par Eric Heyer
Si la crise actuelle est avant tout une crise sanitaire, les décisions politiques prises par le gouvernement français, nécessaires et légitimes pour limiter la hausse du taux de mortalité, vont engendrer une crise économique sans précédent. L’impact du confinement a fait l’objet d’un premier chiffrage par différents organismes (INSEE, OFCE, OCDE), chiffrages qui seront actualisés au fur et à mesure de la publication de nouvelles statistiques, notamment de l’INSEE.
La publication de l’Indice de Production Industrielle (IPI) donnera une première indication de l’ampleur des conséquences de cette pandémie et des mesures sanitaires sur l’industrie française. Néanmoins, les premières informations portant sur le mois datent du début du confinement ; elles ne seront disponibles que le 10 mai. En attendant cette date, des données en temps réel peuvent être mobilisées afin de calibrer et d’anticiper le choc sur l’industrie.
Parmi celles-ci, la consommation d’électricité des entreprises semble disposer de caractéristiques appréciables pour le sujet qui nous occupe. En effet, l’électricité est, sans doute, une des formes d’énergie les plus utilisées dans le processus de production. En outre, contrairement aux autres formes d’énergie, il apparaît difficile d’emmagasiner, de stocker de l’électricité : par conséquent, on est en droit de penser que la consommation d’électricité observée durant une période correspond au flux d’électricité consommé durant cette même période. Celle-ci présente également l’avantage d’être un input assez homogène dans le temps. Cette stabilité de l’unité de mesure permet ainsi la réalisation de toutes sortes d’agrégations et des études sur séries longues, lui accordant, de ce fait, un avantage sans conteste sur les autres formes d’énergie comme le charbon par exemple. Enfin, le faible coût de ces données, leur parfaite objectivité et exhaustivité ainsi que leur mise à disposition en « temps réel » constituent, s’il en était besoin, une incitation supplémentaire pour tenter de les exploiter davantage.
De nombreuses études internationales ont par ailleurs mis en évidence la possibilité de construire un indicateur d’utilisation des équipements productifs à partir de la consommation d’électricité des entreprises. La première approche fut effectuée, à notre connaissance, par Foss M. F.(1963) pour les États-Unis. Cette idée fut ensuite reprise par Jorgenson D. W. et Griliches Z. (1967), Morawetz D. (1976) sur les données concernant Israël et les Philippines, appliquée aux chiffres de l’industrie manufacturière du Royaume-Uni par Heathfield D. F. (1972), Bosworth D. et Westaway A. J. (1984), Bosworth D. (1985), à la Suède par Anxo D. et Sterner Th. (1991) et enfin à la France par Heyer E. (1995).
En mobilisant la base de données de RTE (Réseau de Transport d’électricité) permettant de connaître la consommation totale d’électricité en France en temps réel, par tranche de 30 minutes depuis le 1er janvier 2010 et après l’avoir purgée des effets saisonniers, des jours fériés, des aléas météorologiques (écart entre la température journalière et la normale saisonnière) et des gains d’efficacité énergétique, il apparaît très clairement que la consommation d’électricité observée depuis le début du confinement se situe très en deçà de sa valeur attendue, dont la raison pourrait être une moindre utilisation des équipements productifs (graphique 1).
Agrégée en donnée mensuelle, la baisse observée au mois de mars est la plus importante jamais enregistrée au cours de la période analysée (graphique 2) : en mars 2020, la consommation d’électricité a été inférieure de près de 15% par rapport à une « situation normale ».
Une fois purgée de la saisonnalité, d’une tendance à l’économie d’électricité et des températures inhabituelles, la consommation d’électricité permet d’expliquer une partie des variations de l’Indice de Production industrielle. Sur la période 2010-2019, il existe une relation de long-terme – cointégration – entre l’IPI, la consommation d’électricité et l’emploi industriel. Dans le cadre de cette relation, l’élasticité de l’IPI à la consommation d’électricité est de 0,74.
Sur la base de cette relation économétrique et en faisant l’hypothèse d’une stabilisation de l’emploi industriel au mois de mars, nous pouvons tenter d’estimer de façon anticipée l’IPI du mois de mars 2020. D’après nos estimations, ce dernier pourrait connaître une baisse de plus de 10%, confirmant le caractère inédit de la crise depuis la création de cet indice (graphique 3).
Cette chute mensuelle sans précédent équivaudrait à la baisse observée près de cinq mois après le début de la crise de 2008 (graphiques 4).
Enfin, la baisse de la consommation d’électricité a débuté au milieu du mois de mars. En la prolongeant sur un mois, la baisse pourrait atteindre 30% pour un mois de confinement. Son intégration dans un modèle économétrique estimant le PIB indique qu’une telle baisse engendrerait une diminution de près de 25% de l’IPI et de 5,7 % du PIB mensuel, impact comparable à l’hypothèse retenue dans l’évaluation de l’OFCE.
La mise en avant dans les tableau est saisissant. Le confinement lié au covid-19 a eu et a encore un impact très important sur l’économie.
Bonjour et merci pour cette analyse intéressante et très stimulante.
Quelques questions tout de même :
– Dans le graphique 3, quelle est la base 100 ?
– Il est intéressant de constater que l’indice ne retrouve pas le niveau d’avant 2008 : 110 et +. Quelle est votre interprétation ?
merci,