présentation par Gérard Cornilleau
En 2014 l’activité éditoriale en sciences sociales aura été marquée par la publication de l’ouvrage de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle. Au-delà du succès de librairie mondial, rare pour un ouvrage plutôt difficile et publié originellement en français, le livre de Thomas Piketty a permis de relancer le débat sur la répartition de la richesse et des revenus. Contrairement à l’opinion générale qui veut que la croissance économique gomme les inégalités et débouche à plus ou moins long terme sur une société équilibrée reposant sur une large classe moyenne (hypothèse de Kuznets), Thomas Piketty montre, à partir de données historiques longues et pour partie nouvelles, que la norme est plutôt l’élargissement du fossé entre les plus riches et tous les autres. Les périodes de resserrement apparaissent a contrario liées à des accidents de l’histoire politique et sociale (guerres, renversements idéologiques,…). Dès lors, et à moins qu’un prochain accident ne le contrarie, les sociétés occidentales paraissent condamnées à subir un déséquilibre de plus en plus grand de la répartition des richesses. Pour Piketty, des changements structurels de la fiscalité permettraient de contenir cette dérive insoutenable à long terme.
Il n’est pas étonnant que cette analyse ait renversé la table des idées reçues et provoqué des réactions parfois vives soit de dénégation de la réalité des inégalités, soit de critiques d’une vision trop pessimiste de l’analyse de Thomas Piketty. Il était évident que l’OFCE se devait de participer à ce débat public. Plusieurs chercheurs de l’OFCE ont ainsi contribué en proposant compléments et analyses critiques aux thèses de Thomas Piketty. On trouvera ces contributions dans le dossier publié dans le numéro 137 de la Revue de l’OFCE sur Le capital au XXIe siècle. Elles émanent de Jean-Luc Gaffard qui met l’accent sur les problèmes liés à la nature du capital et aux relations entre sa composante productive, sa rémunération et la régulation de l’ensemble du système qui peuvent modifier les conclusions pessimistes sur le maintien d’un écart durable entre taux de profit et taux de croissance de la production. Guillaume Allègre et Xavier Timbeau cherchent quant à eux à approfondir l’analyse de la nature du capital et ils mettent l’accent sur la montée de la rémunération des droits de propriété qui entraînent l’apparition d’un nouveau type de rentiers de la technologie. Ils analysent aussi la contribution de la richesse immobilière pour conclure comme Thomas Piketty qu’elle participe fortement aux inégalités.
Thomas Piketty a accepté de participer au débat en rédigeant pour la Revue de l’OFCE, une réponse qui précise sa pensée sur un certain nombre de points comme la nature hybride du capital qui mêle capital productif, richesse immobilière ou droits de propriété intellectuels dont le rendement relève plus d’un processus de construction sociale que d’une simple relation technique entre capital et production.
Le présent dossier répond à l’engagement de l’OFCE d’animer un débat scientifique sur les questions majeures en économie. Nos remerciements vont aux auteurs qui ont participé à sa constitution et à Thomas Piketty qui a joué le jeu de la critique constructive. Nous souhaitons enfin que ce dossier permette aux lecteurs de mieux mesurer les enjeux de la question des inégalités en particulier leur rôle dans la cohésion des sociétés à long terme.