Petite reprise après grande crise

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie mondiale et la zone euro. Cliquer ici pour consulter la version complète.

La croissance mondiale traverse à nouveau une zone de turbulences. Si la dynamique de croissance n’est pas remise en cause, elle est néanmoins révisée à la baisse pour 2016 et 2017, où elle devrait atteindre respectivement 2,9 et 3,1 %. Le ralentissement touche en premier lieu les pays émergents avec une baisse de la croissance chinoise qui se confirme et s’accentue (6,1 % anticipé pour 2017 contre plus de 7,6 % en moyenne sur 2012-2014). Le ralentissement de la demande chinoise pèse sur le commerce mondial et contribue à la faiblesse du prix du pétrole, ce qui accroît en retour les difficultés des pays producteurs de pétrole et de matières premières. Enfin, la perspective de normalisation de la politique monétaire américaine se traduit par un reflux des capitaux. Le dollar s’apprécie et les monnaies des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine se déprécient. Si les pays industrialisés pâtissent également du ralentissement chinois par un effet de demande adressée, leur croissance reste soutenue grâce à la baisse du prix du pétrole. Le soutien de la politique monétaire s’atténue aux États-Unis mais s’amplifie dans la zone euro, ce qui maintient l’euro à un faible niveau. Quant aux politiques budgétaires, elles ne sont plus systématiquement restrictives. Dans ces conditions, la croissance ralentirait aux États-Unis, passant de 2,4 % en 2015 à 1,9 % puis 1,6 % en 2016-2017. La reprise s’accélérerait légèrement dans la zone euro, portée notamment par le dynamisme de l’Allemagne et de l’Espagne et l’amélioration des perspectives en France et en Italie. Sur l’ensemble de la zone euro, la croissance atteindrait 1,8 % en 2016 et 1,7 % en 2017. Cette dynamique permettra de réduire le taux de chômage ; mais, en fin d’année 2017, il serait néanmoins encore 2 points au-dessus de son niveau d’avant-crise (9,3 % contre 7,3 % en fin d’année 2007). Alors que le risque déflationniste semble écarté pour les États-Unis, il reste prégnant dans la zone euro. L’inflation est proche de zéro et le niveau très bas des anticipations d’inflation à long terme témoigne des difficultés de la BCE à reprendre le contrôle de l’inflation. La persistance du chômage indique que la politique de gestion de la demande en zone euro reste largement déficiente. De fait, elle repose entièrement sur la politique monétaire. Si les actions de la BCE sont une condition nécessaire à l’accélération de la croissance, elles ne sont pas suffisantes et doivent être complétées par des politiques budgétaires plus actives. Au niveau de l’ensemble de la zone euro, la politique budgétaire est en effet globalement neutre (expansionniste en Allemagne ou en Italie en 2016 mais restrictive en France et plus encore en Grèce) alors qu’elle devrait être plus expansionniste pour engager une baisse plus rapide du chômage et permettre d’écarter le risque déflationniste. Par ailleurs, cette situation de croissance modérée se traduit également par l’accumulation d’excédents courants de la zone euro (3,2 % en 2015). De fait, s’il y a bien eu une correction des déséquilibres intra-zone euro, elle s’explique surtout par l’ajustement des pays qui étaient en situation de déficit avant la crise. Dès lors, l’excédent de la balance courante de la zone euro fait peser des risques à terme sur le niveau de l’euro qui pourrait s’apprécier une fois que le stimulus monétaire prendra fin, freinant alors la croissance.

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Chômage : au-delà des (bons) chiffres de Pôle emploi

Département Analyse et prévision (Equipe France)

La baisse de 60 000 du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A au mois de mars est exceptionnelle. Il faut en effet remonter à septembre 2000 pour trouver un recul de cette ampleur. Au-delà de la volatilité naturelle des statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois, il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. Sur un an, la hausse du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A est de 17 000 personnes. Entre mars 2014 et mars 2015, cette hausse était de 164 000 personnes. Mieux encore, sur les six derniers mois, le nombre des inscrits recule de 19 000.

La catégorie A des demandeurs d’emploi reflète toutefois relativement mal les nombreuses dynamiques à l’œuvre sur le marché de l’emploi. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A les demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite (catégories B et C), l’embellie de mars est certes visible, mais plus atténuée. Le nombre d’inscrits en catégorie A-B-C diminue ainsi légèrement en mars (–8 700 personnes) mais aussi sur 3 mois (–23 900).

Néanmoins, une fois encore, au-delà du bon résultat de mars, compte tenu de la dégradation continue du marché du travail et de l’émergence de situations de fragilisation vis-à-vis de l’emploi depuis 8 ans, la situation des ménages vis-à-vis de l’emploi ne connaîtra d’amélioration durable que sous réserve d’accumulation de « bons chiffres » à un horizon de moyen terme.

Des sources statistiques plus pertinentes…

Ces chiffres mensuels ne fournissent qu’une représentation partielle du chômage. Ils omettent notamment les personnes en recherche d’emploi mais non inscrites à Pole Emploi. Concernant les inscrits en catégorie A, sont ainsi comptabilisés les personnes ne réalisant pas de réelle recherche d’emploi car proches de la retraite (voir La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !). De plus, les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi.

Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage. Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Selon ce critère, le taux de chômage en France métropolitaine s’établissait au quatrième trimestre 2015 à 10 % de la population active (+871 000 personnes depuis le quatrième trimestre 2007).

…permettant de mieux mesurer la précarisation du marché du travail

Mais cette définition reste encore restrictive. En effet, elle ne prend pas en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. Au quatrième trimestre, ce halo comptait 1,41 million de personnes (+25 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit 279 000 personnes supplémentaires).

De même, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées mais travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. Au quatrième trimestre 2015, ces situations de « sous-emploi » concernaient 1,7 million de personnes (+18 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit +254 000).

Au total, en intégrant le sous-emploi et le halo à la définition stricte du chômage mesuré par le BIT, ce sont 5,9 millions de personnes qui se trouvent fragilisées vis-à-vis de l’emploi, soit 31 % de plus que 8 ans auparavant et 18,8 % de la population active élargie (graphique 1)[1].

 

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Un chômage multiforme, un marché du travail en transformation

L’analyse du taux de chômage n’englobe donc pas toutes les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail. La hausse du nombre de personnes en situation de sous-emploi s’explique en partie par l’ajustement de la durée effective de travail, via les politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel, notamment le temps partiel subi. Si ces ajustements ont accru le sous-emploi, ils ont également permis de freiner la hausse du chômage au sens strict entamée mi-2008. Sans ces ajustements, autrement dit si la durée effective du travail était restée stable entre 2007 et 2015, le taux de chômage au sens du BIT aurait été en France métropolitaine de 0,6 point supplémentaire au quatrième trimestre 2015 (graphique 2).

Parallèlement à ces ajustements du temps de travail, la France a également connu, depuis le début de la crise, une augmentation de la population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle de la population totale. Ces évolutions s’expliquent notamment par la mise en place de réformes des retraites retardant la sortie d’activité des seniors. Mécaniquement, sans nouvelles créations d’emplois, ce dynamisme de la population active a eu pour effet d’accroître le taux de chômage. Dans le cas de la France, cet impact est massif. En effet, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait en France métropolitaine, toutes choses égales par ailleurs, de 8,2 %, soit 1,6 point de moins que le taux de chômage observé au quatrième trimestre 2015.

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Il faut tout de même noter que si ces ajustements sont importants, les évolutions sur lesquelles ils reposent ne peuvent être intégralement imputées à la crise. En effet, le temps de travail a baissé tendanciellement depuis 1990. Entre 1990 et 2002, la durée effective du travail a en moyenne diminué de 0,9 % par an. Depuis 2003, cette diminution est certes moins rapide mais se poursuit (–0,2 % par an). Parallèlement, l’accroissement du taux d’activité a été continu, sous les effets cumulés de l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail et des réformes successives du système de retraites. Alors qu’il s’établissait à 67,1 % en 1990, le taux d’activité atteignait 69,7 % en 2007. Au quatrième trimestre 2015, il était en France métropolitaine de 71,5 %.

 

 

[1] Entendue comme la population active à laquelle est ajouté le halo.




France : des marges de croissance

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

Après plusieurs années de croissance atone (0,4 % en moyenne sur la période 2012-2014), un mouvement de reprise de l’activité semble enfin émerger en France. Avec 1,2 % en 2015 (1,4 % en glissement annuel à la fin de l’année), la croissance française est restée modeste et inférieure à la moyenne de la croissance européenne. L’année 2015 a été encore marquée par un certain nombre de points noirs, particulièrement concentrés autour du secteur de la construction et de l’investissement des administrations publiques (amputant le PIB de -0,3 point en 2015 après -0,5 point en 2014). Néanmoins, des signaux positifs sont apparus qui sont de bon augure.

Premièrement, en 2015, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé (122 000 sur l’ensemble de l’année). Deuxièmement, l’investissement des entreprises, tiré par les secteurs des biens d’équipements et de l’information-communication, s’est amélioré (+3,2 % en glissement annuel). À cela s’ajoute un certain nombre d’éléments favorables à la compétitivité : le taux de marge des entreprises a fortement augmenté, particulièrement dans les branches industrielles et les secteurs exportateurs, les parts de marché à l’exportation se sont améliorées et la balance courante, déficitaire depuis une dizaine d’années, est quasiment revenue à l’équilibre. Troisièmement, bien que son impact sur la consommation des ménages ait été limité (+0,9 % en glissement annuel), le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé (+2 %). Cela s’est traduit par une forte remontée du taux d’épargne en 2015 (près d’1 point), laissant présager des capacités de consommation futures pour 2016. Enfin, le déficit public, à 3,5 % du PIB en 2015, a été inférieur à la cible du gouvernement et aux attentes de la Commission européenne.

L’année 2015 a été marquée par un redressement de la situation financière des agents privés et une amélioration des comptes publics. Les ménages, les entreprises et les administrations publiques abordent ainsi l’année 2016 avec de nouvelles marges de manoeuvre. Dans un contexte où l’environnement macroéconomique extérieur reste relativement porteur (prix du pétrole bas, euro compétitif et taux d’intérêts historiquement faibles), et ce malgré le ralentissement des pays émergents, Chine en tête, ou le risque de Brexit, l’économie française aborde l’année 2016 dans des conditions meilleures que par le passé. Avec une sortie progressive de la politique d’austérité, ces nouvelles capacités financières pourront soutenir la consommation, l’investissement et l’emploi. De plus, le redressement des résultats des enquêtes dans la construction laisse présager une amélioration du secteur pour l’année en cours. Ainsi, la croissance française devrait s’établir à 1,6 % en 2016 (+1,9% en glissement annuel), avec un 1er semestre 2016 relativement dynamique (+1 % sur le semestre) (tableau 3), soutenu par un rebond marqué de la consommation après une faiblesse temporaire au 4e trimestre 2015, due en partie à la douceur climatique et aux effets des attentats. À partir du troisième trimestre 2016, la croissance évoluerait sur un rythme de 0,4 % par trimestre. Au cours de l’année 2016, le nombre total d’emplois créés serait de l’ordre de 230 000 et le taux de chômage reviendrait à 9,5 % en fin d’année, soit une baisse de 0,5 point, dont 0,15 dû à la mise en place du plan de 500 000 formations. L’investissement des entreprises, soutenu par la hausse des taux de marge, la faiblesse du coût du capital et l’amélioration des perspectives d’activité, continuerait à se redresser mais à un rythme modéré (3 %) en raison des taux d’utilisation toujours inférieurs à leur moyenne historique. Le déficit public s’améliorerait de 0,4 point de PIB en 2016 (pour atteindre 3,1 % du PIB), pour moitié grâce à l’effort budgétaire structurel et pour moitié grâce à l’amélioration de la situation conjoncturelle.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,6 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %). Elle créerait 165 000 emplois, ce qui, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation, permettrait tout juste de stabiliser le taux de chômage à 9,5 % en 2017. Enfin, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans.

Si l’on reste encore loin d’une croissance vigoureuse et du niveau de chômage d’avant-crise, la France semble cependant entamer sa lente convalescence, notamment par le redressement du pouvoir d’achat des ménages, la baisse du chômage, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public.

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Le salaire national de subsistance : un nouveau dispositif de revalorisation des bas salaires au Royaume-Uni

par Catherine Mathieu

Le 1er avril 2016 est entré en vigueur un salaire national de subsistance au Royaume-Uni. Cela pourrait surprendre en France, où le marché du travail britannique est considéré comme le modèle même du marché dérégulé. Ce nouveau salaire minimum (National Living Wage, NLW) consiste en fait à ajouter un complément de 50 pences au taux horaire du salaire minimum (National Minimum Wage, NMW) des plus de 25 ans, porté ainsi de 6,7 £ à 7,2 £, soit une hausse de 7,5 %. Ceci fait suite à une augmentation de 3,1 % du salaire minimum des plus de 25 ans, en octobre 2015 (de 6,5 £ à 6,7 £), soit au total une hausse de 10,8 % en un an. Cette forte revalorisation du salaire minimum ne constitue pas un changement de cap soudain du gouvernement. Le programme électoral des Conservateurs pour les élections législatives de 2015 comprenait déjà la revalorisation du salaire minimum et souhaitait l’instauration d’un salaire de subsistance. L’annonce de la mise en place du NLW a été faite en juillet 2015, lors de la présentation du budget, par George Osborne, redevenu chancelier de l’Echiquier après la victoire des Conservateurs aux élections. Ce n’est d’ailleurs qu’une première étape de la revalorisation des bas salaires, le gouvernement ayant l’objectif de porter le NLW à 60 % du salaire médian en avril 2020 (contre 55% actuellement), soit environ 9 £.[1]

La revalorisation des bas salaires s’intègre dans une stratégie plus globale du gouvernement britannique : d’une part le gouvernement dit souhaiter « récompenser » le travail ; non seulement le salaire minimum est augmenté, mais, à terme, les salariés rémunérés au salaire minimum ne paieront plus d’impôt sur le revenu (c’était l’un des  engagements de campagne des Conservateurs en 2015). Par ailleurs, le gouvernement prend des mesures de réduction de la fiscalité des entreprises, dont l’emblématique baisse du taux de l’imposition sur les sociétés, qui ne sera plus que de 17 % en 2020 (au lieu de 20 % seulement actuellement), ce qui compensera la hausse des salaires, du moins pour certaines entreprises (les plus profitables). Enfin, le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux de réduction du déficit public, souhaitant le ramener de 5 % du PIB en 2015 à l’équilibre en 2020, ceci  en partie par la baisse des dépenses publiques, et en particulier des prestations sociales. La revalorisation du salaire minimum apparaît ainsi comme une compensation, au moins partielle, de la baisse future des prestations.

Le processus de fixation du salaire minimum au Royaume-Uni est bien codifié. Le gouvernement revalorise chaque année le salaire minimum au premier octobre, sur la base des recommandations de la Commission sur les bas salaires (Low Pay Commission, LPC), organisme indépendant, composé d’universitaires, de représentants des organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Le salaire minimum n’existe au Royaume-Uni que depuis 1999. Sa mise en place s’est faite selon les recommandations de la Low Pay Commission, à des niveaux qui correspondaient aux bas salaires pratiqués à l’époque, après une large consultation des entreprises des secteurs concernés. La mise en place du salaire minimum n’a pas suscité de vagues de protestation du côté des employeurs et n’aurait pas eu d’impact significatif sur l’emploi, selon les différentes évaluations réalisées par la LPC au cours du temps. Le niveau du salaire minimum était initialement faible ;  dès le départ un taux adulte et des taux jeunes ont été fixés. La LPC a pour mandat de réaliser un rapport annuel sur les bas salaires et de faire des recommandations au gouvernement en matière de revalorisation du salaire minimum, pour éviter que celles-ci n’aient des impacts négatifs importants sur l’emploi des salariés concernés. Le gouvernement a dorénavant chargé la LPC de suivre aussi la mise en place du NLW et d’en proposer les prochaines revalorisations, qui auront lieu chaque année en avril.

Le NLW ne concerne que les plus de 25 ans. Les salaires minima des jeunes restent au niveau fixé en octobre dernier. Ainsi, aujourd’hui il existe cinq salaires minimums : pour les apprentis (3,30 £ de l’heure) ; les 16-17 ans (3,87 £ de l’heure) ; les 18-20 ans (5,3 £) ; les 21-25 ans (6,7 £) ; et les plus de 25 ans (7,2 £). L’écart est important ; les analyses de la LPC, dès 1998, plaidaient pour des taux de salaires réduits pour les jeunes, l’argument étant d’éviter que ceux-ci soient évincés du marché du travail à cause de salaires trop élevés. Contrairement à la situation française, cet écart a été accepté ; il favorise le développement de petits boulots pour les jeunes. Le taux d’emploi des jeunes britanniques (15-24 ans) est très élevé (51,4 % fin 2015, contre 27 % en France et 31 % dans la zone euro) ; il est en hausse sensible (il était de 46,8 % fin 2010).

Dans son rapport de mars 2016,[2] la LPC fait un premier point sur les impacts possibles du NLW. En avril 2016, environ 1,8 million de salariés (sur 29 millions d’emplois salariés)  pourraient bénéficier du NLW, alors qu’un million d’adultes de plus de 25 ans touchaient le salaire minimum en 2015. Le NLW représenterait une hausse de salaire annuelle de 680 livres (pour la durée de travail moyenne des personnes concernées, 1 360 heures par an, 26h15 par semaine). Les impacts seront très différents selon les secteurs. C’est dans les secteurs des services que les bas salaires sont les plus nombreux (40 % des emplois sont rémunérés au salaire minimum dans les entreprises de nettoyage, 30 % dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants, 34 % dans la coiffure). Selon la LPC, la mise en place du NLW aura un impact sur la masse salariale de l’ordre de 0,7 milliard de livres en année pleine cette année, soit 0,1 % [3]; sa hausse jusqu’à 60% du salaire médian coûterait 2,4 milliards de livres supplémentaires, soit 0,4 % de la masse salariale en année pleine en avril 2020. Ces chiffres prennent en compte un effet de diffusion sur les 25 premiers centiles des salaires. L’impact de l’introduction du NLW sur les salaires versés serait proche de 4 %, dans le secteur du nettoyage,  de 3 % dans les secteurs des hôtels-cafés-restaurants et de la coiffure. En tenant compte d’un effet de diffusion similaire, les services de la Banque d’Angleterre[4] estimaient eux-aussi que le NLW conduirait à une hausse graduelle de la masse salariale de moins de 0,5 % d’ici cinq ans. Environ 3 millions de salariés percevraient le NLW à l’horizon 2020.

L’Office for Budget Responsibility avait estimé, en juillet 2015, qu’à l’horizon 2020, la mise en place du NMW pourrait entraîner 60 000 suppressions d’emplois ; selon des hypothèses moyennes d’élasticité de l’emploi à son coût de – 0,4[5], tout en prévoyant que, sur la même période, l’économie britannique créerait 1,1 million d’emplois. La mise en place du salaire national de subsistance intervient après plusieurs années de croissance et de créations d’emplois qui ont ramené le taux de chômage (au sens du BIT) à son niveau d’avant-crise (5,2 %), de sorte que les éventuelles pertes d’emplois dans certains secteurs sont tout à fait supportables.

Aujourd’hui, les critiques vis-à-vis du NLW viennent de deux camps : d’un côté, les syndicats de salariés reprochent à la mesure de creuser plus encore l’écart entre les salaires des jeunes et ceux des adultes ; de l’autre, les employeurs, notamment dans les secteurs à bas salaires,  alertent sur le risque de développement de l’économie informelle, si le NMW est effectivement augmenté à 9 livres par heure d’ici 2020, mais le niveau actuel du NLW est de façon générale considéré acceptable.

Progressivement, les revalorisations du salaire minimum britannique ont amené le Royaume-Uni à faire partie des pays de l’OCDE où le salaire horaire minimum est le plus élevé mais il reste derrière la France, par exemple (graphique 1). Aujourd’hui, le salaire national de subsistance laisse encore le salaire minimum britannique inférieur au salaire minimum français (qui représente 60 % du salaire médian). A 7,2 £, soit 9 euros, le taux horaire du salaire national de subsistance britannique est actuellement inférieur de près de 7 % au SMIC français. Compte tenu des cotisations sociales employeurs, le coût horaire du NLW est aussi inférieur à celui du SMIC horaire, car, bien que la France ait mis en place d’importantes exonérations de cotisations sociales employeurs  (exonération Fillon, Pacte de responsabilité, CICE, prime zéro charge) sur les bas salaires, les cotisations sociales sont aussi très basses au Royaume-Uni. Prenons le cas d’un adulte de plus de 25 ans, célibataire et sans enfant travaillant 35h par semaine (tableau).  Le coût horaire pour l’employeur est de 9,48 euros au Royaume-Uni contre 10,43 euros en France ; le coût horaire pour l’employeur baisse à 9,21 euros au Royaume-Uni si le salarié travaille 26h15 par semaine, ce qui représente le temps de travail moyen des salariés au salaire minimum outre-Manche. Si l’on considère maintenant le salaire perçu par le salarié, net des cotisations sociales salariés et de l’imposition sur le revenu, le NLW est plus élevé que le SMIC, surtout dans le cas où le salarié travaille plus de 30 heures par semaine, ce qui le rend éligible au crédit d’impôt (Working tax credit) qui est plus important que la prime d’activité. En contrepartie, le salarié français bénéficie d’un système public de prestations retraite et chômage nettement plus généreux.

Il faut donc voir dans la mise en place du salaire national de subsistance au Royaume-Uni, un rattrapage des salaires dans les secteurs où  bas salaires, temps partiel et précarité sont les plus répandus. Cette hausse de salaire, telle qu’elle est aujourd’hui mise en place, n’aura qu’un impact macroéconomique marginal sur l’économie britannique.

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[1] L’objectif étant d’atteindre 60 % du salaire médian, ce chiffre de 9 £ n’est donné qu’à titre indicatif, sur la base des projections des hausses de salaires réalisées en mars dernier par l’Office for Budget responsibility (OBR). L’OBR est l’organisme indépendant chargé depuis 2010 de réaliser les prévisions macro-économiques de moyen terme qui seront utilisées pour l’élaboration du budget britannique et d’analyser les finances publiques britanniques.

[2] Voir : National minimum wage, Low Pay Commission Report Spring 2016, mars 2016.

[3] Compte tenu de la faible durée du travail et du bas niveau du salaire horaire, les salariés au salaire minimum ne touchaient que le quart du salaire moyen fin 2015. Le salaire horaire minimum représentait 42,8 % seulement du salaire horaire moyen (6,7 £ contre 15,7 £).

[4] Voir : Inflation report, Bank of England, août 2015.

[5] Cette élasticité correspond à l’estimation médiane des estimations empiriques réalisées sur données britanniques.  Les pertes d’emplois passent à 110 000 si l’on retient l’hypothèse d’une élasticité à -0,75 et ne sont que de 20 000 pour une élasticité de -0,15.




Très cher Pinel …

par Pierre Madec

Le vendredi 8 avril dernier, le Président de la République a annoncé la prolongation du dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Pinel ». « Puisque ça marche, il n’y a pas de raison de changer » a ainsi déclaré François Hollande. Accueillie très favorablement par les professionnels du secteur, en particulier les promoteurs immobiliers qui réalisent une grande part de leur activité sur l’investissement locatif privé (près de la moitié en 2015), cette annonce a le mérite d’apporter une certaine continuité à un secteur en proie à une grande instabilité. Du dispositif Méhaignerie instauré au milieu des années 1980 au dispositif Pinel mis en place à l’été 2014, plus d’une dizaine d’instruments différents ont été utilisés au cours des 30 dernières années pour doper le secteur de l’investissement locatif[1]. Il est clair que cette forte volatilité des dispositifs ne permet pas de les évaluer correctement dans un temps long. Malgré tout, certaines critiques semblent se dégager ces dernières années concernant l’utilité même de ce type de dispositifs de défiscalisation dont l’objectif initial était de développer, dans les zones les plus tendues, une offre de logement « intermédiaire » en direction des classes moyennes. Qu’en est-il ? Le Pinel est-il, comme l’a indiqué le Président de la république, un dispositif « qui marche » ? A-t-il permis, en remplaçant le décrié dispositif « Duflot », d’enclencher le redémarrage du marché de la construction en France ? Permet-il de remplir l’objectif affecté de développement d’un parc locatif intermédiaire ? Si oui à quel coût ?

Le « Pinel » qu’est-ce que c’est ?

Le dispositif Pinel est donc un dispositif d’incitation à l’investissement locatif. En contrepartie d’une défiscalisation plus ou moins importante, un investisseur s’engage à mettre son bien immobilier neuf en location, pour un durée allant de 6 à 12 ans, tout en respectant des plafonds de loyers et de revenus des locataires fixés par décret. Le logement doit se situer dans une zone dite « tendue » définie elle aussi par décret et respecter un certain nombre de critères de performance énergétique.

En 2016, les plafonds de loyers et de ressources sont les suivants :

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Selon l’engagement initial de location (6 ans ou 9 ans), le taux de la réduction d’impôt varie de 12% à 18% du montant de l’opération dans la limite d’un investissement de 300 000 euros et 5 500 euros par mètre carré habitable. Cet engagement initial peut être prolongé de 3 ans, une ou deux fois, dans la limite d’un engagement total de 12 ans. Chaque prolongation donnant droit à une réduction d’impôt supplémentaire de 3% du montant de l’investissement.

Enfin, contrairement à son prédécesseur, est offerte à l’investisseur Pinel la possibilité de louer à l’un de ses ascendants ou de ses descendants.

Le « Pinel » : pour quoi faire ?

Au travers la mise en place du dispositif Pinel en août 2014, le gouvernement souhaitait apporter des réponses à la fois au secteur de la construction, confronté à une crise importante, et à la crise du logement cher qui traverse la France depuis maintenant plus de trois décennies. En l’absence de données précises sur les investissements Pinel réalisés depuis la mise en place du dispositif, il paraît complexe de conclure positivement ou négativement sur l’impact de ce dispositif tant pour les investisseurs que pour les locataires. Certes, les ventes de logements par les promoteurs se sont bien rétablies en 2015 (100 200 unités soit +7% par rapport à l’année précédente), néanmoins elles restent très inférieures aux niveaux observés en 2013 (103 770) mais surtout entre 2010 et 2012 (117 400 en moyenne annuelle), temps des dispositifs Scellier (jusqu’en 2012) puis Duflot. Si le redémarrage du marché de la construction semble indéniable (hausse des mises en chantier et des permis de construire depuis la mi-2015), conclure à un impact des dispositifs d’investissement locatif semble très prématuré d’autant plus que ces derniers ne représentent qu’une faible part de l’ensemble de la production neuve. Si l’on parle ainsi de 50 000 « Pinel » produits en 2015, rappelons que cette année a vu se construire près de 400 000 logements.

Concernant l’impact de ce type de dispositif sur l’émergence d’un parc accessible aux classes moyennes éprouvant des difficultés à se loger dans le parc locatif privé « traditionnel » et trop « aisées » pour accéder au parc social, là aussi les conclusions ne peuvent être tirées définitivement compte-tenu du manque de données sur l’occupation des biens ainsi produits. Malgré tout, les plafonds de revenu et de loyer définis par la loi laissent à penser que l’objectif initial semble lointain. Concernant les plafonds de loyer, ils sont en réalité très proches des loyers pratiqués sur les marchés. Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, le loyer moyen acquitté par les locataires du parc privé de la petite couronne parisienne, en partie incluse dans la Zone A bis visée par le dispositif Pinel, était en 2015 de 16,5 euros le m². A titre de comparaison, le plafond défini pour pouvoir bénéficier du dispositif Pinel était, pour une zone relativement comparable, de 16,83 euros par m². Si les zones considérées ne sont pas parfaitement comparables, ces données permettent de relativiser le caractère « intermédiaire » des loyers proposés. Il paraît clair que l’objectif de proposer des loyers inférieurs de 20% aux loyers de marché ne semble pas rempli. Pour ce qui est des plafonds de revenu, ils ne semblent pas cibler prioritairement les ménages aux revenus proches de la  « moyenne ». A titre d’exemple, en 2012, les personnes seules déclaraient un revenu médian de 17 800 euros annuel. Le dernier décile de revenu déclaré était de 35 800 euros (ERFS, 2012). Clairement, les plafonds de revenu définis au sein du dispositif Pinel ne semblent pas le flécher vers les ménages aux revenus insuffisants pour se loger correctement dans le parc locatif privé traditionnel.

De même, le zonage afférent à la mesure, largement critiqué et déjà remanié lors de la mise en place du Duflot, reste encore largement perfectible. Bien que les caricatures observées lors de la mise en œuvre du Scellier aient en grande partie disparues, il demeure que certaines zones concernées ne correspondent pas tout à fait à la définition de zones « en tension », c’est-à-dire de zones où l’offre de logement est largement insuffisante.

Enfin, si la possibilité offerte de louer à ses ascendants ou descendants est pour le moins curieuse, la réduction de la durée minimale de mise en location, réclamée par les professionnels afin d’intégrer de la « flexibilité » dans l’investissement est quant à elle très critiquable. Rappelons que ce type de dispositif avait pour objectif initial de développer en France un parc de logements dits « intermédiaires ». Alors que la fixation de plafonds de loyers et de ressources élevées ne permet pas de cibler correctement les locataires pouvant correspondre aux critères initialement souhaités, les durées d’engagement posent question. Peut-on subventionner des logements dont la durée de mise en location est si courte alors même que la nécessité de développer durablement un parc de logements abordables semble faire consensus ?

Le « Pinel », combien ça coûte ?

Le coût des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif est l’une des principales critiques qui leur est adressé. Ainsi, malgré l’existence de plafonds d’investissement, excluant d’ailleurs de fait certaines zones très tendues telle que celle de Paris, le coût budgétaire par logement peut s’avérer très élevé. Par exemple, une personne seule au revenu déclaré de 77 000 euros par an et investissant dans un Pinel à hauteur du plafond (300 000 euros) pour une durée de 12 ans, serait amenée à déduire de ses impôts plus de 53 000 euros. A titre de comparaison, l’ensemble des aides publiques affectées à la production d’un logement social du type PLAI – dont les plafonds de loyers sont de 5,94 euros par m² pour la zone équivalente à la zone A bis du dispositif Pinel – s’élève à 59 000 euros alors même que la production de logements sociaux s’inscrit par définition dans un temps bien plus long.

Conscient du caractère « extrême » de ce cas de figure et afin d’évaluer le coût budgétaire potentiel du Pinel, nous nous sommes basés sur la méthodologie proposée par le Ministère du Logement en 2008. Nous considérons dans un premier temps la dépense fiscale moyenne par logement puis multiplions cette dépense par le nombre de « Pinel » produit pour l’année 2015. Cela nous fournit une estimation du coût budgétaire d’une génération de « Pinel ».

La dépense fiscale par logement est calculée à partir des paramètres micro-économiques moyens : le logement considéré est un logement standard, invariant sur la période, d’une surface habitable de 65 m² ; son prix est déterminé à partir du prix moyen au mètre carré de vente des appartements neufs par les promoteurs, tel que donné par l’enquête « Commercialisation des logements neufs » (ECLN) pour le quatrième trimestre 2015 (3 892€/m²) ; et enfin l’investisseur considéré est une personne mariée avec un enfant disposant d’un revenu de 60 000 € environ.

Les simulations n’intègrent ni les revenus émanant de l’investissement (les loyers perçus) ni le cumul possible avec d’autres niches fiscales. La durée de mise en location est la durée intermédiaire de 9 ans. In fine, pour cet investissement, le coût budgétaire est pour l’Etat de 20 077 euros. Sous l’hypothèse de 50 000 Pinel produit en 2015, le coût budgétaire d’une génération de Pinel dépasse donc le milliard d’euros.

Si cette estimation ne donne qu’un ordre de grandeur des coûts induits, elle livre tout de même un certains nombres d’enseignements. Un milliard d’euros d’aides de l’Etat adressé à la construction de logement type PLAI, en plus d’engendrer tout autant d’emplois que la construction de Pinel[2],  permettrait la création de près de 30 000 PLAI supplémentaires chaque année …

[1] Méhaignerie, Quilès-Méhaignerie, Périssol, Besson, Robien, Daubresse, Robien recentré, Borloo Populaire, Scellier, Scellier intermédiaire, Duflot et Pinel.

[2] François Hollande soulignait justement dans la même intervention que la production d’un logement générait la création de 2 emplois.




Le chômage bâti pour durer

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du mois de février 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître une hausse de 38 400 du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A). Si cette hausse est à première vue très forte, elle est à prendre avec prudence. Pour rappel, le nombre d’inscrits à Pôle Emploi avait reculé fortement en janvier du fait d’un changement des règles administratives de réinscription. Ainsi, une partie de la hausse s’explique par la normalisation du nombre de cessations d’inscription pour défaut d’actualisation qui s’établit désormais à 218 000 en février après avoir atteint 239 000 en janvier. Par rapport au mois de décembre 2015, où les changements administratifs ne brouillent pas le signal, le nombre de chômeurs inscrits dans la catégorie A a augmenté de 10 500 personnes.

En février, la hausse des inscrits en catégorie A reflète en grande partie le transfert des inscrits des catégories B (-3 000 en février) et C (-32 300) vers la catégorie A. Au total le nombre d’inscrits en catégories A, B, C augmente légèrement (+3 100) mais reste à un niveau inférieur de 15 200 à celui atteint au mois de décembre. La forte baisse des inscrits en catégorie C, regroupant les inscrits à Pôle Emploi en activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) constitue un signal négatif, à prendre avec prudence, sur le niveau de l’emploi du mois de février.

Ces évolutions mensuelles doivent être mises en regard des évolutions sur plus longue période. Après huit années de crise qui ont bouleversé l’emploi, les évolutions des demandeurs d’emploi par grands domaines professionnels permettent d’appréhender certaines dimensions de ces transformations. Ainsi, entre début 2008 et fin 2015, le nombre d’inscrits en catégorie A, B et C à Pôle Emploi a augmenté de 2,3 millions, celui des inscrits en catégories A de 1,5 million. Ces demandeurs d’emploi supplémentaires en catégorie A proviennent principalement du secteur des services (+ 1,1 million). Le nombre de demandeurs d’emplois issus des secteurs du BTP (bâtiments et travaux publics) et de l’industrie voient, quant à eux leur nombre augmenter respectivement de 200 000 et 170 000 sur cette même période. Rapportées au nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A, ces évolutions montrent une hausse plus rapide des inscrits dans l’industrie et le BTP au début de la crise. Si cette hausse de la part des inscrits issus de l’industrie s’est avérée temporaire (+ 2 points entre début 2008 et début 2009, puis retour au niveau initial début 2011), elle apparaît bien plus durable dans le BTP (+2,2 points entre début 2008 et fin 2015). Depuis 2011, le nombre d’inscrits en catégorie A par grands domaines professionnels croît au même rythme.

 

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Parmi les 74 familles professionnelles répertoriées par la Dares, au sein desquelles nous avons retenu celles ayant un poids significatif[1], les dix qui ont connu la plus forte augmentation depuis début 2008 sont principalement dans le secteur du BTP. En effet, plus de la moitié des dix professions les plus impactées par le chômage se situent dans ce secteur avec une augmentation comprise entre 126 % pour les conducteurs d’engins du BTP et plus de 200 % pour les ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment. En dehors du BTP, les professions ayant connu la plus forte hausse du nombre d’inscrits à Pôle Emploi depuis début 2008 sont les métiers liés à la restauration et au commerce de bouche (148 % pour les cuisiniers et 130 % pour les bouchers, charcutiers, boulangers), ainsi que les aides à domicile et ménagères (+126 %) ou les professionnels de l’action culturelle, sportive et surveillants (+126 %). Ces dix familles professionnelles qui représentaient moins de 13 % des inscrits en catégorie A au début de l’année 2008 ont contribué à hauteur de près de 23 % à la hausse du chômage depuis le début de la crise.

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[1] Leur famille représente au moins 0,5 % du nombre d’inscrits en catégorie A, ce qui correspond à plus de 15 000 inscrits en catégorie A pour une seule famille professionnelle.




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : il y aura bien une « année blanche » !

Céline Antonin, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) faisait partie du programme de campagne de 2012 du président Hollande. Ce projet de réforme est désormais porté par le gouvernement Valls et devrait être prochainement présenté devant l’Assemblée nationale. Si la loi est adoptée, en 2018, les ménages seront taxés à la source sur la base de leurs revenus perçus en 2018. La mise en place de cette mesure nécessite une année de transition. En l’absence de mesures particulières, les revenus perçus en 2017 échapperont au barème de l’IRPP.

L’objectif affiché est de rendre l’imposition sur le revenu plus simple et de permettre une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est perçu et celui où l’impôt est payé (Ayrault et Muet, 2015). Toutefois, cette mesure suscite de nombreux débats (Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015a) car la simplification pourrait ne pas être au rendez-vous, sans compter que la non fiscalisation des revenus de l’année de transition, la fameuse « année blanche », pose un vrai défi, notamment, pour maintenir l’équité fiscale[1], limiter le risque d’optimisation fiscale (certains contribuables pourraient en profiter pour réaliser des revenus exceptionnels qui ne seraient pas imposés) et éviter une baisse des dons à cause de la non déductibilité pendant l’année de transition.

Pour faire taire de nombreux détracteurs, le Ministre du Budget, Michel Sapin, a déclaré le 16 mars 2016 que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu n’engendrerait pas d’ « année blanche ». Pourtant, pour les ménages, il y aura bien une « année blanche », car tous les contribuables vivant en 2017 auront une année de moins d’impôt sur le revenu à payer sur l’ensemble de leur vie (Touzé, 2015b).

Certes, du point de vue de l’Etat, et le Ministre du Budget a raison de le souligner, il n’y aura pas d’année sans recettes d’impôt sur le revenu. L’opération n’est cependant pas neutre d’un point de vue budgétaire. Pour l’Etat, cette réforme induit deux effets:

  • — Un supplément de recettes : en faisant payer plus tôt l’IRPP, l’Etat n’accorde plus un crédit d’un an aux ménages, ce qui s’assimile à un gain financier implicite égal au taux d’intérêt d’émission des obligations publiques ;
  • — Une perte de recettes : en renonçant à fiscaliser une année de revenu, l’Etat enregistre une perte de recettes fiscales qui sera effective lors du décès des contribuables restés sur le territoire français ou lors de leur domiciliation fiscale à l’étranger pour les autres.

Pour les finances publiques, le gain net est positif dès qu’il y a de la croissance économique. En effet, en termes de trésorerie, l’administration fiscale va percevoir plus tôt des impôts sur les revenus en cours, nécessairement plus élevés en période de croissance économique que ceux sur les revenus de l’année précédente.

Pour les ménages, malencontreusement, le financement de ce gain potentiel pour les finances publiques est très inégalement réparti (Touzé, 2015b) :

  • — Ceux qui payent déjà l’impôt sur le revenu vont gagner une « année blanche » et perdre l’avantage financier de l’impôt différé ;
  • — Ceux qui ne payent pas encore l’impôt sur le revenu (les plus jeunes et les générations futures de contribuables) n’ont aucun gain fiscal et perdent l’avantage financier de l’impôt différé, dont ils auraient bénéficié en l’absence de réforme.

Le paiement actuel avec une année de décalage de l’IRPP constitue indéniablement un avantage financier pour les ménages puisqu’ils peuvent épargner le « crédit » d’impôt implicite octroyé par l’Etat. Cet avantage est égal au taux d’intérêt monétaire :

  • — Pour un contribuable qui épargne, les taux de rémunération de l’épargne sont actuellement faibles : pour l’épargne réglementée et sans risque, ils se situent entre 0 % (dépôt à vue) et 1,5 % (Plan d’épargne logement) ; contre environ 2 % après prélèvements sociaux pour les produits d’assurance-vie en euros.
  • — Pour un contribuable qui rembourse un emprunt, le taux d’intérêt financier dépend des taux d’intérêt débiteurs en vigueur : de 2,5 à 4,4 % pour des crédits à la consommation et entre 1,5 et 2,4 % pour un crédit immobilier.

Pour les ménages, supprimer le délai de paiement implique donc une hausse implicite permanente de l’IRPP. Cette hausse est comprise entre 0 et 4,4 % en se basant sur les taux monétaires observés début 2016. Toutefois, rien n’indique que la faible rémunération actuelle de l’épargne se poursuivra dans le futur, le contexte présent étant principalement lié à la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne qui veut éviter l’entrée en stagnation séculaire (Le Garrec et Touzé, 2016a).

L’impact de la suppression du délai de paiement dépend également de la durée de vie fiscale des contribuables. L’espérance de vie des contribuables âgés étant plus faible que celle des jeunes, les seniors subiront moins longtemps la hausse implicite de la fiscalité.

En 2015, le montant prélevé d’IRPP a été de 76 milliards d’euros. Renoncer à fiscaliser au barème de l’IRPP les revenus de l’année 2017 (année d’élection présidentielle et législative de surcroît) conduira à une baisse d’impôt similaire pour les contribuables vivant en 2017. Ces derniers bénéficieront de facto d’une année de moins d’impôt à payer pendant toute leur durée de vie fiscale. En pratique, au moment de leurs décès, leurs héritiers, contrairement à la situation actuelle, n’auront plus à s’acquitter du montant d’IRPP du défunt dans la mesure où il aura déjà été prélevé à la source. L’année blanche pourrait donc contribuer à grossir le montant des héritages[2]. Cette année blanche sera aussi effective pour les contribuables partis à l’étranger au moment de leur changement de domicile fiscal.

A partir de la distribution observée de l’impôt sur le revenu début 2011 (enquête INSEE, « Budget des familles »), nos calculs montrent que la réduction d’impôt liée à l’année blanche est très mal répartie entre les générations (voir tableau 1) :

  • — Les contribuables seniors âgés de 50 à 69 ans sont ceux qui ont le montant d’impôt sur le revenu le plus élevé et concentrent ainsi près de 47 % de l’année blanche alors qu’ils représentent moins de 35% des contribuables ;
  • — Les jeunes contribuables âgés de moins de 30 ans concentrent très peu de cet avantage en comparaison de leur poids social ;
  • — Les jeunes et futures générations qui ne payent pas encore d’impôt n’en tirent aucun bénéfice.

D’un point de vue générationnel, les seniors sont donc ceux qui bénéficieront le plus du prélèvement à la source : gain de la non-imposition des revenus 2017 potentiellement plus élevé que les autres classes d’âge et moindre impact de la hausse implicite de l’IRPP en raison d’un horizon de vie fiscal plus court.

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Par ailleurs, du fait de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le partage du gain de l’année blanche est très mal réparti entre les différents déciles et centiles de revenu (tableau 2) : seuls les 50 % des ménages les plus riches paient l’IRPP sachant que ceux des centiles supérieurs, 1% et 3 % (C98, C99 et top 1%), concentrent respectivement 31,8 % et 47,7 % de l’IRPP.

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Vu le caractère très inégalitaire du partage du bénéfice de l’année blanche et de l’impact temporel de la suppression du délai de paiement, il pourrait être souhaitable que des études approfondies accompagnent le projet de prélèvement à la source et que des corrections soit proposées. Par exemple, deux mesures correctives pourraient être facilement mises en œuvre  (Le Garrec et Touzé, 2016b) :

  • — Réduction de l’impôt prélevé à la source du montant du taux d’intérêt financier en vigueur ;
  • — Imposition des revenus 2017 (pas d’année blanche), créance fiscale qui pourrait être remboursée progressivement tout au long de la vie du contribuable sans altération de son revenu disponible.

Ces deux mesures simples seraient à même de garantir la neutralité et l’équité fiscale.

 

Bibliographie

Ayrault J.-M. et P.-A. Muet, 2015, Pour un impôt juste, prélevé à la source, Fondation Jean Jaurès, Août 2015:

(http://www.jean-jaures.org/content/download/21481/225169/version/3/file/prelev-source.pdf)

Lefebvre D. et F. Auvigne (2014), Rapport sur la fiscalité des ménages, République française:

(http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2014/06/rapport_sur_la_fiscalite_des_menages.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016a), « L’équilibre de stagnation séculaire », Blog de l’OFCE, 26 janvier 2016:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2016/note57.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016b), « Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et année de transition : Quel impact pour les finances publiques et l’équité fiscale? », mimeo OFCE, document de travail à paraître.

Sterdyniak H., « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelevement-la-source-une-reforme-compliquee-un-gain-tres-limite/)

Touzé V. (2015a), “Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse”, Blog de l’OFCE, 15 septembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelever-limpot-sur-le-revenu-la-source-une-reforme-compliquee-et-couteuse/)

Touzé V. (2015b),  “Adopter un prélèvement à la source et maintenir l’équité fiscale. Quelques éléments de calculs”, Note de l’OFCE, n°53, 26 novembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2015/note53.pdf)

 

[1]Le prélèvement à la source garantit l’équité fiscale si après réforme, le montant d’impôt payé par chaque ménage reste inchangé.

[2] On peut noter au passage que dans un contexte de faible mobilité sociale, les descendants des contribuables les plus fortunés subiront aussi de plein fouet l’abandon du délai d’un an de paiement de l’impôt (hausse implicite de l’IRPP) dans la mesure où ils seront aussi les principaux contributeurs de l’impôt sur le revenu dans le futur. D’un point de vue dynastique, les riches descendants financeront implicitement l’année blanche de leurs parents fortunés (Le Garrec et Touzé, 2016b).




L’acier peut-il réveiller la politique industrielle européenne ?

par Sarah Guillou

La question de la sidérurgie européenne était à l’ordre du jour du Conseil européen « Compétitivité » qui s’est tenu le lundi 29 février 2016. Une des conclusion de ce Conseil a été l’expression d’une demande de réduction de deux mois des enquêtes anti-dumping. Cette demande fait suite à la lettre adressée le 5 février par les ministres de 7 pays européens, dont la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni à la Commission européenne, l’exhortant de prendre des mesures de protection du secteur sidérurgique vis-à-vis de la concurrence jugée déloyale de la Chine et de la Russie.

La sidérurgie, successivement moteur du développement industriel en Europe,  moteur de la cohésion européenne avec la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) pour devenir ensuite le théâtre des vents violents de la globalisation puis symbole du recul industriel de l’Europe sera-t-elle le secteur du retour de la politique industrielle européenne ?

Rétrospectivement, on peut se demander si les difficultés de la sidérurgie européenne, à la fois soumise au contrôle tatillon de la Direction de la concurrence européenne et aux importations chinoises à bas coût, ne sont pas en partie le symptôme d’une politique industrielle européenne défaillante, coincée entre une politique de la concurrence très active et une politique commerciale timorée ?

De fait, l’histoire de la sidérurgie européenne retrace assez fidèlement l’histoire de la politique industrielle européenne : centrale et sectorielle à l’heure de la CECA, autorisant de nombreuses aides publiques au secteur à titre dérogatoire, elle devint ensuite principalement horizontale et subordonnée à la politique de concurrence. Finalement, elle n’a trouvé son exercice qu’aux moyens de la politique commerciale en réponse à l’intensification de la concurrence des pays émergents. Dans la sidérurgie, depuis les années 1980, aucune mesure d’alliances ou de regroupement européen n’a été envisagée, aucun plan européen de rationalisation des capacités de production n’a limité la diminution des emplois de la sidérurgie européenne. Cette diminution a été de concert avec l’évolution de la spécialisation du continent sur les produits d’acier à haute technicité. Mais même ces emplois-là sont aujourd’hui menacés. Une autre politique industrielle pourrait-elle les sauver ?

L’état du secteur en Europe

Le secteur de la sidérurgie rassemble aujourd’hui 360 000 emplois dans l’Union européenne. Le secteur européen a perdu près d’un quart de sa main-d’œuvre depuis 2009 et les suppressions d’emplois ont accéléré : 3 000 emplois supprimés au cours des 6 derniers mois.

En termes de production, la sidérurgie génère 180 milliards de chiffres d’affaires produisant 170 millions de tonnes sur 500 sites de production dans 23 Etats membres. Si on considère les pays européens pris isolément, l’Allemagne est à la 7e place, l’Italie à la 11e et la France à la 15e place dans le classement des producteurs d’acier. Le secteur est dépendant des importations de minerais de fer et d’alumine ainsi que du charbon. Fort heureusement, la baisse des prix de ces matières premières a accompagné la baisse du prix de l’acier. L’industrie est très capitalistique nécessitant des investissements importants. En même temps, le transport de bobines d’acier et de produits plats est peu onéreux, ce qui rend les importations plus aisées.

La crise économique de 2008 s’est répercutée en cascade sur le secteur, les produits de l’acier constituant des consommations intermédiaires de nombreux secteurs de l’industrie mais aussi de la construction.  Par ailleurs, les acteurs européens font face à des contraintes environnementales plus élevées qu’ailleurs. L’industrie sidérurgique étant très émettrice de CO2, elle est très sensible au prix du carbone et au changement de réglementation. La sidérurgie est un acteur clé du système d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre européen et si la crise a permis au secteur d’engranger des bénéfices par la vente de surplus de droits d’émissions, les acteurs aujourd’hui en difficulté vis-à-vis de leurs concurrents non-européens seront très sensibles à la prochaine réforme du système pour la période 2020-2030.

Certaines entreprises sont aujourd’hui en grande difficulté. C’est le cas d’Arcelor Mittal qui a annoncé une perte record pour 2015 (près de 8 milliards d’euros), notamment en raison de la nécessité de déprécier ses mines et ses stocks d’acier. L’entreprise, qui est très endettée en raison de ses acquisitions nombreuses en Europe, envisage de fermer des usines. De son côté Tata Steel a fermé des sites britanniques. Au Japon, Nippon Steel qui vient de monter au capital du français Vallourec et s’apprête à racheter le japonais Nisshin Steel, résiste mieux.

Les difficultés du secteur qui a accumulé des capacités excédentaires depuis la crise se sont accentuées avec le retournement conjoncturel chinois. Ainsi, l’année 2015 aura été la première année de baisse (-3%) de la production mondiale (1 622 millions de tonnes) après 5 années de hausse. L’ajustement de la production globale à la baisse de la demande n’a pas été immédiat, les prix ont d’abord constitué la variable d’ajustement. La baisse de la production est le signal de fermetures de site, d’usines comme d’exploitation minière. Elle scelle un cycle de croissance de la production chinoise qui a fortement déstabilisé le marché.

La tornade chinoise

La production chinoise a doublé de volume entre 2000 et 2014 et représente à présent à elle seule plus de deux fois la production combinée des 4 autres plus grands pays producteurs que sont le Japon, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis. Cette performance est le résultat d’un soutien massif des pouvoirs publics et du dynamisme de la construction, des investissements d’infrastructure, de la production de machines et d’automobiles du marché chinois et d’un accès privilégié au minerai de fer. La Chine produit près de 50 % de l’acier mondial, soit environ 800 millions de tonnes d’acier. Le deuxième producteur mondial est le Japon avec une centaine de millions de tonnes. La troisième place se dispute entre l’Inde et les Etats-Unis autour de 5%. Si on inclut l’Europe à 28 comme entité alors celle-ci prend la deuxième place avec 10% de la production mondiale (Source: World Steel  Association). Mais le ralentissement de l’économie chinoise et la forte inertie des capacités de production dans la sidérurgie ont créé de larges excédents de capacités que les autorités tentent aujourd’hui de réduire. Les besoins nationaux de la Chine sont de l’ordre de la moitié de sa production, donc elle en exporte l’autre moitié. Ces 400 millions de tonnes représentent deux fois la production européenne. Le prix de l’offre chinoise est, par conséquent, susceptible de bousculer fortement les équilibres des autres pays. Les excédents de capacité sont dirigés vers les marchés étrangers à bas prix pour être écoulés, les exportateurs chinois ne se privant pas de brader leurs produits sidérurgiques. Ainsi les exportations de la Chine en Europe sont passées de 45 millions de tonnes en 2014 à 97 millions de tonnes en 2015, plus que la production allemande de 43 millions de tonnes.

La Chine devrait subir aussi une importante baisse de ses effectifs et certains sites de production ont déjà fermé, submergés par un endettement colossal. Les aciéristes chinois perdent de l’argent et les faillites des petites unités vont se succéder. Toutefois les grosses unités, très souvent propriété publique, résistent (au prix d’un fort endettement) et deviennent d’agressifs prédateurs non seulement en termes de prix mais également en termes de capacités d’acquisition. Les faiblesses des entreprises européennes les rendent aussi vulnérables aux acquisitions étrangères. China Hebei Iron et Steel Group seraient ainsi sur le point d’acquérir un sidérurgiste serbe, ce qui serait encore un autre moyen d’entrer en Europe.

La réponse politique

 Les pouvoirs publics ont longtemps été fortement impliqué dans le secteur sidérurgique. Secteur stratégique pour le développement économique d’après-guerre, le secteur est à l’origine de la construction économique européenne alors que la politique des « petits pas » de Robert Schuman conduisit à placer sous une autorité commune les productions de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne ensuite rejointes par d’autres pays. Le secteur a ensuite longtemps bénéficié de nombreuses subventions et aides publiques entretenant des surcapacités relativement à la demande, estimée aujourd’hui à 10-15 % de la production. Puis, s’émancipant progressivement de la puissance publique, le secteur fut exclut, au milieu des années 1990, de la liste des secteurs en difficulté éligibles aux aides à la restructuration et au sauvetage. Toutefois, les aides d’Etat n’ont jamais complètement disparu mais aujourd’hui, la Commission européenne, via la Direction de la concurrence, applique assez strictement le principe de l’investisseur du marché pour juger de la légalité de l’aide publique.

Traquant les distorsions de concurrence sur son propre marché, la Commission européenne a récemment ouvert une enquête sur les aides italiennes (de 2 milliards d’euros) au sidérurgiste Ilva et a exigé de la Belgique qu’elle rembourse 211 millions d’euros d’aides versées au sidérurgiste Duferco. La Commission avait ouvert une enquête en 2013 sur les aides versées par la « Belgian Foreign Strategic Investments Holding » (FSIH) qui est une instance créée en 2003 par la Société wallonne de gestion et de participations (SOGEPA) afin d’investir dans la sidérurgie. Ces aides versées entre 2006 et 2011 par le gouvernement wallon ont été jugées comme créant des distorsions de concurrence sur le marché européen. En effet, pour la Commission, des investisseurs privés n’auraient pas volontairement procédé à de tels investissements. Ces subventions du gouvernement wallon ont donc constitué une aide créant un désavantage pour les concurrents. La Commission reconnaît que la concurrence étrangère est très forte mais juge que le meilleur moyen d’y faire face est d’avoir des acteurs européens autonomes et solides. Elle fait remarquer qu’en dépit des aides du gouvernement, le groupe Duferco a supprimé toute son activité en Belgique, les aides n’ayant que reporter la sortie d’une entreprise qui n’était pas viable. Aujourd’hui la Commission soutient la reconversion des travailleurs de la région wallonne à travers le fonds « European Globalisation Adjustment Fund ». Il s’agit de combattre la course aux aides publiques en Europe qui serait au final préjudiciable au secteur.

En parallèle, des mesures de rétorsions commerciales dites anti-dumping ont été mises en place par la Commission européenne. Cette dernière a imposé des droits anti-dumping provisoires jusqu’à 25,2 % sur les importations de certains produits d’acier de la République de Chine et des droits jusqu’à 12 % sur les importations en provenance de Taïwan à la suite d’une plainte d’EUROFER (l’association européenne de l’acier) en mai 2014. L’enquête de la CE aura finalement conclu que la Chine et Taiwan vendaient à des prix de dumping. Plus récemment, Cecilia Malström, chargée de la politique commerciale à la Commission européenne, a écrit à son homologue chinois en le prévenant qu’elle allait lancer 3 investigations anti-dumping à l’égard des exportateurs chinois (février 2015) : dans le domaine des tuyaux sans soudure, des tôles lourdes et des aciers plats laminés à chaud. Des droits anti-dumping provisoires (entre 13 et 26%) ont été également décidés le 12 février 2016 (plainte de 2015) à l’égard de la Chine et de la Russie.

Une trentaine de mesures anti-dumping protègent la sidérurgie européenne, mais les Etats membres dont le secteur est particulièrement affecté par la concurrence chinoise appellent à une intensification des mesures. Les responsables politiques s’insurgent contre les exportations à perte de la Chine et réclament des mesures européennes. Ils envient les mesures américaines qui sont prises plus rapidement et qui ne lésinent pas sur les montants des droits : les Américains ont imposé des droits jusqu’à 236%. Or la nature de ces mesures dépendent du statut économique  accordé à la Chine. Les mesures anti-dumping ne se définissent pas de la même manière. Tant que la Chine n’est pas une économie de marché, on suppose qu’elle soutient fortement ses secteurs et donc que ses prix ne sont pas des prix de marché. L’Italie se bat en Europe pour empêcher qu’on accorde ce statut à la Chine, alors que le Royaume-Uni soutient la Chine à l’OMC (bien que son industrie soit également en difficulté). La Commission a reporté sa décision à l’été.

Quelle politique pour demain ?

Faut-il laisser disparaître la production d’acier en Europe ? C’est encore plus de 300 000 emplois en Europe, certes sur plus de 35 millions d’emplois dans l’industrie manufacturière en 2014. Secteur symbolique de l’industrie lourde, secteur fournisseur des industries du transport et de la défense mais aussi de la construction, sa disparition tournerait définitivement une nouvelle page de l’industrie européenne.

Doit-on reconnaître que, suivant la théorie des avantages comparatifs, il vaut mieux acheter de l’acier chinois moins cher et utiliser les revenus dégagés à d’autres usages qui rapporteront plus ? Ne faut-il pas, par exemple, utiliser ces revenus pour requalifier les employés ? En théorie oui, mais les revenus dégagés sont obtenus par les acheteurs d’acier, ce sont eux qui devraient alimenter le Fonds européen de reconversion. Faudrait-il alors taxer la consommation d’acier devenu alors moins cher ? La faille de raisonnement  apparaît quand on réalise que ce qui est vrai au niveau des équilibres macroéconomiques se réconcilie difficilement avec les déséquilibres microéconomiques : ceux qui perdent leurs emplois aujourd’hui ne sont pas les consommateurs qui gagnent. Au final, les articulations microéconomiques peuvent fausser les équilibres macroéconomiques.

La disparition des savoir-faire est bien l’enjeu principal car là est le véritable gaspillage des ressources. Tant que les qualifications sont un facteur de compétitivité, les difficultés liées à l’insuffisance de la demande doivent être considérées comme des difficultés transitoires qu’il faut gérer le mieux possible. Il ne faut exclure ni l’apport de capitaux étrangers ni les aides publiques. Ce qui justifie en effet ces investissements, ce sont les rendements espérés de l’usage du capital humain. Pour gérer ces difficultés, il faudrait aussi admettre que des alliances sur des segments de marché sans difficultés soient possibles même si elles confèrent des excès de pouvoir de marché, dès lors que la marge qu’elles permettent autorisent le maintien d’activité en difficulté conjoncturelle.

C’est pourquoi il faut ouvrir la politique de la concurrence à des incises de politique industrielle (qui s’inquiète des savoir faire) et de la politique commerciale (qui apprécie le  caractère conjoncturel et/ou déloyal de la concurrence).

Il faudrait mettre les acteurs européens autour d’une table – ils sont déjà regroupés dans Eurofer – et avec la Commission européenne envisager un plan européen de gestion des surcapacités et susciter des alliances. La Direction de la concurrence de la Commission européenne doit dépasser sa rigidité intellectuelle et adapter sa lecture de la concurrence à la nature de la globalisation contemporaine. Bien que reposant sur une logique non contestable au nom du marché unique, la logique de la Direction de la concurrence n’est parfois plus adaptée à la concurrence contemporaine qui se déploie sur la chaîne de valeurs mondiales et qui est sans équivalent avec le marché européen du 20e siècle. Qui peut croire que le pouvoir de marché issu d’une fusion européenne ne serait pas contesté très rapidement par des acteurs étrangers si la nouvelle entreprise se mettait à profiter de son pouvoir de marché ? Les limites au pouvoir du marché  sont bien plus fortes au 21e siècle, la faible inflation et la dépression des prix des matières premières en est une des illustrations. Le risque des abus de pouvoirs des multinationales est moins dans des excès de prix que dans des excès de captation de clientèle et des excès de détournement fiscal. Ce dernier point semble d’ailleurs avoir été bien compris par la Commission européenne. A cela s’ajoute la concurrence des nouveaux usages conduits par le digital auxquels les industriels ne peuvent se soustraire. Autrement dit, la concurrence n’est plus ce qu’elle était, les excès de pouvoir des firmes ne s’expriment plus guère dans les prix ou les restrictions de quantité.

Politique de concurrence, politique industrielle et politique commerciale doivent être élaborées de concert. Une Direction de la concurrence augmentée devrait inclure une dimension de politique industrielle et de politique commerciale. Si le contrôle très strict de la concurrence était une évidente priorité dans la phase de la construction du marché unique et alors que l’essentiel de la concurrence se faisait entre pays développés, il est aujourd’hui urgent de repenser l’articulation entre les trois politiques afin de consolider le futur de l’industrie européenne.

 




La BCE étend son programme de QE et brouille sa communication

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé ce jeudi 10 mars, à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs, une série de mesures supplémentaires d’assouplissement de sa politique monétaire. L’objectif est d’éviter que la déflation ne s’installe et de tenter de soutenir la croissance en zone euro. L’innovation majeure réside dans le programme de financement des banques à taux négatifs. Si les mesures ont été favorablement accueillies par les marchés au moment de leur annonce, une erreur de communication de Mario Draghi, pendant la conférence de presse qui suit la réunion du Conseil des gouverneurs, a largement réduit une partie de l’effet attendu des décisions prises.

Quelles décisions ont été prises ?

– Les trois taux directeurs fixés par la BCE ont été réduits. Le taux principal de refinancement baisse de 0,05 % à 0 %, tandis que le taux des facilités marginales passe de 0,30 % à 0,25 %. Enfin, le taux des facilités de dépôts, qui rémunère les réserves excédentaires que les banques déposent au bilan de la BCE, baisse lui de –0,30% à –0,40%. Le coût pour une banque à avoir des liquidités au bilan de la BCE augmente donc.

– Le programme d’assouplissement quantitatif (QE) est étendu en termes de taille – les achats de titres passent de 60Mds€ à 80 Mds€ par mois – mais surtout en termes de types de titres financiers éligibles à l’achat. Alors que la BCE achetait jusqu’à présent des titres publics (obligations souveraines et/ou de collectivités locales), elle achètera des obligations d’entreprises de bonne qualité, selon les critères des agences de notation. Cette mesure est une réponse directe à l’assèchement de l’offre de titres publics et devrait permettre de peser directement sur les conditions des entreprises qui émettent sur les marchés obligataires.

– L’innovation majeure réside dans le nouveau programme de TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) dont le but est de réamorcer le canal du crédit bancaire et d’octroyer des financements aux banques conditionnellement à leur financement de l’économie réelle. Ces prêts aux banques se feront à des taux nuls, voire négatifs, en fonction de différents critères parmi lesquels les montants de prêts que les banques accordent aux ménages et aux entreprises. En d’autres termes, la BCE va payer les banques remplissant ces critères pour qu’elles prêtent à leur tour.

Quels effets en attendre ?

L’effet à attendre de telles mesures dépend de la situation sur le marché du crédit. En temps normal, de nombreuses études montrent que ces mesures ont un effet positif sur l’économie. Cependant, cela ne se vérifiera que si c’est l’offre de crédit qui est aujourd’hui contrainte en zone euro. A l’inverse, si le problème réside dans la demande de crédit des ménages et des entreprises dont les perspectives en termes de revenus et profits sont faibles, alors ces mesures n’auront que peu d’effet. En accordant des conditions si favorables aux banques, on peut imaginer que la BCE fait le pari d’augmenter la demande solvable de crédit, c’est-à-dire que la BCE fournit des incitations fortes aux banques à prêter à des ménages et individus qui apparaissaient comme non-solvables aux conditions antérieures. Un autre effet attendu de la baisse du taux sur les facilités de dépôts et de l’augmentation du QE passe par la baisse du taux de change de l’euro, de manière à favoriser les exportations de la zone euro et à augmenter l’inflation importée et donc l’inflation globale de la zone euro. Ce canal est potentiellement d’autant plus important que la Réserve fédérale a enclenché un cycle de resserrement monétaire.

Il n’empêche qu’une politique économique plus pertinente consisterait à utiliser la politique budgétaire – d’autant plus que les conditions de financements des Etats sont à des niveaux historiquement faibles : l’Etat français gagne en 2016 de l’argent à s’endetter à moins de 4 ans – pour soutenir la demande. La politique monétaire n’en aurait alors que plus d’effet.

Pourquoi annoncer que les marges de manœuvre sont épuisées ?

Mario Draghi, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs, a annoncé que « la BCE ne réduirait plus les taux d’intérêts », ce qui a eu pour effet de modifier intégralement l’interprétation des marchés financiers des décisions communiquées un peu plus tôt. Alors que ces décisions, très expansionnistes, ont pour but de desserrer plus encore les conditions monétaires et financières et de faire baisser le taux de change de l’euro, l’annonce que les évolutions futures de la politique monétaire de la BCE ne pouvaient être que restrictives a transformé les anticipations des investisseurs.

Parce qu’un des principaux canaux de la transmission de la politique monétaire passe par les anticipations, plusieurs études réalisées sur données américaines[1], anglaises[2] ou de la zone euro[3] montrent que la communication de la banque centrale doit être cohérente avec ses décisions au risque de réduire les effets attendus de la politique monétaire. On parle alors d’un effet de signal de la politique monétaire. La simple phrase formulée par Mario Draghi en est l’exemple. Le graphique suivant montre le taux de change de l’euro vis-à-vis du dollar sur la journée du 10 mars. La forte baisse du milieu de journée correspond à la publication des décisions prises lors du Conseil des gouverneurs, tandis que la hausse tout aussi brutale correspond au message contradictoire prononcé quelques minutes plus tard lors de la conférence de presse. On constate alors qu’une série de mesures très expansionnistes – dont l’un des buts est de faire baisser l’euro – vient d’être annoncée, que l’euro aura finalement augmenté vis-à-vis du dollar comme si des mesures restrictives avaient été mises en place.

Cela ne veut pas forcément dire que ces décisions n’auront pas d’effets mais qu’une partie des effets sera amoindrie, voire potentiellement nulle. D’autres canaux de transmission que l’effet de signal restent opérants. Alors que le canal du taux de change se trouve maintenant réduit par l’effet restrictif généré par le canal des anticipations, nous verrons dans les semaines et mois à venir si les mouvements de capitaux induits par les décisions prises auront l’effet attendu sur le taux de change de l’euro.

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[1] Hubert, Paul (2015), “The Influence and Policy Signalling Role of FOMC Forecasts”, Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 77(5), 655-680.

[2] Hubert, Paul, and Becky Maule (2016), “Policy and Macro Signals as Inputs to Inflation Expectation Formation”, Bank of England Staff Working Paper, No. 581.

[3] Hubert, Paul (2015), “ECB Projections as a Tool for Understanding Policy Decisions”, Journal of Forecasting, 34(7), 574-587, ou encore Hubert, Paul (2016), “Disentangling Qualitative and Quantitative Central Bank Influence”, OFCE Working Paper, No. 2014-23.




Dette de l’assurance chômage : quel est le problème ?

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

La dette de l’assurance chômage atteint 25,8 Md€ à la fin de 2015. Sous la pression d’un chômage élevé, elle va continuer de s’accroître jusqu’à dépasser 35 Md€ en 2018 (Unedic, 2015b), un niveau inédit qui représentera près de 1,5% du PIB et 100% des recettes annuelles de cotisations.

L’Unedic peut-elle rembourser cette dette ?

La Note de l’OFCE (n°60 du 10 mars 2016) montre que même en faisant l’hypothèse d’une conjoncture très favorable, et compte-tenu de la difficulté d’augmenter le taux de cotisation qui est déjà l’un des plus élevés au monde, les réformes des règles d’indemnisation susceptibles de produire suffisamment d’économies pour rembourser la dette et assainir les comptes au cours du cycle conjoncturel à venir devraient être drastiques. Il faudrait en effet réduire au minimum de 50% les droits potentiels des chômeurs, tout en préservant la paix sociale, ce qui apparaît très improbable.

L’Unedic, ne remboursera donc pas sa dette avec les recettes qu’elle a utilisées par le passé. Le régime qui survivrait ce tsunami paramétrique serait très loin de l’assurance optimale nécessaire au bon fonctionnement du marché du travail et de l’économie.

L’Unedic doit-elle rembourser cette dette ?

L’assurance est facturée bien plus cher qu’elle ne coûte, ce qui a pour conséquence que les allocations de droit commun sont largement financées par les recettes de cotisations. L’activité d’assurance de l’Unedic dégage donc un excédent annuel, dont le cumul se monte à 58 Md€ depuis 1990.

Mais au-delà du paiement des allocations, des charges qui devraient relever du droit conventionnel ou des politiques publiques, tels les régimes spéciaux intermittents et intérimaires, le financement du service public de l’emploi, des dépenses mises à la charge de l’Unedic par l’Etat, etc. ont engendré un besoin de financement total de près de 83 Md€ depuis 1990.

La dette de l’assurance chômage ne peut donc pas être attribuée aux règles de droit commun, et donc a fortiori à leur générosité supposée. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des réformes qui ont réduit les droits pour enrayer l’accumulation de déficits aient échoué au cours des 15 dernières années : le remède n’est pas adapté au mal qu’il est sensé soigner. Non seulement les réformes paramétriques nécessaires à résorber le déficit et la dette de l’Unedic ne résoudraient aucun des problèmes structurels et techniques qui en sont à l’origine ; bien au contraire, ceux-ci seraient exacerbés, au détriment de l’efficacité du régime, de la justice sociale et au profit de la segmentation du marché du travail.

Le droit commun doit-il évoluer et comment ?

Cela ne signifie pas que tout va pour le mieux dans le droit commun. Tant en matière de cotisations que de prestations, certaines règles essentielles sont devenues inadaptées, voire incompatibles avec la mission de l’assureur et l’intérêt des assurés. Une analyse stratégique et une comptabilité précise montrent qu’il existe des pistes simples, certaines, équitables pour refonder l’assurance chômage, et notamment ses règles essentielles.

Une réforme structurelle de l’assurance chômage devrait viser à recentrer son intervention sur des règles de droit commun consolidées et assainies. Cette stratégie devrait reposer sur quatre piliers :

  • La reprise de la dette par l’Etat. La dette n’est pas le fait des règles d’assurance de droit commun, mais elle empêche de réformer celui-ci de manière efficace et économique. L’Etat n’y perd rien, car cette dette est déjà comptabilisée dans la dette publique.
  • La suppression des dépenses non-assurantielles. Les dépenses indûment imputées à l’assurance chômage doivent être financées par d’autres ressources que des taxes sur les chômeurs.
  • Une assurance obligatoire. Tous les employeurs et tous salariés doivent être affiliés, car la solidarité interprofessionnelle, l’équité et l’efficacité justifient que le financement de l’assurance chômage s’appuie sur des ressources larges et diversifiées.
  • Une assurance universelle. L’unicité des règles est un principe intangible. L’assureur doit prioriser l’assurance du risque de chômage et sa mutualisation, ce qui implique de ne plus financer des politiques publiques avec des cotisations d’assurance chômage assises sur le coût du travail marchand.

Les partenaires sociaux n’ont bien entendu pas la latitude de prendre seuls l’ensemble de ces décisions. Mais, si le contexte de la négociation pouvait être ainsi éclairci, les partenaires sociaux pourraient à nouveau se concentrer sur les missions fondamentales et le pilotage de l’Unedic, ainsi que sur les leviers qui importent : objectifs de l’assurance, règles appropriées pour les atteindre, maîtrise des droits et des incitations, taux de cotisation, etc. pour le bénéfice de tous.