même revenu payent le même impôt si l’une a hérité d’un appartement et l’autre doit payer un loyer : leur capacité contributive est très différente

Deux mesures apparaissent donc souhaitables. La première consisterait à supprimer tous les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation des plus-values, en particulier faire payer l’impôt sur les plus-values latentes en cas de transmission par donation et héritage ou de départ à l’étranger. La deuxième serait d’introduire progressivement une taxation des loyers implicites, par exemple en faisant payer la CRDS-CSG et les prélèvements sociaux aux propriétaires de leur logement.

Ceci fait, il faudra faire un choix politique :

–         Soit supprimer l’ISF, puisque tous les revenus du capital financier et foncier seraient bien taxés à  60 %.

–         Soit considérer qu’il est normal que les patrimoines élevés contribuent en tant que tels aux frais de fonctionnement de la société, indépendamment des revenus qu’ils procurent. Dans cette optique, il faut maintenir l’ISF et ne pas comparer le montant de l’ISF au revenu du patrimoine dans la mesure où le but de l’ISF est précisément de mettre à contribution les patrimoines eux-mêmes.

 




The 35 billion euro man

By Henri Sterdyniak

Sarkozy has cost France 500 billion. This is the central point of the book Un quinquennat de 500 milliards d’euros [A 500 billion euro five-year term] by Melanie Delattre and Emmanuel Levy. According to the authors, out of the 632 billion euro rise in France’s debt between late 2006 and late 2011, only 109 billion can be attributed to the crisis, while the remaining 523 billion are the price of the five-year reign of Nicolas Sarkozy. Of this total, 370 billion is said to be due to a failure to correct past mismanagement and 153 billion to wasteful decisions taken during his 5-year term in office. Should we take these figures seriously?

Let’s start with an international comparison. From late 2006 to late 2011, the debt of France increased by 21.4 percentage points of GDP, that of the euro zone by 21.5 points, that of the United Kingdom by 40.6 points, and that of the United States by 29.2 points. There is no French specificity, no “Sarkozy effect”. France’s debt has increased in line with the average for the euro zone, that is to say, by 500 billion euros, representing 20 percent of GDP. Can it be argued that without Sarkozy the country’s debt would have been stable as a percentage of GDP, even though it was increasing without him everywhere else?

In fact, according to the government’s latest economic report, from late 2006 to late 2012 French public debt will have increased by 620 billion euros. This increase can be broken down as follows: 275 billion from interest payments, 310 billion due to the economic crisis, 30 billion from the stimulus policies implemented in 2009-2010, and 60 billion in tax reduction policies; but on the other hand, policies restricting public spending (fewer officials, no automatic increase in their wages, rigorous management of social benefits, etc.) has saved 55 billion euros. Sarkozy’s responsibility is thus sharply reduced, to at most 35 billion.

The tricky part is measuring the impact of the crisis. To do this, we need to measure the gap between GDP as it has actually evolved and GDP as it would have evolved without the crisis. In our opinion, in the absence of the crisis, GDP would have continued to grow at an annual rate of about 2%. Using this estimate, the loss in output due to the crisis was 6.8% in 2009, which would have caused a tax loss of 4.4% of GDP. The authors use an estimate by the Cour des comptes, which in turn comes from an assessment by the European Commission: the loss of output due to the crisis in 2009 was only 2.8% and the loss of tax revenues was only 1.4%. According to this calculation, the share of the deficit caused by the crisis is relatively low. But this assumes that in 2007-2009 structural GDP declined by 4% from its trend growth. Why? Is this really not linked to the crisis? According to the calculation by the Cour des comptes, the structural decline in GDP caused a significant increase in our structural deficit, which the authors blame on Nicolas Sarkozy. Is this legitimate? Following the Commission’s logic, this 4% is lost forever; we must accept this and adjust by reducing the deficit. In our opinion, it would be better to recover this loss through the use of expansionary policies.

In 2006, the year before Nicolas Sarkozy came to power, the public deficit was 2.3%, which was entirely structural. This deficit was “normal” since it ensured debt was stable at 60% of GDP and it corresponded to the volume of public investment. In 2012, with a deficit of 4.5% of GDP, the cyclical deficit is 4.3% of GDP while the structural deficit is only 0.2% of GDP. Overall, from 2006 to 2012 Nicolas Sarkozy will have increased the level of compulsory taxation by 0.7 point (as the large increases in 2011-12 more than offset the declines in the earlier period) and decreased the share of public expenditure in potential GDP by 1.2 point.

Above all, throughout this entire period, France was in crisis, with a shortfall in demand. An expansionary fiscal policy was necessary to avoid economic collapse. Can we blame Nicolas Sarkozy for the 30 billion euro cost of the stimulus plan? Can we blame him for not having adopted ​​a restrictive fiscal policy to “correct past mismanagement”? No, but what we can call into question are the tax cuts that do little for growth (inheritance tax, the bouclier fiscal tax cap, overtime) and the cuts in certain vitally needed public expenditures (downsizing staff levels in schools and hospitals, for example).

 

 




L’homme qui valait au mieux 35 milliards

par Henri Sterdyniak

Sarkozy a coûté 500 milliards à la France. Tel est le point central du livre : « Un quinquennat de 500 milliards d’euros » de Mélanie Delattre et Emmanuel Levy. Selon ces auteurs, l’accroissement de la dette de la France de 632 milliards d’euros entre fin 2006 et fin 2011 ne s’expliquerait que pour 109 milliards par la crise ; 523 milliards seraient le prix du quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont 370 milliards viendraient d’une mauvaise gestion passée non corrigée et 153 milliards de décisions dispendieuses prises durant le quinquennat. Faut-il prendre ces chiffres au sérieux ?

Commençons par une comparaison internationale. De fin 2006 à fin 2011, la dette de la France a augmenté de 21,4 points de PIB ; celle de la zone euro de 21,5 points, celle du Royaume-Uni de 40,6 points, celle des Etats-Unis de 29,2 points. Il n’y a aucune spécificité française, aucun effet Sarkozy ; la dette de la France a augmenté comme la moyenne de celle de la zone euro, c’est-à-dire de 500 milliards d’euros qui représentent 20 points de PIB. Peut-on soutenir que sans Sarkozy la dette publique de la France aurait été stable en pourcentage du PIB alors qu’elle augmente sans lui partout ailleurs ?

En fait, selon le dernier rapport économique du gouvernement, de fin 2006 à fin 2012, la dette publique française augmenterait de 620 milliards d’euros. Cette hausse peut être décomposée  ainsi : 275 milliards proviennent des intérêts versés, 310 milliards proviennent de la crise économique, 30 milliards des politiques de relance mises en œuvre en 2009-2010, 60 milliards des politiques de baisse d’impôts; mais en sens inverse les politiques de restriction des dépenses publiques (baisse du nombre de fonctionnaires, non-revalorisation de leur salaire, gestion rigoureuse des prestations sociales, etc.) ont permis d’économiser 55 milliards. La responsabilité de Sarkozy est donc fortement réduite, au mieux de 35 milliards d’euros.

Le point délicat est la mesure de l’impact de la crise. Pour l’évaluer, il faut mesurer l’écart entre le PIB tel qu’il a évolué et le PIB tel qu’il aurait évolué sans la crise. Pour nous, sans la crise, le PIB aurait continué sa croissance à un taux de l’ordre de 2 % par an. Avec cette estimation, la perte de production due à la crise était en 2009 de 6,8 %, ce qui aurait provoqué une perte de recettes fiscales de 4,4 % du PIB.  Les auteurs reprennent une estimation de la Cour des comptes, qui elle-même, provient d’une évaluation de la Commission européenne : la perte de production due à la crise n’aurait été en 2009 que de 2,8 % et la perte de recettes fiscales n’aurait été que de 1,4 %. Selon ce calcul, la part du déficit causé par la crise est  relativement faible. Mais celui-ci suppose que le PIB structurel a subi en 2007-2009 un recul de 4% par rapport à sa tendance. Pourquoi cela ? Comment ne serait-ce pas lié à la crise ? Selon le calcul de la Cour des comptes, ce recul du PIB structurel a provoqué une forte hausse de notre déficit structurel que les auteurs mettent sur le compte de Nicolas Sarkozy. Est-ce légitime ?  Selon la logique de la Commission, ces 4 % sont perdus à jamais ; il faut s’y résigner et s’ajuster en baissant le déficit public. A notre avis, il vaut mieux les récupérer en menant des politiques expansionnistes.

En 2006, l’année précédant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, le déficit public était de 2,3 %, entièrement structurel. Ce déficit était normal puisqu’il permettait la stabilité de la dette à 60 % du PIB et correspondait au montant des investissements publics. En 2012, le déficit devrait être de 4,5 % du PIB, mais le déficit conjoncturel est de 4,3 % du PIB, le déficit structurel n’est plus que de 0,2 % du PIB. Au total, de 2006 à 2012, Nicolas Sarkozy aura augmenté le taux des prélèvements obligatoires de 0,7 point (car les fortes hausses de 2011-12 font plus que compenser les baisses de début de période) et baissé la part des dépenses publiques dans le PIB potentiel de 1,2 point.

Surtout, durant toute cette période, la France était en crise, en déficit de demande. Une politique budgétaire expansionniste était nécessaire pour éviter l’effondrement économique. Peut-on reprocher à Nicolas Sarkozy les 30 milliards d’euros qu’a coûtés le plan de relance ? Peut-on lui reprocher de n’avoir pas fait une politique budgétaire restrictive pour « corriger la mauvaise gestion du passé » ?  Non, ce que l’on peut mettre en cause, ce sont des baisses d’impôts peu utiles pour la croissance (droits de succession, bouclier fiscal, heures supplémentaires) et des baisses de certaines dépenses publiques (diminution des effectifs dans les écoles et les hôpitaux, par exemple), dépenses sans doute nécessaires.




In defense of France’s “family quotient”

By Henri Sterdyniak

At the start of 2012, some Socialist Party leaders have renewed the claim that the “family quotient” tax-splitting system is unfair because it does not benefit poor families who do not pay taxes, and benefits rich families more than it does poor families. This reveals some misunderstanding about how the tax and social welfare system works.

Can we replace the family quotient by a flat benefit of 607 euros per child, as suggested by some Socialist leaders, drawing on the work of the Treasury? The only justification for this level of 607 euros is an accounting device, i.e. the total current cost of the family quotient uniformly distributed per child. But this cost stems precisely from the existence of the quotient. A tax credit with no guarantee of indexation would see a quick fall in its relative purchasing power, just like the family allowance (allocation familiale – AF).

With a credit like this, taking children into account for taxation purposes would lose all sense. As shown in Table 1, families with children would be overtaxed relative to childless couples with the same income (per consumption unit before tax), and their after-tax income would be lower. The Constitutional Council would undoubtedly censor such a provision.

France is the only country to practice a family quotient system. Each family is assigned a number of tax parts or shares, P, based on its composition; the shares correspond roughly to the family’s number of consumption units (CU), as these are defined by the OECD and INSEE; the tax system assumes that each family member has a standard of living equivalent to that of a single earner with revenue R/P; the family is then taxed like P single earners with income R/P.

The degree of redistribution assured by the tax system is determined by the tax schedule, which defines the progressivity of the tax system; it is the same for all categories of households.

The family quotient (QF) is thus a logical and necessary component of a progressive tax system. It does not provide any specific support or benefit to families; it merely guarantees a fair distribution of the tax burden among families of different sizes but with an equivalent standard of living. The QF does not constitute an arbitrary support to families, which would increase with income, and which would obviously be unjustifiable.

Let’s take an example. The Durand family has two children, and pays 3358 euros less than the Dupont family in income tax (Table 1). Is this a tax benefit of 3358 euros? No, because the Durands are less well off than the Duponts; they have 2000 euros per tax share instead of 3000. On the other hand, the Durands pay as much per share in income tax as the Martins, who have the same standard of living. The Durands therefore do not benefit from any tax advantage.

The family quotient takes into account household size; while doing this is certainly open for debate, one cannot treat a tax system that does not take into account household size as the norm and then conclude that any deviation from this norm constitutes a benefit. There is no reason to levy the same income tax on the childless Duponts and the two-child Durands, who, while they have the same level of pay, do not enjoy the same standard of living.


In addition, capping the family quotient [1] takes into account that the highest portion of income is not used for the consumption of the children.

Society can choose whether to grant social benefits, but it has no right to question the principle of the fairness of family-based taxation: each family should be taxed according to its standard of living. Undermining this principle would be unconstitutional, and contrary to the Declaration of the Rights of Man, which states that “the common taxation … should be apportioned equally among all citizens according to their capacity to pay”. The law guarantees the right of couples to marry, to build families, and to pool their resources. Income tax must be family-based and should assess the ability to pay of families with different compositions. Furthermore, should France’s Constitutional Council be trusted to put a halt to any challenge to the family quotient? [2]

The only criticism of the family quotient system that is socially and intellectually acceptable must therefore focus on its modalities, and not on the basic principle. Do the tax shares correspond well to consumption units (taking into account the need for simplicity)? Is the level of the cap on the family quotient appropriate? If the legislature feels that it is unable to compare the living standards of families of different sizes, then it should renounce a progressive system of taxation.

Family policy includes a great variety of instruments [3]. Means-tested benefits (RSA, the “complément familial”, housing benefit, ARS) are intended to ensure a satisfactory standard of living to the poorest families. For other families, universal benefits should partially offset the cost of the child. The tax system cannot offer more help to poor families than simply not taxing them. It must be fair to others. It is absurd to blame the family quotient for not benefitting the poorest families: they benefit fully from not being taxed, and means-tested benefits help those who are not taxable.

Table 2 shows the disposable income per consumption unit of a married employed couple according to the number of children, relative to the income per consumption unit of a childless couple. Using the OECD-INSEE CUs, it appears that for low-income levels families with children have roughly the same standard of living as couples without children. By contrast, beyond an earnings level of twice the minimum wage, families with children always have a standard of living much lower than that of childless couples. Shouldn’t we take into account that having three or more children often forces women to limit their work hours or even stop work? It is the middle classes who experience the greatest loss of purchasing power when raising children. Do we need a reform that would reduce their relative position still further?


The standard of living of the family falls as the number of children rises. Having children is thus never a tax shelter, even at high income levels. So if a reform of family policy is needed, it would involve increasing the level of child benefit for all, and not the questioning of the family quotient system.

Overall, redistribution is greater for families than for couples without children: the ratio of disposable income between a couple who earns 10 times the minimum wage and a couple who earns the minimum wage is 6.2 if they have no children; 4.8 if they have two children; and 4.4 if they have three. The existence of the family quotient does not reduce the progressivity of the tax and social welfare system for large families (Table 3).


Consider a family with two children in which the man earns the minimum wage and the wife doesn’t work. Every month the family receives 174 euros in family benefits (AF + ARS), 309 euros for the RSA and 361 euros in housing benefit. Their disposable income is 1916 euros on a pre-tax income of 1107 euros; even taking into account VAT, their net tax rate is negative (-44%). Without children, the family would have only 83 euros for the PPE and 172 euros in housing benefit. Each child thus “brings in” 295 euros. Income is 912 euros per CU, compared with 885 euros per month if there were no children. Family policy thus bears the full cost of the children, and the parents suffer no loss of purchasing power due to the presence of the children.

Now consider a large wealthy family with two children where the man earns 6 times the minimum wage and the woman 4 times. Every month this family receives 126 euros in family benefits and pays 1732 euros in income tax. Their disposable income is 7396 euros on a pre-tax income of 10,851 euros; taking into account VAT, their tax rate is a positive 44%. The French system therefore obliges wealthy families to contribute, while financing poor families. Without children, the wealthy family would pay 389 euros more tax per month. Its income per CU is 4402 euros per month, compared with 5819 euros if there were no children. The parents suffer a 24.4% loss in their living standard due to the presence of the children.

Finally, note that this wealthy family receives 126 euros per month for the AF, benefits from a 389 euro reduction in income tax, and pays 737 euros per month in family contributions. Unlike the poor family, it would benefit from the complete elimination of the family policy.

It would certainly be desirable to increase the living standards of the poorest families: the poverty rate for children under age 18 remains high, at 17.7% in 2009, versus 13.5% for the population as a whole. But this effort should be financed by all taxpayers, and not specifically by families.

No political party is proposing strong measures for families: a major upgrade in family benefits, especially the “complément familial” or the “child” component of the RSA; the allocation of the “child” component of the RSA to the children of the unemployed; or the indexation of family benefits and the RSA on wages, and not on prices.

Worse, in 2011, the government, which now poses as a defender of family policy, decided not to index family benefits on inflation, with a consequent 1% loss of purchasing power, while the purchasing power of retirees was maintained. Children do not vote …

I find it difficult to believe that large families, and even families with two children, especially middle-class families with children, those where the parents (especially the mothers) juggle their schedules in order to look after their children while still working, are profiting unfairly from the current system. Is it really necessary to propose a reform that increases the tax burden on families, especially large families?


[1] The advantage provided by the family quotient is currently capped at 2585 euros per half a tax share. This level is justified. A child represents on average 0.35 CU (0.3 in the range 0 to 15 year old, and 0.5 above). This ceiling corresponds to a zero-rating of 35% of median income. See H. Sterdyniak: “Faut-il remettre en cause la politique familiale française?” [Should French family policy be called into question?], Revue de l’OFCE, no. 16, January 2011.

[2] As it has already intervened to require that the Prime pour l’emploi benefit takes into account family composition.

[3] See Sterdyniak (2011), op.cit.

 




Pour défendre le quotient familial

par Henri Sterdyniak

Certains responsables du Parti socialiste ont repris, début 2012, la thèse selon laquelle le quotient familial est injuste car il ne profiterait pas aux familles les plus pauvres qui ne paient pas d’impôt, et profiterait davantage aux familles riches qu’aux familles pauvres. Ceci dénote une certaine incompréhension du fonctionnement du système socialo-fiscal.

Peut-on remplacer le quotient familial par une prestation uniforme de 607 euros par enfant, comme le proposent certains responsables socialistes, s’inspirant d’un travail de la Direction du Trésor ? Ce  niveau de 607 euros n’a aucune justification autre que comptable : le coût actuel global du quotient familial réparti uniformément par enfant. Mais ce coût vient précisément de l’existence du quotient. Un crédit d’impôt, sans garantie d’indexation, verrait vite son pouvoir d’achat relatif diminuer, comme diminue celui des allocations familiales.

Avec ce crédit, la prise en compte des enfants dans la fiscalité perdrait toute logique. Comme le montre le tableau 1, les familles avec enfants seraient surtaxées par rapport aux couples sans enfant ; à revenu identique (par UC avant impôt), leur revenu après impôt serait plus faible. Le Conseil constitutionnel censurera certainement une telle disposition.

La France est le seul pays à pratiquer le système du quotient familial. Chaque famille se voit attribuer un nombre de parts fiscales, P, correspondant à sa composition ; ces parts correspondent grosso modo à son nombre d’unités de consommation (UC), telles que l’OCDE et l’INSEE les évaluent ; le système fiscal considère que chaque membre de la famille a un niveau de vie équivalent à celui d’un célibataire de revenu R/P ; la famille est donc taxée comme P célibataires de revenu R/P.

Le degré de redistribution assuré par le système fiscal est déterminé par le barème, qui définit la progressivité du système fiscal ; celle-ci est la même pour toutes les catégories de ménages.

Ainsi, le quotient familial (QF) est-il une composante logique et nécessaire de l’impôt progressif. Le quotient familial ne fournit ni aide, ni avantage spécifique aux familles ; il garantit seulement une répartition équitable du poids de l’impôt entre des familles de taille différente, mais de niveau de vie équivalent. Le QF n’est pas une aide arbitraire aux familles, qui augmenterait avec le revenu, ce qui serait évidemment injustifiable.

Prenons un exemple. La famille Durand a 2 enfants ; elle paie 3 358 euros d’IR de moins que la famille Dupont (tableau 1). Est-ce un avantage fiscal de 3 358 euros ? Non, car les Durand sont moins riches que les Dupont : ils disposent de 2 000 euros par part fiscale au lieu de 3 000. Par contre, les Durand paient autant d’IR par part que les Martin qui ont le même niveau de vie. Les Durand ne bénéficient donc d’aucun avantage fiscal.

Le quotient familial tient compte de la taille des foyers ; cette prise en compte est certes discutable ; mais on ne peut considérer qu’un système d’imposition qui ne tient pas compte de la taille des foyers est la norme et donc que tout écart à cette norme est une aide. Rien ne justifierait de prélever le même impôt sur le revenu aux Dupont sans enfant et aux Durand avec 2 enfants, qui ont certes le même montant de salaire, mais pas le même niveau de vie.

 

Par ailleurs, le plafonnement du quotient familial[1] tient compte du fait que la partie la plus élevée du revenu ne sert pas à la consommation des enfants.

La société peut choisir d’accorder ou non des prestations sociales ; mais elle n’a pas le droit de remettre en cause le principe de l’équité fiscale familiale : chaque famille doit être imposée selon son niveau de vie. Remettre en cause ce principe serait inconstitutionnel, contraire à la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle : « Chacun doit contribuer aux dépenses publiques selon ses capacités contributives ». La loi garantit le droit des couples à se marier, à fonder une famille, à mettre en commun leurs ressources. L’impôt doit être familial et doit évaluer la capacité contributive de familles de composition différente. Aussi, est-il permis de faire confiance au Conseil constitutionnel pour interdire toute remise en cause du quotient familial[2].

La seule critique du système du quotient familial, socialement et intellectuellement recevable, doit donc porter sur ses modalités et non sur son principe. Les parts fiscales correspondent-elles bien aux unités de consommation (compte tenu d’une obligation de simplicité) ? Le montant du plafonnement du QF est-il approprié ? Si le législateur s’estime incapable de comparer le niveau de vie de familles de tailles différentes, il doit renoncer à la progressivité de l’impôt.

La politique familiale comporte un grand nombre d’instruments[3]. Les prestations sous conditions de ressources (RSA, complément familial, allocation-logement, ARS) ont pour objectif d’assurer un niveau de vie satisfaisant aux familles les plus pauvres. Les prestations universelles doivent compenser, en partie, le coût de l’enfant pour les autres. La fiscalité ne peut pas aider les familles pauvres plus qu’en ne les imposant pas. Elle doit être équitable pour les autres. Il est absurde de reprocher au quotient familial de ne pas bénéficier aux familles les plus pauvres : celles-ci bénéficient à plein de leur non-imposition et les prestations sous conditions de ressources aident ceux qui ne sont pas imposables.

Le tableau 2 montre le revenu disponible par UC d’un couple marié de salariés selon son nombre d’enfants, relativement au revenu par UC d’un couple sans enfant. En utilisant les UC de l’OCDE-INSEE, il apparaît que pour de bas niveaux de revenus, les familles avec enfants ont à peu près le même niveau de vie que les couples sans enfant. Par contre, au-delà de 2 SMIC, les familles avec enfants ont toujours un niveau de vie nettement plus bas que les couples sans enfant. Encore, ne tient-on pas compte du fait qu’avoir trois enfants ou plus oblige souvent la femme à réduire son activité ou même à la cesser. Ce sont les classes moyennes qui connaissent la perte de pouvoir d’achat relative la plus forte en élevant des enfants. Faut-il une réforme qui diminuerait encore leur situation relative ?

 

Le niveau de vie de la famille est d’autant plus bas qu’elle comporte beaucoup d’enfants. Avoir des enfants n’est donc jamais une niche fiscale, même à de hauts niveaux de revenus. Si donc une réforme de la politique familiale est nécessaire, elle passe par l’augmentation du niveau des allocations familiales pour tous et non pas par la mise en cause du QF.

Globalement, la redistribution est plus forte chez les familles que chez les couples sans enfant : le rapport des revenus disponibles entre un couple qui gagne 1 SMIC et un couple qui en gagne 10 est de 6,2 s’ils n’ont pas d’enfant ; de 4,8 s’ils ont 2 enfants ; de 4,4 s’ils en ont 3. L’existence du quotient familial ne réduit pas la progressivité du système socialo-fiscal pour les familles nombreuses (tableau 3).


Considérons une famille avec deux enfants où l’homme est au SMIC, la femme ne travaille pas. Cette famille bénéficie, par mois, de 174 euros de prestations familiales (AF + ARS), de 309 euros de RSA et de 361 euros d’allocation logement. Son revenu disponible est de 1 916 euros pour un revenu avant impôt de 1 107 euros ; même en tenant compte de la TVA, son taux d’imposition net est négatif de – 44 %. Sans enfant, elle n’aurait que 83 euros de PPE, 172 euros d’allocation logement. Chacun des enfants lui « rapporte » 295 euros. Son revenu par UC est de 912 euros par mois contre 885 euros si elle n’avait pas d’enfant. La politique familiale prend en charge la totalité du coût des enfants. Les parents ne supportent aucune perte de pouvoir d’achat du fait de la présence d’enfants.

Voyons maintenant la famille aisée avec deux enfants où l’homme gagne 6 fois le SMIC, la femme 4 fois. Cette famille bénéficie, par mois, de 126 euros de prestations familiales et dépense 1 732 euros d’IR. Son revenu disponible est de 7 396 euros pour un revenu avant impôt de 10 851 euros ; compte tenu de la TVA, son taux d’imposition est positif de 44 %.  Le système français fait donc contribuer les familles aisées et finance les familles pauvres. Sans enfant, la famille aisée paierait 389 euros d’impôt de plus par mois. Son revenu par UC est de 4 402 euros par mois contre 5 819 euros si elle n’avait pas d’enfant. Les parents supportent une perte de niveau de vie de 24,4 % du fait de la présence des enfants.

Remarquons enfin que cette famille aisée reçoit 126 euros par mois d’AF, bénéficie de 389 euros de réduction d’IR et supporte 737 euros par mois de cotisations familiales. Contrairement à la famille pauvre, elle gagnerait à la suppression totale de la politique familiale.

Certes, il serait souhaitable d’augmenter le niveau de vie des familles les plus pauvres : le taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans reste élevé : 17,7% contre 13,5% pour l’ensemble de la population en 2009. Mais cet effort doit être financé par tous les contribuables et pas spécifiquement par les familles.

Aucun parti politique ne propose des mesures fortes pour les familles : une importante revalorisation des prestations familiales, en particulier du complément familial et de la composante « enfant » du  RSA ;  l’attribution de la composante « enfant » du RSA aux enfants de chômeurs ; l’indexation des prestations familiales et du RSA sur les salaires et non sur les prix.

Pire, en 2011, le gouvernement actuel, qui se pose aujourd’hui en défenseur de la politique familiale, a décidé de ne pas indexer les prestations familiales sur l’inflation, faisant perdre 1% de pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat des retraités est maintenu. Les enfants ne votent pas…

Il m’est difficile de penser que les familles nombreuses, et même les familles avec deux enfants, et en particulier les familles avec enfants de la classe moyenne, celles où les parents (et surtout les mères) jonglent avec leurs horaires pour s’occuper de leurs enfants tout en travaillant, soient les grandes « profiteuses » du système actuel. Faut-il vraiment proposer une réforme qui augmente l’imposition des familles, et surtout des familles nombreuses ?


[1] L’avantage fourni par le quotient familial est actuellement plafonné à 2 585 euros par demi-part.  Ce niveau est justifié. Un enfant représente, en moyenne, 0,35 UC  (0,3 pour les moins de 15 ans ; 0,5 pour les plus de 15 ans). Le plafond correspond à la détaxation du 35 % du revenu médian. Voir : H. Sterdyniak: « Faut-il remettre en cause la politique familiale française ? », Revue de l’OFCE, n°116, janvier 2011.

[2] Comme il est déjà intervenu pour imposer que la Prime pour l’emploi tienne compte de la composition familiale.

[3] Voir Sterdyniak (2011), op.cit.




Financement de la protection sociale : à la recherche d’une réforme miracle…

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ? La réponse est non, et nous expliquons ici pourquoi.

La France est le pays du monde où les cotisations sociales sont les plus fortes. Ceci s’explique par la générosité de son système de protection sociale. Le salarié français n’a pas à épargner pour sa retraite et sa santé. Il reçoit des prestations famille et chômage relativement généreuses. A revenu disponible donné, son salaire net peut ainsi être plus faible que dans les pays où il doit financer sa santé et sa retraite (ce qui compense la hausse  du coût salarial induit par les cotisations sociales employeurs). Depuis 1984, la part des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée a assez nettement diminué de sorte qu’on ne peut guère les accuser d’être responsables des pertes récentes de compétitivité de l’économie française.

Depuis 40 ans, le financement de la Sécurité sociale a donné lieu à de nombreuses études. Des réformes importantes ont été engagées : déplafonnement des cotisations ;  allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires ; suppression des cotisations maladie des salariés et création de la CSG ; mise en place de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et du forfait social sur les rémunérations extra-salariales. En  2006-2007, le débat a rebondi : le remplacement de points de cotisations employeurs par une Contribution sur la Valeur Ajoutée (CVA), par une TVA sociale ou par une hausse de la CSG a été envisagé puis écarté, à la suite de plusieurs rapports administratifs.

Pour l’avenir, on peut rendre totalement indépendantes les questions de protection sociale et de compétitivité des entreprises en décidant que les éventuelles futures hausses de ressources porteront sur les cotisations sociales salariés (retraites) ou la CSG (maladie, famille) [1].

Les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite, allocation maladie de remplacement) reposent sur une logique contributive : les droits et les montants dépendent des cotisations versées. Ils doivent donc obligatoirement être financés par les revenus d’activité des personnes couvertes. Comment justifier que les personnes ayant eu de plus forts revenus reçoivent plus de prestations, sinon que par le fait qu’elles ont acquis ce droit par leurs cotisations ? Les cotisations salariés ne financent aujourd’hui que de telles prestations, ce qui rend impossible leur remplacement par des impôts (comme la CSG). Il ne serait, en effet, pas légitime de faire payer des cotisations chômage ou retraite aux retraités ou aux revenus du capital des ménages, puisque ces cotisations n’ouvriraient pas de droit.

Par contre, les prestations universelles (famille, maladie) devraient être financées par l’impôt. Pour des raisons historiques, ce principe n’est pas respecté en France où elles restent, en partie, financées par des cotisations employeurs. En novembre 2011, le Medef a relancé le débat. Son objectif récurrent est de faire diminuer les cotisations employeurs, famille et maladie, pour augmenter le profit et la compétitivité des entreprises françaises. Mais, ceci suppose de faire payer les ménages, ce que le Medef cherche à masquer.

Quatre projets sont sur la table. Les deux premiers, que le Medef récuse, n’amélioreraient pas la compétitivité globale des entreprises, mais pourraient favoriser l’emploi. Les deux autres supposent une baisse des revenus des ménages.

Instaurer une CVA consisterait à changer l’assiette des cotisations sociales de façon à taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, donc aussi les machines au lieu de taxer seulement l’emploi. Les entreprises seraient incitées à ralentir la substitution du capital au travail ; les entreprises de main d’œuvre ne seraient plus défavorisées par rapport aux entreprises plus capitalistiques. Cette mesure a été rejetée en 2006 ; on lui a reproché de surtaxer l’industrie, de nuire à l’innovation. Mais les innovations qui consistent à remplacer des emplois par des machines sont-elles justifiées en situation de chômage de masse ?

La taxe carbone pourrait être utilisée pour réduire les cotisations employeurs. Ainsi, les entreprises seraient-elles incitées à utiliser moins d’énergie et plus de travail. Ceci ferait courir le risque de provoquer la délocalisation d’industries fortement émettrices de carbone. C’est une mesure nécessaire à terme, mais il faudra l’instaurer dans le cadre de l’UE et de l’OMC. Cette substitution suppose d’utiliser les ressources dégagées par l’instauration d’une taxe carbone pour réduire le coût du travail et non pour indemniser les ménages et les entreprises les plus frappés par la taxe ou pour financer les investissements en économies d’énergie en France ou dans les pays émergents (comme il est envisagé dans les négociations internationales).

Augmenter les taux de TVA et baisser les cotisations sociales employeurs (la TVA sociale) se traduiraient par une hausse des prix à la consommation. Même si les prix des produits français vendus en France restaient fixes (la hausse de la TVA compensant la baisse des cotisations que les entreprises répercuteraient en totalité), les prix des produits importés augmenteraient pour les consommateurs (en raison de la hausse de la TVA). La réforme ne serait pas payée par nos fournisseurs étrangers, mais bien par les ménages français qui devraient payer plus cher les produits importés. Au final, soit les salaires et les prestations augmenteraient à la suite de ces hausses de prix, ce qui ferait progressivement disparaître les gains immédiats de compétitivité ; soit, il faudrait bloquer salaires et prestations et imposer aux salariés et aux retraités d’accepter une baisse de pouvoir d’achat au nom de la compétitivité. Dans ce deuxième cas, les gains de compétitivité seraient durables, mais ils seraient obtenus au prix de pertes de pouvoir d’achat des ménages.

La mesure la plus transparente serait de baisser les cotisations employeurs et d’augmenter simultanément la CSG du même montant en disant clairement aux Français : « Acceptez des pertes de pouvoir d’achat pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises ». La hausse de la CSG devrait porter sur tous les revenus. On ne peut frapper spécifiquement les revenus du capital (qui viennent déjà d’être touchés par la hausse du prélèvement libératoire de 19 à 24%) ou les retraités (qui ne bénéficient pas de hausses de pouvoir d’achat). Mais comment garantir que les entreprises augmenteraient bien l’investissement et l’emploi en France ? La hausse de l’investissement et le gain en commerce extérieur compenseraient-ils la baisse inéluctable de la consommation ? Si elle était généralisée, cette politique de dévaluation déguisée, à l’allemande, nuirait à la demande et donc à la production, de la zone Euro. Chaque pays doit-il se lancer dans une stratégie d’exportation de son chômage ?

Le Medef[2] propose deux mesures. Une baisse de 4,5 points des cotisations salariés (en négligeant que ces cotisations financent des prestations contributives) serait compensée par une hausse de la CSG (qui devrait être de 3 points). La hausse de 2 % des salaires nets serait payée par une baisse de 5% des revenus du capital des ménages et de 3,3% des retraites (qui supporteraient les 2/3 du coût de la mesure)[3]. Une baisse de 7,5 points des cotisations employeurs serait compensée par une hausse de 5 points de la TVA ; la Medef précise que les entreprises seraient libres d’utiliser cette baisse pour réduire leurs prix, améliorer leurs marges ou augmenter les salaires. Par contre, il oublie que cette mesure sera fortement inflationniste, en tout état de cause du fait de la hausse du prix des importations et d’autant plus que les entreprises françaises augmenteraient leurs marges ou les salaires. Cette inflation diminuera le pouvoir d’achat des ménages, ce qu’il faudra compenser par des hausses de salaires et de retraites qui annuleront les gains de compétitivité.

On l’aura compris, il n’existe pas de réforme miracle du financement qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises sans dégrader le pouvoir d’achat des ménages.


 [1]Il serait aussi souhaitable de supprimer les niches sociales : faire passer de 8 à 30% le forfait social, qui frappe les éléments extra-salariaux des rémunérations, comme la participation, l’intéressement (ce qui rapporterait 4 milliards d’euros), taxer à la CSG les loyers implicites (8 milliards), mettre fin aux exonérations des heures supplémentaires (6 milliards) fourniraient 18 milliards de recettes à la Sécurité sociale.

[2] Nous discutons ici le troisième scénario  du « nouveau pacte fiscal et social pour la compétitivité de la France » proposé par le MEDEF le 15 novembre 2011 (http://www.medef.com/nc/medef-tv/actualites/detail/article/le-nouveau-pacte-fiscal-et-social-pour-la-competitivite-de-la-france.html).

[3] Cette première mesure n’a aucun effet sur la compétitivité des entreprises ; son objectif est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des salariés qu’induirait la seconde, mais ceci se ferait au détriment des retraités qui subiraient une double peine : hausse de la CSG et inflation.




Pourquoi les pays développés doivent renoncer à leur AAA

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Par essence, les Etats à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : en effet, quelle logique y-a-t-il à voir des agences de notation noter un Etat dont le défaut est rendu impossible par sa capacité à créer sa propre monnaie ? Pour éviter la dépendance envers ces agences de notation et mettre fin à la crise qui sévit en Europe, les Etats membres de la zone euro doivent retrouver leur souveraineté monétaire par la garantie conjointe quasi-intégrale des dettes publiques. 

Depuis 1945, aucun pays développé n’a fait défaut sur sa dette publique. Celle-ci était sans risque, puisque les Etats s’endettaient dans leur propre monnaie et pouvaient toujours se financer auprès de leur banque centrale. Les pays développés jouissaient de la « souveraineté monétaire ». C’est toujours le cas aujourd’hui pour le Japon (qui s’endette à 10 ans à 1% malgré une dette de 210% du PIB), les Etats-Unis (qui s’endettent à 2% avec une dette de 98% du PIB), le Royaume-Uni (qui s’endette à 2,5% pour une dette de 86% du PIB).

Les banques et les assurances ne peuvent fonctionner si elles ne disposent pas d’un actif sans risque et si elles doivent se garantir contre la faillite de leur propre État, ce qui est bien sûr impossible : les montants en jeu sont énormes et les titres publics servent de garantie aux activités bancaires et d’assurances. Les banques et les assurances ne peuvent accumuler suffisamment de fonds propres pour résister à la faillite de leur pays ou de plusieurs pays de la zone euro. Cette exigence, on le voit aujourd’hui, avec la crise des dettes publiques de la zone euro, mène à la paralysie générale du système bancaire.

Il est foncièrement absurde que les agences de notation notent un État à souveraineté monétaire, comme si son défaut était une possibilité à envisager. Les États à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : par essence, leur dette est sans risque puisqu’elle est garantie par le pouvoir de création monétaire de leur banque centrale.

Les pays de la zone euro ont perdu leur « souveraineté monétaire » : selon le Traité de l’Union européenne, la BCE n’a pas le droit de financer les États ; les États membres ne sont pas solidaires. Les marchés financiers s’en sont aperçus à la mi-2009. Du coup, une spéculation incontrôlable s’est déclenchée sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Portugal, Irlande, ceux qui avaient connu la plus forte croissance avant la crise, mais qui vont devoir changer leur modèle de croissance ; puis, par effet de domino, sur l’Italie, l’Espagne et même la Belgique. Aujourd’hui, la Belgique doit payer un taux d’intérêt de 3,8 %, l’Espagne de 5,2 % et l’Italie de 5,6 % contre 2,6% pour la France, et même 1,8% pour l’Allemagne. La Grèce, l’Irlande, le Portugal sont ramenés dans la situation des pays en développement de jadis : leurs dettes sont devenues des actifs risqués qui subissent d’importantes primes de risque ; ils doivent passer sous les fourches caudines du FMI.

Ce jeu des marchés financiers risque de paralyser complètement la politique budgétaire. Lorsqu’un pays dispose de la souveraineté monétaire, en période de récession, la banque centrale peut diminuer au maximum son taux d’intérêt et s’engager, si nécessaire, à le maintenir durablement bas ; l’Etat augmente son déficit mais le bas niveau des taux d’intérêt évite que la dette publique ne fasse boule de neige ; il provoque une baisse du taux de change, qui soutient l’activité. La garantie des dettes par la création monétaire fait qu’il n’y a pas de risque de faillite, donc pas de raison de devoir en permanence rassurer les marchés. La banque centrale, en maintenant les taux longs à de bas niveaux en période de récession, garantit l’efficacité de la politique budgétaire. La politique budgétaire n’a pas à se soucier des marchés. C’est toujours la stratégie des États-Unis.

En zone euro, le risque est que demain un pays ne puisse plus augmenter son déficit de crainte que les agences ne dégradent sa notation et que ses taux d’intérêt ne s’envolent. Les pays sont donc condamnés à des concours de vertu pour apparaître aussi sages que l’Allemagne aux yeux des marchés. Ceci rend leur politique budgétaire impuissante, et donc leur conjoncture incontrôlable (voir, par exemple, L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle). La dette publique devient un facteur permanent de risque puisque les États sont à la merci des esprits animaux des marchés. Toute politique économique devrait être évaluée en tenant compte de l’opinion des marchés. Or ceux-ci n’ont pas de compétence macroéconomique particulière. Ils imposent des politiques d’austérité en période de récession, puis se plaignent du manque de croissance. C’est ce qu’ils font aujourd’hui, pour la zone euro en général, pour l’Italie et la Grèce en particulier. Ils favorisent les réformes libérales comme la réduction de la protection sociale ou celle du nombre d’enseignants. Pour que les pays conservent la capacité de réguler leur activité économique, le risque de faillite doit être nul.

La zone euro doit donc choisir entre se dissoudre ou se réformer de façon à garantir les dettes publiques des États membres, qui retrouveraient leur « souveraineté monétaire ». Les dettes publiques européennes doivent redevenir des actifs sans risques, faiblement rémunérés mais totalement garantis (par la solidarité européenne et fondamentalement par la BCE). C’est le seul moyen de maintenir l’autonomie des politiques budgétaires, qui est nécessaire compte tenu des disparités en Europe et de la perte pour chaque pays de l’instrument monétaire et de celui du taux de change.

Le fonctionnement de la zone euro n’a pas été réfléchi au moment de sa création, en particulier l’arbitrage « autonomie des politiques budgétaires/monnaie unique/souveraineté monétaire ». La garantie conjointe crée un problème d’aléa moral puisque chaque pays peut augmenter sa dette sans limite, mais une absence de garantie laisse le champ libre au jeu des marchés financiers, qui seront en permanence à l’affût. La garantie ne peut être réservée aux pays qui respectent les règles automatiques, injustifiables sur le plan économique et non respectables du Pacte de stabilité. Elle doit être automatique et totale. Pour éviter l’aléa moral, le Traité européen doit comporter un dispositif prévoyant le cas extrême où un pays pratiquerait effectivement une politique budgétaire insoutenable ; dans ce cas, la nouvelle dette de ce  pays ne serait plus garantie ; mais ceci ne doit jamais survenir.

N’ayant plus la nécessité de rassurer les marchés, les pays de la zone euro pourraient pratiquer des politiques budgétaires différenciées mais coordonnées, se donnant comme objectif principal le retour à un niveau d’emploi satisfaisant, compatible avec une inflation modérée.




Why the developed countries should renounce their AAA rating

By Catherine Mathieu and Henri Sterdyniak

By their very nature, states with monetary sovereignty should renounce their AAA rating: indeed, what is the logic behind having the rating agencies rate a state whose default is rendered impossible by its ability to create its own money? To avoid dependence on the rating agencies and put an end to the crisis in Europe, the Member States of the euro zone must recover their monetary sovereignty through the joint, virtually complete guarantee of their public debts.

Since 1945, no developed country has defaulted on its debt. There was no risk on the debt, since the states borrowed in their own currency and could always obtain financing from their central bank. The developed countries enjoyed “monetary sovereignty”. This is still the case today for Japan (which enjoys 10-year loans at 1% despite a debt of 210% of GDP), the United States (which borrows at 2% with a debt of 98% of GDP), and the United Kingdom (which borrows at 2.5% with a debt of 86% of GDP).

Banks and insurance companies cannot function if they do not have risk-free assets and if they have to guard against the failure of their own state, which is of course impossible: the amounts involved are enormous, and government securities serve to guarantee banking and insurance activities. The banks and insurance companies could not accumulate enough capital to withstand the bankruptcy of their own country or multiple euro zone countries. As we can see today with the sovereign debt crisis in the euro zone, such a requirement would lead to the general paralysis of the banking system.

It is fundamentally absurd that the rating agencies rate a state with monetary sovereignty, as if its default were an option worth considering. States with monetary sovereignty should renounce their AAA rating: by their nature, their debt is risk-free because it is guaranteed by the central bank’s power to create money.

The euro zone countries have lost their “monetary sovereignty”: under the Treaty of the European Union, the European Central Bank has no right to finance Member States, and the States are not bound by joint liability. The financial markets noticed this in mid-2009, and suddenly uncontrollable speculation erupted, targeting the most fragile countries in the zone: first Greece, Portugal, and Ireland, which had the fastest growth before the crisis, but will have to change their growth pattern, and then, like dominos, Italy, Spain, and even Belgium. Today, Belgium has to pay an interest rate of 3.8%, Spain 5.2% and Italy 5.6%, compared with 2.6% in France and just 1.8 % for Germany. Greece, Ireland, and Portugal are now in the situation that the developing countries faced yesteryear: their debts have become risky assets subject to high risk premiums, and they are being brought under the yoke of the IMF.

The workings of the financial markets could completely paralyze fiscal policy. When a country enjoys monetary sovereignty, then in a recession the central bank can lower its maximum interest rate and if necessary commit to keeping it low in the long term; the state increases its deficit, but the low interest rates prevent the debt from snowballing; and it pushes exchange rates lower, which boosts activity. Since the debt is guaranteed by the creation of money, there is no risk of bankruptcy, and thus no reason to have to constantly reassure the markets. The central bank, by maintaining long-term rates at low levels in a recession, ensures that fiscal policy is effective. Fiscal policy does not need to worry about the markets. This is still the strategy of the United States today.

In the euro zone, the risk is that in the future a country could no longer increase its deficit for fear that the agencies might downgrade its rating and interest rates would then soar. The countries are therefore condemned to prove their virtue so as to appear as wise as Germany in the eyes of the markets. This renders their fiscal policy impotent, and their economic situation spins out of control (see, for example, The impossible programme of the candidates for the presidential election). The public debt becomes a permanent risk factor, since the states are at the mercy of the markets’ insatiable appetite. Any economic policy should of course be assessed while taking into account the views of the markets. Yet the markets have no special competence in macroeconomics. They impose austerity policies during a recession and then turn around and complain about the lack of growth – which is exactly what they are doing today with respect to the euro zone in general, and Italy and Greece in particular. They are promoting free market reforms such as cutting social welfare programs or the number of teachers. For countries to retain the ability to regulate their economic activity, the risk of default needs to be zero.

The euro zone must thus choose between dissolution and a reform that would guarantee the public debt of the Member States, which would re-gain their “monetary sovereignty”. European public debts should become risk-free assets, compensated at low rates but guaranteed in full (by European solidarity and fundamentally by the ECB). This is the only way to maintain the independence of fiscal policy, which is essential given the disparities in Europe and the loss by each country of its monetary and exchange rate instruments.

The functioning of the euro zone was not thought through at the time of its creation, particularly with respect to the trade-off between “autonomy of fiscal policy / single currency / monetary sovereignty”. Joint liability creates a moral hazard problem, as each country can increase its debt without limit, but a lack of a guarantee leaves the field open to the play of the financial markets, which are constantly on the lookout. The guarantee cannot be limited to countries that meet the automatic rules, which is unwarranted economically and fails to comply with the Stability Pact. It should be automatic and total. To avoid moral hazard, the European Treaty should include a provision for the extreme situation where a country carries out an unsustainable fiscal policy, in which case the new debt of the country would no longer be guaranteed – but this should never come to pass.

Freed of the need to reassure the markets, the euro zone countries could engage in differentiated but coordinated fiscal policies, with their main objective being to ensure a return to a satisfactory level of employment consistent with low inflation.