France : croissance hors taxes

par Bruno Ducoudré , Éric Heyer, Hervé Péléraux, Mathieu Plane

Ce texte résume les Perspectives 2014-2015 pour l’économie française

Début 2011, la France était l’un des rares pays développés à avoir retrouvé son niveau de PIB d’avant-crise. La croissance économique dépassait les 2 %, atteignant même les 3 % en glissement annuel au premier trimestre 2011. Depuis, la donne a changé : la dynamique de reprise s’est interrompue et l’activité connaît une croissance, certes positive, mais proche de zéro (graphique 1). Quatre types de chocs rendent compte de l’extinction en 2011 de la phase de reprise post-récession.  Déjà malmenée par l’austérité et la dégradation des conditions de crédit, la croissance a également été freinée par les fluctuations du prix du pétrole et par celles de la compétitivité-prix, en 2012, sous l’effet de la déflation salariale des pays concurrents de la France, et en 2013 sous l’effet de l’appréciation de l’euro (tableau 1).

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En 2014, l’amélioration attendue sur le front de l’activité ne se produira pas : le stimulus lié au relâchement progressif de l’austérité sera compensé par le puissant frein que constitue l’importante appréciation de l’euro observée jusqu’au milieu de l’année ainsi que par l’effondrement de l’investissement en logement des ménages. La croissance devrait, à l’instar des deux années précédentes, s’établir à 0,4 % ne permettant ni au chômage d’inverser sa tendance haussière ni au déficit public de se résorber significativement. Pire, contrairement aux années antérieures et après une baisse régulière de plus de 3 points de PIB depuis 2009, le déficit public devrait à nouveau se creuser légèrement et atteindre 4,5 % du PIB (tableaux 1 et 2).

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En 2015, la croissance retrouvera un peu de vigueur, +1,1 %, grâce à l’atténuation des facteurs négatifs qui ont étouffé la croissance depuis 2010, les conditions de crédit et la politique d’austérité. Par ailleurs, l’effet de la compétitivité-prix, un facteur qui aura joué très négativement en 2014, va s’inverser. En premier lieu, sous l’effet de la dépréciation de l’euro, mais aussi par la montée en puissance du CICE, dont le but premier est d’obtenir des baisses de prix à l’exportation. Mais avec une hausse du PIB de 1,1 % l’année prochaine, le sentier d’expansion restera encore très éloigné de celui qui prévaut habituellement en période de sortie de crise (+2,4 %). L’écart de production ne se refermant pas, cette croissance anticipée ne peut être qualifiée de reprise. Les entreprises profiteront de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettra de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 9,9 % fin 2015. Il s’élèverait à 10,3 % pour la France entière. La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Celui-ci devrait s’établir à 4,3 % du PIB en 2015, s’écartant significativement de sa trajectoire de retour à 3 %.

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Afin de parvenir à respecter les engagements d’efforts structurels et de déficits nominaux, le gouvernement pourrait décider de voter des efforts supplémentaires de 8 milliards d’euros. Ceux-ci pourraient correspondre à une hausse de 1,2 point du taux normal de TVA. Si tel était le cas, le PIB ne croîtrait plus que de 0,8 % l’année prochaine et le déficit ne se réduirait que de 0,2 point de PIB par rapport à notre scénario central (tableau 3).

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La croissance de la zone euro dépend-elle vraiment d’une hypothétique relance budgétaire allemande ?

par Christophe Blot et Jérôme Creel

Le débat sur les politiques économiques en Europe a été relancé cet été par Mario Draghi, lors du désormais traditionnel symposium de Jackson Hole, qui réunit notamment les principaux banquiers centraux de la planète. Malgré cela, il semble que les uns (Wolfgang Schaüble, Ministre allemand des finances) et les autres (Christine Lagarde, directrice du FMI) continuent de camper sur leurs positions : discipline budgétaire et réformes structurelles, d’un côté ; relance de la demande et réformes structurelles, de l’autre. La différence est certes ténue, mais elle a ouvert la voie à ce que Mme Lagarde a dénommé « des marges de manœuvre budgétaires pour soutenir la reprise européenne ». Elle vise en particulier l’Allemagne, mais a-t-elle effectivement raison ?

Dans l’interview accordée au quotidien Les Echos, Christine Lagarde déclarait que l’Allemagne « dispose très probablement de marges de manœuvre budgétaires pour soutenir la reprise européenne ». Force est de constater que la zone euro est toujours en panne de croissance (au deuxième trimestre 2014, le PIB est encore inférieur de 2,4 % à son niveau d’avant-crise, au premier trimestre 2008). Malgré les baisses de taux d’intérêt décidées par la BCE et les mesures exceptionnelles qu’elle continue de prendre, le moteur de la croissance européenne reste entravé par l’insuffisance de la demande à court terme, résultant principalement de politiques budgétaires globalement restrictives à l’échelle de la zone euro. Dans le contexte actuel, le soutien de la croissance par des politiques budgétaires plus expansionnistes se heurte aux contraintes budgétaires et à la volonté politique de poursuivre la réduction des déficits. Les contraintes budgétaires peuvent être réelles pour les pays très fortement endettés et ayant perdu l’accès au marché, telle la Grèce. Elles sont plutôt de nature institutionnelle pour les pays capables d’émettre des titres de dette publique à des taux historiquement très faibles, telle la France. Selon Mme Lagarde, l’Allemagne disposerait de marges de manœuvre faisant de cette économie le seul moteur potentiel de la reprise européenne. Une analyse plus fine des effets – internes et de débordement vers les partenaires européens – de la politique budgétaire invite toutefois à tempérer cet optimisme.

Les mécanismes qui fondent l’hypothèse d’une croissance tirée par l’Allemagne sont assez simples. Une politique budgétaire expansionniste outre-Rhin stimulerait la demande intérieure allemande, ce qui accroîtrait les importations et créerait des débouchés supplémentaires pour les entreprises des autres pays de la zone euro. En contrepartie, cependant, un tel effet pourrait être tempéré par une politique monétaire légèrement moins expansionniste : selon Martin Wolf, Mario Draghi n’a-t-il pas assuré que la BCE ferait tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la stabilité des prix à moyen terme ?

Dans un document de travail récent de l’OFCE, nous avons tenté de capter ces différents effets, commerciaux et de politique monétaire, dans une maquette dynamique de la zone euro. Il en ressort qu’une impulsion budgétaire positive de 1 point de PIB en Allemagne pendant trois années consécutives (soit un plan de 27,5 milliards d’euros par an[1]), augmenterait la croissance de la zone euro de 0,2 point la première année. Cet effet n’est certes pas négligeable. Pour autant,  il résulte exclusivement de la stimulation dont bénéficierait la croissance allemande et non des effets de débordement vers les partenaires européens de l’Allemagne. En effet, et à titre d’exemple, l’augmentation de la croissance espagnole serait dérisoire (0,03 point de croissance seulement la première année). La faiblesse des effets de débordement s’explique simplement par la valeur modérée du multiplicateur budgétaire[2] en Allemagne. En effet, la littérature récente sur les multiplicateurs suggère que ceux-ci sont d’autant plus élevés que l’économie est en situation de basse conjoncture. Or selon les estimations d’écart de croissance retenues dans notre modèle, l’Allemagne ne serait pas dans ce cas si bien que la valeur du multiplicateur tomberait à 0,5 selon la calibration des effets multiplicateurs retenus pour nos simulations. Ainsi la croissance allemande augmentant de 0,5 point, l’effet de stimulation pour le reste de la zone euro est faible et dépend ensuite de la part de l’Allemagne dans les exportations de l’Espagne et du poids des exportations espagnoles dans le PIB espagnol. In fine, une relance allemande serait sans aucun doute une bonne nouvelle pour l’Allemagne mais les autres pays de la zone euro risquent d’être déçus comme ils le seront sans doute de la mise en œuvre du salaire minimum ainsi que le suggéraient Odile Chagny et Sabine Le Bayon dans un post récent, au moins à court terme. On peut certainement supposer qu’à plus long terme, la relance allemande contribuerait à augmenter les prix outre-Rhin, y dégradant la compétitivité et offrant ainsi un canal supplémentaire par lequel les autres pays de la zone euro pourraient bénéficier d’une plus forte croissance.

Et si le même montant d’impulsion budgétaire n’était pas utilisé en Allemagne, mais plutôt en Espagne où l’écart de croissance est plus important, qu’adviendrait-il ? De fait, la simulation d’un choc budgétaire équivalent (27,5 milliards par an pendant trois ans, soit 2,6 points de PIB espagnol) en Espagne aurait des effets bien plus bénéfiques, pour l’Espagne mais aussi pour la zone euro. Alors que dans le cas d’une relance allemande, la croissance de la zone euro augmenterait de 0,2 point les trois premières années, celle-ci augmenterait en moyenne de 0,5 point par an pendant trois ans dans l’éventualité d’une relance effectuée en Espagne. Ces simulations suggèrent que s’il faut relancer la croissance dans la zone euro, autant le faire dans les pays où le retard de croissance est le plus important. Il est plus efficace de dépenser des fonds publics en Espagne qu’en Allemagne.

A défaut de relâcher les contraintes budgétaires espagnoles, un plan de relance financé par un emprunt européen, et dont les principaux bénéficiaires seraient les pays les plus fortement touchés par la crise, serait sans aucun doute la meilleure solution pour que la zone euro s’engage enfin sur une trajectoire de reprise dynamique et pérenne. Les discussions françaises et allemandes autour d’une initiative pour l’investissement seront donc bienvenues. Espérons qu’elles puissent conduire à l’adoption d’un plan ambitieux pour relancer la croissance européenne.

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[1] La mesure est ensuite compensée de manière strictement équivalente de telle sorte que le choc correspond à un choc budgétaire transitoire.

[2] On rappelle que le multiplicateur budgétaire traduit l’impact de la politique budgétaire sur l’activité. Ainsi, pour un point de PIB de mesures budgétaires expansionnistes (respectivement restrictives), le niveau d’activité augmente (respectivement baisse) de k point.




Les enjeux du triple mandat de la BCE

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

La crise financière a initié un débat sur le rôle des banques centrales et la conduite de la politique monétaire avant, pendant et après les crises économiques. Le consensus qui prévalait sur le rôle des banques centrales s’est fissuré. L’objectif unique de stabilité des prix est remis en cause au profit d’un triple mandat incluant l’inflation, la croissance et la stabilité financière. C’est de facto l’orientation qui est donnée au rôle de la BCE. Nous évoquons cette situation dans l’un des articles d’un numéro de la revue de l’OFCE intitulé « Réformer l’Europe »[1], dans lequel nous discutons de la mise en œuvre de ces différents objectifs.

La poursuite du seul objectif de stabilité des prix est aujourd’hui insuffisante pour assurer la stabilité macroéconomique et financière[2]. Un nouveau paradigme émerge dans lequel les banques centrales doivent à la fois veiller à la stabilité des prix, à la croissance et à la stabilité financière. Les évolutions institutionnelles récentes de la BCE vont dans ce sens puisqu’elle se voit confier la surveillance micro-prudentielle[3]. En outre, la conduite de la politique monétaire dans la zone euro montre que la BCE est restée attentive à l’évolution de la croissance[4]. Mais si la BCE poursuit de fait un triple mandat, la question de la bonne articulation entre ces différentes missions continue de se poser.

La coordination entre les différents acteurs en charge de la politique monétaire, de la régulation financière et de la politique budgétaire est primordiale et fait défaut dans l’architecture actuelle. Par ailleurs, certaines pratiques doivent être clarifiées. La BCE a joué un rôle de prêteur en dernier ressort (des banques et dans une moindre mesure des Etats) sans que cette fonction ne lui soit précisément attribuée. Enfin, dans ce nouveau schéma où la BCE joue un rôle accru dans la détermination de l’équilibre macroéconomique et financier de la zone euro, il nous semble nécessaire de renforcer le contrôle démocratique de la BCE. La définition des objectifs de la BCE dans le Traité de Maastricht lui laisse en effet une forte autonomie d’interprétation (voir notamment la discussion de Christophe Blot, ici). Par ailleurs, si la BCE rend compte régulièrement de son action auprès du Parlement européen, ce dernier n’a pas la possibilité de l’orienter [5].

A la suite de ces constats, nous évoquons plusieurs propositions afin d’articuler plus efficacement les trois objectifs poursuivis dorénavant par la BCE :

1 – Sans modification des traités en vigueur, il est important que les dirigeants de la BCE soient plus explicites dans les différents objectifs poursuivis[6]. La priorité annoncée à l’objectif de stabilité des prix ne semble désormais plus correspondre à la pratique de la politique monétaire : l’objectif d’écart de croissance semble primordial, tout comme celui de stabilité financière. Plus de transparence rendrait la politique monétaire plus crédible et certainement plus efficace à prévenir une autre crise bancaire et financière. Le recours à une politique de change[7] ne devrait plus être négligé car elle peut participer à la résorption des déséquilibres macroéconomiques dans la zone euro.

2 – En l’absence d’une telle clarification, l’indépendance extensive de la BCE devrait être remise en cause afin de mieux correspondre aux standards internationaux en la matière. Les banques centrales disposent très rarement de l’indépendance d’objectif : à titre d’exemple, la Réserve fédérale poursuit un double mandat explicite, tandis que la Banque d’Angleterre inscrit son action dans un ciblage d’inflation institutionnalisé. Un triple mandat explicite pourrait être imposé à la BCE par les gouvernements, à charge pour les dirigeants de la BCE d’arbitrer efficacement entre ces objectifs.

3 – La question de l’arbitrage devient effectivement plus délicate au gré de l’élévation du nombre des objectifs poursuivis. Elle l’est d’autant plus que la BCE s’est lancée de facto dans une politique de gestion de la dette publique qui l’expose désormais à la question de la soutenabilité des finances publiques européennes. Le mandat de la BCE devrait donc mentionner de jure son rôle de prêteur en dernier ressort, tâche usuelle des banques centrales, ce qui clarifierait la nécessité d’une coordination plus étroite entre gouvernements et BCE.

4 – Plutôt qu’à une remise en cause totale de l’indépendance de la BCE, qui n’obtiendrait jamais l’unanimité des Etats membres, nous appelons à la création ex nihilo d’un « organe de contrôle » de la BCE, qui pourrait être une émanation du Parlement européen, chargé de discuter et d’analyser la pertinence des politiques monétaires mises en place au regard des objectifs élargis de la BCE : stabilité des prix, croissance, stabilité financière et soutenabilité des finances publiques.  La BCE serait alors non seulement invitée à rendre compte de sa politique – ce qu’elle fait déjà auprès du Parlement ou au travers du débat public – mais pourrait aussi voir ses objectifs ponctuellement redéfinis. Cet « organe de contrôle » pourrait par exemple proposer une quantification de la cible d’inflation ou d’un objectif de chômage.

 


[1] « Réformer l’Europe », sous la direction de Christophe Blot, Olivier Rozenberg, Francesco Saraceno et Imola Streho, Revue de l’OFCE, n° 134, mai 2014. Le numéro est disponible en version française et anglaise et a fait l’objet d’un post de blog.

[2] Le lien entre stabilité des prix et stabilité financière est analysé dans Assessing the Link between Price and Financial Stability(2014),  Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, Fabien Labondance et Francesco Saraceno, Document de travail de l’OFCE 2014-2.

[3] La mise en œuvre de l’union bancaire confie à la BCE un rôle en matière de régulation financière (décision du Conseil de l’Union européenne du 15 octobre 2013). Elle est désormais en charge de la supervision bancaire (plus particulièrement des institutions de crédit dites « significatives ») dans le cadre du SSM (Single supervisory mechanism). A compter de l’automne 2014, la BCE sera en charge de la politique micro-prudentielle, en étroite coopération avec les organismes et institutions nationales. Voir également, l’article de Jean-Paul Pollin « Au-delà de l’Union bancaire » dans la Revue de l’OFCE (« Réformer l’Europe »).

[4] Castro (2011) « Can central banks’ monetary policy be described by a linear (augmented) Taylor rule or by a nonlinear rule ? », Journal of Financial Stability vol.7(4), p. 228-246. Ce papier montre, au travers de l’estimation de règles de Taylor entre 1999:1 et 2007:12, que la BCE a réagi significativement à l’inflation et à l’écart de production.

[5] Aux Etats-Unis, le mandat de la Réserve fédérale est défini par le Congrès qui exerce ensuite un droit de surveillance pouvant ainsi modifier ses statuts et son mandat.

[6] Au-delà de l’explicitation des objectifs en termes d’inflation ou de croissance, l’objectif fondamental de la banque centrale est de garantir la confiance en la monnaie.

[7] Cette question est en partie évoquée dans un post récent.




France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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Révisions du budget en Croatie : oui, mais … pour qui et pourquoi ?

par Sandrine Levasseur

Dans le cadre de la procédure pour déficit excessif (PDE) à laquelle est soumise la Croatie depuis le 28 janvier 2014, le gouvernement croate a dû réviser son budget prévisionnel pour les trois années à venir puisque c’est le délai qui a été imparti au pays pour remettre ses finances publiques en bon ordre, le « bon ordre » s’entendant comme un déficit public ne dépassant pas les 3 % du PIB. Ce nouveau budget s’inscrit dans une conjoncture économique très défavorable puisque la projection de croissance du PIB par le gouvernement pour 2014 a été révisée de 1,3 % à un tout petit 0,2 %.

Paradoxalement, le nouveau budget pourrait contribuer à prolonger la récession dans le pays plutôt qu’à l’en sortir, tout du moins en 2014. Le paradoxe mérite d’autant plus d’être souligné que c’est aussi l’avis de ceux pour qui le gouvernement croate réalise l’ajustement : d’une part, les agences de notation et d’autre part, les institutions internationales (tout du moins le FMI, la Commission européenne se devant d’être silencieuse sur le sujet). De fait, un simple coup d’œil sur le budget révisé suffit à entrevoir que l’ajustement budgétaire proposé par le gouvernement croate n’aura pas d’effets expansionnistes sur le PIB. Par exemple, le budget prévoit une hausse des revenus fiscaux, notamment via une augmentation du taux des cotisations d’assurances santé de 13 à 15 %. Mais cela aura aussi pour effet de grever la compétitivité internationale des entreprises, déjà très malmenée. Les salaires et primes des fonctionnaires d’Etat baisseront (d’environ 6 %) de façon à donner une bouffée d’air aux finances publiques. Mais ces coupes dans les salaires des fonctionnaires ne contribueront pas à redresser la demande interne déjà très atone du fait des réajustements de bilan des ménages et entreprises. Dernier exemple, les profits des entreprises publiques ne seront pas réinvestis dans l’économie afin de renflouer les caisses de l’Etat. Or,le pays se prive du même coup d’une source de croissance puisque les entreprises publiques, du fait de leur poids dans l’économie, réalisent une bonne part de l’investissement productif.

Il ne fait pas de doute que les finances publiques croates doivent être assainies.. Toutefois, l’horizon des ajustements budgétaires décidés par le gouvernement croate nous semble extrêmement « court-termiste », sans remise en question du modèle de croissance existant ni recherche de sources de croissance pérennes. Il y a quelques semaines, dans une note de l’OFCE, nous avons discuté l’impact des ajustements budgétaires alternatifs sur la croissance et les finances publiques. Dans le cas précis de la Croatie, le gouvernement ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la restructuration de son appareil productif (au travers notamment de privatisations et de concessions), sur les moyens d’améliorer le recouvrement de l’impôt et, plus largement, sur la politique anti-corruption à mener afin d’améliorer le « climat des affaires » dans le pays. En attendant, en grande partie du fait des choix budgétaires réalisés, l’année 2014 signera vraisemblablement la 6e année de récession consécutive pour la Croatie. Le FMI qui, dans ses prévisions, intègre un impact récessif des ajustements budgétaires supérieur à celui du gouvernement croate, projette d’ailleurs pour 2014, un recul du PIB de l’ordre de 0,5 à 1 %. En cumulé, la baisse du PIB depuis 2009 se situerait donc entre 11,6 à 12,5 %… Pas de quoi rêver …




L’obligation de résultat du pacte de responsabilité

Par Xavier Timbeau, @XTimbeau, OFCE

Ce texte a été publié dans la rubrique “Rebonds” de Libération du 28 février 2014.

Politique d’offre ou de demande ? Ce débat nous renvoie des décennies en arrière lorsque les tenants de la politique de l’offre, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, voulaient mettre au placard les pratiques keynésiennes. A propos du pacte de responsabilité, le débat est sans objet. Le diagnostic est bien que les entreprises souffrent d’un taux de marge si faible qu’il en compromet leur survie. Que les pertes depuis les années 2000 de parts de marché ne peuvent pas s’expliquer par le seul passage à une société post-industrielle. Vouloir par n’importe quel moyen rehausser les marges des entreprises est donc une priorité. Mais la restauration des marges des entreprises ne sera pas la condition suffisante pour qu’elles se remettent sur une trajectoire de productivité croissante, garantissant leur compétitivité dans le moyen terme. Se remettre sur cette trajectoire passe par de nombreuses réformes allant d’un meilleur système éducatif à une fiscalité stable et la plus neutre possible en passant sur le jeu des effets d’agglomération et de spécialisation. Coordonner les projets de chacun autour d’une stratégie globale, réalisant la transition énergétique est aussi un instrument puissant. Mais sur tout cela, le pacte de responsabilité restera silencieux.

Pour être clair, le pacte de responsabilité vise une amélioration de la situation des entreprises, qui permet de compenser en partie la chute de l’activité qui résulte de la crise de 2008 et des pertes de compétitivité que l’économie française enregistre face à ses partenaires en déflation (dont l’Espagne) ou par la hausse de l’euro. S’il est financé par des impôts ou des baisses de dépenses, ce sera une dévaluation fiscale, qui fera payer aux consommateurs, aux salariés ou aux bénéficiaires des prestations sociales la baisse des coûts des entreprises. Lorsque la baisse de coût des entreprises est plutôt ciblée sur les bas salaires on peut attendre de l’ordre de 130 000 emplois créés à 5 ans en prenant en compte le financement (voir par exemple l’article d’Heyer et Plane dans la revue de l’OFCE n°126).  Les contreparties, l’adhésion des syndicats ou du Medef, la mobilisation de tous autour d’un diagnostic sombre et commun ne feront pas la révolution que certains attendent, mais participent à la solution.

Bien sûr, une dévaluation fiscale alors que les pays d’Europe du Sud flirtent avec la déflation et où chacun court après l’équilibre de sa balance courante, y compris en freinant la demande interne, ne conduira pas la zone euro vers la sortie de la crise mais l’enfermera dans la stagnation longue. La dévaluation fiscale n’est pas la bonne politique pour l’Europe. Mais pour la France, tant que l’Europe n’a pas d’autre voie que le suicide collectif, la dévaluation fiscale est la réponse logique.

130 000 emplois, ce n’est pas suffisant pour inverser la courbe du chômage. C’est même dérisoire face à plus d’un million de chômeurs supplémentaires depuis 2008. Mais le pacte de responsabilité peut être autre chose qu’une dévaluation fiscale. L’obligation de résultat, à savoir réduire le chômage, ne laisse pas beaucoup de choix. Pour que le pacte de responsabilité s’accompagne d’une réduction significative du chômage, la clef est de ne pas le financer. Le marché à proposer à nos partenaires est celui d’un laxisme relatif sur notre trajectoire de déficit public en échange de réformes qui semblent structurelles à tout le monde. Réduction de la dépense publique, fiscalité favorable aux entreprises, priorité aux enjeux de compétitivité sont autant de gages qui libèrent une marge de manœuvre.

Les engagements budgétaires de la France auprès de Bruxelles sont de réduire le déficit structurel de 50 milliards. Si l’on applique cet effort budgétaire jusqu’en 2017, nous amputerons de presque 1 point la croissance chaque année et le chômage ne baissera pratiquement pas d’ici à 2017. En fait, seul le déficit public serait réduit, à 1,2 point de PIB, ouvrant une dynamique très favorable après 2017, puisque la dette publique baissera sans restriction budgétaire supplémentaire et donc sans entraver la baisse du chômage. Situation confortable s’il en est pour le successeur de François Hollande qui pourra même en profiter pour baisser les impôts des plus riches. En associant baisse des impôts, baisse du chômage et baisse de la dette publique, ce qui restera est que le ou la «  magicienne » aura succédé au « malhabile ».

En revanche, en utilisant la marge de manœuvre de 50 milliards d’euros, c’est-à-dire en renonçant à réduire de 50 milliards le déficit structurel, le résultat serait tout autre. A partir de simulations réalisées à l’OFCE, il apparaît que la baisse du chômage pourrait être d’ici à 2017 de presque 2 points. Certes, le déficit structurel serait inchangé, mais le déficit public, celui que l’on voit, serait sur une trajectoire de baisse : il arriverait en 2017 à un peu plus de 2 points de PIB (contre 4,2% à la fin de l’année 2013), mettant la dette publique dans la zone de diminution du ratio dette sur PIB. Le bilan à la veille de l’élection présidentielle serait plus avantageux et le scrutin plus ouvert.

Pour mobiliser cette marge de manœuvre, il faut convaincre nos partenaires (et la Commission européenne) de la radicalité de la situation. Les résultats des élections européennes seront probablement là pour le rappeler et rendre claire à tous l’obligation de résultat.

Reagan a eu la grande habilité de chercher du côté de la politique budgétaire le moteur de sa politique de l’offre. Il a créé ainsi une mythologie selon laquelle baisser l’impôt des plus riches est bon pour la croissance, avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui sur les inégalités. Thatcher a cru jusqu’au bout que la réduction de la dette publique était la bonne politique. Elle n’a fait que préparer le terrain à Tony Blair quelques années plus tard. C’est ainsi que les cycles politiques se font, sur les résultats. C’est ainsi aussi que les responsabilités s’engagent, sur les conséquences longues des choix que l’on fait.




Croissance au quatrième trimestre 2013, mais …

Par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE, l’économie française a dû progresser de +0,5 % au quatrième trimestre 2013. Ce résultat attendu traduit l’amélioration des enquêtes de conjoncture, notable depuis environ un an. Marque-t-il pour autant le retour du PIB sur un sentier de croissance durablement plus élevé ? Il est encore trop tôt pour le dire.

L’amélioration des enquêtes de conjoncture a d’abord préfiguré l’interruption de la seconde récession intervenue au cours du premier semestre 2011. Les comptes nationaux ont ensuite validé le signal émis par les enquêtes, avec une reprise de la croissance au deuxième trimestre 2013 de +0,6 % (tableau). Le PIB s’est certes à nouveau replié au troisième trimestre (-0,1 %), mais en moyenne, sur les deux derniers trimestres, la croissance s’est établie à environ +0,2 % par trimestre, rythme de croissance encore très modéré mais positif.

Dans le même temps, l’indicateur avancé, qui vise à traduire, par une estimation de la croissance du PIB à très court terme, l’information conjoncturelle contenue dans les enquêtes, témoignait aussi d’un lent redressement de l’activité : en moyenne sur les deux derniers trimestres, la croissance est estimée à +0,1 %, chiffre un peu inférieur à l’évaluation des comptes nationaux.

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Depuis quelques mois, la progression non démentie de la confiance des agents privés a rehaussé les perspectives pour la fin de l’année 2013 : le débat s’oriente désormais vers la possibilité pour l’économie française de franchir un point de retournement à la hausse et pour la croissance de s’établir durablement à un rythme supérieur à son taux de croissance de long terme (+0,35 % par trimestre).

Conformément à l’expérience passée, lorsque l’indicateur a lancé des signaux avant-coureurs de retournement du cycle conjoncturel, le signal envoyé pour le quatrième trimestre 2013 pose le jalon d’un franchissement du taux de croissance de long terme de l’économie française (graphique). Ce signal est fragile : les informations encore très partielles sur le premier trimestre 2014, à savoir les enquêtes de conjoncture de janvier, laissent attendre une rechute du taux de croissance sous le potentiel. L’éventualité d’une vraie reprise, durable, à même de créer des emplois et d’inverser la courbe du chômage, est donc encore très incertaine.

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Note sur l’indicateur avancé :

L’indicateur avancé vise à prévoir le taux de croissance trimestriel du PIB français deux trimestres au-delà des dernières données disponibles. Les composantes de l’indicateur sont sélectionnées parmi les données d’enquêtes, séries rapidement disponibles et non révisées. La sélection des séries est menée sur une base économétrique en partant des enquêtes de conjoncture réalisées dans les différents secteurs productifs (industrie, construction, services, commerce de détail) et auprès des consommateurs. Deux séries liées à l’environnement international sont également significatives, le taux de croissance du taux de change réel de l’euro contre le dollar et le taux de croissance réel du prix du pétrole.

Certaines des composantes sont avancées d’au moins deux trimestres et peuvent être utilisées comme telles pour prévoir la croissance du PIB. Les autres sont coïncidentes, ou ne sont pas suffisamment avancées pour effectuer une prévision à deux trimestres. Ces séries doivent être prévues, mais sur un horizon de court terme qui n’excède jamais quatre mois.

L’indicateur avancé est calculé au début de chaque mois, peu après la publication des enquêtes auprès des entreprises et des ménages.

 




De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.




Retour de la croissance au Royaume-Uni en 2013 : effets en trompe-l’oeil

Par Catherine Mathieu

La dernière estimation des comptes nationaux britanniques, publiée le 27 novembre, a confirmé une croissance du PIB de 0,8 % au troisième trimestre 2013, après 0,7 % au deuxième trimestre et 0,4 % au premier trimestre. C’est une belle performance pour l’économie britannique, notamment en comparaison de la zone euro. Ainsi, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre 2013 au Royaume-Uni, contre -0,4% dans la zone euro, 0,2 % en France et 0,6 % en Allemagne. Le retour de la croissance au Royaume-Uni serait la preuve, selon certains, que l’austérité budgétaire ne nuit pas à la croissance…au contraire. Mais l’argument nous semble pour le moins discutable.

Regardons les chiffres d’un peu plus près. Certes, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre, mais il n’avait augmenté que de 0,1 % en 2012 et reste encore 2,5 points en dessous de son niveau d’avant-crise : tout cela ne constitue pas un grand succès. Plus frappant encore est l’évolution du PIB depuis le début de la crise : le PIB a initialement chuté de 7 points, entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009 ; puis la reprise s’est amorcée, permettant au PIB de regagner 2 points au troisième trimestre 2010, avant de baisser à nouveau. Le profil du PIB depuis le troisième trimestre 2010 est tout à fait inhabituel au regard des sorties de crise précédentes (graphique 1).

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En 2008, le Royaume-Uni été l’un des premiers pays industrialisés à mettre en place un plan de relance. Gordon Brown, chancelier de l’Echiquier du gouvernement de Tony Blair, a fait baisser le taux normal de TVA de 2,5 points en décembre 2008, afin de soutenir la consommation des ménages. La mesure était annoncée comme temporaire et s’est arrêtée fin 2009. En 2009, la politique budgétaire a ainsi été fortement expansionniste, soit une impulsion budgétaire de 2,8 points de PIB après 0,6 point en 2008 (tableau 1). Le déficit public s’est creusé sous le double effet de la récession et de la politique budgétaire, la dette publique a augmenté.

En mai 2010, les Conservateurs ont remporté les élections sur un programme axé sur la réduction de la dette et des déficits publics. Celui-ci était supposé garantir la confiance des marchés, conserver le triple A de la dette publique britannique et ainsi maintenir le taux d’intérêt sur la dette à un niveau faible. A cela s’est ajoutée une politique monétaire extrêmement active, la Banque d’Angleterre maintenant son taux directeur à 0,5 %, achetant des titres publics et déployant de grands efforts pour faciliter le refinancement des banques et relancer le crédit aux entreprises et aux ménages. Le redémarrage de la croissance était supposé venir de l’investissement des entreprises et des exportations.

La politique budgétaire mise en place par le gouvernement de David Cameron a donc été fortement restrictive. Dans un premier temps, les mesures ont porté principalement sur la hausse des recettes, via un relèvement des taux de TVA, puis sur la baisse des dépenses, notamment des prestations sociales. La reprise de la croissance s’est interrompue. La politique budgétaire est aussi devenue restrictive ailleurs en Europe, l’activité a ralenti chez les principaux partenaires commerciaux du Royaume-Uni. En 2012, l’austérité budgétaire a été fortement atténuée (tableau 1). Les chiffres de croissance dans la période récente sont loin de montrer un succès de l’austérité.

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Il est aussi important de noter que David Cameron a dès le départ exclu les dépenses de santé du plan de réduction des dépenses. Les Britanniques sont attachés à leur système public de santé et, pour les Conservateurs nouvellement élus, il s’agissait de ne pas répéter en 2010 l’erreur commise dans les années 1980 lorsque Margaret Thatcher était à la tête du gouvernement. Ainsi, l’austérité budgétaire ne frappe pas le secteur de la santé. Le résultat est clair en termes d’activité : la valeur ajoutée (en volume) du secteur de la santé est aujourd’hui 15 points au-dessus de son niveau d’avant-crise, autrement dit, elle a continué à croître à un rythme annuel moyen de près de 3 % (graphique 2). Le deuxième secteur où l’activité est restée soutenue depuis 2008, et accélère depuis la fin de 2012, est celui de l’immobilier. Au Royaume-Uni, les prix de l’immobilier avaient fortement augmenté avant la crise, conduisant à un endettement record des ménages, et n’ont que peu baissé ensuite. Ils sont restés historiquement élevés et ont même recommencé à augmenter à partir de 2012 (à un rythme annuel d’environ 5 %). Mais les autres secteurs d’activité restent à la traîne. Ainsi, la plupart des services ont seulement rejoint leur niveau de production d’avant-crise, et pour certains d’entre eux restent très en deçà de ce niveau : – 9 % pour les services financiers et d’assurance, soit un chiffre comparable à celui de l’industrie manufacturière, alors que la perte de production reste de 13 % dans le bâtiment.

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Depuis 2008, la croissance britannique est donc impulsée en partie par un service public épargné par l’austérité budgétaire et par des services immobiliers soutenus par la politique monétaire ultra-active… Aussi la reprise britannique pourrait-elle donner naissance à une nouvelle bulle immobilière. La consommation des ménages est aujourd’hui le principal moteur de la croissance (tableau 2). L’absence de reprise de l’investissement est l’un des principaux échecs de la politique d’offre mise en place depuis 2010 par le gouvernement. Ce dernier souhaite que le système fiscal britannique devienne le plus compétitif du G20 et, dans ce but, a diminué le taux d’imposition des sociétés pour en faire le plus faible du G20 (le taux, abaissé à 23 % cette année, serait de seulement 20 % en 2015). Mais l’investissement des entreprises ne redémarre pas pour autant. Le gouvernement compte aussi sur les exportations pour tirer la croissance, mais ceci est peu réaliste vu la situation conjoncturelle sur les principaux marchés extérieurs britanniques, avant tout dans la zone euro. Après avoir soutenu la croissance au cours des trimestres précédents, grâce au dynamisme des ventes hors Union européenne jusqu’à l’été, les exportations ont contribué à faire baisser fortement la croissance au troisième trimestre (-0,8 point de PIB). Alors que le gouvernement britannique s’apprête à présenter son budget le 5 décembre, un soutien de la politique budgétaire serait bienvenu pour maintenir l’économie britannique sur le chemin de la reprise au cours des prochains mois…

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France : moins d’austérité, plus de croissance

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En 2013, l’économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d’année son niveau de production atteint six ans plus tôt, soit celui de fin d’année 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu’aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Le potentiel de rebond de l’économie française était pourtant important : une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an sur  la période 2010-2013 était possible et aurait permis à la France d’annuler la perte de production accumulée au cours des années 2008-2009. Mais cette « reprise » a été freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé l’activité en France de 2,4 points de PIB.

La prise de conscience de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés a été tardive : elle a eu lieu une fois que les plans d’austérité eurent produit leurs effets négatifs sur la croissance. A la fin mai 2013, elle a poussé les autorités européennes à offrir un délai supplémentaire à six pays de l’Union, dont la France, en vue de corriger leur déficit excessif. L’allègement des exigences de la Commission constitue un ballon d’oxygène et permet au gouvernement d’amoindrir les mesures d’austérité pour 2014. Selon le budget présenté à l’automne 2013, l’effet interne de l’austérité serait ainsi atténué de 0,5 point entre 2013 et 2014, et puisque nos partenaires mènent eux aussi des politiques moins restrictives, un supplément de demande externe est anticipé. Au total, c’est donc près d’un point de croissance qui serait regagné en 2014 par rapport à 2013, grâce à l’allègement de la rigueur et ce, malgré des multiplicateurs budgétaires toujours élevés.

Dans ces conditions, la croissance devrait être de 1,3 % en 2014 en moyenne annuelle. En s’établissant à un rythme toujours inférieur à son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader le marché du travail. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 10,9 % fin 2014.

La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Le déficit public s’établirait à 3,5 % du PIB en 2014, après avoir atteint 4,1 % en 2013 et la dette brute des administrations publiques frôlerait 95 % du PIB l’année prochaine.