Moins d’austérité = plus de croissance et moins de chômage

Eric Heyer et Xavier Timbeau

La Commission européenne vient de publier ses prévisions de printemps et anticipe une récession (légère selon les mots de la Commission, -0,3% tout de même) en 2012 pour la zone euro, rejoignant ainsi l’analyse de la conjoncture de l’OFCE de mars 2012. L’austérité budgétaire brutale engagée en 2010, accentuée en 2011 et encore durcie en 2012 dans pratiquement tous les pays de la zone euro (à l’exception notable de l’Allemagne, tableau 1 et 1 bis) pèse lourdement sur l’activité en zone euro. En 2012, l’impulsion négative en zone euro, combinaison de hausses d’impôt ou de réduction du poids des dépenses dans le PIB, dépasse 1,5 point de PIB. Dans une situation budgétaire dégradée (de nombreux pays de la zone euro ont un déficit supérieur à 4 % en 2011) et afin de pouvoir continuer à emprunter à un coût raisonnable, la stratégie d’une réduction à marche forcée des déficits s’est imposée.

 

 

 

Cette stratégie s’est appuyée sur des annonces de retour au seuil de 3% pour l’année 2013 ou 2014 puis d’un déficit public nul dès 2016 ou 2017 pour une majorité de pays. Cependant, les objectifs sont apparemment trop ambitieux puisqu’aucun pays ne tiendrait ses objectifs pour l’année 2013. La raison en est que le ralentissement de l’activité compromet les rentrées de recettes fiscales nécessaires pour le rétablissement budgétaire. Une prise en compte trop optimiste des effets de la restriction budgétaire sur l’activité (ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire) conduit à se fixer des objectifs irréalistes et à constater que les prévisions de croissance du PIB doivent in fine être systématiquement revues à la baisse. La Commission européenne revoit ainsi ses prévisions de printemps de 0,7 point en baisse pour la zone euro en 2012 par rapport aux prévisions de l’automne 2011. Il existe pourtant aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés et ce d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (là encore, de nombreux auteurs rejoignent des analyses faites à l’OFCE). En sous-estimant la difficulté à  atteindre des cibles inaccessibles, les pays de la zone euro se sont enfermés dans une spirale où la nervosité des marchés financiers est le moteur d’une austérité toujours plus grande.

Le chômage augmente encore en zone euro alors même qu’il n’a pratiquement pas cessé d’augmenter depuis 2009. La dégradation cumulée de l’activité économique compromet aujourd’hui la légitimité du projet européen et le remède de cheval menace la zone euro de dislocation.

Que se passerait-il si la zone euro changeait de cap dès 2012 ?

Supposons que les impulsions budgétaires négatives soient de -0,5 point de PIB au lieu des -1,8 point prévu au total dans  la zone euro). Cet effort budgétaire moindre pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort est plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics.

Le tableau 2 résume le résultat de cette simulation. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays (tableau 2 bis) et ce d’autant plus que la restriction budgétaire annoncée pour 2012 est forte. Notre simulation tient compte également des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. Ainsi, l’Allemagne, qui ne change pas son impulsion budgétaire dans notre scénario, voit sa croissance supérieure de 0,8 point en 2012.


Dans le scénario « moins d’austérité », le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter. Dans tous les pays, sauf la Grèce, le déficit public serait réduit en 2012 par rapport à 2011. Certes, cette  réduction serait moindre que dans le scénario initial dans quelques pays, notamment ceux qui ont annoncé des impulsions négatives très fortes (l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal et … la Grèce) et qui sont ceux qui subissent le plus la défiance des marchés financiers. A l’inverse dans certains pays, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, le déficit public se réduirait plus que dans le scénario initial, l’effet indirect positif d’une croissance plus forte l’emportant sur l’effet direct d’une moindre rigueur budgétaire. Pour la zone euro dans son ensemble, le déficit public serait de 3,1 points de PIB contre 2,9 points dans le scénario initial. Une différence faible en regard d’une dynamique de croissance plus favorable (2,1 %) et d’une baisse du chômage (-1,2 point, tableau 2) au lieu d’une hausse dans le scénario initial.

La clef du scénario « moins d’austérité » est de permettre aux pays les plus en difficulté, et donc les plus contraints à une rigueur qui précipite leurs économies dans une spirale redoutable, d’adopter une réduction plus lente de leurs déficits. La zone euro est coupée en deux camps. D’un côté, il y a ceux qui réclament une austérité forte et brutale pour rendre crédible la soutenabilité des finances publiques et qui ont sous estimé ou ignoré délibérément les conséquences pour la croissance ; de l’autre, ceux qui, comme nous, recommandent moins d’austérité pour préserver plus de croissance et un retour au plein emploi. Les premiers ont failli : la soutenabilité des finances publiques n’est pas assurée et la récession et le défaut d’un ou plusieurs pays guettent. La seconde stratégie est la seule voie de retour à la stabilité sociale, économique mais aussi budgétaire puisqu’elle concourt à la soutenabilité des finances publiques par un meilleur équilibre entre restriction budgétaire et croissance et emploi, comme nous l’avons proposé dans une lettre au nouveau président de la République française.

 





A letter to President François Hollande

by Jérôme Creel, Xavier Timbeau and Philippe Weil [1]

Dear Mr. President,

France and the European Union are at a crucial economic juncture. Unemployment is high, the output loss to the financial crisis since 2008 has not been recovered and you have promised, in this dismal context, to eliminate French public deficits by 2017.

Your predecessor had committed to achieving the same objective a tad faster, by 2016, and a distinctive feature of your campaign has been your insistence that the major burden of the coming fiscal retrenchment be borne by the richest of taxpayers. These differences matter politically (you did win this election) but they are secondary from a macroeconomic viewpoint unless the long-run future of France and Europe depends on short-run macroeconomic outcomes.

In the standard macroeconomic framework, which has guided policy in “normal” and happier times, fiscal multipliers are positive in the short run but are zero in the long run where productivity and innovation are assumed to reign supreme. In such a world, giving your government an extra year to reduce public deficits spreads the pain over time but makes no difference in the long run. When all is said and done, austerity is the only way to reduce the debt to GDP ratio durably – and it hurts badly:

  • The fantasy that short-run multipliers might be negative has been dispelled: a fiscal contraction depresses economic activity unless you are a small open economy acting alone under flexible exchange rates and your own national central bank runs an accommodative monetary policy – hardly a description of today’s France. Since France 2012 is not Sweden 1992, the prospect of a rosier fiscal future is not enough to outweigh the immediate recessionary effects of a fiscal contraction.
  • To add insult to injury, if the financial crisis has lowered economic activity permanently (as previous banking or financial crises did, according to the IMF), public finances are now in structural deficit. To insure long-term debt sustainability, there is no way to escape fiscal restriction.
  • On top of this, the consensus now recognizes that short-run fiscal multipliers are low in expansions and high in recessions. As a result, accumulating public debt in good times and refraining from running deficits in order to control debt in bad times is very costly: it amounts to squandering precious fiscal ammunition when there is no enemy and to scrimping on it in the heat of combat.

It increasingly looks like, that we are living, since the financial crisis, in a “new normal” macroeconomic environnent in which fiscal multipliers are still positive in the short run but non-zero in the long run because of two conflicting effects:

  • A primal fear of French and European policy makers – fed by the outstanding historical work of Carmen Reinhardt and Kenneth Rogoff and the difficulties encountered by Italy, Spain or Greece to roll over their public debt – is that bad things might happen when the debt to GDP ratio steps over 90%. For instance, the sudden realization by investors that, past that level, there is no easy way to bring debt back to “normal” levels without inflation or outright default might lead to a rapid rise in sovereign interest rates. These high rates precipitate an increase in the debt to GDP ratio by raising the cost of servicing the debt and impose intensified deficit reduction efforts that further shrink GDP. Thus, crossing the 90% threshold might lead to a one-way descent into the abyss. This implies that fiscal contraction, although recessionary in the short run, is beneficial in the long run. Fiscal pain now is thus an evil necessary for long-run prosperity and debt sustainability. According to this narrative, we may survive – but only if we stop dancing right away.
  • An opposite danger is that fiscal contraction now – in a context of public finances damaged (except for Greece) not by fiscal laxity but by the slowdown in economic activity engendered by the financial crisis since 2008 – might cause a social, political and economic breakdown or durably destroy productive capacity. Fiscal contraction is thus recessionary both in the short run and in the long run. Short-run fiscal expansion is then a necessary condition for long-run prosperity and debt sustainability. In this narrative, we may survive – but only if we keep dancing!

The advisability of your proposal to reduce the public deficits to zero by 2017 depends, Mr. President, on which of these two dangers is the most intense or the most difficult to thwart. Should you be more concerned that loose fiscal policy may hurt long-run growth by increasing the cost of debt service, or should you fear instead first and foremost that strict fiscal policy may harm output durably by leading to social unrest or by reducing productive capacity?

To answer these portentous questions, whose answer is not a matter of ideology or of economic paradigm, we urge you to look at the evidence:

  • The sovereign rating of countries with large deficits and debts, like the US and the UK, has been downgraded without any adverse effect on interest rate. This suggests that markets understand, seemingly better than policymakers, that the key problem with EU public finances nowadays is not deficits and debt per se but the governance of the euro zone and its fiscal and monetary policy mix. With a lender of last resort – the euro zone has none –, managing a national debt crisis would be easy and straightforward. The counter-argument that it would lead the ECB to monetize public debts, in sharp contrast with the statutes of this institution and its duty to reach price stability, is invalid: the ex-ante ability to monetize debt would reduce risk premia by eliminating self-fulfilling runs on national debts.
  • Ugo Panizza and Andrea Presbitero have shown that there is no convincing historical evidence that debt reduction leads to higher economic growth. Hence the statement that public debt reduction is a prerequisite to economic growth is at worse an assumption, at best a correlation, but in any case not a causal relation supported by data.
  • Twenty years of Japanese stagnation remind us that deflation is a deadly and durable trap. Under-activity pushes prices down slowly but surely. Paul Krugman and Richard Koo have shown how real expected interest rates feed a spiralling of deleveraging when deflation locks into prices expectation. If deleveraging extends to the banking sector, it adds a credit squeeze to the contraction.
  • One of the pernicious drawbacks of fiscal austerity is the destruction of human capital by long unemployment spells. Young cohorts entering now on the job market will undergo a problematic start and may never recover. The longer unemployment remains over its natural rate, the larger the frustration stemming from a bleak future will grow.
  • Beyond human capital, firms are the place where all sorts of capital are accumulated, ranging from social capital to immaterial assets such as R&D. Philippe Aghion and others have argued that this channel links short-term macroeconomic volatility to long-term growth potential. Moreover, in a competitive world, underinvestment in private R&D impairs competitiveness. Hence, austerity, by making output more volatile, has a negative long-term impact.
  • What is true for private immaterial assets is even truer for public assets, that is to say assets that generate flows of public goods that individual incentives fail to produce. Typically, so-called golden rules neglect such assets which are by their very nature hard to measure. As a result, the pursuit of quick deficit reduction is usually carried out at the expense of investment in assets which have a high social profitability and are essential to ensure a smooth transition to a low carbon economy.

Drawing on these facts, please let us suggest you a four-pronged strategy:

  1. You should argue that fiscal austerity is bad for both short-term and long-term growth and remind Mrs. Merkel that, as a result, it should be handled with the utmost care.
  2. Slowing down the pace at which austerity is imposed on EU countries is vital – both to reduce unemployment in the short-run and to maintain the long-run prosperity without which the reduction of debt-to-GDP ratios will be impossible.
  3. You should acknowledge that the fears of your predecessor were well-founded: in the absence of a lender of last resort or without debt mutualization, slowing down austerity does expose sovereign debt to the risk of rising interest rates by provoking the self-fulfilling anxiety of creditors. But the experience of the US shows that the best way to deal with this danger is to have a full-fledged central bank that can act as a lender of last resort. The Maastricht Treaty should be amended fast in that dimension. Endowing the ECB with growth as a second mandate is not essential.
  4. Mrs. Merkel is right that allowing the ECB to bail out States is a sure recipe for moral hazard. You should therefore agree, as a complement of the modification of ECB statutes, with her insistence that a Fiscal Compact governs Europe but you should strive for a Smart Fiscal Compact. This Smart Fiscal Compact should aim at enforcing the sustainability of public finances in a world where the long run is not given but depends on the short-run fiscal stance. It should draw its strength from legitimate European political institutions endowed with the power to control and enforce the commitment of each country to fiscal discipline. This task will require pragmatism and evidence-based economic policy – rather than budgetary numerology and simple-minded rules.

Failing to reduce deficits in Europe may end in a debacle. However, reducing them cold turkey is a sure recipe for disaster. Believing that old tricks like deregulating job markets will bring back economic growth lost in the recession is delusional, as the ILO warned in its last report. The possibility of brutal switches in economic or social trends rules out half-measures. The creeping build-up of long-term disequilibria requires prompt and decisive action in the short run. What is true for France is even truer for our main neighbors: the whole EU needs room for maneuver, and it needs it fast for the sake of its future.

Yours faithfully.

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[1] Jérôme Creel is deputy director of the Research Department, Xavier Timbeau is director of the Analysis and Forecasting Department, and Philippe Weil is president of OFCE.




Négocions un signal-prix mondial du carbone, et vite !

par Stéphane Dion [1] et Éloi Laurent

Vingt ans après la Conférence de Rio, et alors qu’une nouvelle conférence sur le climat s’ouvre à Bonn lundi 14 mai 2012, un constat d’échec s’impose sur le front de la lutte contre les changements climatiques induits par l’activité humaine. Nous ne pourrons pas échapper à un grave dérèglement du climat si nous continuons de la sorte. Il nous faut changer de direction, et vite. 

L’Agence internationale de l’Énergie prévoit un réchauffement de plus de 3.5° C à la fin du 21e siècle si tous les pays respectent leurs engagements, et de plus de 6° C s’ils se limitent à leurs politiques actuelles. À ce niveau de réchauffement, la science du climat nous prévient que notre planète deviendra bien moins hospitalière pour les humains et moins propice à toutes les formes de vie.

À la Conférence de Durban de décembre 2011, les pays ont exprimé leur vive inquiétude quant à l’écart entre leurs propres engagements et l’atteinte de l’objectif de limiter le réchauffement en-deçà de 2° C (par rapport à l’ère pré-industrielle). Ils ont promis de redoubler d’effort en vue d’abolir cet écart. Pourtant, ils ne se sont pas engagés à atteindre des cibles plus contraignantes. Nous faisons dès lors face à une distance de plus en plus insoutenable entre l’urgence de l’action et l’inertie des négociations mondiales.

Les pays développés refusent de renforcer leurs politiques climatiques tant que les autres grands émetteurs n’en feront pas autant. Mais les pays émergents, en particulier la Chine et l’Inde, avec des taux de croissance annuelle de leur produit intérieur brut de 8 à 10 %, n’accepteront pas, dans un avenir prévisible, de cibles de réduction en volume de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces pays pourraient en revanche être plus ouverts à l’idée de prélever un prix sur la tonne de CO2, harmonisé au plan mondial, dont le revenu leur appartiendrait, et auquel leurs compétiteurs économiques seraient eux aussi astreints.

Selon nous, le meilleur instrument de coordination internationale qu’il faille établir pour lutter contre les changements climatiques est ce signal-prix mondial du carbone. C’est pourquoi nous proposons de concentrer les négociations à venir sur cet objectif essentiel.

Voici ce que nous proposons (voir le détail, en version française http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2012-15.pdf et anglaise) : chaque pays s’engagerait à instaurer, sur son territoire, un prix du carbone aligné sur une norme internationale validée par la science, en vue d’atteindre, ou du moins, de nous rapprocher le plus possible, de l’objectif de plafonnement du réchauffement planétaire à 2° C. Chaque pays choisirait de prélever ce prix par la fiscalité ou par un système de plafonnement et d’échange de permis d’émissions (un « marché du carbone »).

Les gouvernements seraient libres d’investir à leur gré les revenus issus du paiement du prix pour les rejets de carbone et de l’abolition correspondante des subventions aux énergies fossiles. Ils pourraient, par exemple, investir dans la recherche-développement en matière d’énergies propres, dans les transports en commun, etc. Ils pourraient aussi choisir de corriger les inégalités sociales dans l’accès à l’énergie.

Les pays développés auraient l’obligation de réserver une partie de leurs revenus pour aider les pays en voie de développement à instaurer des politiques d’atténuation, d’adaptation et de création de puits de carbone (reforestation, par exemple). L’apport respectif de chaque pays développé serait proportionnel à ce que représentent ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’ensemble des émissions de tous les pays développés.

En vertu de cet accord international, les pays auraient le droit de taxer, aux frontières, les produits en provenance d’un pays qui n’aurait pas établi un prix du carbone conforme à la norme internationale. Le message serait clair pour tous les grands émetteurs : si vous ne prélevez pas un prix carbone sur vos produits avant de les exporter, les autres pays le feront à votre place, et ce sont eux qui en tireront des revenus. Chaque pays verrait ainsi que son intérêt commercial est de se conformer à l’accord international, à tarifer ses propres émissions et à utiliser comme il l’entend les revenus qu’il en tirerait.

Ainsi, le monde serait doté à temps d’un instrument essentiel à son développement soutenable. Les émetteurs de carbone seraient enfin obligés d’assumer le coût environnemental de leurs actions. Les consommateurs et les producteurs seraient incités à choisir les biens et les services à plus faible teneur en carbone et à investir dans de nouvelles technologies qui réduisent leur consommation d’énergie et leurs émissions polluantes.

Nous devons négocier ce signal-prix mondial du carbone, et vite. Quel meilleur endroit pour engager cette démarche qu’à Rio, là-même où le problème du changement climatique a été reconnu par la communauté internationale voilà 20 ans ? 


[1] Stéphane Dion est député à la Chambre des Communes du Canada ; ancien ministre de l’Environnement du Canada, il a présidé la 11e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, tenue à Montréal en 2005 (COP 11).




Italie : le défi de Mario Monti

par Céline Antonin

Dès son arrivée au pouvoir, le 12 novembre 2011, l’objectif de Mario Monti était explicite et s’articulait autour du triptyque : rigueur budgétaire, croissance et équité. Réussira-t-il à relever le défi ?

Mario Monti a succédé à Silvio Berlusconi alors que la défiance des investisseurs vis-à-vis de l’Italie ne cessait de croître, comme en attestaient le creusement de l’écart de taux obligataire avec l’Allemagne et la forte augmentation des prix des CDS.

 


Pour remplir son premier objectif de rigueur budgétaire, l’une des premières mesures du gouvernement a été l’adoption d’un plan d’austérité en décembre 2011, chiffré à 63 milliards d’euros sur 3 ans. Ce plan, le troisième de l’année, portant le nom évocateur de Salva Italia (Sauver l’Italie), a pour but de revenir à un quasi-équilibre des finances publiques dès 2013 (voir « Italie : le pari de Mario Monti »).

Quant au deuxième objectif, celui de restaurer la croissance et de renforcer la compétitivité du pays, il apparaît dans le plan « Croissance de l’Italie » (Cresci Italia) adopté par le Conseil des ministres le 20 janvier 2012 dans des conditions houleuses. Outre une simplification des procédures administratives (procédures d’appels d’offre, création d’entreprises, passage au numérique, …) et des libéralisations dans les professions réglementées, l’énergie, les transports, et les assurances, ce plan prévoit des réformes complémentaires, concernant notamment la flexibilité du marché du travail. Autant les mesures de rigueur ont été adoptées facilement, autant ce deuxième plan a été assez mal accueilli, notamment les discussions autour des modifications de l’article 18 du Code du travail qui confère aux employés et aux ouvriers dans les entreprises de plus de quinze salariés une protection contre les licenciements.

Enfin, sur le plan de l’équité, les progrès sont encore timides, notamment en matière de lutte contre l’évasion fiscale et contre l’économie souterraine.

La population sait que les mesures seront douloureuses : le quotidien économique Il Sole 24 Ore a ainsi annoncé que l’augmentation annuelle des impôts pour une famille moyenne vivant en Lombardie atteindrait 1 500 euros par an, et presque 2 000 euros pour une famille du Latium. Pourtant la population italienne a jusqu’à présent fait montre d’un grand sens de l’intérêt national, acceptant avec résignation la cure d’assainissement budgétaire. Quant aux marchés financiers, ils ont dans un premier temps relâché la pression sur le pays, l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne passant de 530 à 280 points de base entre début janvier et mi-mars 2012. L’action de Mario Monti n’est pas la seule explication : grâce au rachat de titres obligataires fin 2011 et aux deux opérations de refinancement du système bancaire à 3 ans (LTRO) pour un montant total de 1 000 milliards d’euros, dont ont largement profité les banques italiennes, la BCE a activement participé à cette détente des taux. En outre, la réussite du plan d’échange de la dette grecque avec les créanciers privés a également contribué à détendre les taux.

La situation n’en demeure pas moins fragile et volatile : il a suffi que l’Espagne montre des signes de faiblesse budgétaire pour que l’Italie pâtisse de la méfiance, que l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne se creuse à nouveau, atteignant 400 points de base début mai 2012 et que les primes sur CDS se remettent à progresser (graphique).

Quelles sont donc les perspectives pour les deux années à venir ? Après une récession entamée en 2011, avec deux trimestres de croissance négative, l’Italie devrait connaître une année 2012 difficile, avec une forte contraction du PIB de 1,7 %, conséquence des trois plans de rigueur votés en 2011. Cet effet se poursuivrait en 2013, avec une nouvelle contraction du PIB de -0,9 %[1]. En l’absence de mesure de rigueur supplémentaire, elle réduirait son déficit, mais moins qu’escompté en raison de l’effet multiplicateur : le déficit atteindrait 2,8 % du PIB en 2012, et 1,7 % en 2013, soit un rythme de réduction des déficits inférieur à son engagement qui prévoit de revenir à l’équilibre en 2013.


[1] Le FMI donne une prévision plus pessimiste pour 2012, avec -1,9 % de croissance en 2012 et plus optimiste pour 2013, avec -0,3 %.




Compétitivité et développement industriel : les difficultés du couple franco-allemand

Jean-Luc Gaffard

L’obsession de la compétitivité revient sur le devant de la scène avec la campagne électorale. Elle traduit une réalité : les entreprises françaises souffrent effectivement d’une perte de compétitivité qui explique la dégradation du commerce extérieur depuis presque une décennie. Cette perte est manifeste vis-à-vis des pays émergents et explique les délocalisations. Elle est également effective vis-à-vis d’entreprises appartenant à d’autres pays développés, principalement au sein de la zone euro et, singulièrement, vis-à-vis des entreprises allemandes. Cette dernière est d’autant plus grave qu’elle met en cause la cohérence de la construction européenne (cf. OFCE, note n°19  : Compétitivité et développement industriel : un défi européen).

L’écart de compétitivité qui s’est créé avec l’Allemagne est, à l’évidence, un écart de compétitivité-hors prix dont l’une des raisons d’être est la supériorité de son modèle industriel caractérisé par le maintien d’un tissu local fait d’entreprises de toutes tailles centrées sur leur cœur de métier et la fragmentation internationale de la production. Ce modèle est particulièrement adapté au développement d’entreprises s’adressant à des marchés mondiaux et prémunit largement le pays d’origine de ces entreprises du risque de désindustrialisation.

Ce serait, cependant, une erreur que d’ignorer qu’il s’est également produit une évolution défavorable de la compétitivité-prix du fait, à la fois, des réformes du marché du travail en Allemagne, qui ont abaissé relativement le coût salarial, et des stratégies de segmentation de leur production et de délocalisation des segments intermédiaires qui ont également permis une baisse des coûts de production.

Ainsi l’Allemagne est parvenue à la quasi stabilisation de ses parts de marché à l’exportation au niveau mondial grâce à leur augmentation réalisée dans l’Union européenne (+1,7% au cours des années 2000) et plus encore dans la zone euro (+2,3%), quand la France a perdu des parts de marché dans ces mêmes zones (respectivement 3,1% et 3,4%).

La France a subi deux évolutions peu favorables à son industrie. Le tissu des PME industrielles s’est délité. Celles-ci ont souffert moins de barrières à l’entrée que de barrières à la croissance.  Leurs managers ont trop souvent été enclins ou incités à les céder à de grands groupes plutôt que d’en assurer la croissance. L’absence de partenariat véritable avec ces groupes en est l’une des causes en même temps que les difficultés rencontrées auprès des banques et des marchés pour obtenir un financement pérenne. De leur côté, les grandes entreprises industrielles, qu’elles soient présentes sur une multitude de marchés locaux ou sur des marchés internationaux, ont fait le choix de la croissance externe et d’un éparpillement territorial de leur implantation ainsi que de celle de leurs fournisseurs d’équipements ou de services. Cette stratégie, conçue pour répondre au déplacement géographique de la demande, mais aussi pour faire droit à des impératifs de rentabilité immédiate exigée par un actionnariat volatile, s’est faite, en partie, au détriment du développement de tissus productifs locaux. Elle a été réalisée grâce un vaste mouvement de fusions et acquisitions mobilisant des compétences avant tout financières. Les institutions financières se sont, de leur côté, converties au modèle de banque universelle, délaissant en partie leurs métiers traditionnels de banque de crédit mais aussi de banque d’affaires. Ces évolutions concomitantes  se sont révélées désastreuses pour la compétitivité de l’ensemble, d’autant que dans le même temps les coûts salariaux horaires dans l’industrie augmentaient.

Rétablir la compétitivité des entreprises françaises et favoriser, ainsi, une ré-industrialisation du territoire repose alors sur une double exigence. La première est de permettre une maîtrise immédiate des coûts salariaux et le rétablissement des taux de marge, notamment au moyen de mesures fiscales impliquant de réviser le mode de financement d’une partie de la protection sociale. La deuxième exigence est de peser en faveur d’une réorganisation industrielle impliquant la constitution d’un tissu de relations stables entre les différents acteurs du processus industriel, notamment au moyen d’aides conditionnées à la coopération entre grandes et petites entreprises au sein des pôles de compétitivité.

Cet effort à moyen terme restera largement vain si des politiques coopératives ne sont pas mises en œuvre à l’échelle de l’Europe, qui relèvent aussi bien de la stimulation de l’offre grâce à la mise en œuvre de programmes de développement technologique que du soutien des demandes internes là où elles sont manifestement insuffisantes au regard des capacités de production.




Plaidoyer pour un pacte de croissance : beaucoup de bruit pour cacher un désaccord persistant

par Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno

L’insistance mise sur la nécessité de compléter la rigueur budgétaire par des mesures susceptibles de relancer la croissance, pour une part induite par le débat électoral en France, est une bonne nouvelle, entre autre parce qu’elle représente la tardive reconnaissance que l’austérité est en train d’imposer un prix trop élevé aux pays du sud de l’Europe.

Cependant, invoquer la croissance n’a rien de nouveau et peut rester sans contenu réel. Déjà à la suite d’une intervention du gouvernement français, le pacte de stabilité était devenu en 1997 le pacte de stabilité et de croissance. Sans véritable conséquence sur la nature d’une stratégie tout entière tournée vers l’application de règles strictes en matière monétaire et budgétaire et la recherche de davantage de flexibilité dans le fonctionnement des marchés.

La semaine dernière, Mario Draghi, ou encore Manuel Barroso et Mario Monti se sont montrés inquiets par la récession enregistrée notamment en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, mais aussi soucieux de répondre formellement à la demande qui pourrait venir du nouveau gouvernement français. Aussi plaident-ils pour que soit négocié un pacte de croissance, mais en prenant soin de rappeler qu’il doit consister dans un engagement commun à effectuer les réformes structurelles là où elles n’ont pas encore été faites. Cette position rappelle la lettre de onze premiers ministres, aux autorités européennes  en février dernier. Autrement dit, rien ne change dans la doctrine qui commande les choix de politique économique en Europe : la croissance ne peut être obtenue que par des reformes structurelles notamment des marchés du travail.

Cette position est pourtant doublement critiquable. Il n’est pas sûr, en premier lieu, que ces réformes structurelles soient efficaces, à moins d’être utilisées dans un esprit non coopératif pour améliorer la compétitivité du pays qui s’y livre au détriment de ses partenaires commerciaux, comme a pu le faire l’Allemagne avec les réformes Hartz. En second lieu, des réformes généralisées, y compris lorsqu’elles sont justifiées en termes de croissance de long terme, auraient dans un premier temps un impact récessif sur la demande[1], et donc sur l’activité. Elles ne peuvent donc répondre à ce qui est une exigence immédiate et prioritaire, à savoir enrayer la récession en train de se généraliser.

Le véritable défi auquel sont confrontés les Européens est bien de concilier le court et le long terme. La solution proposée jusqu’ici, une austérité budgétaire généralisée qui rétablirait la confiance des acteurs privés, et que viendraient compléter ces réformes structurelles censées augmenter le taux de croissance potentiel, ne marche simplement pas. Le prouvent les évolutions observées en Grèce, mais aussi au Portugal et en Irlande, élèves modèles des plans de sauvetage européens, ainsi qu’en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne. Les multiplicateurs budgétaires restent fermement keynésiens (voir Christina Romer, et Creel, Heyer et Plane), et les effets dits « non-keynésiens » sur les anticipations sont limités ou inexistants.

La croissance ni ne se décrète ni ne s’établit instantanément, contrairement à la spirale déflation-austérité dans laquelle s’enlisent aujourd’hui de plus en plus de pays européens.

Elle n’a de chances de se concrétiser que si la consolidation budgétaire n’est ni immédiate ni drastique. En fait, si la consolidation imposée aux pays en difficulté est étalée dans le temps (au delà de l’horizon 2013 qui sera en tout état de cause impossible à atteindre) et si une  politique budgétaire plus expansionniste est conduite dans les pays en mesure de le faire de manière à ce que, au niveau européen, l’effet global soit au moins neutre ou mieux expansionniste. Cette stratégie  ne serait pas forcément sanctionnée par les marchés qui ont montré dans un passé récent qu’ils étaient sensibles à l’exigence de croissance. Dans le cas contraire, des mesures devraient être prises par la BCE pour échapper à la contrainte qu’ils exercent. Ce soutien à court terme doit s’accompagner d’un effort substantiel à moyen terme d’investissement réalisé dans le cadre de programmes industriels européens financés par l’émission d’euro-obligations, et donc par un budget européen enfin de taille appropriée aux tâches de l’Union. Cette façon d’articuler et coordonner les choix à court et moyen terme serait un pas important vers la mise en place d’une structure fédérale seule à même de permettre la résolution de la question européenne.

 


[1] R.M. Solow, Introduction à Solow R.M. Ed. (2004) Réformes structurelles et politique macroéconomique, Paris : Economica (Traduction de Structural Reforms and Macroeconomic Policy, London : Macmillan).

 

 




Classes moyennes : peurs infondées ou réelles difficultés?

par Louis Chauvel

L’expression « classes moyennes » fait partie de ces notions des sciences sociales propices à la controverse par la complexité même de leur définition, de leur dynamique et du débat politique qu’elles suscitent. Que des diagnostics forts divergents puissent s’y attacher n’est donc pas pour nous surprendre. Dans une note de l’OFCE – où une définition plurielle des classes moyennes est proposée [1] – nous revenons sur plusieurs dimensions du malaise social de ces groupes sociaux souvent vus comme relativement protégés, pour tenter d’en saisir les fondements objectifs.

Deux thèses sont ici en effet en présence :
– d’une part, la thèse du maintien des classes moyennes dans leur statut de naguère, de l’affermissement de la protection dont elles jouissent et de leur ascension économique confirmée [2] – une thèse qui rend paradoxale la « peur de déchoir » qui les anime ;
– d’autre part, la thèse de la remontée objective de problèmes sociaux, naguère confinés dans les classes populaires (employés et ouvriers, deux groupes sociaux dont les salaires horaires sont semblables) mais dont la diffusion par capillarité est de moins en moins endiguée [3].
Ainsi, des tenants de la thèse optimiste, celle du maintien, affirment que « contrairement aux idées reçues », le déclassement des classes moyennes est une « fiction », ce groupe social « incarnant à la fois une ‘France qui tient’ et une ‘France qui monte’ » (Goux et Maurin). Ainsi, la peur de déchoir serait une réaction psychologique des classes moyennes sans cause réelle.
Dans cette note qui soutient une autre thèse, nous revenons sur plusieurs dimensions de ce diagnostic pour saisir les fondements objectifs de ce malaise des classes moyennes. Nous montrons ainsi que des difficultés croissantes des catégories populaires – par exemple le risque de chômage – remontent en effet progressivement au sein des classes moyennes intermédiaires, dont on ne peut plus dire qu’elles sont protégées. Il s’agit d’un élément de la « théorie du morceau de sucre au fond d’une tasse de café » : si la partie supérieure et moyenne de la société semblent toujours intactes, l’érosion continue, progressant par capillarité de la partie immergée la menace d’une dégradation inévitable, si rien n’est fait.

Le niveau de vie relatif des classes moyennes intermédiaires a connu son apogée à la fin des Trente glorieuses : depuis la fin de cet âge d’or, la stagnation des salaires et des revenus, la réduction des écarts salariaux avec les classes populaires en emploi (voir graphique), le risque inédit de chômage, l’expansion numérique des diplômes située très au-delà des places disponibles dans les professions intermédiaires, le déclassement scolaire qui s’ensuit, etc. ont été autant de dimensions problématiques analysées dans cette note soulignant l’existence d’un malaise bien réel. Ainsi, il est possible de montrer que, du point de vue des diplômes, la population des classes moyennes intermédiaires est de plus en plus constituée d’une part de cadres potentiels (par leur niveau de diplôme) ayant manqué leur entrée véritable dans les classes moyennes supérieures, faute de places en nombre suffisant, et d’autre part de survivants d’une concurrence exacerbée, témoins de la rétrogradation d’un nombre croissant de personnes de même niveau de diplôme tombées dans les classes populaires.

Dans cette note, nous nous interrogeons donc sur les causes de la déstabilisation du projet de « civilisation de classe moyenne » (Alexandre Koyré) qui avait vu le jour dans le contexte de croissance et de modernité des années 1960 à 1980. La dynamique sociale correspondante n’était pas simplement fondée sur l’expansion numérique des classes moyennes, mais aussi sur un projet social et politique cohérent, aujourd’hui déstabilisé. Quels sont les moyens de renouer avec cette dynamique ? Comment sortir d’un cercle vicieux où, à mesure que les catégories moyennes se désagrègent, nous développons des politiques ciblées sur les catégories les plus en difficulté sans voir qu’elles se nourrissent de la chute de groupes naguère mieux situés et que nous n’avons pas soutenus ? La réponse se situe dans l’investissement productif dans des secteurs porteurs d’avenir de long terme. Faute de comprendre les causes réelles du malaise des classes moyennes et d’en traiter la racine objective, nous pourrions bien nous préparer à une décennie problématique.
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[1] Les classes moyennes sont définies dans leur pluralité entre des classes moyennes supérieures qui s’apparentent aux « cadres et professions intellectuelles supérieures », de l’ordre de 10 % des ménages, et des classes moyennes intermédiaires, qui correspondent aux 20 % situés immédiatement en dessous, proches donc des professions intermédiaires définies par l’INSEE.
[2] D. Goux et E. Maurin, 2012, Les nouvelles classes moyennes, Seuil, Paris. Ces idées sont pour la plupart déjà présentes dans S. Bosc, 2008, Sociologie des classes moyennes, La Découverte.
[3] L. Chauvel, 2006, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, Paris.

 

 




The financial markets: Sword of Damocles of the presidential election

By Céline Antonin

Although some of the candidates may deny it, the financial risk linked to the fiscal crisis in the euro zone is the guest of honour at the presidential campaign. As proof that this is a sensitive issue, the launch in mid-April of a new financial product on French debt crystallized concerns. It must be said that this took place in a very particular context: the Greek default showed that the bankruptcy of a euro zone country had become possible. Despite the budgetary firewalls in place since May 2010 (including the European Financial Stability Fund), some of France’s neighbours are facing a lack of confidence from the financial markets, which is undermining their ability to meet their commitments and ensure the fiscal sustainability of their government debt, the most worrying example to date being Spain. What tools are available to speculators to attack a country like France, and what should be feared in the aftermath of the presidential election?

The tool used most frequently for speculation on a country’s public debt is the Credit Default Swap, or CDS. This contract provides insurance against a credit event, and in particular against a State’s default (see the “Technical functioning of CDS” annex for more detail). Only institutional investors, mainly banks, insurance companies and hedge funds, have direct access to the CDS market on sovereign States [1].

Credit default swaps are used not only for coverage, but also as an excellent means of speculation. One criticism made of the CDS is that the buyer of the protection has no obligation to hold any credit exposure to the reference entity, i.e. one can buy CDS without holding the underlying asset (“naked” purchase/sale). In June 2011, the CDS market represented an outstanding notional amount of 32,400 billion dollars. Given the magnitude of this figure, the European Union finally adopted a Regulation establishing a framework for short-selling: it prohibits in particular the naked CDS on the sovereign debt of European States, but this will take effect only on 1 November 2012.

The FOAT: new instrument for speculation on French debt?

This new financial instrument, introduced by Eurex on April 16 [2], is a futures contract, that is to say an agreement between two parties to buy or sell a specific asset at a future date at a price fixed in advance. The specific asset in this case is the French Treasury OAT bond, with a long residual maturity (between 8.5 and 10.5 years) and a coupon of 6%, ​​and it has a face value of 100,000 euros. Should we worry about the launch of this new contract on the eve of the presidential election? Not when you consider that the launch of the FOAT addresses the gap in yields between German and French bonds that has arisen since the recent deterioration of France’s sovereign rating: previously, as German and French bond yields were closely correlated, the FOAT on German bonds allowed coverage of both German and French bond risks. After the gap in yields between the two countries widened, Eurex decided to create a specific futures contract for French bonds. Italy witnessed this same phenomenon: in September 2009, Eurex also launched three futures contracts on Italian government bonds [3]. In addition, Eurex is a private market under German law, and is much more transparent than the OTC market on which CDS are traded. Note that the FOAT launch was not very successful: on the day it was launched, only 2,581 futures contracts were traded on French bonds, against 1,242,000 on German bonds and 13,671 on Italian bonds [4].

Even if, as with the CDS, the primary function of the FOAT is to hedge against risk, it can also become an instrument for speculation, including via short selling. While speculation on French debt was previously limited to large investors, with an average notional amount of 15 billion euros per CDS [5], the notional amount of the new FOAT contract is 100,000 euros, which will attract more investors into the market for French debt. If speculators bet on a decline in the sustainability of France’s public finances, then the price of futures contracts on the OAT bonds will fall, which will amplify market movements and result in higher interest rates on OAT contracts.

The not so rosy future?

It is difficult to predict how the financial markets will behave in the wake of the French presidential election. Studying what has happened in other euro zone countries is not very informative, due to each one’s specific situation. The country most “comparable” to France would undoubtedly be Italy. However, the appointment of Mario Monti in November 2011 took place in an unusual context, where the formation of a technocratic government was specifically intended to restore market confidence through a strenuous effort to reduce the deficit, with Italy also benefitting from the ECB’s accommodative policy.

The French budgetary configuration is different, as the financial imperative appears only in the background. The candidates of the two major parties both advocate the need to restore a balanced budget. Their timetables are different (2016 for Nicolas Sarkozy’s UMP, 2017 for François Hollande’s PS), as are the means for achieving this: for Sarkozy, the focus will be more on restraint in public spending (0.4% growth per year between 2013 and 2016, against 1.1% for the PS), while Hollande emphasizes growth in revenue, with an increase in the tax burden of 1.8% between 2012 and 2017 (against 1% for the UMP).

But this is not the heart of the matter. What is striking, beyond the need to reduce public deficits in the euro zone countries, is the fact that our destinies are inextricably linked. As is shown by the graph on changes in bond yields in the euro zone (Figure 2), when the euro zone is weakened, all the countries suffer an impact on their risk premium relative to the United States and the United Kingdom, although to varying degrees. It is therefore unrealistic to think about France’s budget strategy and growth strategy outside of a European framework. What will prevent the financial markets from speculating on a country’s debt is building a Europe that is fiscally strong, has strict rules, and is supported by active monetary policy. This construction is taking place, but it is far from complete: the EFSF does not have sufficient firepower to help countries in difficulty; the growth strategy at the European level agreed at the summit of 2 March 2012 needs to be more comprehensive; and the ECB needs to pursue an active policy, like the Fed, which specifically requires a revision of its statutes. As was pointed out by Standard and Poor’s when it announced the downgrade of the French sovereign rating last December, what will be watched closely by the financial markets is the fiscal consistency of the euro zone. On 6 May 2012, what attitude will the next President then take vis-à-vis the construction of the budget and how able will he be to assert his position in the euro zone – this will determine the future attitude of the financial markets, not only vis-à-vis France, but also vis-à-vis every euro zone country.

Annex: Technical functioning of Credit Default Swaps

The contract buyer acquires the right to sell a benchmark bond at its face value (called the “principal”) in case of a credit event. The buyer of the CDS pays the seller the agreed amounts at regular intervals, until maturity of the CDS or the occurrence of the credit event. The swap is then unwound, either by delivery of the underlying instrument, or in cash. If the contract terms provide for physical settlement, the buyer of the CDS delivers the bonds to the seller in exchange for their nominal value. If the CDS is settled in cash, the CDS seller pays the buyer the difference between the nominal amount of the buyer’s bonds and the listed value of the bonds after the credit event (recovery value), in the knowledge that in this case the buyer of the CDS retains its defaulted bonds. In most cases, the recovery value is determined by a formal auction process organized by the ISDA (International Swaps and Derivatives Association). The annual premium that the bank will pay to the insurance company for the right to coverage is called the CDS spread and constitutes the value listed on the market: the higher the risk of default, the more the CDS spread increases (Figure 1). In reality, as the banks are both the buyers and sellers of protection, the spread is usually presented as a range: a bank can offer a range from 90 to 100 basis points on the risk of a French default. It is thus ready to buy protection against the risk of default by paying 90 basis points on the principal but it demands 100 to provide that protection.

To illustrate this, consider the following example. On 7 May 2012, a bank (buyer) signs a CDS on a principal of 10 million euros for five years with an insurance company (seller). The bank agrees to pay 90 basis points (spread) to protect against a default by the French State. If France does not default, the bank will receive nothing at maturity, but will pay 90,000 euros annually every 7 May for the years 2012-2017. Suppose that the credit event occurs on 1 October 2015. If the contract specifies delivery of the underlying asset, the buyer has the right to deliver its French bonds with a par value of 10 million euros and in exchange will receive 10 million euros in cash. If a cash settlement is expected, and if the French bonds are now listed only at 40 euros, then the insurance company will pay the bank 10 million minus 4 million = 6 million euros.


[1] Individuals can play on the markets for corporate CDS via trackers (collective investment in transferable securities that replicates the performance of a market index).

[2] The Eurex was created in 1997 by the merger of the German futures market, Deutsche Termin-Borse (DTB), and the futures market in Zurich, the Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), to compete with the LIFFE. It belongs to Deutsche Börse and dominates the market for long-term financial futures.

[3] In September 2009 for bonds with long residual maturities (8.5 to 11 years), October 2010 for bonds with short residual maturities (2 to 3.25 years) and July 2011 for bonds with average residual maturities (4.5 to 6 years).

[4] Note that this comparison is biased due to the fact that there are 4 types of futures contracts on German debt, 3 on Italian debt and only 1 on French debt.

[5] Weekly data provided by the DTCC for the week of 9 to 13 April 2012 on CDS on French sovereign debt: the outstanding notional amount came to 1,435 billion dollars, with 6822 contracts traded.

 

 




The misfortunes of virtue*

By Christophe Blot

* This text summarizes the outlook produced by the Department of Analysis and Forecasting for the euro zone economy in 2012-2013, which is available in French on the OFCE web site

The euro zone is still in crisis: an economic crisis, a social crisis and a fiscal crisis. The 0.3% decline in GDP in the fourth quarter of 2011 is a reminder that the recovery that began after the great drop of 2008-2009 is fragile and that the euro zone has taken the first step into recession, which will be confirmed in early 2012.

The fall in the average long-term government interest rate in the euro zone seen since the beginning of the year has come to a halt. After reaching 3.25% on 9 March, it rose again due to new pressures that emerged on Italian and Spanish rates. Indeed, despite the agreement to avoid a default by Greece, Spain was the source of new worries after the announcement that its budget deficit had reached 8.5% in 2011 – 2.5 points above the original target – and the declaration that it would not meet its commitments for 2012, which has reinforced doubts about the sustainability of its debt. The Spanish situation illustrates the close link between the macroeconomic crisis and the sovereign debt crisis that has hit the entire euro zone. The implementation of fiscal adjustment plans in Europe, whose impact is being amplified by strong economic interdependence, is causing a slowdown or even a recession in various euro zone countries. The impact of synchronized restrictions is still being underestimated, to such an extent that governments are often being assigned targets that are difficult to achieve, except by accepting an even sharper recession. So long as the euro zone continues to be locked in a strategy of synchronized austerity that condemns in advance any resumption of activity or reduction in unemployment, the pressure will not fail to mount once again in 2012. Long-term public interest rates in the euro zone will remain above those of the United States and the United Kingdom (see the figure), even though the average budget deficit was considerably lower in 2011 in the euro zone than in these two countries: 3.6% against 9.7% in the US and 8.3% in the UK.

To pull out of this recessionary spiral, the euro zone countries need to recognize that austerity is not the only way to reduce budget deficits. Growth and the level of interest rates are two other factors that are equally important for ensuring the sustainability of the public debt. It is therefore urgent to set out a different strategy, one that is less costly in terms of growth and employment, which is the only way to guarantee against the risk that the euro zone could fall apart. First, generalized austerity should be abandoned. The main problem with the euro zone is not debt but growth and unemployment. Solidarity must be strengthened to curb speculation on the debt of the weaker countries. The fiscal policies of the Member states also need to be better coordinated in order to mitigate the indirect effects of cutbacks by some on the growth of others [1]. It is necessary to stagger fiscal consolidation over time whenever the latter is needed to ensure debt sustainability. At the same time, countries with room for fiscal manoeuvre should develop more expansionary fiscal policies. Finally, the activities of the European Central Bank should be strengthened and coordinated with those of the euro zone governments. The ECB alone has the means to anchor short-term and long-term interest rates at a sufficiently low level to make it possible both to support growth and to facilitate the refinancing of budget deficits. In two exceptional refinancing operations, the ECB has provided more than 1,000 billion euros for refinancing the euro zone banks. This infusion of liquidity was essential to meet the banks’ difficulties in finding financing on the market. It also demonstrates the capacity for action by the monetary authorities. The portfolio of government debt securities held by the ECB at end March 2012 came to 214 billion euros, or 2.3% of euro zone GDP. In comparison, in the United States and the United Kingdom, the portfolio of government securities held by the central banks represents more than 10% of their GDP. The ECB therefore has significant room for manoeuvre to reduce the risk premium on euro zone interest rates by buying government securities in the secondary markets. Such measures would make it possible to lower the cost of ensuring the sustainability of the long-term debt.

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[1] See “He who sows austerity reaps recession”, OFCE note no. 16, March 2012.




Les marchés financiers, épée de Damoclès de l’élection présidentielle

par Céline Antonin

Même si certains candidats s’en défendent, le risque financier lié à la crise budgétaire en zone euro est l’invité d’honneur de la campagne présidentielle. Preuve que la question est sensible, le lancement d’un nouveau produit financier sur la dette française, mi-avril, a cristallisé les tensions. Il faut dire que le contexte est particulier : le défaut grec a montré que la faillite d’un pays de la zone euro était devenue possible. Malgré les pare-feux budgétaires mis en place depuis mai 2010 (notamment le Fonds européen de stabilité financière), certains pays voisins de la France font face à une défiance des marchés financiers, fragilisant leur capacité à tenir leurs engagements budgétaires et à assurer la soutenabilité de leur dette publique, l’exemple le plus préoccupant en date étant l’Espagne. Quels sont les instruments dont disposent les spéculateurs pour attaquer un pays comme la France et que faut-il craindre au lendemain de l’élection présidentielle ?

 

L’outil le plus utilisé pour spéculer contre la dette publique d’un pays est le swap de défaut (ou CDS, Credit Default Swap). Ce contrat procure une assurance contre un événement de crédit et notamment le défaut d’un Etat (voir en annexe “Fonctionnement technique des CDS” in fine). Seuls les investisseurs institutionnels, principalement les banques, assurances et hedge funds, ont accès directement au marché des CDS sur les Etats souverains[1].

 

Les CDS n’ont pas seulement un rôle de couverture, ils sont également un moyen privilégié de spéculation. L’une des critiques vis-à-vis des CDS vient du fait que l’acheteur de protection n’a aucune obligation de détenir une exposition crédit à l’entité de référence, autrement dit on peut acheter des CDS sans détenir l’obligation sous-jacente (achat/vente à nu). En juin 2011, le marché des CDS représentait 32 400 milliards de dollars d’encours notionnel. Devant l’ampleur de ces chiffres, l’Union européenne a finalement adopté un règlement portant sur l’encadrement des ventes à découvert : il interdit notamment les CDS à nu sur la dette souveraine des Etats européens, mais ne sera applicable qu’à partir du 1er novembre 2012.

 

Le FOAT, nouvel instrument de spéculation sur la dette française ?

Ce nouvel instrument financier, mis en place le 16 avril par Eurex[2], est un contrat futures, c’est-à-dire un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif spécifique à une date future et à un prix fixé à l’avance. L’actif spécifique est en l’occurrence une obligation assimilable du Trésor français (OAT), de maturité restante longue (comprise entre 8,5 et 10,5 années), avec un coupon de 6 % et pour un montant nominal de 100 000 euros. Doit-on s’inquiéter du lancement de ce nouveau contrat, à la veille de l’élection présidentielle ? Non si l’on considère que le lancement du FOAT répond au décrochage entre taux obligataires allemands et français, intervenu depuis la récente dégradation de la note souveraine française : auparavant, les taux obligataires allemands et français étant étroitement corrélés, le FOAT sur les obligations allemandes permettait une couverture du risque sur les obligations allemandes et françaises. A la suite du creusement de l’écart de taux entre les deux pays, Eurex a décidé de créer un contrat futures spécifique pour les obligations françaises. Le même phénomène s’est produit pour l’Italie : depuis septembre 2009, l’Eurex a également lancé trois contrats futures sur les titres de dette obligataire italienne[3]. En outre, l’Eurex est un marché organisé privé de droit allemand, beaucoup plus transparent que le marché de gré à gré sur lequel s’échangent les CDS. Notons que le lancement du FOAT n’a pas connu beaucoup de succès : le jour de son lancement, il s’est échangé seulement 2 581 contrats futures sur les obligations françaises, contre 1 242 000 sur les obligations allemandes et 13 671 sur les obligations italiennes[4].

Même si, comme pour les CDS, la fonction première du FOAT est la couverture contre le risque, il peut également devenir un instrument de spéculation, notamment via les ventes à découvert. Alors que la spéculation sur la dette française était réservée aux gros investisseurs, avec un montant notionnel moyen de 15 milliards d’euros par CDS[5], le montant notionnel du nouveau contrat FOAT est de 100 000 euros, ce qui drainera davantage d’investisseurs sur le marché de la dette française. Si les spéculateurs parient sur une dégradation de la soutenabilité des finances publiques, alors le prix des contrats futures sur les OAT baissera, ce qui amplifiera les mouvements de marché et provoquera la hausse des taux sur les contrats OAT.

Des lendemains qui déchantent ?

Il est difficile de prévoir l’attitude des marchés financiers au lendemain des résultats des élections présidentielles françaises. L’étude de ce qui se passe dans d’autres pays de la zone euro nous renseigne peu, en raison des situations spécifiques dans chacun d’entre eux. Le pays le plus « comparable » à la France serait sans doute l’Italie. Or, la nomination de Mario Monti en novembre 2011 s’inscrivait dans un contexte particulier, où la constitution d’un gouvernement technique avait précisément pour but de restaurer la confiance des marchés en réduisant le déficit à marches forcées, l’Italie bénéficiant également de la politique accommodante de la BCE. La configuration budgétaire française est différente, l’impératif financier n’apparaissant qu’au second plan. Les candidats des deux grands partis mettent néanmoins en avant la nécessité de revenir à l’équilibre budgétaire. Le calendrier diffère (2016 pour l’UMP, 2017 pour le PS), ainsi que les moyens d’y parvenir : pour Nicolas Sarkozy, les efforts budgétaires porteront davantage sur une modération des dépenses publiques (0,4 % par an entre 2013 et 2016, contre 1,1 % pour le PS), alors que François Hollande met l’accent sur la hausse des recettes, avec une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 1,8 % entre 2012 et 2017 (contre 1 % pour l’UMP).

Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui frappe, au-delà de l’impératif de réduction des déficits publics dans les pays de la zone euro, c’est le fait que nos destins soient inextricablement liés. Comme le montre le graphique d’évolution des taux d’intérêt obligataires en zone euro (graphique 2), lorsque la zone euro est affaiblie, c’est l’ensemble des pays qui en subissent les conséquences sur leur prime de risque par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, bien qu’à des degrés divers. Il est donc irréaliste de penser la stratégie budgétaire et la stratégie de croissance française en dehors du cadre européen. Ce qui empêchera les marchés financiers de spéculer sur la dette d’un pays, c’est la constitution d’une Europe budgétaire forte et dotée de règles strictes, assistée d’une politique monétaire active. Cette construction est en marche mais elle est loin d’être aboutie : le FESF n’a pas une force de frappe suffisante pour aider les pays en difficulté, la stratégie de croissance à l’échelle européenne, décidée au sommet du 2 mars 2012, demande à être approfondie, et la BCE doit mener une politique active, à l’instar de la Fed, ce qui exige notamment une révision de ses statuts. Comme l’a rappelé l’agence Standard and Poor’s lorsqu’elle a annoncé la dégradation de la note française en décembre dernier, c’est avant tout la cohésion budgétaire en zone euro qui sera regardée de près par les marchés financiers. Le 6 mai 2012, ce sera donc davantage l’attitude du prochain Président vis-à-vis de cette construction budgétaire et sa capacité à faire valoir sa position au sein de la zone euro qui détermineront l’attitude future des marchés financiers, non seulement vis-à-vis de la France, mais également vis-à-vis de chacun des pays de la zone euro.


Annexe : Fonctionnement technique des CDS

L’acheteur du contrat acquiert le droit de vendre une obligation de référence à sa valeur nominale (qualifiée de « principal ») en cas d’événement de crédit. L’acheteur du CDS paie au vendeur des montants convenus, à intervalles réguliers, jusqu’à l’échéance du CDS, ou à la survenance de l’événement de crédit. Le swap est alors dénoué, soit par livraison du sous-jacent, soit en cash. Si les termes du contrat prévoient un règlement physique, l’acheteur du CDS livre les obligations au vendeur en échange de leur valeur nominale. Si le CDS est dénoué en cash, le vendeur du CDS rembourse à l’acheteur la différence entre le montant nominal des obligations de l’acheteur et le montant des obligations cotées à la suite de l’événement de crédit (valeur de recouvrement), sachant que dans ce cas, l’acheteur du CDS conserve ses obligations décotées. Dans la plupart des cas, la valeur de recouvrement est déterminée officiellement par un processus d’enchère organisé par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association). La prime annuelle que versera la banque à la compagnie d’assurance pour avoir le droit à une couverture s’appelle le spread du CDS et constitue la valeur cotée sur le marché : plus le risque de défaut est élevé, plus le spread des CDS augmente (graphique 1). En réalité, les banques étant à la fois des acheteurs et des vendeurs de protection, le spread est généralement présenté comme une fourchette : une banque peut proposer une fourchette 90-100 points de base sur le risque de défaut de la France. Elle est donc prête à acheter une protection contre le risque de défaut en payant 90 points de base sur le principal, mais elle en exige 100 pour fournir cette protection.

A titre d’illustration, on peut considérer l’exemple suivant. Le 7 mai 2012, une banque (acheteuse) signe un CDS sur un principal de 10 millions d’euros pour 5 ans avec une compagnie d’assurance (vendeuse). La banque s’engage à payer 90 points de base (spread) pour se protéger contre le défaut de l’Etat français. Si la France ne fait pas défaut, la banque ne recevra rien à l’échéance, mais paiera chaque année 90 000 euros chaque 7 mai des années 2012 à 2017. Supposons qu’un événement de crédit survienne le 1er octobre 2015. Si le contrat spécifie la livraison du sous-jacent, l’acheteur a le droit de livrer ses 10 millions d’euros de nominal d’obligations françaises et recevra en échange 10 millions d’euros en cash. S’il est prévu un dénouement en cash, et si les obligations françaises ne sont plus cotées qu’à 40 euros, alors la compagnie d’assurance versera 10 000 000-4 000 000 = 6 millions d’euros à la banque.



[1] Les particuliers pouvent jouer sur les marchés de CDS d’entreprise via les trackers (placements collectifs en valeurs mobilières qui répliquent la performance d’un indice boursier).

[2] L’Eurex a été créé en 1997 par la fusion du marché à terme allemand, la Deutsche Termin-Börse (DTB), et le marché à terme de Zurich, le Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), entre autres pour concurrencer le LIFFE. Il appartient à Deutsche Börse et domine le marché des contrats de taux à long terme.

[3] En septembre 2009 pour les obligations à maturité restante longue (8,5 à 11 ans), octobre 2010 pour les obligations à maturité restante courte (2 à 3,25 ans) et juillet 2011 pour les obligations à maturité restante moyenne (4,5 à 6 ans).

[4] Notons que cette comparaison est biaisée du fait qu’il existe 4 contrats futures sur la dette allemande, 3 sur la dette italienne, et seulement 1 sur la dette française.

[5] Données hebdomadaires fournies par la DTCC pour la semaine du  9 au 13 avril 2012 sur les CDS souverains sur la dette française : le notionnel brut atteint 1 435 milliards de dollars et 6822 contrats ont été échangés.