Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur

Par Céline Antonin

Alors que Matteo Renzi avait bénéficié d’un relatif « état de grâce » depuis son élection en février 2014, le vote de la réforme contestée sur le marché du travail (le Jobs Act) par le Sénat, début décembre, a donné lieu à un mouvement de grève générale, une première depuis son arrivée au pouvoir. Est-ce la fin de la lune de miel entre Matteo Renzi et le peuple italien ? Certes, alors que son arrivée au pouvoir avait suscité une vague d’espoir, le premier bilan est décevant. Les réformes passent mal alors même que l’Italie connaît sa troisième année consécutive de récession (-0,2 % de croissance prévue pour 2014) et qu’elle doit affronter les critiques de la Commission européenne sur son incapacité à réduire son déficit structurel. Cette réforme, d’inspiration libérale, vise à introduire un régime de flexi-sécurité. La mesure qui cristallise toutes les passions est la suppression de l’article 18 du Code du travail, permettant la réintégration en cas de licenciement abusif.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n° 48, 16 décembre 2014) nous étudions la réforme du marché du travail en cours en Italie, un enjeu de taille en raison de la segmentation du marché du travail, du taux de chômage des jeunes élevé et de l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. Pour légitime qu’elle soit, la réforme du Jobs Act semble trop partielle pour pouvoir produire de véritables effets. A court terme, la priorité de l’Italie doit être mise sur l’investissement. Seule la poursuite d’une politique monétaire expansionniste, la poursuite de l’Union bancaire et une politique d’investissement public ambitieuse pourront permettre au pays de normaliser l’accès au financement bancaire et de retrouver de la croissance. Une fois ces conditions réunies se pose la question d’une réforme structurelle du marché du travail ; cette réforme doit être couplée avec celle du marché des produits pour permettre à l’Italie de restaurer sa productivité et d’améliorer durablement sa croissance potentielle.




iAGS 2015 : Une Europe divisée et à bout de souffle

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Xavier Timbeau

L’Europe se trouve dans une situation critique qui nécessite un changement de politique économique. Toutes les possibilités doivent être envisagées. Des mesures non-conventionnelles ou extra-ordinaires doivent être prises pour éviter un nouvel échec et échapper à la menace de stagnation séculaire. C’est précisément l’objet du troisième rapport indépendant sur la croissance annuelle (résumé dans la dernière Note de l’OFCE n° 47 du 15 décembre 2014 – en réponse au Rapport sur la croissance annuelle publié par la Commission européenne – de faire une analyse critique de la stratégie macroéconomique européenne et de proposer des solutions alternatives.

L’incapacité à sortir durablement de la crise laisse de nombreuses séquelles sur le plan économique, social et politique. Le chômage reste à un niveau historique, ce qui accroît les inégalités et interrompt le processus de convergence entre les régions européennes. Les pressions à la baisse sur les salaires et le besoin de réduire les déséquilibres intra-zone euro nourrissent la déflation. Le désendettement public ou privé n’est pas achevé et la perspective d’une baisse des prix crée un cercle vicieux par lequel la stagnation va se prolonger. Le projet européen d’une économie prospère et intégrée ne saurait progresser si la reprise échoue une nouvelle fois.

La politique monétaire ne peut résoudre à elle seule l’ensemble des problèmes de la zone euro. La coordination des politiques budgétaires est encore déficiente et biaisée en faveur d’une réduction rapide des déficits budgétaires et de la dette publique. Ces biais doivent être corrigés. La gravité de la situation économique impose plus qu’une simple atténuation de la consolidation budgétaire. Il faut à la fois maintenir les avancées fragiles de la discipline budgétaire et de la solidarité financière naissante entre les Etats membres, mais aussi pouvoir produire le stimulus nécessaire à la sortie de la crise. Il faut profiter de l’opportunité offerte par des taux d’intérêt souverains bas : les multiplicateurs d’investissement public sont très élevés, évalués à 3 par le FMI, et les besoins d’investissements sont nombreux après leur diminution notable au cours des  précédentes années et la nécessaire transition vers une économie à bas carbone.

Le Plan Juncker pourrait être un premier pas en ce sens puisqu’il envisagerait d’exclure les contributions des Etats membres de la définition du déficit ou de la dette utilisée pour le respect des règles en vigueur (principe de neutralisation). Ce premier pas, jouant sur des montants de financement clairement insuffisants, ouvre cependant la voie pour mettre en œuvre une politique budgétaire expansionniste au niveau agrégé tout en maintenant les contraintes sur les politiques budgétaires nationales. Les réformes structurelles ne peuvent être des substituts au besoin de relance, notamment parce que leurs effets à court terme sur les prix et l’activité peuvent être négatifs et que leurs effets positifs sont longs à se produire.

 




De la difficulté de mener des réformes structurelles en période de chômage élevé

par Sabine Le Bayon, Mathieu Plane, Christine Rifflart, Raul Sampognaro

Les réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail sont souvent parées de toutes les vertus pour lutter contre le chômage de masse et limiter la segmentation du marché du travail entre ceux qui y sont intégrés dans des contrats stables (insiders) et ceux qui sont au chômage ou en contrat précaire (outsiders). Si, dans une économie en croissance, ces mesures peuvent faciliter les créations d’emplois au profit des outsiders, les résultats à en attendre peuvent être plus incertains en situation de chômage de masse et de croissance atone. En effet, les réformes structurelles peuvent réduire la dualité du marché du travail liées aux mesures réglementaires mais elles ne peuvent combattre  la dualité du marché du travail inhérente au capital humain qui se renforce en période de chômage de masse : à qualification égale, c’est l’expérience qui fait la différence, et à expérience égale, c’est la qualification qui fait la différence. Le chômage élevé renforcerait donc le phénomène de « file d’attente » pour accéder aux emplois plus stables. Ainsi, les réformes structurelles visant à fluidifier le marché du travail affecteront prioritairement les salariés qui ont les qualifications et l’expérience les moins élevées sans pour autant permettre aux outsiders d’accéder à une situation professionnelle plus stable. De ce fait, une hausse des inégalités entre les actifs est à attendre, sans effet positif sur l’emploi du fait de la faiblesse de l’activité économique. Seul un pilotage macroéconomique intégrant l’objectif du retour au plein-emploi pourrait rendre les réformes structurelles performantes

Comme nous le montrons dans l’étude spéciale « La dévaluation par les salaires dans la zone euro : un ajustement perdant-perdant » (Revue de l’OFCE, n° 136, novembre 2014), la segmentation sur le marché du travail s’est accrue au cours de la crise malgré la mise en place de réformes structurelles dans les pays de la zone euro. Ainsi, depuis 2008, le taux d’emploi[1] des seniors et des plus qualifiés a mieux résisté que celui des autres catégories de population dans les quatre plus grands pays de la zone euro (graphiques 1 et 2).

La forte baisse du taux d’emploi des jeunes depuis 2008 est générale – y compris en Allemagne, pays où le marché de l’emploi est resté dynamique – et contraste avec la hausse du taux d’emploi des seniors (ou leur faible baisse en Espagne). L’écart entre ces deux catégories est compris entre 12 points de pourcentage en France et 21 points en Italie (15 points en Allemagne et 19 en Espagne). L’ajustement du taux d’emploi des 25-54 ans se situe dans une position intermédiaire. La résistance du taux d’emploi des seniors à la crise résulte probablement de la combinaison de deux causes : les réformes des systèmes de retraite introduites au cours des dernières années (allongement des durées de cotisation et/ou recul de l’âge légal de départ en retraite) et le coût relativement plus élevé de licenciement des seniors qui, le plus souvent, occupent des positions hiérarchiques plus élevées. Dans un contexte de crise, il est fort probable que cela ait engendré un effet de substitution de l’emploi des seniors au détriment des plus jeunes.

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Les ajustements des taux d’emploi ont été aussi plus marqués pour les populations sans diplôme du secondaire, à l’exception de l’Italie où le diplôme ne semble pas protéger du chômage ou de l’inactivité. En France, l’ajustement des taux d’emploi a clairement été décroissant avec le type de diplôme. En Allemagne, le taux d’emploi des moins diplômés a baissé pendant la crise alors que celui des autres catégories a augmenté. En Espagne, les diplômés du supérieur ont un taux d’emploi qui résiste mieux que les autres catégories de population. A ces évolutions différentes des taux d’emploi par catégorie de diplôme, s’ajoute le fait que les revenus salariaux en Italie, Espagne et France n’ont baissé que pour les premiers déciles de revenus salariaux. L’ajustement sur les revenus salariaux des premiers déciles s’est opéré vraisemblablement par une réduction de la durée du travail sur l’année (temps partiel, contrats temporaires de plus courte durée ou phases de chômage plus longues entre deux contrats, réduisant la rémunération moyenne sur l’année). Ainsi, dans les pays les plus touchés par la crise, les populations les plus fragiles, présentant le capital humain le plus faible, se sont retrouvées les plus exposées à la dégradation du marché du travail, que ce soit par la baisse des taux d’emploi ou la réduction des rémunérations salariales annuelles.

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Dans un contexte de marché du travail dégradé, en acceptant un faible déclassement, ce serait d’abord le chômeur le plus qualifié qui retrouverait un emploi, chassant celui qui aurait pu l’avoir, qui lui-même, ferait la même chose à un échelon inférieur. Ceci pourrait expliquer qu’en bout de file, les moins qualifiés soient, quelle que soit la législation du travail, victimes du chômage ou de précarité dans l’emploi.

Ainsi, l’existence d’une segmentation « spontanée » sur le marché de l’emploi et d’un phénomène de « file d’attente » peut limiter la réussite d’une stratégie de réformes structurelles et de dévaluation salariale. Dans ce cas, une plus grande flexibilité du marché du travail conjuguée à une réduction de la protection sociale pourrait accroître les inégalités entre les catégories d’actifs sans augmenter les créations d’emplois en équivalent temps plein.

 


[1] Il s’agit du ratio : emploi/population en âge de travailler.




A propos du marché du travail américain

Une lecture de : The causes of structural unemployment, Thomas Janoski, David Luke et Christopher Oliver, Polity Press, Cambridge, RU et Malen, EU, 2014.

Henri Sterdyniak

L’ouvrage, écrit par trois sociologues américains, analyse la montée du chômage structurel aux Etats-Unis, en cherche les causes et propose des mesures de politiques économiques pour le réduire. Pour le lecteur français, cet ouvrage présente deux intérêts majeurs : il montre que les problèmes du marché du travail américain sont très proches de ceux du marché du travail français ; et, bizarrement, il traite du cas américain sans s’intéresser, sauf de façon marginale, à la situation des pays européens et aux analyses qu’ont pu produire les chercheurs de notre continent.

La définition et la mesure du chômage structurel sont problématiques. Théoriquement, le chômage structurel est la part du chômage qui ne s’explique ni par les fluctuations conjoncturelles (le chômage conjoncturel), ni par les inévitables délais d’embauche et de changement d’emploi (le chômage frictionnel), mais par des causes structurelles ; celui donc observé en moyenne sur le cycle économique, moins un certain niveau incompressible. Le point délicat est qu’il est difficile aujourd’hui, après la crise de 2007-09, aux Etats-Unis comme en Europe, de repérer le cycle économique et le niveau normal d’activité, de sorte que le niveau du chômage conjoncturel est difficile à évaluer. Cependant, les auteurs présentent des preuves empiriques de la dégradation du marché du travail américain. Ainsi, le taux d’emploi des 25-65 ans n’est que de 72,3% en 2013 contre 77,5% en 2000. Il est nettement plus faible qu’en Allemagne (78,5%). Le taux de chômage de longue durée comme le taux de temps partiel subi ont fortement augmenté. Surtout, les inégalités salariales se sont accrues. Les emplois stables et correctement rémunérés d’ouvriers ou d’employés qualifiés disparaissent au profit d’emplois précaires.

Les auteurs fournissent cinq explications à cette dégradation :

  1. La fonte de l’industrie au profit des services qui entraîne l’inadaptation des anciens ouvriers qualifiés, le déclin des syndicats et le besoin de nouvelles compétences.
  2. Le développement de la sous-traitance (qui permet aux entreprises de se débarrasser de travailleurs permanents correctement rémunérés pour recourir à une main d’œuvre précaire bon marché) et celui de la délocalisation dans les pays à bas salaires.
  3. L’automatisation qui rend inutiles de nombreux emplois, non qualifiés jadis, mais de plus en plus qualifiés maintenant.
  4. La financiarisation de l’économie et la recherche de valeur pour l’actionnaire qui imposent des normes de rentabilité élevées, qui sacrifient l’investissement de long terme, qui font que la croissance est portée par des bulles financières et l’endettement, ce qui augmente l’incertitude et rend l’économie instable.
  5. Le poids grandissant des grandes entreprises multinationales qui brisent les compromis nationaux (en produisant à l’étranger, en détruisant des emplois qualifiés, en développant la sous-traitance et les emplois précaires, en ne payant pas d’impôts).

Avec raison, les auteurs, sociologues, reprochent aux économistes de ne pas étudier les conséquences de ces transformations sur les salariés américains et leurs possibilités d’emploi satisfaisant.

Si la description est convaincante, le lecteur attend les auteurs sur les solutions. En fait, les auteurs proposent essentiellement des réformes du marché du travail. Ils suggèrent de s’inspirer du modèle allemand en orientant beaucoup plus tôt (dès 12 ans) une partie des jeunes vers l’enseignement professionnel, au lieu de les maintenir dans l’enseignement classique. Selon eux, on pourrait professionnaliser et faire monter en gamme certains emplois précaires en formant les jeunes à ceux-ci. Mais, quels enfants seraient les victimes de cette orientation précoce ? Le risque est grand que ce soit ceux des milieux populaires.

Ils proposent d’améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi (subvention aux temps partiels temporaires, toujours inspiré du modèle allemand ; remise à niveau des chômeurs, certification de leurs compétences). Durant les périodes de récession, ils proposent de créer des emplois publics temporaires et de subventionner des emplois privés dans des secteurs spécifiques (comme les travaux publics). Ils suggèrent de faciliter l’innovation en fournissant du capital-risque aux jeunes entrepreneurs et en favorisant l’immigration de jeunes entrepreneurs talentueux. Mais l’innovation à tout prix est-elle la solution, quand elle se traduit par le développement de besoins artificiels et par la multiplication de « destructions créatives », sources d’instabilité économique ?

Heureusement, quelques paragraphes vont au-delà. Les auteurs proposent de renforcer les normes sociales, environnementales et de respect du droit de propriété intellectuelle pour les produits importés (mais la croissance américaine nécessite-elle de freiner le développement des pays émergents ?) ; de réformer la fiscalité des entreprises pour augmenter la taxation de celles qui produisent à l’étranger ; de lutter contre l’optimisation fiscale des firmes multinationales ; de taxer les opérations spéculatives et les transactions financières internationales ; de séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires. On le voit, des propositions très proches de celles des économistes européens hétérodoxes. Mais est-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas une action résolue des pouvoirs publics pour réduire la domination de la finance, pour abaisser les taux de rentabilité exigés par les marchés financiers ? Ne faudrait-il pas d’importants transferts budgétaires pour taxer les gagnants de la mondialisation et compenser les perdants ? Ne faudrait-il pas mieux gérer l’évolution de la division internationale du travail, en pénalisant les pays ayant des excédents commerciaux trop importants et en subventionnant les emplois non-qualifiés dans les pays riches ?




L’« effet ricardien » : à prendre avec précaution !

par David Ben Dahan et Eric Heyer

La dégradation des finances publiques influence-t-elle le comportement de consommation des ménages ? Une étude récente de l’Insee tente d’y répondre en estimant économétriquement les déterminants du taux d’épargne sur des données annuelles allant de 1971 à 2011. Les résultats mènent les auteurs de cette étude à attribuer les variations récentes du taux de consommation des ménages français à la politique budgétaire et à l’état des finances publiques. Ainsi leur modèle conclut-il à l’existence significative d’un « effet ricardien » : constatant la dégradation des finances publiques au cours de la crise, les ménages auraient anticipé une hausse future des impôts, les conduisant à épargner davantage au cours de la période récente. Notons que cet effet n’est que temporaire : les résultats économétriques de l’Insee indiquent que ce dernier aurait pesé sur la consommation des ménages à court terme mais s’estomperait rapidement et disparaîtrait à long terme. Les ménages seraient donc « ricardiens » … mais à court terme uniquement !

Cet oxymore peut être dû au fait que, sur la période étudiée par l’Insee, les déterminants standards de la consommation que sont l’inflation, les taux d’intérêt et le taux de chômage n’ont pas d’effet. Ainsi donc, pour l’Insee, les ménages français formeraient des anticipations rationnelles de court terme, mais ne constitueraient pas d’« épargne de précaution » contre les risques liés à la dégradation du marché du travail. Or, en période de récession, la dégradation des finances publiques allant de pair avec une hausse conséquente du chômage, l’ « effet ricardien » et l’ « épargne de précaution » entrent en concurrence, rendant leur distinction délicate (graphique 1).

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Il est à noter à cet égard que la stabilité des paramètres estimés par l’Insee n’est pas assurée sur la période 1970-2011 : la non-significativité du taux de chômage est levée lorsque l’on débute la période d’estimation plus tard, à compter de 1975, et cette variable devient fortement significative à partir de 1978. C’est la raison pour laquelle nous avons reproduit l’analyse de l’Insee en débutant l’estimation en 1978. Les résultats issus de la modélisation du taux de consommation des ménages par un modèle à correction d’erreurs (MCE), selon trois spécifications différentes synthétisées dans le tableau 1, peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. A l’instar des résultats de l’Insee, aucun « effet ricardien » ne ressort significativement à long terme sur la période 1978-2011. A court terme, cet effet sort très légèrement significatif (à 10 % dans l’équation 1) ;
  2. Lorsque l’on intègre dans l’analyse le taux de chômage, ce dernier sort significativement à court et long terme (équations 2 et 3) ;
  3. Lorsqu’ils sont mis en parallèle avec l’épargne de précaution, l’ « effet ricardien » perd son pouvoir explicatif de court terme (équation 2).

 

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Nos estimations montrent que l’augmentation des déficits n’entraîne pas de baisse de la consommation et que la hausse du taux d’épargne observée entre 2008 et 2011 s’expliquerait par une « épargne de précaution » due à la forte dégradation du marché du travail.

Ce résultat conforte par ailleurs l’analyse menée dans d’autres travaux de l’OFCE sur l’importance des multiplicateurs budgétaires.




Une assurance chômage pour la zone euro ?

Par Xavier Timbeau

Dans la dernière parution de la Direction générale du Trésor,  Lettre Trésor-Eco, n° 132, juin 2014 (Ministère des Finances et des Comptes publics et Ministère de l’Économie du Redressement productif et du Numérique), Thomas Lellouch et Arthur Sode développent le mode de fonctionnement et les mérites d’une assurance chômage commune à la zone euro. Ils en précisent les modalités d’application, par grandes étapes, qui en assurent la neutralité entre Etats membres. Ils plaident pour des politiques de l’emploi et du marché du travail harmonisées, conduisant à long terme à un taux de cotisation unique dans la zone euro :

– « La mutualisation au niveau de la zone euro d’une composante de l’assurance chômage permettrait de doter la zone euro d’un instrument de solidarité nouveau, à même de donner une véritable incarnation à l’Europe sociale tout en renforçant la stabilisation de la zone dans son ensemble …

– Ce socle commun indemniserait par exemple les chômeurs de moins d’un an (la composante la plus cyclique) à hauteur de 50 % de leur salaire passé, avec un financement reposant sur une base harmonisée (par exemple la masse salariale). Il serait complété par une indemnisation nationale en fonction des préférences de chaque État, et assurerait ainsi le maintien du niveau actuel de l’indemnisation …

– Une modulation des taux de cotisation de chaque État membre en fonction de son niveau de chômage, avec des mises à jour régulières en fonction des tendances passées, assurerait une neutralité budgétaire ex ante entre États membres …

– À plus long terme, et après une convergence des taux de chômage entre les différents États membres, un système marquant une solidarité accrue entre États membres pourrait être envisagé, avec un financement via un taux de cotisation unique… ».

Une solidarité nouvelle, mais trois problèmes se posent…

L’assurance chômage est un important stabilisateur automatique. Sa mutualisation par les États membres de la zone euro aurait permis d’importants transferts au cours de la crise que nous venons de traverser. Suivant le schéma proposé par les auteurs (mutualisation de la composante la plus cyclique), l’Espagne aurait pu bénéficier de presque 35 milliards d’euros à la fin 2012, provenant essentiellement de l’Allemagne et de la France. Ce n’est pas de nature à annuler le déficit public de l’Espagne, mais cela aurait contribué à ce qu’il soit moins important.

Un tel dispositif pourrait avoir un rôle majeur pour éviter les crises de dette souveraine par lesquelles le crédit d’un État est asséché. Il introduirait une solidarité et des transferts neutres au cours des cycles, mais réactifs à la conjoncture.

Trois problèmes se posent cependant : le premier est que les systèmes d’assurance chômage sont le fruit de compromis sociaux nationaux, bien perçus et en cohérence avec le reste des politiques nationales sur le marché du travail, actives ou non. Une assurance chômage européenne s’ajoutant sur les systèmes nationaux pourrait conduire à de la confusion et la remise en cause de l’équilibre national. Le dialogue social en serait perturbé, puisque les partenaires sociaux disposeraient d’une ressource potentielle dont ils ne sont pas responsables, sans compter que les autorités européennes, ou les pays partenaires, pourraient estimer avoir leur mot à dire. Or, l’assurance chômage est souvent un sujet sensible comme l’illustre la question des intermittents en France en ce début d’été 2014.

Ceci pourrait être résolu en limitant la mutualisation à des transferts macroéconomiques, indépendamment des modalités nationales. Mais, et c’est le second problème, pour éviter que les transferts entre Etats ne deviennent pérennes, il faut équilibrer les transferts sur le « cycle économique ». Cela demande une procédure d’identification de ce cycle, partagée par les parties prenantes.. L’expérience récente de la crise, ou encore celle du calcul des déficits structurels, montre que c’est loin d’être acquis. Une autre option serait de « recharger » le dispositif avant d’y recourir, en accumulant des contributions avant un retournement majeur pendant quelques années. Il suffirait alors d’en limiter l’usage à ce qui a été accumulé pour résoudre les conflits. Mais alors, le dispositif n’a plus aucun intérêt face à une crise systémique. Le jour où le matelas a fondu, les rois sont aussi nus qu’avant. Au mieux on retarde la crise, au pire on l’aggrave.

Une dernière option est de renoncer à l’équilibre des transferts a priori (ou par la mécanique de fonctionnement), en le laissant au fil de l’eau se polariser dans un sens ou dans un autre et d’en assurer la convergence asymptotique. Mais alors, le dispositif peut conduire à une situation de transfert structurel non désirée qui pourrait précisément le remettre en cause.

L’Espagne a ainsi un chômage élevé, largement au-dessus de son taux structurel ; entrer dans un dispositif de transfert assis sur les écarts entre le chômage courant et le chômage structurel ne peut que se faire à l’équilibre, ou bien demande de prendre le risque d’un transfert initial durable.

C’est alors que surgit le troisième problème, la gouvernance. Il est difficile de concevoir un tel dispositif sans qu’il implique au moins potentiellement des transferts importants entre États. Comment justifier ces transferts sans représentation commune légitime ? Et, comment éviter que ces transferts ne soient l’instrument d’un contrôle de l’ensemble de la politique macroéconomique. La mise en place de l’Union bancaire rappelle que cette difficulté est centrale. De même, le refus de l’Espagne de se soumettre aux conditions posées dans le cadre d’un programme d’assistance classique (UE/FMI) indique bien qu’en l’absence d’une solidarité sincère et légitime, les bénéficiaires des transferts seront tout aussi méfiants que les payeurs.




Election et dérivée du chômage : la stratégie du retournement

par Guillaume Allègre, g_allegre

Un conseiller ministériel m’a récemment expliqué ce qu’il pense être la stratégie du Président de la République concernant la gestion macroéconomique et le chômage, qu’on pourrait appeler stratégie du retournement : « Par rapport à la présidentielle, l’objectif est de faire baisser le chômage en 2016-2017. Les électeurs ne votent qu’en fonction de l’évolution du chômage dans la dernière année, voire les 6 derniers mois. Comme pour Jospin en 2002 ». La croyance qu’en ce qui concerne le chômage et l’économie en général, c’est la dérivée qui compte, l’évolution récente et non le niveau, est assez ancrée dans le milieu technocratico-politique : « it’s the derivative, stupid ! » est le nouveau « it’s the economy, stupid !» (maxime du stratégiste de campagne de Bill Clinton en 1992).

Cette croyance découle en partie d’une intuition confirmée par une célèbre expérimentation psychologique. Dans cette étude, les participants sont soumis à deux expériences douloureuses durant lesquelles une de leur main est plongée dans de l’eau glacée. L’une dure 60 secondes et l’autre 90 secondes. Dans la deuxième, les premières 60 secondes sont les mêmes tandis que les 30 secondes additionnelles sont un peu moins douloureuses (l’expérimentateur fait couler de l’eau un peu plus chaude dans le récipient). Plus tard, les participants doivent choisir de répéter une de ces deux expériences et 80% choisissent la plus longue. Ceci ne paraît pas rationnel car dans l’expérience la plus longue, la somme des douleurs est plus importante. Pour un observateur objectif c’est bien cette somme qui devrait compter (« l’aire sous la courbe ou l’intégrale »). Mais les participants ont une mémoire sélective : ils sont plus fortement influencés par les moments représentatifs de l’expérience et notamment, ici, par l’amélioration à la fin de l’épisode. Daniel Kahneman, « Prix Nobel » d’économie en 2002 pour ses travaux sur les biais de jugement, dont on trouvera un ouvrage vulgarisé ici, distingue deux moments représentatifs durant un épisode déplaisant : le pic de souffrance et la fin[1].

Des économistes, surtout américains, ont développé des modèles politico-économétriques de prévisions électorales afin d’estimer les liens entre économie et résultats électoraux. La popularité de ces modèles varie au gré des élections, selon leur pouvoir de prédiction : en 1992, la moitié des modèles avait prédit une réélection facile pour George Bush père ; en 1996 la réélection de Clinton était bien prévue ; par contre en 2000 pratiquement tous les modèles prévoyaient une large victoire d’Al Gore… Et le modèle avec la prévision la plus proche à cette élection (0,6 %) s’est trompé de 5 points à l’élection suivante. Evidemment, grâce à la multiplication des prévisions, il est toujours possible de trouver un modèle, tel Paul le Poulpe (voir wiki), ayant une bonne série en cours.

Ce succès très relatif n’a pas empêché l’importation en France des modèles politico-économétriques. La forme générique de ces modèles tente d’expliquer le pourcentage de vote pour un candidat ou parti par des variables économiques (PIB, chômage, revenu en niveau ou en variation) et politiques (popularité du président et du premier ministre). La très grande majorité des modèles utilise comme variable économique le chômage en variation, avec un horizon relativement court, en moyenne d’un an. La conclusion tirée de ces estimations empirique est que la mémoire de l’électeur français apparaît limitée (Dubois, 2007).

Mais ces études sont confrontées à un problème important : le faible nombre d’observations (neuf élections présidentielles et treize élections législatives entre 1958 et 2011). « Pour l’économètre, on ne vote pas assez souvent », observe Lafay (1995)[2]. Autrement dit, la loi des grands nombres ne peut pas s’appliquer dans ce type de configuration. Ceci est aggravé par le fait que le contexte de ces élections change par un nombre de variables pratiquement aussi élevé que le nombre d’élections (présence de cohabitation, élections législatives isolées ou couplées à des présidentielles, présence d’un sortant ou non lors d’une élection présidentielle, élections législatives anticipées, présence ou non d’un candidat de gauche au deuxième tour pour les présidentielles, importance des triangulaires pour les législatives…). D’autres problèmes techniques se posent aux économètres. Dans une revue de littérature fouillée analysant l’ensemble des soixante et onze études politico-économiques concernant le vote en France entre 1976 et 2006, Dubois qualifie le traitement de ces problèmes, « s’il existe », de « relativement frustre ». Tout comme aux Etats-Unis, les modèles connaissent des « fortunes diverses » en termes de prévision. Enfin, notons un problème que les économètres appellent endogénéité : les modèles politico-économiques tentent de prévoir ou expliquer le résultat des élections avec des variables économiques (chômage) et la popularité de l’exécutif. Or, il fait peu de doutes que la popularité de l’exécutif est en partie fonction des variations et du niveau du chômage : dans ce cas, la non-significativité des variations de plus long-terme des variables économiques peut-être expliquée par le fait que leur impact est déjà inclus dans la popularité de l’exécutif. Bref, ces études empiriques ne sont donc pas du tout suffisantes pour conclure qu’en termes économiques, la mémoire de l’électeur est limitée.

Pour reprendre les termes de Kahneman, la machine à tirer des conclusions hâtives est en marche : une intuition (la mémoire des électeurs est sélective) s’appuyant sur des études psychologiques (dont l’objet est très éloigné) et confirmée par des études économétriques (non robustes et qui ne font donc que reproduire les a priori des chercheurs). L’histoire racontée est cohérente et il semble qu’elle soit corroborée par les faits… A y réfléchir, il peut paraître effrayant que des responsables politiques puissent agir sous l’influence de ce cocktail rhétorique. Ceci est d’autant plus effrayant que pour un observateur extérieur, du point de vue du bien-être collectif et donc des objectifs de politiques publiques, c’est évidemment le niveau du chômage sur plusieurs années (son intégrale) et non son évolution au cours de la dernière année (sa dérivée) qui compte !

Au niveau européen, et maintenant national, de nombreuses règles ont été mises en place pour éviter que les hommes politiques à la tête des gouvernements essaient de gagner les élections en menant des politiques qui, certes, réduisent le chômage à court terme mais qui creusent les déficits à long terme. Des critères de Maastricht (déficit public inférieur à 3% du PIB) au récent cadre financier pluriannuel européen, les règles se justifient par la croyance que le personnel politique est par construction incité à mener une politique budgétaire trop laxiste car ne prenant pas en compte les générations futures, qui, par construction, ne votent pas. Or, si les gouvernants commencent à croire que ce sont les évolutions économiques à court-terme qui comptent, alors les incitations sont inversées, surtout s’il est plus facile de réduire le chômage après l’avoir fait augmenter, ce qui mènerait à un sentier de croissance trop faible et un sentier de chômage trop élevé[3]. Dans ce cas, la solution ne pourrait venir d’une gouvernance par de nouvelles règles contraignantes, qui ont de toute façon jusqu’ici prouvé leur inefficacité. Il faut s’appuyer sur le fait que la stratégie du retournement ne peut fonctionner en termes électoraux que si les citoyens ne comprennent pas qu’on essaye de les manipuler. Dévoiler la manipulation est alors plus efficace que la mise en place de règles. Dont acte.

 


[1] Par conséquent, ceux qui suivent cette théorie aujourd’hui devraient également s’occuper du pic de chômage et non seulement de son évolution en fin de mandat.

[2] Lafay J.-D. 1995, « Note sur l’élection présidentielle de 1995 et les apports de l’analyse économétrique des comportements électoraux », miméo, LAEP, Université de Paris 1. Cité par Dubois.

[3] Ce billet –lien– souligne qu’il était possible d’arriver au même ratio de dette sur PIB en 2032 en passant par un chemin qui aurait réduit le chômage en zone euro de 3 points en 2013.




Banques centrales : le dernier rempart ?

par Xavier Timbeau, @XTimbeau

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie mondiale

La croissance du PIB est à nouveau positive dans la plupart des pays développés ! Faut-il s’en réjouir et crier victoire parce que nous sommes sortis de la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale ? Les sacrifices consentis et les sueurs froides, tout ceci a-t-il finalement payé ?

Et bien non. La croissance est positive, mais insuffisante pour induire une baisse du chômage. Y compris aux Etats-Unis, où pourtant le chômage a baissé, le taux d’emploi ne se redresse pas (graphique 1). C’est qu’on peut sortir du chômage vers l’emploi mais aussi vers l’inactivité, c’est-à-dire le retrait du marché du travail. Et c’est ce découragement des chômeurs qui domine aux Etats-Unis.

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Et si l’on attend encore un peu (au-delà de 2015) pour que cela s’arrange, on risque fort d’être déçu, comme l’indiquent nos prévisions d’avril 2014. Car en effet, cette situation sur le marché du travail alimente les pressions déflationnistes. Le graphique 2 illustre cette pression lente et continue. Le débat sur le salaire minimum, réveillé en France récemment, s’inscrit dans cette logique. En situation de chômage élevé, le fonctionnement concurrentiel du marché du travail conduit à la réduction du salaire réel, c’est-à-dire du pouvoir d’achat.

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Notons qu’il s’agit du salaire réel, car, la baisse des salaires nominaux, la pression de la concurrence sur le marché des biens ou les dévaluations fiscales provoquent des baisses de prix. C’est pourquoi les indices de prix indiquent une inflation en net ralentissement, mais sans que pour autant, quoiqu’en dise Mario Draghi (« with low inflation, you can buy more stuff »), le pouvoir d’achat s’accroisse (« les salaires ralentissent plus que les prix, Mario ! »). Ainsi, doucement, et tant que le chômage sera élevé, nous nous enfonçons dans une déflation dont la principale conséquence sera d’accroître le poids réel des dettes privées ou publiques. Or ce sont ces dettes privées, socialisées, et donc ensuite publiques, qui nous ont plongés dans cette crise. Avec la déflation, la spirale des dettes continuera et nous maintiendra dans la crise.

Pour en sortir, tous les regards se tournent vers les banques centrales. Puisqu’elles ont comme mandat la stabilité des prix, elles sont donc obligées de tout mettre en œuvre pour empêcher une telle déflation. Elles ont d’ailleurs montré une grande créativité ces derniers temps, en ajoutant à leur arsenal des politiques monétaires non-conventionnelles … dont on va chercher encore pendant des années à caractériser les modes opératoires et analyser les impacts. Au passage, on peut oublier les manuels de politique monétaire, devenus obsolètes et ringards comme un timbre-poste sur une lettre postale à côté d’un flux twitter.

Mais les banques centrales risquent de ne pas y parvenir : ce qui fait la déflation c’est le chômage. Ce qui a fait le chômage, c’est l’austérité immédiate, quand les multiplicateurs budgétaires sont élevés (et non pas étalée, comme nous l’avions proposé dans le rapport iAGS 2013). Compter sur la politique monétaire seule pour nous prémunir de la déflation est donc insuffisant. Pour vraiment sortir de la déflation, il nous faut réduire rapidement le chômage, en recourant aussi à la politique budgétaire. Les difficultés sont réelles, mais de nombreuses propositions sont sur la table (le rapport iAGS 2014 en contient quelques unes).

C’est pourquoi, malgré des chiffres positifs, les perspectives de croissance pour l’année 2014 et 2015 pour les principaux pays développés sont toujours inquiétantes.




Zone euro : Reprise ou déflation ?

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro

La zone euro va-t-elle s’engager sur la voie de la reprise ou s’enfoncera-t-elle dans une spirale déflationniste ? Les derniers indicateurs macroéconomiques émettent des signaux contradictoires à ce sujet. Le retour de la croissance se confirme avec trois trimestres consécutifs de progression du PIB. Cependant, le niveau du chômage dans la zone euro se maintient à un niveau historiquement élevé (11,9 % pour le mois de février 2014), ce qui alimente des pressions déflationnistes, confirmées par les derniers chiffres d’inflation (0,5 % en glissement annuel pour le mois de mars 2014). Si ce recul de l’inflation tient en partie à l’évolution des prix de l’énergie, il reste que l’inflation sous-jacente a glissé sous le seuil de 1 % (graphique 1). Dans ces conditions, un retournement des anticipations d’inflation ne peut être exclu, ce qui ne manquerait pas de pousser la zone euro en déflation. La BCE s’inquiète de cette situation depuis plusieurs semaines et se dit prête à agir (voir ici). Cependant, aucune piste concrète quant à la façon d’assouplir la politique monétaire et d’éviter l’ancrage des anticipations sur une trajectoire déflationniste n’a été définie.

Après un recul du PIB de 0,4 % en 2013, la croissance redeviendra positive dans la zone euro : 1,3 % en 2014 puis 1,6 % 2015. Pour autant, à ce rythme de croissance, la plupart des pays de la zone euro garderont un écart de production ouvert, reflétant l’idée que la zone euro se trouve sur une trajectoire de sortie de crise ralentie. En effet, bien que les efforts de réduction des déficits vont s’atténuer, les politiques budgétaires seront encore pro-cycliques. En outre, les conditions de financement vont continuer à s’améliorer. La fin de la crise des dettes souveraines, notamment grâce aux annonces de la BCE de juillet et de septembre 2012[1], a permis de réduire les primes de risques sur le marché des obligations d’Etat. L’impact de cette réduction des taux longs de marché s’est en partie répercuté sur les taux d’intérêt bancaires et les conditions d’offre de crédits sont globalement moins restrictives qu’elles ne l’étaient entre le début de l’année 2012 et la mi-2013. Mais il reste que cette croissance sera insuffisante pour enclencher une véritable dynamique de reprise débouchant sur une réduction rapide et significative du chômage. Il ne baisserait en effet que très modérément passant de 11,9 % au premier trimestre 2014 à 11,3 % en fin d’année 2015. Alors que l’Allemagne serait dans une situation de quasi plein-emploi,  le chômage de masse en Espagne et dans les autres pays du sud de l’Europe perdurerait (graphique 2). Le chômage se stabiliserait en Italie et continuerait d’augmenter en France.

Or, cette situation de sous-emploi est la source du risque déflationniste. Elle pèse sur la dynamique des salaires et contribue à la faiblesse de l’inflation sous-jacente. Celle-ci est en effet nulle en Espagne en mars 2013 et négative en Grèce et au Portugal. Pour l’ensemble de la zone euro, nous n’anticipons pas à court terme de déflation, mais la faiblesse de la croissance accroît la probabilité que les anticipations des agents privés ne s’ancrent sur un tel scénario.

La situation de la zone euro rappelle celle du Japon au cours des années 2000. Le pays est entré en déflation en 1999[2] après la récession liée à la crise asiatique. Ensuite, malgré une croissance moyenne de 1,4 % entre 2000 et 2006, les prix ne sont pas repartis à la hausse et la Banque centrale n’a pas trouvé les moyens de sortir de ce piège malgré des politiques monétaires expansionnistes. C’est précisément cette dynamique qui menace la zone euro aujourd’hui et tous les moyens qui permettront de l’éviter (politique monétaire, politique budgétaire et coordination des politiques salariales[3]) doivent être mobilisés.

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[1] En juillet, le Président de la BCE, Mario Draghi, déclarait en effet que la BCE sauverait l’euro « quoi qu’il en coûte ». En septembre, la BCE annonçait la création d’une nouvelle opération (l’OMT, voir le post de Jérôme Creel et de Xavier Timbeau) lui donnant la possibilité d’acheter sans limite des titres de dette souveraine.

[2] Il faut mentionner un premier passage en déflation en 1995 après trois années de croissance atone.

[3] Tous ces éléments sont détaillés dans le précédent rapport iAGS (2014).




France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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