par Mathieu Plane
A la suite de la remise au Premier ministre du Rapport Gallois sur le pacte pour la compétitivité de l’industrie française, le gouvernement a décidé la création du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Partant du constat d’un déficit commercial en hausse au cours de la dernière décennie, de la forte dégradation des marges des entreprises depuis le début de la crise et d’un chômage grandissant, le gouvernement vise, par la mise en place du CICE, le redressement de la compétitivité des entreprises françaises et de l’emploi. Selon notre évaluation, réalisée à l’aide du modèle e-mod.fr, détaillée dans un article de la Revue de l’OFCE (n°126-2012), le CICE devrait permettre de créer, cinq ans après sa mise en place, environ 150 000 emplois faisant baisser le taux de chômage de 0,6 point et il générerait un gain de croissance de 0,1 point de PIB en 2018.
Ouvert à toutes les entreprises imposées d’après leur bénéfice réel et soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, le CICE sera égal à 6 % de la masse salariale, hors cotisations patronales, correspondant aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Sa montée en charge sera progressive, avec un taux de 4 % en 2013. Les effets sur la trésorerie des entreprises liés au CICE se feront avec un décalage d’un an par rapport à l’exercice de référence, ce qui veut dire que le CICE donnera lieu à un crédit d’impôt sur les bénéfices des sociétés à partir de 2014. En revanche, certaines entreprises pourraient bénéficier dès 2013 d’une avance sur le CICE attendu pour 2014. Le CICE devrait représenter 10 milliards d’euros sur la base de l’exercice 2013, 15 milliards en 2014 et 20 milliards d’euros à partir de 2015. Le financement du CICE reposera pour moitié sur des économies supplémentaires sur les dépenses publiques (10 milliards), dont le détail n’a pas été précisé, et pour moitié sur des recettes fiscales : une hausse du taux de TVA normal et intermédiaire à compter du 1er janvier 2014 (6,4 milliards) et un renforcement de la fiscalité écologique.
Cette réforme s’apparente en partie à une dévaluation fiscale et présente, sous certains aspects, des similitudes avec les mécanismes de la « quasi-TVA sociale » (voir Heyer, Plane Timbeau (2012) « Impact économique de la quasi-TVA sociale ») qui avait été mise en place par le gouvernement Fillon et qui a été supprimée avec le changement de majorité dans le cadre de la seconde Loi de finances rectificatives en juillet 2012.
Selon nos calculs réalisés à partir des DADS 2010, le CICE abaisserait en moyenne de 2,6 % le coût du travail du secteur marchand : l’impact sectoriel le plus fort de la mesure sur le coût du travail serait dans la construction (-3,0 %), l’industrie (-2,8 %) et les services marchands (-2,4 %). L’impact sectoriel final de la mesure dépend à la fois de la baisse du coût du travail et du poids des salaires dans la valeur ajoutée de chaque secteur. Le CICE représenterait 1,8 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles, 1,9 % de la valeur ajoutée de la construction et 1,3 % de celle des services marchands. Globalement, le CICE pèse pour 1,4 % dans la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. Selon nos calculs, le montant total du CICE serait de 20 milliards d’euros : 4,4 milliards pour l’industrie, 2,2 milliards pour la construction et 13,4 milliards pour les services marchands. L’industrie récupérerait donc 22 % de l’enveloppe globale, soit plus que son poids dans la valeur ajoutée qui n’est que de 17 %. Si cette mesure a vocation à relancer l’industrie en France, en revanche ce secteur n’est pas le premier bénéficiaire du dispositif en valeur absolue mais reste, avec la construction, celui qui y est relativement le mieux exposé en raison de sa structure salariale. De plus, l’industrie peut bénéficier des effets induits liés à la baisse des prix des consommations intermédiaires conséquente à la diminution des coûts de production dans d’autres secteurs.
Les effets à attendre du CICE sur la croissance et l’emploi sont différents à court et long terme (graphique). Ouvrant des droits en 2014 calculés sur l’exercice de 2013, le CICE aurait des effets positifs dès 2013, d’autant plus que les hausses de prélèvements et la réduction des dépenses publiques ne s’appliqueraient pas avant 2014. L’effet sur la croissance est donc positif en 2013 (+0,2 %) mais les effets sur l’emploi (+23 000 en 2013) sont plus lents en raison des délais d’ajustement de l’emploi à l’activité et de la montée en charge du dispositif.
En revanche, l’impact du CICE est légèrement récessif de 2014 à 2016, la perte de pouvoir d’achat des ménages liée aux hausses d’impôt, et la réduction des dépenses publiques (la consommation des ménages et la demande publique contribuant à -0,2 point de PIB en 2014, puis -0,4 point en 2015 et 2016) l’emportant sur la baisse des prix et le rétablissement des marges des entreprises. En dehors de la première année, les effets positifs du CICE sur la croissance liés aux transferts de revenus apparaissent lentement, les gains de parts de marché liés à la baisse des prix et à la hausse des marges des entreprises étant dépendants d’une mécanique de moyen-long terme rattachée aux effets d’offre, les effets qui passent par la demande étant plus rapides.
La mise en place du CICE engendre progressivement des gains de parts de marché qui contribuent positivement à l’activité par le bais de l’amélioration du solde extérieur (0,4 point de PIB en 2015 et 2016), que ce soit par l’augmentation des exportations ou la réduction des importations. A partir de 2017, la contribution du solde extérieur à l’activité est moins positive (0,3 point de PIB) en raison de l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages entraînant une moindre réduction des importations. Malgré la hausse des marges améliorant la profitabilité du capital, l’investissement productif diminue légèrement en raison de l’effet de substitution entre le travail et le capital et l’effet négatif d’accélérateur lié à la baisse de la demande.
Avec la baisse du coût relatif du travail par rapport à celui du capital, la substitution du travail au capital accroît progressivement l’emploi au détriment de l’investissement, ce qui enrichit le PIB en emploi et réduit les gains de productivité. Par ce mécanisme, l’emploi augmente régulièrement malgré la légère perte d’activité entre 2014 et 2016. Du fait de la hausse de l’emploi et de la baisse du chômage, mais aussi de possibles mesures de compensation salariale dans les entreprises liées à la hausse de la pression fiscale sur les ménages, les salariés regagnent en partie le pouvoir d’achat perdu, par une augmentation des salaires réels. Ce « rattrapage » du pouvoir d’achat permet de générer de la croissance mais limite les effets sur l’emploi et les gains de compétitivité.