A propos de l’ouverture des magasins de bricolage le dimanche, un aspect de la question n’a jamais été évoqué. Il concerne pourtant la majorité des clients qui font leurs achats en semaine, dans la journée. Si les magasins ouvrent leurs portes tardivement et en dehors des jours traditionnellement ouvrés, cela entraîne un surcoût salarial et une baisse des coûts de structure. Le surcoût est lié à la compensation salariale qui doit être accordée aux salariés qui acceptent de travailler en dehors des heures habituelles. Il n’y a aujourd’hui plus aucun doute sur cette nécessaire compensation. Les discussions en cours entre les syndicats et les enseignes déboucheront certainement sur une hausse de cette compensation avec sans doute un salaire double pour les travailleurs du dimanche. Ceux du soir, après 21 heures, seront également compensés. Sans cela il est vraisemblable que le nombre de « volontaires » se réduirait drastiquement. Personne ne songe d’autre part à contester qu’il s’agit d’une compensation « juste »[1]. La baisse des coûts de structure (liée en particulier à l’allongement de la durée d’utilisation du capital) devrait s’accompagner d’une redistribution de l’activité entre les commerces de proximité et les grandes surfaces : comme il n’est pas raisonnable de tabler sur une hausse du volume des ventes[2], l’extension des horaires devrait renforcer le mouvement de concentration commerciale avec moins de magasins ouverts plus longtemps. Du point de vue du bien-être, cette évolution serait favorable à ceux qui souhaitent et qui peuvent s’approvisionner en dehors des heures et jours habituels et défavorable à tous ceux qui préfèrent – ou qui ont du mal, comme les plus âgés – à se passer d’un service de proximité à taille humaine.
La question de la compensation des clients « perdants », ceux qui ne souhaitent pas s’approvisionner en dehors des heures traditionnelles et dans des magasins plus éloignés, se pose donc. Il n’est pas acceptable que faute de discrimination par les prix, ceux-ci subventionnent les clients qui exigent d’être servis la nuit ou le dimanche. Une telle situation de subvention implicite n’est d’ailleurs pas justifiée du strict point de vue économique : pour que les choix des consommateurs ne soient pas biaisés, ils doivent supporter le coût du service qu’ils demandent. Autrement dit les consommateurs du dimanche et de la nuit doivent payer le juste prix du service qu’ils utilisent. Celui-ci ne doit pas être porté à la charge des autres consommateurs[3]. Heureusement, il existe une solution simple à ce problème : majorer d’un coefficient fixe obligatoire toutes les factures des achats réalisés après 21 heures ou le dimanche[4]. Dès lors les consommateurs pourront choisir librement d’acheter aux heures habituelles au tarif courant ou en dehors de ces heures au tarif majoré. Pour déterminer le montant de la majoration, des travaux statistiques fins sont nécessaires, mais il est possible de fournir un ordre de grandeur : les marges commerciales étant voisines de 1/3 et la masse salariale représentant environ 60 % du coût du service commercial, une majoration minimale de l’ordre de 15 % est nécessaire pour tenir compte du doublement des salaires le dimanche et après 21h. En outre, pour compenser la perte de bien-être potentielle liée à l’impact des achats hors heures habituelles sur les structures commerciales, un coefficient de 20 % semble raisonnable. Dès lors que les clients des magasins payent le service supplémentaire qu’ils demandent en achetant le dimanche ou le soir, il serait possible d’accepter le libre choix de l’ouverture par les commerçants, sous la même condition qu’aujourd’hui de compensation salariale et de vérification du caractère « volontaire » du travail hors normes horaires habituelles. Selon la réaction de la clientèle à cette discrimination par les prix, les magasins choisiront d’ouvrir ou pas sur une base rationnelle, sans pénaliser ceux qui ne souhaitent pas s’approvisionner en dehors des heures habituelles.
Cette solution est extrêmement facile à appliquer puisqu’il suffit d’une très légère modification du code des programmes de caisse des magasins. La vérification de son application est également très simple. Elle est compatible avec une plus grande liberté du commerce et une juste compensation pour les salariés. Il reste que l’on pourra toujours lui opposer qu’elle va dans le sens d’une cassure des temps sociaux qui ne peut être évitée que par une réglementation contraignante. Il me semble qu’elle pourrait cependant être expérimentée pour mesurer précisément le besoin d’ouverture des commerces en dehors des heures « normales » : si avec une facture majorée de 20 %, les clients sont toujours aussi nombreux, c’est que le besoin d’élargissement des plages horaires est important. Dans le cas contraire, on en reviendra sans doute à une situation plus satisfaisante dans laquelle quelques magasins (ou parties de magasins) pourront ouvrir pour satisfaire une demande marginale, l’essentiel du commerce, et donc du temps de travail, restant concentré sur la semaine et dans les plages horaires habituelles.
[1] De nombreuses professions appliquent des tarifs majorés le dimanche sans que personne ne conteste la légitimité de cette pratique. C’est le cas en particulier des professions médicales. Si à l’avenir le dimanche devenait un jour « banal », les majorations de tarif du dimanche pourraient être remises en cause y compris pour ces professions. Par contre les majorations pour le travail de nuit continueraient à être justifiées par l’effet très négatif sur la santé.
[2]Voir la contribution de Xavier Timbeau (http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/jamais-le-dimanche/)
[3] D’ores et déjà les magasins ouverts le dimanche et la nuit, comme les épiciers dépanneurs de quartier, pratiquent des prix très supérieurs à la moyenne, ce qui permet d’éviter une trop forte subvention des clients « hors normes ». Les prix supérieurs de ces commerces sont facilement acceptés parce qu’ils correspondent à un service particulier. Mais dans l’hypothèse d’une levée générale de la réglementation des horaires d’ouverture, il est peu probable que les magasins des circuits traditionnels introduisent spontanément une discrimination par les prix.
[4] Cette majoration n’est pas un impôt. La recette associée constituerait un revenu pour le magasin qui serait fortement incité par la concurrence à baisser l’ensemble de ses prix.