par Xavier Timbeau
A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012
Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.
Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.
La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).
Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer. Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.
Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.
Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.
Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.
Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.