par Paul Hubert
La communication d’un banquier central peut-elle influencer les anticipations des agents au même titre que les modifications de taux d’intérêt ? A en croire Ben Bernanke, il semblerait que oui.
Dans son discours du 18 octobre 2011, Ben Bernanke, gouverneur de la Banque centrale des Etats-Unis, a mis en avant l’intérêt qu’il porte à trouver de nouveaux outils pour que les entreprises et ménages soient en mesure d’anticiper les orientations de politique monétaire futures. On apprend ainsi que le Comité de décision de la politique monétaire (FOMC) étudie les moyens d’accroître la transparence de ses prévisions macroéconomiques. En effet, ces prévisions pourraient être considérées comme un outil de politique monétaire si leur publication influence la formation des anticipations privées.
Il est intéressant de noter que l’effet de la communication des prévisions de la banque centrale passe par sa crédibilité. En effet, la publication de prévisions n’a pas d’effets contraignants et mécaniques sur l’économie. Le canal de transmission passe par la confiance que les entreprises et ménages ont dans les annonces de la Banque centrale. Ainsi, si une annonce est crédible, alors l’action n’est plus obligatoirement nécessaire ou l’amplitude de l’action requise réduite. Le mécanisme est simple : la publication des prévisions modifie les anticipations privées qui modifient à leur tour leurs décisions et affectent donc les variables économiques. La volonté de Ben Bernanke de mettre en œuvre ce qu’il nomme « forward policy guidance » et l’emphase qu’il met sur l’importance des prévisions des banques centrales suggèrent que la Fed cherche à utiliser cet instrument additionnel que semblent être les prévisions pour mettre en œuvre plus efficacement sa politique monétaire.
Sur la base des anticipations d’inflation des agents privés collectées à l’aide d’enquêtes trimestrielles appelées Survey of Professional Forecasters et disponibles ici, il apparaît que les prévisions d’inflation du FOMC, publiées deux fois par an depuis 1979, ont un effet positif et persistant sur les anticipations privées (voir le document de travail). Celles-ci augmentent de 0,7 point de pourcentage lorsque la Fed augmente ses prévisions d’1 point de pourcentage. Deux interprétations de cet effet peuvent être proposées : en augmentant ses prévisions, la Fed influence les anticipations privées et crée d’une certaine manière 0,7 point de pourcentage d’inflation. L’efficacité d’une telle annonce serait donc discutable. A l’opposé, on peut imaginer qu’une hausse d’1 point de pourcentage de l’inflation va survenir et qu’en l’annonçant, la Fed envoie un signal aux agents privés. Ceux-ci anticipent alors une réaction de la Fed pour contrer cette hausse et réduisent leur anticipation de cette hausse. La Fed aurait donc réussi à empêcher 0,3 point de pourcentage de la future hausse d’inflation en communiquant dessus, l’annonce étant donc efficace.
Ce dernier mécanisme appelé « Open-Mouth Operations » dans un article publié en 2000 se focalisant sur la Banque centrale néo-zélandaise se veut donc un complément des opérations d’open market qui consistent à modifier le taux d’intérêt directeur de la banque centrale pour affecter l’économie.
Afin de mettre en lumière les raisons pour lesquelles les anticipations privées ont augmenté, on peut caractériser les mécanismes sous-jacents à l’influence des prévisions du FOMC. Si les prévisions du FOMC sont un bon indicateur avancé du futur taux d’intérêt directeur de la Fed, elles donnent de l’information sur les futures décisions. Il ressort de cette étude qu’une hausse des prévisions du FOMC signale une hausse du taux directeur de la Fed intervenant entre 18 et 24 mois.
De plus, les prévisions du FOMC n’ont pas les mêmes effets que le taux directeur sur les variables macroéconomiques et ne répondent pas de la même manière aux chocs macroéconomiques : les réponses du taux directeur à des chocs macroéconomiques sont larges et rapides en comparaison de celles des prévisions. Ce résultat suggère que les prévisions du FOMC sont un instrument a priori conçu pour mettre en œuvre la politique monétaire sur le long terme alors que le taux directeur est un instrument a posteriori, répondant aux chocs touchant l’économie et donc aux cycles de court terme.