Que peut-on attendre d’une baisse de l’euro pour l’économie française ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Face à la montée du risque de déflation en zone euro, renforcée par l’appréciation continue de l’euro face aux autres monnaies depuis mi-2012, les dirigeants de la Banque centrale européenne ont entamé un changement de ton dans leur communication aux marchés financiers : ils évoquent maintenant la possibilité de mettre en œuvre de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs. Ces assouplissements sont susceptibles de faire baisser le taux de change de l’euro. Ils apporteraient alors un soutien précieux aux économies de la zone euro via un regain de compétitivité-prix vis-à-vis des concurrents hors de la zone, dans un contexte où les politiques de consolidation budgétaire vont continuer à freiner la croissance prévue pour la zone euro en 2014 et en 2015. Quelles seraient dès lors les conséquences pour l’économie française d’une dépréciation de l’euro face aux autres monnaies ? Nous revenons brièvement sur les évolutions passées du taux de change de l’euro. Puis nous présentons les effets attendus d’une dépréciation de 10% de l’euro face aux autres devises à l’aide du modèle emod.fr. Ces effets sont plus modérés que ceux prévus par le gouvernement.

Les politiques d’assouplissement monétaire quantitatif ont été massivement utilisées par la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre ou encore de la Banque centrale du Japon. Depuis la mi-2012, le bilan de ces 3 banques a continué d’augmenter de respectivement 6,5 pts de PIB, 1,3 pt de PIB et 15,3 pts de PIB. Au cours de la même période, le bilan de la BCE s’est à l’inverse réduit de 8,4 pts de PIB. Cette divergence de stratégie a provoqué une appréciation continue de l’euro : en s’établissant aujourd’hui à 1,38 dollar, l’euro a vu sa valeur augmenter depuis juin 2012 de 12 % face au dollar. Au cours de la même période, la monnaie commune s’est appréciée de 49 % par rapport au yen et de près de 3 % face à la livre sterling (graphique 1).

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Le taux de change effectif nominal de l’euro, qui pondère ces différents taux de change en fonction de la structure du commerce de la zone euro, s’est ainsi apprécié de 9,5 % depuis le troisième trimestre 2012 (graphique 2). Cette appréciation, combinée avec les politiques d’austérité et de désinflation compétitive menées en zone euro, a pesé sur la croissance du PIB de la zone, négative en 2012 et 2013, et sur l’inflation. L’absence de tensions inflationnistes et l’appréciation passée de l’euro laissent donc des marges de manœuvre à la BCE pour essayer d’infléchir le cours de l’euro face aux autres monnaies.

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Quel serait l’impact d’une dépréciation de l’euro vis-à-vis de l’ensemble des autres devises ?

Les effets d’une dépréciation de l’euro sont doubles :

–          Un effet de revenu : un euro faible augmente le prix des importations. Cela se traduit par une hausse de la facture énergétique, une hausse des prix de production des entreprises et une perte de pouvoir d’achat des ménages ;

–          Un effet de substitution : un euro faible diminue le prix des exportations et accroît ces dernières. La dépréciation détériore aussi la compétitivité des producteurs concurrents, ce qui provoque une baisse des importations à l’avantage de la production domestique.

Ces effets opposés ne s’appliquent qu’au commerce extra zone euro. Le commerce avec nos partenaires européens n’est pas directement impacté puisque les prix des importations et des exportations en provenance et à destination de cette zone restent inchangés. En revanche, le commerce intra zone euro est impacté par un euro faible. Mais, cela passe par le canal de la demande adressée.

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Comme le résume le tableau 1, une dépréciation de 10% de l’euro face à l’ensemble des monnaies entraîne un gain de compétitivité-prix à l’exportation pour la France vis-à-vis du reste du monde. Les autres pays de la zone euro bénéficient du même gain de compétitivité sur l’ensemble des marchés à l’exportation. Dans ce cas, l’effet sur l’activité serait de 0,3% la première année, de 0,5% au bout de trois ans, et nul au bout de neuf ans. La hausse de demande adressée entraînée par l’amélioration de l’activité chez nos partenaires européens serait globalement compensée par la baisse de la demande adressée à la France par le reste du monde. Sur le marché du travail, une telle dépréciation entraînerait la création de 22 000 emplois la première année de 74 000 emplois au bout de 3 ans. Le solde public de son côté s’améliorerait de 0,3 point de PIB à l’horizon de 3 ans.

Ces résultats, s’ils modèrent ceux publiés par la DG Trésor[1], n’en demeurent pas moins significatifs et bienvenus dans le contexte économique actuel marqué par une croissance faible et un risque de déflation. Une dépréciation de la monnaie unique permettrait également d’atténuer le processus de désinflation compétitive engagé au sein des pays de la zone euro.

 


[1] Dans leur publication, la DG Trésor considère qu’une baisse de 10% du taux de change effectif de l’euro (contre toutes monnaies) permettrait d’accroître notre PIB de 0,6 point de PIB la première année et de 1,2 point de PIB au bout de trois ans ; de créer 30 000 emplois la première année et 150 000 emplois au bout de trois ans ; de réduire le déficit public 0,2 point de PIB la première année et de 0,6 point de PIB au bout de trois ans.




France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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Doit-on se réjouir de la baisse du taux de chômage en fin d’année 2013 ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Chaque trimestre, l’Insee publie le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) : pour le 4ème trimestre 2013, en France métropolitaine, celui-ci est en baisse de 0,1 point, soit 41 000 chômeurs en moins. Parallèlement, chaque mois paraît le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi : au cours du 4e trimestre 2013, cette source indique une hausse de 23 000 du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A. Dans un cas le chômage baisse, dans l’autre il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur la fin d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre l’Insee et Pôle emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A à Pôle emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible[1] sauf en période d’activation du traitement social du chômage comme ce fut le cas lors du dernier trimestre 2013: pour bénéficier d’un emploi aidé, il est nécessaire d’être préalablement inscrit à Pôle emploi.

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Comme l’indique le tableau 1, quelle que soit la classe d’âge, la situation semble moins favorable dans les chiffres de Pôle emploi que dans ceux au sens du BIT : le découragement face à la dégradation continue depuis plus de 2 ans du chômage a provoqué l’arrêt de la recherche active d’emploi pour un certain nombre de chômeurs qui ne sont plus comptabilisés comme tel au sens du BIT mais qui continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et donc restent inscrits dans la catégorie A.

La baisse du taux de chômage au sens du BIT est-elle une bonne nouvelle ?

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui est resté stable. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs, qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, la politique de l’emploi menée par le gouvernement – emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion – a eu un effet positif sur l’emploi des jeunes, le taux d’emploi augmentant de 0,3 point au cours du dernier trimestre 2013. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la forte hausse des inscriptions à Pôle emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi. Ils sont désormais classés dans le« halo » du chômage, qui lui poursuit sa hausse.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.


[1]Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.




Les 35 heures ont-elles réellement “plombé” l’économie française ?

par Eric Heyer

Les lois Aubry, dites « 35 heures », mises en place en France entre 1998 et 2002, ont-elles, comme le laisse entendre le dernier rapport de l’OCDE, réellement détérioré la compétitivité des entreprises françaises et engendré des destructions d’emplois ? La France a-t-elle enregistré depuis cette réforme un recul de ses performances économiques par rapport à ses partenaires européens ? Les finances publiques ont-elles été « plombées » par ces lois ?

L’examen de notre histoire macroéconomique récente, couplé à des comparaisons internationales, fournit assurément quelques éléments de réponse à ces questions.

Des performances macroéconomiques record dans le secteur privé entre 1998 et 2002…

Au cours des trente dernières années, en excluant de l’analyse la Grande Récession récente, l’activité dans le secteur privé en France a crû en moyenne de 2,1 % par an. Depuis la mise en place des 35 heures, loin de s’effondrer, la croissance d’activité dans ce secteur s’est au contraire fortement accélérée, passant de 1,8 % avant 1997 à 2,6 % après, connaissant même un pic au cours de la période de mise en place et d’instauration des 35 heures (2,9 % en moyenne annuelle, tableau 1). Par ailleurs, il est à noter que dans le top 5 des meilleures années enregistrées par le secteur marchand français au cours des 30 dernières années, 3 se situent dans la période 1998-2002 si l’on retient comme critère la croissance du PIB et 4 si le critère retenu est celui des créations d’emplois.

Le contexte économique mondial explique une partie de ces bonnes performances, mais une partie seulement : la demande étrangère adressée à la France a certes été plus dynamique après 1997 qu’avant, mais cette accélération ne s’est pas démentie après 2002 et, par conséquent, ne peut être un élément explicatif des meilleures performances enregistrées entre 1998 et 2002 (tableau 1).

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… et supérieures à celles de nos partenaires européens

Depuis la mise en place des 35 heures, les performances françaises sont supérieures à celles enregistrées dans le reste de la zone euro et notamment chez nos deux principaux partenaires, l’Allemagne et l’Italie, Ainsi, durant la décennie 1998-2007, en moyenne annuelle, la croissance française a été supérieure de 1 point à celle de l’Italie et de 0,8 point à celle de l’Allemagne (tableau 2).

Au cours de cette période, les entreprises et les ménages français ont dépensé plus que leurs homologues allemands ou italiens. En progressant de 0,8 % en moyenne annuelle, les dépenses d’investissement des entreprises ont été plus dynamiques en France qu’en Allemagne (0,3 %) et en Italie (0,5 %). Quant aux ménages, leur consommation a progressé en moyenne annuelle de 1,4 % en France contre respectivement 0,4 % en Allemagne et 0,9 % en Italie. De plus, il est à noter que le maintien d’une plus forte consommation en France ne résulte pas du comportement d’épargne des ménages. Le taux d’épargne y est non seulement plus élevé qu’ailleurs en Europe mais il a également plus augmenté depuis 1998, Cette bonne tenue de la consommation française résulte d’un plus fort dynamisme des créations d’emplois au cours de cette période dans l’hexagone et notamment lorsqu’on les compare à celles enregistrées outre-Rhin (tableau 2).

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Des coûts salariaux unitaires[1] maîtrisés

La France est, parmi les grands pays, celui qui a le plus réduit ses coûts salariaux unitaires horaires dans le secteur de l’industrie manufacturière au cours de la période 1997-2002 (graphique 1). Au regard du coût salarial pour l’ensemble de l’économie, seule l’Allemagne fait mieux que la France au cours de cette période.

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La mise en place des lois Aubry n’a donc pas engendré de baisse de la compétitivité de l’économie française. Les éléments explicatifs sont maintenant bien connus : l’augmentation du salaire horaire lié au passage aux 35 heures a été compensée par une modération salariale, une organisation temporelle plus flexible permettant une amélioration de la productivité horaire du travail (tableau 1), une suppression du paiement d’heures supplémentaires et, enfin, une aide de l’Etat sous la forme de baisse des cotisations sociales.

Entre 1997 et 2002, en maîtrisant mieux ses coûts salariaux que la plupart des pays européens et anglo-saxons, la France a amélioré sa compétitivité-prix et par là ses parts de marché dans le commerce mondial (graphique 2). La part des exportations françaises dans le commerce mondial, soutenue par la faiblesse de l’euro et la modération salariale, a atteint un point haut en 2001.

Depuis 2002 la France a connu une lourde chute de ses parts de marché, principalement pour deux raisons : d’abord la perte de compétitivité-prix des exportations françaises consécutive à l’appréciation du taux de change effectif nominal de la France comparable à celle observée au début des années 1990, et ensuite, l’engagement d’une politique de réduction drastique des coûts de production par l’Allemagne. Ainsi, engagée depuis 2002 dans une thérapie visant l’amélioration de l’offre par la restriction des revenus et des transferts sociaux (réformes Hartz, TVA sociale), l’Allemagne a vu ses coûts salariaux unitaires diminuer en niveau absolu mais aussi relativement à ses autres partenaires européens, dont la France. Cette politique expliquerait 30 % des pertes de parts de marché françaises enregistrées au cours de la période 2002-2007.

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Ces pertes de parts de marché ne sont pas une spécificité française. La politique menée en Allemagne lui permet de gagner des parts de marché sur les pays qui lui sont géographiquement et structurellement proches, autrement dit les grands pays européens. Et, à cet égard, la France n’est pas le seul pays qui a souffert de cette stratégie. L’Italie a également connu au cours de cette période des pertes de parts de marché[2].

Au total, depuis la mise en place des 35 heures, l’Italie a même perdu davantage de parts de marché que l’économie française (-27 % pour l’Italie contre -20 % pour la France).

 

Un coût limité sur les finances publiques

Depuis la mise en place des lois Aubry, les allègements de charges sur les bas salaires coûtent, en moyenne annuelle, près de 22 milliards d’euros aux administrations publiques (APU). Mais ce montant n’est pas le seul fait des lois Aubry puisqu’avant celles-ci des dispositifs existaient, instaurés par les gouvernements Balladur, puis Juppé, au début des années 1990. Le supplément d’allègement engendré par les lois Aubry, pérennisé par le dispositif « Fillon », s’élève à près 12,5 milliards d’euros par an. Mais ce montant ne représente pas le coût réellement supporté par les APU. En effet, puisque les lois Aubry ont créé des emplois (350 000 au cours de la période 1997-2002 selon le bilan officiel effectué par la DARES et repris par l’INSEE), le coût pour les finances publiques est moindre : ces créations d’emplois engendrent quatre milliards d’euros de cotisations sociales supplémentaires ; elles permettent de diminuer le nombre de chômeurs et par ce biais de réduire les prestations chômage de 1,8 milliard d’euros ; enfin elles stimulent le revenu des ménages et donc leur consommation engendre alors un surcroît de recettes fiscales (TVA, IRPP…) d’un montant de 3,7 milliards d’euros. En somme, une fois le bouclage macroéconomique pris en compte, le surcoût de ces allègements s’élève à trois milliards d’euros annuels soit 0,15 point de PIB.

L’examen de notre histoire macroéconomique ne permet donc pas de corroborer la thèse selon laquelle les 35 heures auraient « plombé » l’économie française : la croissance de l’activité et les créations d’emplois ont été supérieures au cours de la période 1997-2007 à celles du reste de la zone euro et la compétitivité de l’économie française, mesurée par les coûts salariaux unitaires, s’est moins dégradée que dans le reste de la zone euro, à l’exception de l’Allemagne. A cet égard, il apparaît que la stratégie menée en Allemagne à partir de 2002 (réforme Hartz et TVA sociale) explique davantage les pertes de parts de marché de l’économie française, comme celles d’ailleurs perdues chez nos autres partenaires européens. En revanche, c’est davantage dans la fonction publique, et notamment hospitalière, que la mise ne place des 35 heures a été inefficace.

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  Les différentes mesures d’assouplissement des 35 heures

I – La loi Fillon de 2003

La loi du 17 janvier 2003 comporte deux principaux volets :

          (1) Le régime des heures supplémentaires

En augmentant le contingent d’heures supplémentaires de 130 à 180 heures, cette loi permet aux entreprises d’avoir recours à des heures supplémentaires structurelles, En disposant de 4 heures supplémentaires par semaine sur toute l’année, cela permet aux entreprises de rester à 39 heures si elles le souhaitent, Les branches ont par ailleurs la capacité de négocier un contingent supérieur. Le décret du 9 décembre 2004 a porté le contingent réglementaire d’heures supplémentaires à 220 heures par an.

Dans le même temps, cette loi réduit le coût des heures supplémentaires. Pour les entreprises de 20 salariés et moins, elles ne sont comptabilisées qu’à partir de la 37e heure et le taux de majoration n’est que de 10 %. Pour les autres, il pourra être négocié entre 10 et 25 % par un accord de branche.

          (2) Le régime d’allégement des cotisations sociales

Les dispositifs d’allégement des cotisations sociales employeurs introduits par les lois « Aubry » sont désormais déconnectés de la durée du travail. L’ensemble des entreprises, qu’elles soient passées à 35 heures ou non, en bénéficie. L’aide structurelle au-delà de 1,6 Smic est supprimée.

II – La défiscalisation des heures supplémentaires en 2007

La mesure comporte plusieurs volets :

           (1) Réduction forfaitaire des charges patronales

Cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 euro par heure supplémentaire effectuée par les entreprises de moins de 20 salariés et de 0,5 euro dans les entreprises de plus de 20 salariés.

          (2) Alignement de la majoration des heures supplémentaires

Cette mesure propose l’alignement des heures supplémentaires sur le taux minimal de 25 % dans toutes les entreprises.

          (3) Exonération d’impôt sur le revenu

Cette mesure permet aux salariés de voir leurs rémunérations, versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %, exonérées de l’impôt sur le revenu.

          (4) Exonération des charges salariales

Cette mesure comporte également une réduction des charges salariales égale au montant de la CSG, CRDS ainsi que de toutes les cotisations légales et conventionnelles.

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Pour en savoir plus :

Philippe Askenazy, Catherine Bloch-London et Muriel Roger, 2004, « La réduction du temps de travail 1997-2003 : dynamique de construction des lois « Aubry » et premières évaluations », Economie et Statistiques, n° 376-377.

Chen R., GM. Milesi-Ferreti et T. Tressel, 2013, « Eurozone external imbalances », Economic Policy, 28 (73), pp. 102-142.

DARES, 2003, Les politiques de l’emploi et du marché du travail, Collection Repères, Editions La Découverte.

Guillaume Duval, 2008, Sommes-nous des paresseux ? et 30 autres questions sur la France et les Français, Editions du Seuil.

Alain Gubian, Stéphane Jugnot, Frédéric Lerais et Vladimir Passeron, 2004, «Les effets de la RTT sur l’emploi : des simulations ex-ante aux évaluations ex-post », Economie et Statistiques, n° 376-377.

Éric Heyer et Xavier Timbeau, 2000, « 35 heures : réduction réduite », Revue de l’OFCE, n° 74 juillet.

 


[1] Le coût salarial unitaire rapporte le coût horaire de la main-d’œuvre à la productivité horaire du travail.

[2] Bien sûr d’autres facteurs peuvent expliquer les meilleures performances allemandes comme par exemple l’émergence de la Chine. Pour une version récente de cette idée, voir Chen R., GM. Milesi-Ferreti et T. Tressel (2013).

 

 




France : moins d’austérité, plus de croissance

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En 2013, l’économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d’année son niveau de production atteint six ans plus tôt, soit celui de fin d’année 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu’aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Le potentiel de rebond de l’économie française était pourtant important : une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an sur  la période 2010-2013 était possible et aurait permis à la France d’annuler la perte de production accumulée au cours des années 2008-2009. Mais cette « reprise » a été freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé l’activité en France de 2,4 points de PIB.

La prise de conscience de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés a été tardive : elle a eu lieu une fois que les plans d’austérité eurent produit leurs effets négatifs sur la croissance. A la fin mai 2013, elle a poussé les autorités européennes à offrir un délai supplémentaire à six pays de l’Union, dont la France, en vue de corriger leur déficit excessif. L’allègement des exigences de la Commission constitue un ballon d’oxygène et permet au gouvernement d’amoindrir les mesures d’austérité pour 2014. Selon le budget présenté à l’automne 2013, l’effet interne de l’austérité serait ainsi atténué de 0,5 point entre 2013 et 2014, et puisque nos partenaires mènent eux aussi des politiques moins restrictives, un supplément de demande externe est anticipé. Au total, c’est donc près d’un point de croissance qui serait regagné en 2014 par rapport à 2013, grâce à l’allègement de la rigueur et ce, malgré des multiplicateurs budgétaires toujours élevés.

Dans ces conditions, la croissance devrait être de 1,3 % en 2014 en moyenne annuelle. En s’établissant à un rythme toujours inférieur à son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader le marché du travail. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 10,9 % fin 2014.

La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Le déficit public s’établirait à 3,5 % du PIB en 2014, après avoir atteint 4,1 % en 2013 et la dette brute des administrations publiques frôlerait 95 % du PIB l’année prochaine.




Quelle politique budgétaire pour accompagner les réformes structurelles ? Les enseignements du cas allemand

par Eric Heyer

« La France doit copier les réformes allemandes pour prospérer » titre Gerhard Schröder dans une tribune de Financial Times du 5 juin 2013.  De son côté, la Commission européenne (CE), dans ses dernières recommandations annuelles aux Etats membres rendues publiques le 29 mai dernier, semble prendre des distances avec la stratégie de retour rapide et synchronisé à des finances publiques équilibrées, mise en place depuis 2010. La priorité pour l’exécutif européen semble désormais être la mise en place de reformes structurelles des marchés du travail et des services par les pays de la zone euro. Ces derniers devront certes continuer à assainir leurs comptes publics mais la CE leur a laissé un délai de 1 à 2 ans supplémentaire pour y parvenir. C’est le cas notamment pour la France qui devra poursuivre l’assainissement de ses comptes au cours des deux prochaines années (l’effort budgétaire et fiscal demandé par la CE au gouvernement français s’élève à 0,8 point de PIB soit 16 milliards d’euros par an) tout en ayant obtenu un délai de 2 ans pour ramener son déficit sous les 3 % du PIB (2015 au lieu de 2013).

Le changement de cap – ou tout du moins de ton – de la CE, privilégiant la mise en place de reformes à une austérité démesurée, doit être salué. Il convient toutefois d’examiner si le nouvel environnement, notamment budgétaire, est suffisamment  propice à assurer l’efficacité des réformes structurelles.

L’examen du contexte économique dans lequel ont été mises en place les réformes allemandes au début des années 2000, devenues la référence pour les pays « du Sud », fournit assurément quelques clefs.

Si le propos ici n’est pas de détailler ces réformes, il est utile toutefois de rappeler que celles-ci ont été prises alors que l’économie allemande était considérée comme l’ «élève malade » de l’Europe avec notamment un déficit commercial important (-1,8 point de PIB en 2000 contre un excédent de 1,4 pour la France à la même époque). Ces réformes ont eu pour conséquences d’abaisser fortement la part des salaires dans la valeur ajoutée, redonnant des marges aux entreprises outre-Rhin et ont permis de restaurer rapidement la compétitivité de l’économie allemande : en 2005, la balance commerciale allemande est redevenue fortement excédentaire tandis que celle de la France devenait pour la première fois depuis 1991 déficitaire. Le caractère non coopératif au sein de la zone euro (OFCE, 2006) ainsi que la forte augmentation de la pauvreté en Allemagne – (Heyer, 2012) et graphique 1 – et des inégalités de richesse (de Grauwe et Yi, 2013), constituent la face cachée de cette stratégie.

Aujourd’hui, les « élèves malades » de l’Europe sont les pays du Sud et la pression à mettre en place des politiques visant à restaurer la compétitivité s’est déplacée de l’Allemagne vers la France, l’Italie ou l’Espagne.

Si cet élément de contexte est identique, l’environnement économique était-il comparable ? Les graphiques 1 et 2 résument l’environnement économique de l’Allemagne lors de la mise en place de ses réformes structurelles. De ces dernières, deux faits majeurs ressortent :

  1. Ces réformes ont été menées dans un contexte de forte croissance mondiale : au cours des années 2003-2006, le monde connaissait une croissance moyenne de plus de 4,7 % chaque année (graphique 1). A titre de comparaison, la croissance devrait être inférieure à 3 % au cours de deux prochaines années ;
  2. Par ailleurs, la situation budgétaire de l’économie allemande en ce début de décennie 2000 n’était pas bonne : à partir de 2001, le déficit des administrations publiques (APU) allemandes dépassait la barre des 3 % et frôlait celle des 4 % en 2002, année précédant la mise en place de la première réforme Hartz. Dans le même temps, la dette publique dépassait pour la première fois le seuil des 60 % du PIB autorisé par le traité de Maastricht. Malgré ces mauvaises performances budgétaires – la dette publique frôlant les 70 % en 2005 –, il est intéressant de noter que le gouvernement allemand a continué de maintenir une politique budgétaire fortement expansionniste tant que les réformes n’étaient pas achevées : au cours de la période 2003-2006, l’impulsion budgétaire était positive et s’élevait en moyenne à 0,7 point de PIB chaque année (graphique 2). Ainsi donc, au cours de cette période, le gouvernement allemand a accompagné les réformes structurelles par une politique budgétaire très accommodante.

Ainsi, les réformes structurelles sur le marché du travail menées sous Schröder ont non seulement été mises en place dans un contexte conjoncturel très favorable (forte croissance mondiale et stratégie différente des autres pays européens) mais ont aussi été accompagnées par une politique budgétaire particulièrement accommodante compte tenu notamment de l’état dégradé de leurs comptes publics.

Ce contexte est très éloigné de celui d’aujourd’hui :

  1. la croissance mondiale ne devrait pas dépasser les 3 % au cours des deux prochaines années ;
  2. la CE demande à un grand nombre de pays européens de mettre en place de façon simultanée les mêmes réformes structurelles, ce qui, dans une zone euro très intégrée, limite leur efficacité ;
  3. et la politique budgétaire, malgré l’assouplissement accordé sur les déficits, devrait rester très restrictive : comme l’indique le tableau 1, les impulsions budgétaires pour la France ou l’Espagne devront rester fortement négatives (-0,8 point de PIB par an) au moment de la mise en place des réformes structurelles dans ces pays.

Si aujourd’hui la pression à l’amélioration de la compétitivité pour les pays du Sud est similaire à celle de l’Allemagne au début des années 2000, l’environnement extérieur est moins porteur et la pression au désendettement public plus contraignant.

Sur ce dernier point, l’exemple allemand nous apprend qu’il est difficile de mener de front des réformes structurelles visant à accroître la compétitivité de ses entreprises et  à poursuivre le désendettement public.

 




Quels ont été les freins à la croissance depuis 2010 ?

par Eric Heyer et Hervé Péléraux

A la fin de l’année 2012, cinq ans après le début de la crise, le PIB de la France n’est toujours pas revenu à son niveau antérieur (graphique 1). Dans le même temps, la population active en France a augmenté continûment et le progrès technique n’a pas cessé d’accroître la productivité des travailleurs. Nous sommes donc plus nombreux et plus productifs qu’il y a 5 ans alors que la production est moindre : l’explosion du chômage observé est le symptôme de ce désajustement. Pour quelles raisons la reprise entrevue en 2009 s’est-elle étouffée mi-2010 ?

Le principal facteur de l’étouffement de la reprise est la politique d’austérité mise en place en France et en Europe dès 2010, puis accentuée en 2011 et en 2012 (tableau 1). Les effets de cette politique de rigueur sont d’autant plus marqués qu’elle est générale dans l’ensemble des pays de la zone euro. Les effets restrictifs internes se cumulent avec ceux qui résultent du freinage de la demande adressée par les partenaires européens. Alors que 60 % des exportations de la France sont à destination de l’Union européenne, la stimulation extérieure s’est quasiment évanouie à la mi-2012, moins du fait du ralentissement de la croissance mondiale qui reste voisine de 3 %, mais en conséquence des mauvaises performances de la zone euro, au bord de la récession. Cette politique est à l’origine du déficit de croissance, avec un freinage apparent dès 2010 (-0,7 point), freinage qui s’est accentué en 2011 et en 2012 (respectivement -1,5 et -2,1 points) du fait de l’intensification de la rigueur et de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés. En effet, la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs). Le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique : les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Au frein budgétaire est venu s’ajouter l’effet de conditions monétaires restrictives : l’assouplissement de la politique monétaire – visible notamment dans la baisse des taux d’intérêt directeurs – est loin d’avoir compensé l’effet négatif sur l’économie du durcissement des conditions d’octroi de crédit ainsi que de l’élargissement du spread entre les investissements privés et les placements publics, sans risques.

Au total, en prenant aussi en compte l’effet de la remontée du prix du pétrole après la récession, la croissance spontanée de l’économie française aurait été de 2,6 % en moyenne au cours des trois dernières années. La réalisation de ce potentiel aurait conduit à la poursuite de la résorption des surcapacités de production et aurait finalement coupé court au scénario de retournement à la baisse de l’économie qui s’est effectivement réalisé.

 




Programme de stabilité : la ligne manquante

par Eric Heyer

Le 17 avril dernier, le gouvernement a présenté son Programme de stabilité à l’horizon 2017 pour l’économie française. Pour les deux prochaines années (2013-2014), le gouvernement s’est calé sur les prévisions de la Commission européenne en prévoyant une croissance de 0,1 % en 2013 et 1,2 % en 2014.  Notre propos ici n’est pas de revenir sur ces prévisions, qui nous semblent par ailleurs trop optimistes, mais de discuter de l’analyse et des perspectives explicites, mais aussi implicites, pour la France que recèle ce document pour la période 2015-2017.

D’après le document fourni à Bruxelles, le gouvernement s’engage à maintenir sa stratégie de consolidation budgétaire tout au long du quinquennat. L’effort structurel s’atténuerait au fil des années pour ne représenter plus que 0,2 point de PIB en 2017, soit neuf fois moins que l’effort imposé aux citoyens et aux entreprises en 2013. Selon cette hypothèse, le gouvernement table sur un retour de la croissance de 2 % chaque année au cours de la période 2015-2017. Le déficit public continuerait à se résorber et atteindrait 0,7 point de PIB en 2017. Cet effort permettrait même d’arriver, pour la première fois depuis plus de 30 ans, à un excédent public structurel dès 2016 et qui atteindrait 0,5 point de PIB en 2017. De son côté, la dette publique franchirait un pic en 2014 (94,3 points de PIB) mais commencerait sa décrue à partir de 2015 pour s’établir en fin de quinquennat à 88,2 points de PIB, soit un niveau inférieur à celui qui prévalait à l’arrivée des socialistes au pouvoir (tableau 1). Il est à noter cependant que dans ce document officiel, rien n’est dit sur l’évolution prévue par le gouvernement du chômage induit par cette politique d’ici à la fin du quinquennat. Telle est la raison de notre introduction d’une ligne manquante dans le tableau 1.

En retenant des hypothèses similaires à celles du gouvernement sur la politique budgétaire ainsi que sur le potentiel de croissance et en partant d’un court terme identique, nous avons tenté de vérifier l’analyse fournie par le gouvernement et de la compléter en y intégrant l’évolution du chômage sous-jacente à ce programme.

Le tableau 2 résume ce travail : il indique que la croissance accélèrerait progressivement au cours de la période 2015-2017 pour dépasser les 2 % en 2017. Sur la période, la croissance serait en moyenne de 1,8 %, taux proche mais légèrement inférieur au 2 % prévu dans le programme de stabilité[1].

Fin 2017, le déficit public serait proche de la cible du gouvernement sans l’atteindre toutefois (1 point de PIB au lieu de 0,7 point de PIB). La dette publique baisserait également et reviendrait à un niveau comparable à celui de 2012.

Dans ce scénario, proche de celui du gouvernement, l’inversion de la courbe du chômage n’interviendrait pas avant 2016 et le taux de chômage s’établirait à la fin du quinquennat à 10,4 % de la population active, soit un niveau supérieur à celui qui prévalait au moment de l’arrivée de François Hollande au pouvoir.

Le scénario proposé par le gouvernement dans le Programme de stabilité apparaît optimiste à court terme et se trompe d’objectif à moyen terme. Sur ce dernier point, il paraît surprenant de vouloir maintenir une politique d’austérité après que l’économie soit revenue à l’équilibre structurel de ses finances publiques et alors que le taux de chômage grimpe au-dessus de son maximum historique.

Une stratégie plus équilibrée peut être envisagée : elle suppose que la zone euro adopte dès 2014 un plan d’austérité « raisonnable » visant à la fois un retour à l’équilibre structurel des finances publiques mais aussi la réduction du taux de chômage. Cette stratégie alternative consiste à revenir sur les impulsions budgétaires programmées et de les limiter, dans tous les pays de la zone euro, à 0,5 point de PIB[2]. Il s’agit-là d’un effort budgétaire qui pourrait s’inscrire dans la durée et permettre à la France, par exemple, d’annuler son déficit structurel en 2017. Par rapport aux plans actuels, il s’agit d’une marge de manœuvre plus importante qui permettrait de répartir le fardeau de l’ajustement de façon plus juste.

Le tableau 3 résume le résultat de la simulation de cette nouvelle stratégie. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays. Mais, notre simulation tient compte aussi des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. En 2017, dans le scénario « moins d’austérité », les finances publiques seraient dans la même situation que dans le scénario central, le supplément de croissance compensant la réduction de l’effort. En revanche, dans ce scénario, le chômage baisserait dès 2014 et se situerait en 2017 à un niveau comparable à celui de 2012.


[1] La différence de croissance peut provenir soit de la non prise en compte de l’impact via le commerce extérieur des plans d’austérité menés dans les autres pays partenaires, soit d’un multiplicateur budgétaire plus faible dans le Programme de Stabilité que dans notre simulation où il se situe aux alentours de 1. En effet, nous considérons que la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs).

[2] Cette stratégie a déjà été simulée dans des travaux antérieurs de l’OFCE comme celui de Heyer et Timbeau en mai 2012, de Heyer, Plane et Timbeau en juillet 2012 ou le rapport iAGS en novembre 2012.




Tenue de rigueur imposée

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En moyenne annuelle, l’économie française devrait connaître en 2013 un léger recul de son PIB (-0,2 %) et une modeste reprise en 2014, avec une croissance de 0,6 % (tableau 1). Cette performance particulièrement médiocre est très éloignée du chemin que devrait normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Quatre ans après le début de la crise, le potentiel de rebond de l’économie française est important : il aurait dû conduire à une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an au cours des années 2013 et 2014, permettant de rattraper une partie de l’écart de production accumulé depuis le début de la crise. Mais cette reprise spontanée est freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Afin de tenir son engagement d’un déficit public à 3 % en 2014, le gouvernement français devrait poursuivre la stratégie –  adoptée en 2010 – de consolidation budgétaire imposée par la Commission européenne à l’ensemble des pays de la zone euro. Cette stratégie budgétaire devrait amputer de 2,6 points de PIB l’activité en France en 2013 et de 2,0 points de PIB en 2014 (tableau 2).

 

En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation sur le marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement pour s’établir à 11,6 % fin 2014.

Seul un changement de cap dans la stratégie budgétaire européenne permettrait d’enrayer la hausse du chômage. Elle supposerait que les impulsions budgétaires négatives se limitent à -0,5 point de PIB au lieu de – 1,0 point prévu au total dans la zone euro en 2014. Cet effort budgétaire plus faible pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort serait plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics. Cette nouvelle stratégie conduirait certes à une réduction plus lente des déficits publics (-3,4 % en 2014 contre -3,0 % dans notre scénario central) mais également et surtout à plus de croissance économique  (1,6 % contre 0,6 %). Ce scénario « moins d’austérité », permettrait à l’économie française de créer 119 000 emplois en 2014 soit 232 000 de plus que dans notre prévision centrale et le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter.

 




Les 20 milliards d’euros d’allégements de cotisations patronales sur les bas-salaires créent-ils des emplois ?

par Eric Heyer et  Mathieu Plane

Chaque année, l’Etat consacre près d’1 point de PIB, soit 20 milliards d’euros, aux allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires. La question de l’efficacité d’un tel dispositif est légitime. Un grand nombre de travaux empiriques ont été réalisés pour tenter d’évaluer l’impact de cette mesure sur l’emploi et concluent à des créations comprises entre 400 000 et 800 000.

Effectuées à l’aide de maquettes sectorielles, ces évaluations ne prennent pas en compte l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires et notamment les effets de bouclage macroéconomique, id est effet de revenu, de gains de compétitivité et de financement de la mesure.

Dans une étude récente publiée dans la Revue de l’OFCE (Varia, n° 126, 2012) nous avons tenté de compléter ces évaluations en prenant en compte correctement l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires. Pour ce faire nous avons réalisé la simulation de cette mesure à l’aide du modèle macroéconométrique de l’OFCE, emod.fr.

Nous avons alors pu décomposer les différents effets attendus de ces allégements sur l’emploi en deux grandes catégories :

  1. l’ « effet de substitution » global qui se décompose entre la substitution capital/travail macroéconomique auquel s’ajoute l’effet « assiette » lié au ciblage de la mesure sur les bas salaires ;
  2. l’ « effet  volume » qui se décompose entre la hausse de la demande domestique liée à la baisse des prix et la hausse de la masse salariale, les gains de compétitivité en raison de l’amélioration des parts de marché en interne et en externe et l’effet négatif du financement de la mesure, que ce soit par la hausse des prélèvements obligatoires (PO) ou la réduction de la dépense publique.

Selon notre évaluation, résumé dans le tableau 1, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires permettent de créer 50 000 emplois la première année et environ 500 000 au bout de cinq ans. Sur les 503 000 emplois attendus à cinq ans, 337 000 seraient dus à l’effet de substitution global dont 107 000 seraient liés à la substitution capital/travail macroéconomique et 230 000 à l’ « effet d’assiette » en raison de la forte baisse du coût du travail sur les bas salaires. A cela s’ajoutent 82 000 emplois générés par le supplément de revenu domestique et 84 000 par les gains de compétitivité et la contribution positive du commerce extérieur à la variation du PIB. En revanche, l’ « effet  volume » sur l’emploi devient négatif si l’on finance la mesure ex post : la hausse d’un mix représentatif de la structure de la fiscalité réduit l’effet global de la mesure de 176 000 emplois à 5 ans ; la baisse d’un mix représentatif de la structure de la dépense publique diminue l’emploi de 250 000 à 5 ans.

Une partie des emplois créés provient des gains de compétitivité liés aux gains des parts de marché sur nos partenaires commerciaux en raison de la baisse des prix de production conséquente de la réduction du coût du travail. Ce mécanisme de compétitivité-prix fonctionne d’une part si les entreprises répercutent les baisses de cotisation sociales dans leurs prix de production et si nos partenaires commerciaux acceptent de perdre des parts de marché sans réagir. Nous avons donc simulé un cas polaire dans lequel nous supposons que nos partenaires commerciaux réagissaient à ce type de politique en mettant en place des dispositifs similaires, ce qui annulerait nos gains sur l’extérieur.

Si cela ne modifie pas l’impact sur l’emploi lié à l’ « effet de substitution », en revanche cette hypothèse modifie l’ « effet volume » de la mesure, supprimant 84 000 emplois liés aux gains de parts de marché et augmentant l’effet négatif du financement ex post en raison d’un multiplicateur du dispositif sur l’activité plus faible. Au total, dans le schéma dans lequel la mesure est financée ex post et ne permet pas de gains de compétitivité, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires créeraient entre 69 000 et 176 000 emplois au bout de cinq ans selon le mode de financement retenu (tableau 2). Ce résultat conduit à relativiser largement le chiffrage initial de  500 000 emplois créés à terme.